Titre : Mensonge et Vérité
Auteur :
flo_neljaFandom : Originale / Conte de fées
Rating : PG-13, je dirais
Disclaimer : Les contes n'appartiennent à personne en particulier, depuis que Lapin a cassé la jarre de l'Esprit Céleste.
Notes : Conte écrit pour
blacklullaby dans le cadre de
ecrirepouraider. La requête était un conte de fées qui finit mal, sur le thème du mensonge. Bon, c'est plus tragédie que angst, et il n'y a pas de mise en abyme non plus, mais j'espère que ça te plaira !
Il y avait une femme qui était enceinte. Son époux était mort, tué à la guerre, et elle espérait que ses enfants seraient suffisamment forts pour ne point connaître un tel sort.
Elle descendit dans la rue et demanda au premier groupe de personnes qu'elle rencontra : "Qu'y a-t-il de plus puissant en ce monde ?"
"La vérité est ce qu'il y a de plus puissant en ce monde." dit un homme, qui était un savant. "Nous pouvons nous tromper, mais la vérité nous survit, et elle sera plus puissante encore quand l'homme aura disparu ; alors il n'y aura plus qu'elle qui règnera sur le monde."
"Ah, ne l'écoutez pas," lui répondit une femme. "Qui peut s'intéresser à ce qui adviendra dans des millénaires ? Le mensonge est ce qu'il y a de plus puissant en ce monde. C'est lui qui règne sur nos destinées, sur ce que les autres pensent de nous, sur ce qu'il nous adviendra toute notre vie."
Il y eut de grandes discussions sans que personne ne triomphe, et la femme rentra chez elle, troublée.
La grossesse fut pénible ; sur la fin, elle était bien incapable de marcher. Quand le temps fut venu, elle accoucha d'une fille ; mais ce n'était pas fini, elle eut encore un garçon.
Et comme elle se rappelait la conversation qu'elle avait entendue, elle appela sa fille Vérité et son fils Mensonge. Mais le soir même, elle eut un cauchemar.
"Comment as-tu pu ?" lui demanda une voix belle et terrible, "comment as-tu osé appeler sur tes enfants l'attention des puissances suprêmes ? Helas, ta fille ne pourra jamais que dire la vérité, et ton fils ne sera capable que de mentir. Il est bien heureux, déjà, que leur ait été accordée une miséricorde : une fois dans leur vie, seulement, ils pourront briser ces chaînes."
Elle se réveilla en tremblant, mais sans en le moindre souvenir de son rêve.
Le deux enfants grandirent bien. Tous les deux étaient beaux, intelligents, courageux, travailleurs, et pleins de santé. La petite fille disait toujours la vérité, et parfois c'était désagréable. Le petit garçon mentait toujours, et c'était souvent un peu insupportable. Mais aucun des deux n'avait de méchanceté, et les habitants du village les aimaient quand même.
Mais les enfants deviennent grands. Au bout de quelques années, Vérité était devenue une belle jeune fille, et Mensonge un beau jeune homme qui avait l'habitue de faire des déclarations d'amour aux jeunes filles, à l'ombre des arbres, jamais la même au fil des semaines.
Un jour, l'une d'entre elles eut le coeur brisé en éclats plus tranchants encore que les autres. Alors son père, qui était grand et fort, vint à la maison des jumeaux avec son couteau et sa lance.
"Je viens tuer ton frère." dit-il à Vérité. "Il a ensorcelé ma fille, elle ne mange plus, ne boit plus que ses larmes. Il l'a laissée espérer le mariage, et encore à chaque fois qu'elle s'enfuit pour le voir. C'est un crime impardonnable."
Et Vérité eut peur pour son frère, et rassemblant tout sa volonté, elle dit "Il n'est pas ici." L'homme ne discuta pas, car il ne l'avait jamais entendu mentir, et c'était d'ailleurs l'unique mensonge de sa vie.
Il s'installa devant la porte de la maison pour l'attendre, pendant que la jeune fille allait prévenir son frère. "Hélas," lui dit-elle, "je crains que seul le temps puisse apaiser sa colère, cette fois. Il faut que tu quittes le village, mon frère, au moins pendant quelques mois ; c'est la seule solution."
Son visage était triste en disant cela, mais Mensonge n'en fut pas si peiné. Il aimait sa famille, mais cela faisait longtemps qu'il rêvait de vivre les aventures qu'il inventait. Il fit ses adieux à sa vieille mère, et Vérité le fit sortir par une fenêtre, car l'homme l'attendait encore.
Mensonge marcha gaiement les premiers jours, puis de moins en moins au fur et à mesure que ses provisions s'épuisèrent. Il savait traquer le gibier ou cueillir les baies, mais il n'avait jamais appris à en faire de délicieux plats comme sa mère, et la monotonie de ces repas le rendait grognon.
Quand il aperçut au loin des hommes marchant en file. Quand il les eut rejoints, il constata qu'ils pleuraient et se lamentaient.
"Pourquoi cette peine ?" demanda-t-il.
"Helas, la fille de notre roi, qui est aussi belle que sage, a été demandée en sacrifice par un grand et terrifiant dragon, à la peau si dure que toutes les armes rebondissent dessus ! Nous venons de l'abandonner dans le creux de ces pierres, et il ne va pas tarder à venir la chercher !
"Ne craignez rien !" s'exclama Mensonge, qui détestait voir les gens s'affliger. "Je suis justement un tueur de dragons renommé. Aucun d'entre eux ne devrait demander de sacrifice ; celui-là s'enfuira la queue entre les jambes dès que j'apparaîtrai !"
Et comme il était aussi courageux que curieux, il escalada la falaise jusqu'au trou dans les rochers.
Mensonge ne pouvait pas dire si la princesse était sage, mais c'était assurément la plus belle jeune fille qu'il ait jamais vue. Sa peau était brune à reflets dorés, ses cheveux noirs comme la nuit, ses yeux brillaient comme des étoiles.
Il allait lui parler, quand arriva le dragon volant, qui se percha sur le rebord de la niche de rochers. Son corps était couvert d'écailles vertes et luisantes, sa gueule emplie de crocs terrifiants, et il se passait la langue sur les lèvres.
"Deux à la fois !" s'exclama-t-il. "Je vais manger le garçon tout de suite, puis j'emporterai la princesse dans ma maison pour plus tard."
Mensonge tremblait de peur, mais il s'efforça de le cacher quand il s'adressa au dragon.
"Me manger, vraiment ! Seigneur Dragon, je ne vous refuserai pas un tel honneur, mais je dois vous avertir d'un terrible danger. Les esprits de mes ancêtres me protègent. Celui qui me dévorera sera frappé d'une terrible malédiction."
Le dragon hocha la tête, semblant peser le pour et le contre. Très rapidement, Mensonge continua :
"Mais à une aussi noble créature que vous, je peux bien le dire : le seul moyen de se protéger de la malédiction en question est de boire d'abord, rituellement, un tonneau d'alcool aromatisé aux herbes jaunes que l'on trouve plus bas dans la plaine."
Le dragon réfléchit encore, et se dit qu'il n'avait rien à y perdre. Sans compter que, maintenant qu'on l'avait mentionné, l'idée d'un tonneau d'alcool pour assaisonner son repas l'enchantait assez. Aussi, il vola en chercher un, ainsi qu'une grande gerbe de petites fleurs jaunes ; en quelques minutes, il était revenu, et Mensonge n'aurait pas pu s'échapper, même s'il l'avait voulu.
"C'est parfait ! Maintenant, je vais dire les paroles magiques appropriées pendant que je mettrai les herbes dans le vin, sinon vous serez maudit."
"C'est d'accord, mais ne prends pas trop de temps !"
Mensonge prépara rapidement son mélange, que le dragon but d'une traite. Puis, satisfait, il se prépara à dévorer le jeune garçon. Mais, alors qu'il ouvrait la bouche, il se sentit saisi d'une soudaine envie de bailler. En quelques instants seulement, il s'endormait, roulé en boule.
Alors Mensonge soupira de soulagement, et remercia en son coeur sa mère pour les tisanes de fleurs jaunes qu'elle lui préparait quand il était petit et qu'elle voulait qu'il dorme bien. Il souleva une des lourdes paupières écailleuses du dragon, et de toutes ses forces, transperça son oeil jusqu'à sa cervelle.
Alors la princesse osa enfin parler et dit à Mensonge. "Vous m'avez sauvé la vie. Je vais vous emmener jusqu'au palais de mon père, vous y serez richement récompensé."
Mensonge la regarda, et pour la première fois de sa vie, il ne sut que dire. Mais elle souriait, alors il lui sourit aussi. Il lui prit la main, et cela lui suffisait.
Arrivé au palais royal, Mensonge retrouva sa langue. A nouveux, il se présenta comme un héroïque tueur de dragons, et s'inventa un lignage tout aussi royal que celui de ses interlocuteurs. Le roi le couvrit de présents, et lui proposa son hospitalité, qu'il ne refusa certes pas.
Et il restait toujours de longs moments en compagnie de la princesse, n'échangeant que quelques mots, ou pas du tout.
Un jour, elle lui demanda. "M'aimez-vous."
"Oui." répondit-il. Et puis, pour calmer le vide dans son ventre, cette impression que quelque chose lui avait échappé pour toujours, il demanda en retour : "Voulez-vous m'épouser."
"Oui." répondit-elle, et le soir elle avertit son père de leur souhait à tous les deux, et tous se réjouirent de cette union. Le lendemain, ils étaient mari et femme. Aucun dragon ne se montra plus dans le royaume, et comme Mensonge avait le bras adroit, personne n'eut jamais l'occasion de se rendre compte qu'il n'était pas ce qu'il prétendait ; sa femme moins que personne.
Mais dans le village de naissance de Mensonge et Vérité, il arriva que leur vieille mère tomba malade, et toutes ses pensées allèrent vers son fils. Pourrait-elle le revoir, ou au moins savoir ce qui lui était arrivé, avant de mourir ?
Vérité décida qu'elle irait le chercher. C'était folie, dirent les villageois. Et si elle ne revenait pas non plus, leur mère mourrait seule ? Mais la jeune femme ne vit que la muette lueur d'espoir dans le regard de sa vieille mère ; et elle partit le jour même.
Ce qu'elle ne savait pas, c'est que l'homme dont la fille avait été trahie par Mensonge avait eu vent de son départ. Il avait juré qu'il ne pardonnerait que quand sa fille pourrait rire à nouveau, et ce jour n'était pas encore venu. Aussi, il la suivit en secret, attendant son heure.
Vérité chemina longtemps, demandant des nouvelles de son frère ; et elle lui ressemblait tellement qu'il y avait toujours quelqu'un pour se rappeler en la voyant qu'un charmant jeune homme était passé il y a quelques années, parti dans telle ou telle direction ; et enfin, elle arriva dans le royaume où son frère s'était établi.
Tout le monde la salua, et lui dit qu'elle devait être la soeur du prince ; elle ne reconnaissait pas le nom, mais se doutait que ce devait être celui que Mensonge avait pris en arrivant ici.
Ses pas la menèrent jusqu'au palais royal, où son frère l'accueillit avec joie, la présentant à sa famille comme la princesse d'un royaume dont elle n'avait jamais entendu parler.
En prenant bien soin de ne pas trahir les secrets de son frère, elle lui présenta la requête de sa mère, et lui demanda de venir avec elle. La princesse voulut les accompagner, mais Mensonge, sans la regarder en face, inventa une longue et complexe histoire de traditions séculaires, et jura que c'était à lui d'amener sa mère, pour la première rencontre officielle.
Mais, alors qu'elle venait de renoncer, l'ennemi de Mensonge se présenta à la porte.
"Majesté !" tonna-t-il, "et vous, princesse, et tous les habitants de ce palais, je suis venu pour vous dire que cet homme est un imposteur ! Jamais il n'a été de haute naissance ; sa mère est une pauvre veuve ! N'est-ce pas vrai, Vérité ?"
Le mot "Oui." se forma dans la gorge de la jeune femme alors même qu'elle essayait de dire non.
"Cet homme est appelé Mensonge, car c'est le pire menteur que la terre ait connu. Jamais personne ne l'a entendu dire une seule vérité, il a trahi et abandonné ma fille. Dis-leur, dis-leur ce qu'a fait ton frère !"
Et Vérité pleurait, mais elle ne pouvait plus jamais mentir, de toute sa vie, et fut forcée d'avouer que l'homme disait vrai.
Le roi, la princesse et toute la cour étaient abasourdis.
"Comment est-ce possible !" tonna le roi. "Une telle vermine a pu devenir l'époux de ma fille chérie ! Il ne mérite rien d'autre que la mort !"
"Mon père !" essayait de plaider la princesse. "Il a réellement tué le dragon, il m'a réellement sauvé la vie ! On ne peut lui enlever cela ! Quelle que soit son origine, je l'aime !"
Puis elle se planta devant son époux, et lui demanda "Quand vous aviez dit que vous m'aimiez, le pensiez-vous ?"
Et Mensonge ne pouvait plus dire la moindre vérité de sa vie, ni répondre d'un sourire cette fois-ci.
Il répondit "Non." ; puis il n'esquiva pas la lance dont le transperça le père de sa princesse. Elle se jeta sur son corps en pleurant, pour sa mort, pour sa réponse, pour tout ceci à la fois.
Contre l'avis de son père, elle porta son deuil, et ne se remaria pas. On dit que l'ennemi de Mensonge mourut sur le chemin du retour. Emportée par la vengeance, écrasée de douleur, la princesse avait versé du poison dans sa gourde pendant son sommeil.
Quant à Vérité, elle rentra chez elle écrasée sous le poids de son malheur, pour y trouver sa vieille mère mourante.
"Je suis contente de t'avoir revue." lui dit-elle en souriant. "Je l'espérais. Ton frère est-il avec toi ?"
"Non." répondit Vérité. "Il n'a pas pu venir."
"Que lui est-il arrivé ?" demanda la mère.
Alors Vérité pensa très fort à son frère. Et son esprit passa en elle, en partie, et, sans pour autant briser la malédiction, elle put lui répondre "Il a épousé une princesse."
La mère sourit, et demanda "Va-t-il bien ?"
"Il ne connaît plus le malheur." répondit-elle.
La vieille femme mourut un sourire aux lèvres, en accordant à ses deux enfants sa bénédiction.
"Je ne la mérite pas." murmura-t-elle à l'oreille de sa mère, après s'être assurée qu'elle ne pouvait plus l'entendre. "J'ai été la mort de mon frère. Que cette bénédiction soit pour lui seul, qu'elle l'atteigne, où qu'il se trouve."
Après les obsèques de sa mère, elle brûla la maison de son enfance, puis quitta le village. Et plus jamais on n'entendit parler de la femme qui ne pouvait pas mentir.