Edge > 2 > White lies, black souls

Apr 20, 2008 11:22

Titre: White lies, black souls
Auteur: drakys
Fandom: Soul Calibur UA > Edge
Personnages: Amy, Raphael, Siegfried, Nightmare, Ivy
Rating: R
Disclaimer: Namco pour les personnages, drakys, lai_choi_san et supaidachan (pour les intenses recherches pour décider de la voiture d'Ivy)
Nombre de mots: 4991 mots
Notes: Ici pour les persos. Écrit dans le cadre d'ecrirepouraider, pour lai_choi_san.

"Réveille-toi!", souffle une voix, mais le son le vrille comme un hurlement, et on lui secoue l'épaule avec insistance, le geste est pire qu'un tremblement de terre.

Raphael se recroqueville un peu plus et grogne quelque chose, pas même une supplication pour qu'on le laisse tranquille. Il ne sait plus trop comment on doit articuler les mots et même s'il se rappelait comment, il n'aurait pas su quoi dire. Une main le retrouve sous les couvertures et lui met une claque retentissante qui l'arrache au moins un peu à l'inconscience à laquelle il aspire.

"Elles sont là!", siffle avec urgence une voix qu'il croit reconnaître.

"…Qu- Qui ça?", demande-t-il, confus, essayant de se souvenir d'où il est, de qui elle est. Ses yeux le brûlent, chaque respiration le glace. Le monde entier est froid et vide, il ne veut que dormir encore un peu. Juste un peu, le temps que tout le reste s'efface. "Amy?", fait-il, réalisant avec l'aide d'une autre claque qu'il doit faire un effort.

"Imbécile", le félicite la voix furieuse. "Un jour! Il fallait que tu te retiennes un jour!"

Elle reste le temps qu'il arrive à se lever et elle pousse des vêtements propres dans ses bras.

"Dépêche-toi de nous rejoindre!", lui ordonne-t-elle à voix basse, avant de sortir de la pièce.

Elle ne le quitte pas des yeux avant qu'il commence à bouger, à déplier la chemise et le pantalon avec ce qui ressemble assez à l'intention de se changer. Amy referme la porte derrière elle et il entend ses pas s'éloigner.

Il doit faire ça. C'est ce qu'il doit faire pour elle. C'est simple, c'est facile, il devrait y arriver même dans cet état. Il échange le pantalon de pyjama pour celui que lui a tendu Amy et ses doigts tremblent en essayant de fermer la fermeture-éclair, le bouton. Il essaie d'enfiler la chemise, y coince un bras, y arrive enfin, mais il y a trop de boutons qui ne veulent pas coopérer. Il hésite, l'enlève et la cache sous les couvertures, il marche pieds nus jusqu'à la commode et ouvre un tiroir à la recherche d'un vêtement moins complexe à porter.

Raphael réussit à passer un chandail à manches longues, noir, qui le fait paraître plus pâle encore. Il entend les pas, les voix près de la porte et panique un instant, se retient à la commode en cherchant une excuse à donner.

"Il ne faut pas lui en vouloir, il est malade et il a beaucoup de fièvre… Je crois que c'est une mauvaise grippe qui s'étire, il ne fait pas assez attention à sa santé", explique pour lui Amy et il ferme les yeux, reconnaissant.

Quand il sort enfin de la chambre et se traîne à la cuisine, les deux dames des services sociaux le regarde avec un dédain évident. Amy seule lui sourit et pose à sa place une tasse de café fumant. Elle se retire presque aussitôt pour les laisser discuter, lui lançant au passage un regard suppliant.

Raphael tire la chaise, qui fait un boucan horrible contre le plancher et il s'y laisse tomber. Il étire nerveusement ses manches, y cache les mains, regarde le café un moment et lève les yeux. Il attend qu'on lui dise ce qui se passe, qu'on lui explique ce qui justifie l'atmosphère pourrie.

"Vous êtes malade depuis longtemps?", lui demande la femme la plus âgée, avec une sollicitude sans âme.

Ses yeux le scrutent. Elles le fixent toutes les deux et il se redresse, garde le dos droit et libère ses mains des manches, les joint autour de la tasse. Elle est solide et chaude sous ses doigts, lui rappelle qu'il ne rêve pas, qu'il nage en plein cauchemar éveillé. Il ferme les yeux une seconde.

"Depuis-", il hésite. "Depuis deux semaines, peut-être. Je ne sais pas où j'ai choppé ça!", et il rit,
un rire qui sonne beaucoup trop faux et qui ne fait pas la moindre entaille dans l'ambiance trop sérieuse.

Seul un soupir qui a quelque chose d'exaspéré répond à ses efforts et l'employée des services sociaux qui n'a pas encore parlé se décide à le faire.

"Vous n'avez pas rempli les derniers formulaires d'évaluation que nous vous avons envoyés", souligne la petite voix sèche qui appartient à la dame plus sèche encore. "Il vous avait pourtant été expliqué clairement que vous deviez le faire. Monsieur Sorel, je ne crois pas que vous réalisez tout à fait votre situation."

Traits rigides, chignon serré, elle lui met une liasse de papiers sous le nez. Des papiers remplis de lignes noires, de caractères noirs, d'espaces blancs. Raphael les regarde. Pourquoi doit-il faire ça?

"Je- je-", il doit continuer cette phrase et trouver un mensonge, une promesse, quelque chose, des mots qui font du sens, mais rien ne lui vient et il passe une main sur son visage. "Ça va aller", il ne sait pas s'il dit ça pour lui ou pour eux.

"Ça va aller?", un petit rire sec, froid, qui a peut-être ou pas quelque chose de cruel. "Vous ne vous êtes pas présenté aux deux dernières rencontres obligatoires, je doute très fortement que vous soyez encore une figure parentale décente pour une jeune femme de son âge."

Le bruit des papiers, les feuilles pleines de caractères menaçants qu'on pousse devant lui.

"Vous n'avez plus d'emploi depuis presque un an et même si, je ne sais par quel miracle vous pouvez encore payer vos comptes", elle dit miracle comme une insulte, comme si elle connaissait et dédaignait la façon dont il gagne son argent. "Il est clair que vous pouvez à peine vous occuper de vous-mêmes."

L'autre femme enchaîne méchaniquement:

"Monsieur Sorel", ce ton est officiel, sec et froid, il n'aime pas ce ton. "De toute évidence, vous n'êtes pas en état de veiller au bien-être d'Amy.

- ...Quoi?", ce n'est pas la meilleure réplique, non, pas la meilleure réplique du tout avec les yeux rougis et les mots qu'il cherche tout le temps. "Je vais retrouver du travail, ce n'est pas- J'ai seulement- Du temps, j'ai besoin d'un peu de temps encore-", tout ce qu'il dit ne fait pas de sens et il s'en voudrait s'il arrivait encore à penser clairement.

Les deux employées des services sociaux échangent un regard à la signification pesante et elles commencent à ranger leurs documents officiels dans leurs serviettes qui paraissent encore neuves, n'éprouvant de toute évidence pas le besoin de prolonger plus longtemps la conversation. L'aînée des deux femmes remonte ses lunettes sur son nez dans un petit geste d'habitude.

"Quelqu'un passera à la fin de la semaine pour prendre Amy et finaliser les documents légaux, nous lui trouverons une famille décente, monsieur Sorel."

***

Il la regarde faire depuis presque une demi-heure, sans oser l'aider, osant encore moins lui adresser la parole. Raphael regarde le plancher, le bout de ses pieds, il fixe le bout du lit, n'importe où où elle n'est pas. Appuyé contre le mur, bras croisés, il essaie d'ouvrir la bouche et de lui dire quelque chose, mais il doit faire un effort pour y arriver.

"A- Amy-", essaie-t-il enfant et sa voix est beaucoup trop suppliante.

"Ne me parle pas!", siffle-t-elle en fourrant ses affaires pêle-mêle dans un grand sac.

"Je suis dé-

- Non", elle se retourne et le fixe d'un regard meurtrier, tellement noir qu'il se demande où est passée la lumière qu'il y avait avant dans ses yeux. "Tu n'es pas désolé."

Peut-être qu'il la lui a prise, cette étincelle et son sourire aussi. Elle souriait avant, mais avant quoi? Ses souvenirs sont tellement vagues. Il cache son visage dans une main un moment, mais elle le regarde encore comme si elle préférait qu'il soit mort quand il ose sortir du refuge improvisé et peut-être bien que c'est ce qu'elle pense. Raphael retourne fixer le plancher plutôt que les yeux qui le dépècent.

"C'est beaucoup mieux pour toi, comme ça."

Il essaie de s'en convaincre, parce qu'elle ne semble pas y croire et il faut bien que l'un d'entre eux gobe un mensonge pareil. Elle secoue la tête et il baisse la sienne. Il ne sait pas quoi lui dire et il arrive au moins à comprendre qu'il ne peut rien lui dire qui la calmera.

"...Mais qui va s'occuper de toi maintenant?", murmure-t-elle à voix basse et il lève les yeux.

Elle ne le regarde pas comme si elle voulait le tuer, elle le regarde avec pitié. Elle le regarde et leurs rôles sont inversés.

...Est-ce qu'elle a toujours été là pour lui et il n'a jamais remarqué?

***

L'air est lourd de bruits, musique feutrée, tintements des verres, la pesanteur des voix, d'odeurs de parfums, de nourriture, il y a du sucré, du doux et il ne sait pas pourquoi il est là. Ou plutôt, il le sait très bien et il est encore nerveux, incertain. Certain de ne pas être à sa place dans cet endroit. Le rouge du fauteuil est presque violent, saigne autour de lui comme il découpe sa silhouette en complet noir; il ne sait pas où mettre ses mains.

On lui a dit qu'il viendrait le rejoindre et il attend, sagement, trop peut-être. Il n'a pas l'habitude. Il ne sait pas pourquoi, pourquoi une fois il s'est arrêté là. Ou plutôt, il sait très bien. Il était là et ils ont échangé peut-être un petit bout de regard de rien: peut-être a-t-il tout imaginé.

Il revient trop souvent depuis.

Il y a un effleurement près de son épaule, qui ne dure pas plus longtemps qu'une demi-seconde. Il penche la tête vers lui et lui sourit. Siegfried le dévisage et dévore ce sourire, cette façon dont il repousse une mèche blonde derrière son oreille droite. Il dévore ce qu'il y a de perfection simple dans ce qu'il porte, le complet foncé aux lignes discrètes, la chemise bleue qui met ses yeux en valeur.

"Que désires-tu à boire?"

Sa gorge est sèche et il hésite, trébuche sur les mots.

"Une- une Pilsner Urquell.

- Je reviens", sourit Raphael et il s'éloigne, Siegfried dévore son dos, sa démarche, dévore tout ce que ses yeux peuvent voir.

Il revient avec deux bières et lui en tend une, lèche sur ses doigts ce qui a débordé, ou ce qu'il a fait déborder de mousse, ne le quittant pas des yeux. Il s'assit près de lui, leurs genoux s'effleurent, et il lève son verre, le cogne contre celui de Siegfried et le laisse là trop longtemps. Ou juste assez longtemps pour que Siegfried lui tende les billets pliés. Ils disparaissent aussitôt dans la paume de l'autre homme, puis s'évaporent si rapidement de là que Siegfried ne sait pas dans quelle poche Raphael les a rangés.

Il ne sait pas quoi lui dire et il baisse les yeux, fixe son verre, prend une gorgée.

"Alors, qu'est-ce qui s'est passé à cette réunion dont tu me parlais la dernière fois?"

Siegfried sait qu'il s'en fout probablement, mais son cœur bondit en réalisant qu'il s'est quand même souvenu de ce détail insignifiant. Il reste un instant à le dévisager et Raphael appuie un coude contre le sofa, pose sa joue contre son poing droit et il lui sourit, avec son verre de bière qu'il tient du bout des doigts en équilibre au-dessus d'un genou.

"C'était si ennuyant que tu n'en as rien à dire?", demande-t-il, amusé.

Il lui en parle aussitôt, Siegfried se trouve aussitôt ridicule de lui en parler. Raphael l'écoute et pose des questions et peut-être, peut-être qu'il penche la tête un peu plus vers lui. Peut-être que Siegfried regarde ses lèvres, tenté de se les approprier. Peut-être, peut-être qu'il pourrait y arriver…

Raphael ne regarde pas sa montre et continue à lui donner ce sourire un peu railleur qu'il arbore tout le temps; Siegfried sait pourtant que ça fait déjà plus d'une heure, de deux. Qu'il a bu trois bières déjà, que son porte-feuille a bien maigri. Il se lève, avec un empressement embarrassé tellement il ne veut pas lui déplaire. Il sait pourtant qu'il ne peut pas lui déplaire, pas tant qu'il paie
Il n'y a que la plus légère pression sur sa nuque et une plus agréable encore contre ses lèvres. Raphael le relâche, doucement, comme s'il risquait de s'enfuir, effarouché et il y a quelque chose de précis, de tranchant dans son regard. Siegfried hésite, se demande s'il devrait lui tendre un billet de plus, mais une main effleure sa manche et il arrête le geste avant même d'avoir pensé le faire.

L'autre homme se penche presque imperceptiblement vers lui, sa voix est un murmure à peine.

"Au plaisir de te revoir."

Il ne sait pas ce qu'il lui fait, Raphael ne peut pas le savoir. Ou peut-être le sait-il très bien, comme il plante un peu plus profondément ses griffes dans sa proie qui pourtant s'éloigne. Raphael reste là, souriant, attendant le moment où Siegfried se retourne pour ne rien faire. Pour ne rien faire d'autre que lui sourire, lui sourire juste à lui, sourire pour qu'il croit qu'il ne sourit que pour lui.

***

Siegfried marche depuis une demi-heure, passant et repassant devant le bar sans encore arriver à se décider à entrer. Il y a presque un mois qu'il n'est pas venu, retenu à l'étranger par un voyage d'affaires. Il voudrait voir, une seconde à peine, Raphael par la fenêtre, pour être certain qu'il est là.

Peut-être même pourrait-il se satisfaire de le voir un instant, mais il sait que c'est faux. Il veut entrer, il veut être près de Raphael, lui parler. Il veut le voir lui sourire et l'entendre lui faire la conversation, il veut sentir son regard sur lui et lui seulement. Il voudrait aussi le toucher et l'embrasser et-

Il ose peut-être entrer parce qu'il commence à faire froid. Il reste cloué sur place à l'accueil et pas une minute ne s'écoule avant qu'un jeune homme au visage angélique, qui paraît tout droit sorti d'une revue de mode, s'approche de lui.

"Bonsoir, cherchez-vous quelqu'un en particulier?"

Siegfried est horriblement gêné quand il demande:

"Est-ce que- est-ce que Raphael est libre?

- J'ai bien peur qu'il ne soit pas disponible ce soir. "

Siegfried ne peut que lâcher un petit Oh déçu et sans trop essayer de laisser paraître qu'il le cherche du regard, il essaie de fouiller des yeux la salle. S'il pouvait le voir, juste une toute petite seconde de rien, ce serait certainement suffisant. S'ils pouvaient échanger un simple coup d'œil, si Raphael pouvait lui sourire, le caresser du bleu de ses yeux…

Son coup d'oeil n'est pas aussi subtil qu'il le croyait.

"Il n'est pas sur le plancher", lui annonce-t-on avec un sourire trop gentil et Siegfried se dépêche de se détourner, comprenant très bien ce qu'implique cette révélation. "Mais monsieur", l'arrête la voix, qui a soudain quelque chose de caressant, de diaboliquement tentateur. "Si vous désirez simplement le voir..."

Il ne sait pas pourquoi il acquiesce en silence, d'un hochement de tête très raide, pourquoi il tend en billets pliés la somme qu'on lui demande. Siegfried voudrait en fait s'arrêter et s'excuser, bafouiller qu'il a changé d'idée, mais il continue à suivre son guide quand il veut fuir. Son coeur bat si fort qu'il a l'impression que l'autre homme peut l'entendre.

La pièce où on le fait entrer n'est pas grande, mais sur un des murs s'ouvre une grande fenêtre. Ce n'est pas ce qui le frappe en premier, ce qui le frappe, ce sont les voix, les bruits. Il s'approche et se fige, même s'il a déjà reconnu la voix de Raphael, il ne voulait pas vraiment confirmer que c'est bien lui.

Que c'est bien lui, dont les doigts aux jointures pâles agrippent avec un désespoir si délicieux les couvertures du lit. Dont les hanches sont tirées à coups brusques en arrière, comme il ne sait qui s'enfonce en lui avec des halètements de plaisir. Comme Raphael le supplie, encore et encore, avoir une vulgarité étrange sur ses lèvres, d'y aller plus vite, d'y aller plus fort.

Siegfried s'en veut.

Il aurait dû refuser et partir. Pas regarder, pas regarder comme ça, comme un… comme un voyeur! Il regarde le plancher, regarde le bout de ses pieds. Ferme les yeux, mais dans ses paupières, il y a encore les images gravées de ce qu'il a bêtement accepté de voir.
Siegfried s'en veut.

Mais tête basse, il s'approche de la vitre et coeur serré, il pose une main sur sa surface froide comme pour se rapprocher.

Siegfried s'en veut de ne pas être l'homme avec Raphael.

***

Il est claqué, tout ce que Raphael veut, c'est rentrer chez lui, s'arranger un fix et ramper sous les couvertures, sombrer dans la paix blanche, dans un sommeil sans rêve. Il ne sait pas pour quelle raison idiote il pense à Siegfried, qui n'est pas passé depuis au moins un mois. Il se convainc aisément que ce n'est que la vague appréhension de perdre un client régulier, surtout celle de perdre la générosité de ses pourboires.

Il doit être près de quatre heures du matin et il coupe d'un pas rapide par une ruelle derrière le Flambert pour sauver quelques minutes de marche. Il va déboucher sur la rue dans deux, trois mètres à peine, quand il surprend les pas de quelqu'un d'autre. Il accélère, motivé par un étrange pressentiment.

"T'en as pas un peu marre de me traiter comme de la merde?"

Un pas avant la sécurité relative de la rue, Raphael se retourne en entendant la voix: c'est bien celle de Siegfried, constate-t-il en le reconnaissant, mais les paroles ne lui ressemblent pas du tout, ni cette façon dont il s'approche, menaçant, sûr de lui. Raphael s'arrête et recule, mû il ne sait par quel instinct, devant l'autre homme. Il garde pourtant le sourire.

"C'est toi qui n'es pas venu depuis longtemps", répond-il, ignorant la question.

"Qu'est-ce que t'en sais?", rétorque Siegfried en s'approchant.

Le sourire de Raphael perd un rien en douceur et il recule encore, sort de la ruelle sombre.

"Tu vois bien que j'ai terminé pour ce soir, repasse demain", lui suggère-t-il, avec plus de fermeté que de patience.

Il se désintéresse de l'autre homme, comprend l'erreur que c'est quand les doigts de Siegfried se referme dans ses cheveux pour le tirer en arrière, le ramener dans les ténèbres, dans ses ténèbres, et qu'il colle son visage au sien, l'embrasse. Raphael lui mord la langue, furieux.

"Lâche-moi", siffle-t-il entre ses dents, mais Siegfried ne le lâche pas, il referme ses doigts plus serrés.

Il le force contre le mur le plus près et l'y plaque, libère ses cheveux pour agripper son bras.

"Qu'est-ce que-", les doigts enfoncés dans son bras lui ont fait commencer la question, la langue contre ses lèvres, dans sa bouche, le rend muet un instant. Raphael se libère et le repousse violemment. "Je t'ai dit de me lâcher! Qu'est-ce que tu crois que tu es en train de faire, Siegfried?"

Un rire méchant, presque dément, peut-être inhumain répond à sa question et une main le plaque de nouveau au mur, doigts serrés autour de sa gorge. Comme Raphael essaie de se libérer, un genou passe entre ses cuisses, écarte ses jambes.

"Je ne comprends pas ce qu'il te trouve, t'es qu'un connard de junkie", murmure l'autre homme contre ses lèvres en desserrant à peine les doigts. "Et pourtant, quand il est avec toi, il est pire qu'une nana qui mouille."

Raphael fronce les sourcils.

"Tu n'es pas...", il hésite, ça tient de la pure folie, mais c'est certainement la seule explication qui fait du sens. "Tu n'es pas Siegfried."

Un sourire. Un sourire coupant comme une lame, pire qu'un brasier, et l'autre homme le relâche, mais reste près, trop près. Il lui tapote la joue, lui agrippe le menton pour lui immobiliser le visage.

"C'est que t'as pas encore fait sauter tous tes neurones! ...Et si j'te baisais, pour féliciter ta bonne réponse?"

***

Un coude appuyé au bord de la porte, Ivy regarde le paysage nocturne défiler, dans ses tons de gris et de bleus sombres, crevés ici et là par des bulles aux couleurs plus chaudes créées par la lumière des lampadaires. Il n'y a personne dehors à cette heure, pas ici, ce ne sont pas les bas-fonds de la ville. Il n'y a pas un bruit sauf celui presque caressant, ronronnement discret du moteur de la voiture.

Elle se redresse soudain, avisant un peu de vie dans cette scène calme qui l'irrite.

"Range-toi!", ordonne-t-elle en donnant un coup de pied sec dans le dos du banc de son chauffeur.

Elle ne lui dit pas pourquoi, mais il obéit sans un mot, la voiture noir diamant, striée par le feu dans lampadaires, se range lentement et se stationne quelques mètres plus loin. Il laisse le moteur tourner et attend patiemment qu'elle lui dise de démarrer. Il jette à peine un coup d'oeil dans son rétroviseur, la voit regarder à l'extérieur, plisser les yeux et tapoter impatiemment la vitre. Il détourne les yeux quand elle sourit.

Son sourire a quelque chose de froid, de calculateur.
Elle ne prend pas la peine de fouiller dans son sac, elle le renverse d'un geste sec sur le recouvrement foncé du banc et cueille son téléphone cellulaire dans les débris du Prada éventré. Elle baisse la vitre le temps de prendre quelques clichés et Ivy compose ensuite un numéro.

"C'est moi", dit-elle seulement quand on lui répond. "Qu'est-ce que j'en ai à foutre, pauvre con, que tu dormais? Avec ce que je vais te payer, tu vas pouvoir roupiller sur un matelas de billets, si ça te fait plaisir!"

Elle soupire bruyamment, examine ses ongles.

"J'ai besoin d'informations, pourquoi est-ce que j'accepterais de parler à une nullité comme toi, sinon? Je t'envoie les images."

Elle appuie sur un bouton, initie le transfert et n'attend pas que les photos soient reçues pour donner un ordre. Sa main libre pianote maintenant d'impatience contre le siège, elle a un sourire satisfait au coin des lèvres.

"Trouve-moi toute l'info disponible sur ces deux pédés. Je vais même te faire une fleur: Raphael Sorel, c'est le nom d'une de ces jolies gueules."

Elle raccroche avant d'avoir eu une confirmation, mais elle sait que si la conversation n'a pas été suffisante pour convaincre son informateur, un simple transfert d'argent le convaincra de se mettre au boulot. Sinon, il lui reste encore d'autres moyens de le faire bouger: il n'y a rien comme la gueule d'une arme contre le front d'une petite merde pour la forcer à s'activer.

Ivy donne un autre coup de pied dans le banc du conducteur pour qu'ils reprennent la route, avec un petit rire cruel, rempli de fierté, qui jette un frisson glacé dans le dos de son chauffeur.

***

Il n'ose pas revenir sans laisser passer une, puis deux semaines. Il est certain que Raphael ne se souviendra pas du tout de lui et Siegfried est nerveux, presque terrifié de cette possibilité. Il reste assis tout raide sur le sofa et sursaute en entendant une voix derrière lui.

"Je croyais que tu m'avais oublié, Siegfried", Raphael lui sourit comme il contourne le sofa et dépose deux bières sur la table basse. "Je ne t'ai pas vu depuis un mois et demi", demande-t-il et Siegfried fixe le plancher. "Tu as été pris à l'étranger?"

Siegfried hoche la tête, n'arrivant pas à lui répondre autrement. Les doigts de Raphael s'approchent, effleurent ses cheveux, repoussent une mèche derrière son épaule quand il se penche un peu vers lui, avant de prendre place à côté de lui sur le sofa. Siegfried n'arrive pas à le regarder dans les yeux.

"Tu ne veux pas me parler, ce soir?", insiste gentiment Raphael et il tend une main vers lui, lui relève le menton.

"Je veux...", Siegfried s'interrompt, le dévisage et Raphael se laisse scruter.

…Est-ce que tu sais?, voudrait lui dire Siegfried. Est-ce que tu sais combien tes lèvres sont belles, pleines, rouges, quand tu les ouvres pour gémir de plaisir? Est-ce que tu sais combien je veux glisser mes mains sur ta peau, à quel point je veux t'embrasser?

Est-ce que Raphael sait combien il veut être celui sous qui il s'arche, en qui il veut bouger, à qui il veut arracher des cris de plaisir? Est-ce qu'il sait qu'il voudrait ne pas payer pour tout ça, pas qu'il ne peut pas payer, mais il ne veut pas être un simple client.

Raphael regarde rapidement autour d'eux, s'assure qu'il n'y a personne pour les surprendre et il pose la main sur la cuisse de Siegfried et il l'embrasse soudain pour arrêter presque aussitôt, après une fraction de seconde à peine de leurs langues à eux deux qui se bousculent. Sa voix est un reproche.

"Tu ne viens quand même pas ici parce que tu aimes payer ta bière dix fois le prix?", gronde-t-il.

Siegfried le dévisage, surpris, mais sur le visage de l'autre homme, il n'y a soudain plus la moindre trace d'exaspération et son sourire flotte de nouveau sur ses lèvres. Il s'éloigne et étire le bras pour reprendre son verre de bière, ils trinquent et Raphael agit comme toutes les autres fois. Il l'écoute quand Siegfried parle enfin et il lui sourit. Siegfried repose son verre et ce qu'il reste de bière dedans devant lui sur la table basse et il n'arrive pas à le regarder. Ses poings sont serrés sur ses genoux.

"Je n'ai jamais- Comment- Si je veux-"

Il s'interrompt et lève les yeux juste un peu, gêné, pose la question silencieusement. Raphael, déjà, lui tend une carte entre son index et son majeur. Il n'y a que son nom dessus, rien d'autre. Des lettres noires imprimées carrées sur le carton blanc.

"Donne ça au rouquin derrière le bar et demande-lui une clé."

Les doigts se referment sur son poignet avant qu'il s'éloigne. Raphael lui sourit et il ne parle pas très fort quand il ajoute:

"Précise que c'est pour nous deux seulement."

Il ne parle pas très fort, mais Siegfried comprend que personne ne pourra les regarder.

***

La porte n'est pas sitôt refermée que Raphael le pousse contre le mur, violemment presque et il encadre son visage des mains, l'embrasse. L'embrasse si fort que Siegfried est surpris, qu'il reste là impassible. Jusqu'à ce que l'autre homme morde sa lèvre inférieure. Il le repousse aussitôt et Raphael le regarde comme s'il lui lançait un défi.

"Qu'est-ce que tu attends de moi?", demande-t-il en écartant les bras et Siegfried ne comprend pas vraiment sa question.

Raphael recule et il paraît réaliser quelque chose. Il se rapproche, cette fois avec ce même sourire qu'il arbore d'habitude et il tend une main vers la joue de l'autre homme, l'embrasse doucement.

"Que veux-tu que je fasse, Siegfried?", murmure-t-il à son oreille, après avoir brisé le baiser. Ses doigts descendent sur la poitrine de Siegfried, s'arrêtent à sa ceinture et il baisse les yeux, lui souffle dans le cou. "Est-ce que tu veux venir dans ma bouche? Est-ce que tu préfères-

- Je- Je voulais seulement être seul avec toi."

Sur le visage de l'autre homme, il n'y a pendant une seconde aucune émotion et sa main reste posée sur la ceinture de Siegfried. Raphael lève les yeux et son bras retombe le long de son corps, il fronce les sourcils.

"Nous étions seul, en bas.

- Non, pas comme ça. Je ne veux pas seulement parler-", il s'arrête en voyant l'expression de Raphael, comme s'il lui avait donné raison et il se rétracte. "Non! Je ne veux pas te-", sa gorge se noue. "Est-ce que je peux t'embrasser?", lui demande-t-il.

Raphael lui sourit.

"Tu n'es pas sain d'esprit", affirme-t-il. "Tu ne veux pas seulement ça, c'est évident."

Siegfried ne répond pas, peut-être parce que c'est vrai, qu'il veut le toucher, le prendre. Peut-être parce qu'il ne veut pas que ça se passe comme ça. L'autre homme lui sourit encore doucement, mais Siegfried voit dans ses yeux un court instant une lueur ou il croit en voir une. Une lueur de rien, sans éclat, une lueur qui défait presque tout cet inintérêt qu'il affiche.

"...Qu'est-ce que j'en ai à foutre au fond", commente-t-il en lui renvoyant ce regard d'homme auquel on a arraché son âme. "Je suis payé que tu m'encules ou non."

Il y a quelque chose dans sa voix, quelque chose sans émotion, de si froid et de si lointain et Siegfried hésite. Il hésite et n'arrive pas tout à fait à le regarder franchement. Raphael, lui, le dévisage. Comme pour voir s'il va craquer, il doit craquer, personne de complètement sain d'esprit ne craque pas.

Raphael le regarde comme s'il savait quelque chose sur lui que lui-même ignore.

"Tu voulais être seul avec moi", reprend-t-il après qu'ils aient rempli la chambre de silence lourd et il y a dans son sourire une trace de moquerie, une infime part de quelque chose de pire, peut-être du mépris. "…Et pour quelle raison?"

Siegfried ne sait pas quoi lui répondre, il ne sait même pas s'il a une raison. Il regarde le plancher, y cherche un indice qui pourrait le mettre sur la bonne voie. Une main vient lui relever le menton, des yeux bleus le regardent presque avec sévérité.

"…Quel âge as-tu?", lui demande Raphael en effleurant son visage des doigts.

"Vingt-trois ans", répond Siegfried.

Les doigts s'éloignent et la voix de Raphael n'est qu'un murmure.

"Qu'est-ce qu'il y a de si horrible dans ta vie que tu aies besoin de venir ici?"

Il n'est pas surpris de ne recevoir aucune réponse. Il n'est pas surpris quand la main de Siegfried hésite avant de toucher sa joue. Il n'est pas surpris quand Siegried prend l'initiative, l'embrasse enfin.

Raphael n'est surpris que quand les lèvres de l'autre homme se collent aux siennes, chastement, et il comprend ce que l'autre homme veut. Il ferme les yeux et voudrait lui dire. Il voudrait lui dire que ce que Siegfried lui offre, il n'est pas capable de lui donner la même chose en retour.

(20 avril 2008)

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Notes supplémentaires-et-pas-intéressantes:
- La voiture d'Ivy: la Phantom de Rolls-Royce (avec des remerciements tout particulier à supaidachan pour les heures de Il faudrait un truc assez carré, plutôt masculin, je crois. Et cher. Un truck, peut-être? Un Hummer H2 ou H3, ce serait trop facile, hein? ...Et celle-là?, ...Celle-là alors? Tu penses quoi de ça? Et dans quelle couleur? Oh, Black Diamond, c'est beaaaau! L'intérieur foncé, hein?, etc)

- Évolution d'un titre (ou comment parler pour ne rien dire): Miracles don't exist, miracles do exist (mon working title, super mauvais of doom) > White powder, dark soul (premier changement spontané) > White powder, black soul (White/Black pour garder l'idée d'opposition Sweet/Bitter de Sweet sake, bitter blood) > White lies, black souls

- Écrit avec accompagnement musical de Soap and Foam, de Locksley, d'un peu de Chromeo et d'une touche de Benga (qui convient assez bien à Nightmare, j'ai l'impression et qui rendrait assez bien dans un bon jeu de baston).

genre : série, univers : edge (soulcalibur ua)

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