Femmes poètes

Oct 16, 2009 20:16

Un mème pris à selenak. Sur le site de la BBC, un sondage sur les 10 poètes préférés des anglais s'est retrouvé avec 10 hommes, et ça a donné naissance à ce mème "les femmes peuvent faire de la poésie aussi ! Nommez dix femmes poètes, et citez des extraits".

Je ne suis pas là pour la revendication féministe - dans ma liste de 10 poètes préférés, il n'y a qu'une femme, et c'est un choix très personnel - mais parce qu'un mème qui permet de citer de la poésie est toujours cool. ;-) (Et s'il y a des gens qui se posent la question : les paroles de chansons sont entièrement acceptées)

Aussi, ce ne sont pas du tout les plus grandes des poètesses. Encore une fois, le choix est personnel. ^^ (Et très restreint niveau époque. Je n'apprécie vraiment pas grand chose avant le 19e siècle, c'est terrible ^^;; Même pas Louise Labé - j'ai hésité, pourtant. Et je n'ai pas suivi les recherches stylistiques de la fin du 20e siècle).

1) Marceline Desbordes-Valmore : Poétesse romantique, connue pour ses poèmes d'amour et de nostalgie qui sont effectivement charmants, mais comme souvent, avec le romantisme, je préfère la poésie politique, même quand c'est grandiloquent. ^^ Sur la révolte des canuts :


Quand le sang inondait cette ville éperdue,
Quand la tombe et le plomb balayant chaque rue
Excitaient les sanglots des tocsins effrayés,
Quand le rouge incendie aux longs bras déployés,
Etreignait dans ses noeuds les enfants et les pères,
Refoulés sous leurs toits par les feux militaires,
J’étais là ! Quand brisant les caveaux ébranlés,
Pressant d'un pied cruel les combles écroulés,
La mort disciplinée et savante au carnage,
Etouffait lâchement le vieillard, le jeune âge,
Et la mère en douleurs près d'un vierge berceau,
Dont les flancs refermés se changeaient en tombeau,
J'étais là : j'écoutais mourir la ville en flammes ;
(...)
Savez-vous que c'est grand tout un peuple qui crie !
Savez vous que c'est triste une ville meurtrie,
Appelant de ses soeurs la lointaine pitié,
Et cousant au linceul sa livide moitié,
Ecrasée au galop de la guerre civile !
Savez-vous que c'est froid le linceul d'une ville !
Et qu'en nous revoyant debout sur quelques seuils
Nous n'avions plus d'accents pour lamenter nos deuils !
...............................................

2) Louise Ackermann : Je dois avouer que je la connais mal. Ce sont toujours les mêmes poèmes qui se retrouvent dans les anthologies... et à chaque fois, je me dis "ils sont classe, quand même". :-) C'est de la philosophie en poésie, en quelque sorte ! Et voilà un lien vers le poème en entier si les extraits vous ont plu.


Regardez-les passer, ces couples éphémères !
Dans les bras l'un de l'autre enlacés un moment,
Tous, avant de mêler à jamais leurs poussières,
Font le même serment :

Toujours ! Un mot hardi que les cieux qui vieillissent
Avec étonnement entendent prononcer,
Et qu'osent répéter des lèvres qui pâlissent
Et qui vont se glacer.

Vous qui vivez si peu, pourquoi cette promesse
Qu'un élan d'espérance arrache à votre coeur,
Vain défi qu'au néant vous jetez, dans l’ivresse
D'un instant de bonheur ?

Amants, autour de vous une voix inflexible
Crie à tout ce qui naît : « Aime et meurs ici-bas ! »
La mort est implacable et le ciel insensible ;
Vous n'échapperez pas.

Eh bien ! puisqu’il le faut, sans trouble et sans murmure,
Forts de ce même amour dont vous vous enivrez
Et perdus dans le sein de l’immense Nature,
Aimez donc, et mourez !

(...)

Vous échapperiez donc, ô rêveurs téméraires
Seuls au pouvoir fatar qui détruit en créant ?
Quittez un tel espoir ; tous les limons sont frères
En face du néant.

Vous dites à la Nuit qui passe dans ses voiles :
J'aime et j'espère voir expirer tes flambeaux.
La Nuit ne répond rien, mais demain ses étoiles
Luiront sur vos tombeaux.

(...)

Du moins vous aurez vu luire un éclat sublime ;
Il aura sillonné votre vie un moment ;
En tombant vous pourrez emporter dans l'abîme
Votre éblouissement.

Et quand il règnerait au fond du ciel paisible
Un être sans pitié qui contemplât souffrir,
Si son oeil éternel considère, impassible,
Le naître et le mourir.

Sur le bord de la tombe, et sous ce regard même,
Qu'un mouvement d'amour soit encore votre adieu !
Oui, faites voir combien l'homme est grand quand il aime,
Et pardonnez à Dieu !

3) Louise Michel : Elle est, disons, plus connue pour son action politique, pour avoir fait la Commune, puis été déportée en Polynésie. D'ailleurs, bizarrement, elle a surtout écrit de la poésie engagée. Et transcrit les légendes des Canaques. Je ne suis pas sûre que ce soit de la grande poésie, mais j'y reste très très attachée du temps de ma jeunesse. ^^


Si j’allais au noir cimetière,
Frère, jetez sur votre soeur,
Comme une espérance dernière,
De rouges oeillets tout en fleurs.

Dans les derniers temps de l'Empire,
Lorsque le peuple s’éveillait,
Rouge oeillet, ce fut ton sourire
Qui nous dit que tout renaissait.

Aujourd’hui, va fleurir dans l'ombre
Des noires et tristes prisons.
Va fleurir près du captif sombre,
Et dis-lui bien que nous l'aimons.

Dis-lui que par le temps rapide
Tout appartient à l'avenir
Que le vainqueur au front livide
Plus que le vaincu peut mourir.

4) Renée Vivien : Parce qu'elle écrit du symbolisme décadent, avec du femslash et des créatures mythologiques, youpi ! (Je revendique mon droit à être biaisée ^^)


Viens, nous pénétrerons le secret du flot clair,
Et je t'adorerai, comme un noyé la mer.

Les crabes dont la faim se repaît de chair morte
Nous feront avec joie une amicale escorte.

Reine, je t'élevai ce palais qui reluit,
Du débris d'un vaisseau naufragé dans la nuit...

Les jardins de coraux, d'algues et d'anémones,
N'y défleurissent point au soufle des automnes.

Burlesquement, avec des rires d'arlequins,
Nous irons à cheval sur le dos des requins.

Tes yeux ressembleront aux torches de phosphore
A travers la pénombre où ne rit point l'aurore.

Je suis l'être qu'hier ton sein nu vint charmer,
Qui ne sut point assez te haïr ni t'aimer,

Que tu mangeas, ainsi que mange ton escorte,
Les crabes dont la faim se repaît de chair morte...

Viens, je t'entraînerai vers l'océan amer
Et j'aimerai ta mort dans la nuit de la mer.

5) Marie Noël : Je ne suis pas fan de tout ce qu'elle fait, c'est souvent un peu trop moralisateur-chrétien à mon goût, mais j'ai lu ses contes, c'est souvent touchant, comme cette poésie d'amour, que je connais depuis longtemps et qui me charme toujours :


Quand il est entré dans mon logis clos,
J'ourlais un drap lourd près de la fenêtre,
L'hiver dans les doigts, l'ombre sur le dos...
Sais-je depuis quand j'étais là sans être ?

Et je cousais, je cousais, je cousais...
- Mon coeur, qu’est-ce que tu faisais ?

Il m’a demandé des outils à nous.
Mes pieds ont couru, si vifs, dans la salle,
Qu’ils semblaient, -si gais, si légers, si doux,-
Deux petits oiseaux caressant la dalle

De-ci, de-là, j'allais, j'allais, j'allais...
- Mon coeur, qu'est-ce que tu voulais ?

Il m’a demandé du beurre, du pain,
-ma main en l'ouvrant caressait la huche-
Du cidre nouveau, j'allais et ma main
Caressait les bols, la table, la cruche.

Deux fois, dix fois, vingt fois je les touchais...
- Mon coeur, qu'est-ce que tu cherchais ?

Il m’a fait sur tout trente-six pourquoi.
J’ai parlé de tout, des poules, des chèvres,
Du froid, du chaud, des gens, et ma voix
En sortant de moi caressait mes lèvres...

Et je causais, je causais, je causais...
- Mon coeur, qu'est-ce que tu disais ?

Quand il est parti, pour finir l'ourlet
Que j'avais laissé, je me suis assise...
L'aiguille chantait, l'aiguille volait,
Mes doigts caressaient notre toile bise...

Et je cousais, je cousais, je cousais...
- Mon coeur, qu'est-ce que tu faisais ?

6) Sabine Sicaud : C'est l'auteur que j'aurais choisie dans une liste de 10 même si les hommes étaient admis. A son époque, elle était surtout connue pour avoir commencé à écrire très jeune fille, et pour être morte à quinze ans d'une douloureuse maladie. Puis les générations suivantes ont décidé qu'elle n'était connue que pour ça, et l'ont oubliée. Personnellement, je considère qu'elle est tout simplement douée. Pour la peine, j'en mets deux au lieu d'un. :-)


Vous parler ? Non. Je ne peux pas.
Je préfère souffrir comme une plante,
Comme l'oiseau qui ne dit rien sur le tilleul.
Ils attendent. C'est bien. Puisqu'ils ne sont pas las
D'attendre, j'attendrai, de cette même attente.

Ils souffrent seuls. On doit apprendre à souffrir seul.
Je ne veux pas d'indifférents prêts à sourire
Ni d'amis gémissants. Que nul ne vienne.

La plante ne dit rien. L'oiseau se tait. Que dire ?
Cette douleur est seule au monde, quoi qu'on veuille.
Elle n'est pas celle des autres, c'est la mienne.
Une feuille a son mal, qu'ignore l'autre feuille,
Et le mal de l'oiseau, l'autre oiseau n'en sait rien.

On ne sait pas. On ne sait pas. Qui se ressemble ?
Et se ressemblât-on, qu'importe. Il me convient
De n'entendre ce soir nulle parole vaine.

J'attends, comme le font derrière la fenêtre
Le vieil arbre sans geste et le pinson muet...
Une goutte d'eau pure, un peu de vent, qui sait ?
Qu'attendent-ils ? Nous l'attendrons ensemble.
Le soleil leur a dit qu'il reviendrait, peut-être...


N'oublie pas la chanson du soleil, Vassili.
Elle est dans les chemins craquelés de l'été;
dans la paille des meules,
dans le bois sec de ton armoire,
si tu sais bien l'entendre.
Elle est aussi dans le coeur du criquet
Vassili, Vassili, parce que tu as froid, ce soir,
Ne nie pas le soleil.

7) Gisèle Prassinos : J'aime le surréalisme en général, cette vague d'images sorties de nulle part qui vous culbutent le cerveau, un peu comme les rêves. Ensuite, il y a des auteurs que je peux lire à grosse dose parce que leur univers interne me parle, et d'autres non. Gisèle Prassinos entre dans la première catégorie.


Je t'attendrai sur les genoux de la mer
incalculables faits
événements fragiles et stables de toujours se refaire.

Je t'attendrai liquide encore humaine
non point dans le temps de l'esprit
- ô métronome qui dès l'espérance s'aiguise pour nos déchirures -
mais dans les arrêts du vent
dans le reflet des branches pétrifiées par la nuit
après le bain et le chant de l'oiseau
sur la route du sang qui sèche
dans l'indécision de la pluie...

Partout où l'heure se repose.

8) Sylvia Plath : Je l'ai découverte grâce à ce mème. J'ai souvent du mal à apprécier l'écriture poétique en anglais, je ne maîtrise pas assez la langue pour apprécier les subtilités, mais dans ce cas précis, c'est largement compensé par tout le reste !
(Comme selenak, celui qui m'a le plus impressionnée est Lady Lazarus, j'en ai choisi un autre parce qu'il est long, et pour ne pas copier ^^ )


This is the light of the mind, cold and planetary
The trees of the mind are black. The light is blue.
The grasses unload their griefs on my feet as if I were God
Prickling my ankles and murmuring of their humility
Fumy, spiritous mists inhabit this place.
Separated from my house by a row of headstones.
I simply cannot see where there is to get to.

The moon is no door. It is a face in its own right,
White as a knuckle and terribly upset.
It drags the sea after it like a dark crime; it is quiet
With the O-gape of complete despair. I live here.
Twice on Sunday, the bells startle the sky --
Eight great tongues affirming the Resurrection
At the end, they soberly bong out their names.

The yew tree points up, it has a Gothic shape.
The eyes lift after it and find the moon.
The moon is my mother. She is not sweet like Mary.
Her blue garments unloose small bats and owls.
How I would like to believe in tenderness -
The face of the effigy, gentled by candles,
Bending, on me in particular, its mild eyes.

I have fallen a long way. Clouds are flowering
Blue and mystical over the face of the stars
Inside the church, the saints will all be blue,
Floating on their delicate feet over the cold pews,
Their hands and faces stiff with holiness.
The moon sees nothing of this. She is bald and wild.
And the message of the yew tree is blackness - blackness and silence.

9) Hélène Cadou : C'est la femme de René-Guy Cadou, elle écrit sur des thèmes assez proches, me sembre-t-il, la persistance de la nature, matériellement comme dans l'âme humaine, mais elle est beaucoup moins connue. ^^ J'aime ce qu'elle fait, pourtant !


Un arbre
A poussé dans ton coeur

Ce n'était rien
Qu'une graine
Presque un jeu
Pour rêver des feuilles

Aujourd'hui
Les racines
Te dévorent

Dans un silence de terre

Personne
N'aura rien vu

Mais demain
Les oiseaux feront leur nid
Dans tes cheveux

Le souci
Durcira de ton écorce
Tes paupières

Seul le ciel
Pourra te gracier
S'il le veut bien.

10) Valérie Rouzeau : J'ai lu seulement une anthologie de poésie pour enfants plus tôt dans l'année, et j'ai trouvé ça fin et charmant ; en plus, un peu oulipien, avec une série de poèmes basés sur les figures de style... et comme en me renseignant j'ai vu qu'elle avait traduit Sylvia Plath, il faudra que je me renseigne plus avant. Mon préféré était "Syllogisme d'avril", mais comme je l'ai déjà cité dans ma critique, en voilà un nouveau.


Je m'ennuie d'une ancienne pluie nevermore
Je m'ennuie d'un bout de ficelle rouge nevermore
Je m'ennuie du fantôme des roseaux nevermore
Je m'ennuie de l'étang qui fume continuellement nevermore
La fête à la grenouille si je mens
Je m'ennuie sempiternellement.

P.S. : Si vous connaissez d'autres mèmes où il faut citer de la poésie, ça m'intéresse. :-)

meme:livres

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