Juste un mot : Soupir.
What I've done
Mazy fixait le ciel sans vraiment le voir. Toute son attention était ailleurs, concentrée sur ses pensées. Il ne le vit pas arriver. C'était un garçon de son âge, plutôt petit mais d'une maigreur à faire pâlir d'envie les squelettes dont il avait le teint. D'immenses cernes noires due à son insomnie chronique décoraient tout en gonflant le dessous de ses grands yeux azurs à demi cachés par les mèches acajous qui lui retombaient sur le visage. Kao, l'homme, ou plutôt le garçon qui occupait toutes ses pensées pour le moment. Kao se plaça devant Mazy et remua la main. Celui-ci n'eut aucun réaction, alors Kao leva la tête pour voir ce que regardait son ami. Le ciel avait une couleur orangée ponctuée de touches de rouge, de jaune et d'un peu de bleu qui annonçait que l'apparition de la lune dans la voûte céleste serait pour bientôt. Mazy semblait perdu dans sa contemplation. Ses lèvres roses étaient légèrement entrouvertes et ses yeux violets n'exprimaient plus rien. Son visage montrait une intense réflexion. Kao sourit et s'assit à ses côtés le dévorant du regard : il adorait le voir dans cet état si particulier.
Kao détourna son regard pour regarder la route déserte face-à-lui. Rien ni personne, le calme total, le silence absolu marqué par une absence de présence humaine. Sûr de lui, Kao s'avança sur la route. Il se plaça en son centre et écarta les bras en fermant les yeux. Un chant s'éleva. Une voix pure et limpide au timbre cristallin qui chantait ce que semblait être une berceuse. Sourire aux lèvres, Kao tournoyait formant de gracieuses arabesques. Mazy appréciait la mélodie les yeux fermés pour mieux la sentir en lui, la voix intense et vibrante d'émotions de son ami. Un bruit au loin qui se rapprochait peu à peu jusqu'à se transformer en un cri, un autre bruit, celui de quelque chose qui en a percuter une autre, puis plus rien.
Mazy ouvrit soudainement les yeux. Face-à-lui, plus rien. Instinctivement, il leva les yeux et regarda horrifié le corps de Kao en train de tomber. La chute sembla durer des heures. Mazy était comme hypnotisé par le phénomène, seulement le bruit sec que produit le corps en s'écrasant au sol le ramena brutalement à la réalité. Sans s'en rendre vraiment compte, il se retrouva agenouillé avec Kao dans les bras. Sa poitrine se soulevait avec lenteur et difficulté, mais elle se soulevait, c'était le principal. Le garçon jeta un coup d'oeil au corps de son ami. Des jambes formaient un angle étrange. Son autre bras aussi, il avait du retomber dessus. Délicatement, Mazy remonta la manche de la chemise. La peau était tendue au-dessus d'une protubérance au niveau du coude. Il posa doucement la main dessus, ça semblait être pointu. L'os devait être cassé, mais n'avait pas transpercé la peau. Il appuya très légèrement dessus, provoquant un cri de la part de l'autre. Mazy enleva tout de suite son doigt pour reporter son attention sur le visage de l'autre.
Kao se sentait mal, sur le point de sombrer, mais le visage de son ami l'aidait à garder conscience. Il ne sentait plus ses jambes et n'arrivait pas à faire un geste qui ne lui soit pas douloureux : même respirer était un calvaire. Mazy se pencha juste au-dessus de son visage. Ses yeux d'améthyste exprimaient sans mal son inquiétude, de toute façon, Mazy exprimait toujours tout par ses yeux. Il était rare qu'il parle : il parlait aussi souvent que Kao dormait, donc presque jamais. Kao tenta un sourire qui se déforma bien vite en rictus de douleur. Il ouvrit la bouche pour parler mais des larmes coulèrent tellement c'était pénible et douloureux. Finalement il se contenta de refermer la bouche et d'observer son précieux ami en appréciant sa présence tout aussi importante que son amitié.
Mazy s'inquiétait énormément, l'état de Kao était pire qu'il ne le pensait. Il voulait retourner dans le bâtiment pour prévenir quelqu'un, mais laisser le blessé seul au milieu d'une route le répugnait. Un tout autre sentiment vint s'ajouter à son inquiétude : la culpabilité. C'était lui le responsable : il aurait du avertir Kao qu'il y avait quelque chose qui arrivait. Des larmes perlèrent au coin de ses yeux, c'était lui le responsable de cet horrible accident. Il s'insulta mentalement avant de regarder le ciel, l'implorant de faire quelque chose. Un son. Mazy regarda Kao qui fixait un point les yeux emplis de peur. Lentement, Mazy se retourna pour voir arriver sur eux un bolide. Le mot juste serait plutôt foncer. Mazy croisa les doigts pour qu'il freine. Chose futile car sans effet. Les deux corps s'élevèrent dans haut dans les airs avant de retomber lourdement sur le sol dans un bruit sec.
Un son régulier et continu. Tic et tac. C'est sur cette douce mélodie que Kao revint à lui. Le blanc de l'endroit l'aveugla, les exclamations l'assourdirent et la forte odeur de médicament lui bouchèrent le nez, comme chaque matin. Ses yeux ne reprirent leur usage qu'au bout de longs instants et encore, il voyait flou, mais sa vue se renforçait petit à petit avant de reprendre sa forme normale. Il avait fait un rêve étrange, comme toujours. Pendant trente seconde, il avait cru à la réalité en se réveillant, mais le fait de se retrouver bel et bien vivant dans ce qui était sa chambre le rassura. Il se redressa avec difficulté. Il n'y avait plus qu'à attendre Mazy. Kao jeta un rapide coup d'oeil sur l'horloge. 9h. Mazy ne devrait pas tarder à arriver. Kao porta son attention sur l'horloge. Son rêve lui revint, clair et net. Un sentiment étrange s'empara de lui. Et si c'était vraiment arrivé ? Et si Mazy était mort et que lui avait miraculeusement survécu ? Son coeur se serra. Dans ce cas, c'était lui l'unique responsable de sa mort. Kao secoua la tête et soupira. Ça ne pouvait pas être vrai, après tout, ce n'était qu'un rêve, malgré tout, une drôle de sensation proche du malaise s'exerçait sur lui.
Kao se leva et fit quelques pas pour regarder par la fenêtre. Dehors, la rue était déserte. Il n'y avait rien ni personne. Le silence régnait en maître sur ses lieux. Kao repensa à son rêve. Quelques coups furent frappés à la porte qui s'ouvrit immédiatement après. Kao fut déçut de voir que ce n'était qu'une simple infirmière qui lui ramenait son petit déjeuner et pas son tendre et cher Mazy.
- Bonjour Kaoru comment ça va ? demanda-t-elle avec politesse. Kao haussa légèrement les épaules.
- Pas plus mal que d'habitude...
- J'ai ramené ton repas... Kao fit un léger mouvement de tête.
- Merci Elodie. Et Mazy, il est où ? La dénommée Elodie sembla soudainement embarassée. Elle posa le plateau sur une table avant de tourner les talons pour sortir de la pièce, mais Kao attrapa son poignet.
- Mazy, où est-il ? La jeune infirmière détourna les yeux.
- Je suis vraiment désolée Kaoru... je... je... il... begaya-t-elle avant de se libérer de l'étreinte du garçon en le poussant puis de sortir et s'éloigner dans le couloir en courant.
Kao commença à se sentir mal. Son rêve était donc vrai. En quête de réconfort, il regarda l'horloge. 09h45 et Mazy n'était pas là, chose étrange pour quelqu'un d'aussi ponctuel que lui et impossible, ou tout simplement ne viendrait-il pas vu qu'il ne pouvait pas. Kao secoua la tête dans tous les sens. Mazy pouvait toujours venir. Il repensa à l'étrange attitude d'Elodie lorsqu'il avait parler de Mazy, et des mots prononcés par Mazy lui revinrent en tête. Alors c'était vraiment vrai ? Kao sentit les larmes venir puis couler. C'était ça son pressentiment ? Le soulagement qu'il resssentait disparut aussitôt pour laisser place à un profond désespoir, et à la culpabilité aussi : c'était par sa faute que Mazy s'était précipité sur la route puis s'était fais renversé, par sa faute à lui si Mazy était mort, alors lui-même n'avait plus droit à la vie. De toute façon, Kao ne pourrait jamais vivre sans lui.
Comme un automate, il se rendit dans la salle-de-bains jouxtant sa chambre. Il se regarda dans le miroir. Les larmes coulaient sans qu'il ne s'en aperçoivent laissant des sillons sur sa peau d'une pâleur surnaturelle. Kao posa sa main sur sa joue, la caressant doucement avant de se baffer. C'était sa faute. Le coup ne lui fit pas mal. Il lui procura même une certaine joie, celle de punir l'assassin de l'être aîmé, de se punir lui-même. Son regard se posa sur une lame de rasoir laissée à l'abandon près du lavabo. Délicatement, il la prit dans une main et passa un doigt dessus. Après quelques instants, il appuya son doigt sur la lame. Le sang coula. Kao était fasciné, c'était indolore contrairement à ce qu'il imaginait. Il souleva la manche de son pyjama et posa l'objet sur son poignet. Il n'appuya pas tout de suite, hésitant un peu, mais le visage apeuré de Mazy lui revint en tête et s'en même s'en apercevoir il s'était profondément entaillé. Le sang coulait énormément. Il s'assit le dos appuyé contre la baignoire, ramena ses genoux contre lui et posa sa tête dans le creux formé.
Kao avait le visage rayonnant. Un immense sourire le décorait, même si on pouvait voir son sang coulé de son poignet au sol en tâchant son pyjama d'une blancheur immaculée, et sur le carrelage une tâche grandissante de ce même liquide rouge. Kao était content. Il pouvait déjà entendre son ami qui l'appelait. Sa vue se brouilla. Ce ne serait plus très long. Il sentait ses forces le quitter, pourtant il entendait clairement Mazy l'appeler. Il perçut aussi les coups frappés à la porte de la salle-de-bains. Kao jubilait intérieurement : il était trop tard pour le sauver, pour l'empêcher de rejoindre Mazy qui inlassablement répétait son nom. La porte finit par céder. Trop tard, Kao ne le vit pas, tout était noir. Cétait fini.
Mazy équarquilla les yeux. Devant lui se trouvait Kao. Que faisait son ami étalé sur comme une locque sur le sol au milieu d'une flaque de sang l'air endormi ? Mazy se précipita vers Kao laissant tomber au sol le pacquet soignesement emballé qu'il tenait dans ses mains. En touchant le corps encore chaud, il eut de l'espoir, alors il commença à secouer Kao en lui criant de se réveiller. Rien à faire, le garçon ne réagissait pas. Le regard de Mazy se posa sur la lame de rasoir qu'il dévisagea longtemps avant d'observer attentivement le visage de l'autre.
- Tu n'as quand même pas fais ça Kao ? Pas aujourd'hui ? T'es toujours vivant ne ? Tu vas pas me laisser ne ? Kao, réveille-toi putain ! Kao ! Kao !
Mazy secoua encore plus le cadavre du garçon avant de le relâcher. Il pleurait. Son corps était parcourut de soubresauts incontrôlables. Tremblant, il enlaça son ami. Il était mort. Ils ne seraient jamais plus ensembles, jamais. Plus de sourire, de rire. Plus de soirées passées à regarder les étoiles. Il n'aurait plus jamais le loisir d'observer son ami danser et chanter sur la route qui passait derrière l'hôpital le soir, ni l'occasion de discuter de tout et n'importe quoi avec lui, mais ce qui blessa le plus le garçon, c'était que son ami ne lui avait rien dis. D'habitude, ils se disaient absolument tout. Kao n'avait aucune raison de faire ça, surtout qu'il semblait heureux et en pleine forme la veille quand ils s'étaient quittés. Mazy secoua la tête. Il s'était passé quelque chose qui l'avait poussé à le faire, mais il ne comprennait toujours pas. Ses yeux se posèrent sur le pacquet qu'il avait lâché. Il contenait une fine chaîne en or blanc et un pendentif représentant un petit cercueil entrelacé dans des ronces finement ciselées. On pouvait l'ouvrir et le refermer, et y glisser une petite photo. C'était le cadeau d'anniversaire de Kao. Mazy comptait le lui donner et avouer sa flamme. Quelque chose attira son attention.
Un son régulier et continu. Tic et tac. Une douce mélodie qui s'élevait depuis la chambre. Lentement, Mazy se leva et déposa le corps inanimé de Kao contre le rebord de la baignoire, dans la même position qu'aparavent et se rendit dans la chambre, tâchant par la même occasion le sol. Ses yeux se posèrent sur l'horloge et s'équarquillèrent. C'était lui l'assassin ! C'était de sa faute !
« - What I've done ?! » lâcha-t-il rapidement avant d'éclater une nouvelle fois en sanglots.
« - Tu sais Kao, le jour où j'aurai ne serait-ce qu'une minute de retard, ce que je serais mort. »