[Fic] Parmi nous - Mythologie grecque - Pour So Yuyu

Dec 02, 2010 15:01





Parmi nous

What if God was one of us?
Just a slob like one of us
Just a stranger on the bus
Trying to make his way home…

One Of Us, Joan Osbourne

1.


Dy         1. Dyoni

Une ruelle de Paris, la nuit. Des touristes passent, des amoureux enlacés, un enfant accompagné de sa mère.

Tous remarquent le chanteur alcoolique, une bouteille de vin rouge à la main, un micro de fortune dans l’autre.

Il chante, désespérément seul, et ils s’assemblent en cercle autour de lui, fasciné.

« J’aurais aimé être un artiste,
Pour pouvoir faire mon numéro ! »

Il est beau, d’une beauté à la fois troublante et fascinante. De longues boucles noires tombent en torsade sur ses épaules musclées. Pourtant, malgré ce détail, le jeune homme est efféminé, fragile, même.

« J'aurais voulu être un chanteur,
Pour pouvoir crier qui je suis ! »

Intrigués, des passants se demandent qui il est, justement. Un adolescent fugueur ? Un clochard en manque d’argent ? Un artiste professionnel, qui cherche à arrondir ses fins de mois ?

Car le chant est beau, triste et beau. On sent tout une maturité d’expert dans cette voix juvénile, comme si elle avait eu des années pour s’exercer. Des siècles, même. Comme s'il avait été destiné au vin, et que peu à peu, l'alcoolisme l'avait poussé à chanter.

« J'aurais voulu être un auteur,
Pour pouvoir inventer ma vie,
Pour pouvoir inventer ma vie ! »

Et il invente de nouveaux chemins pour son public, lui rend confiance, lui redonne espoir. C’est tout un univers qui se déploie soudain, derrière les mots du garçon aux longs cheveux d’ébène, à l’haleine lourdement avinée.

« J'aurais voulu être un acteur,
Pour tous les jours changer de peau,  
Et pouvoir me trouver beau,
Sur un grand écran en couleurs ! »

Oh, pas besoin d’être comédien pour qu’on le trouve beau. Les femmes gloussent déjà entre elles, l’air ravi - même si c’est manifestement un SDF, et qu’il aurait bien besoin de nouveaux vêtements. Et quelques hommes aussi semblent intéressés.

« J'aurais voulu être un artiste,
Pour avoir le monde à refaire,
Pour pouvoir être un anarchiste,
Et vivre comme un millionnaire !
Et vivre comme un millionnaire ! », conclut le sans-abri dans une envolée lyrique.

Bientôt, il passe entre les rangs en réclamant de l’argent, comme d’habitude.

« Allez, m’sieurs-dames, une p’tite pièce pour Dyoni… Une p’tite pièce, m’sieurs-dames, à vot’ bon cœur…

-Johnny, c’est bien cela ?», s’enquiert un spectateur qui a mal compris le patronyme.

-Nan. Nan. Dyoni, rectifie l’être soûl, une lueur brillante dans les yeux - peut-être due à l’alcool ingurgité. Dyoni, comme ‘Dyonisos’.

-Ah, d’accord.», acquiesce son interlocuteur.

Ce soir, il dormira dans la rue, sous deux ou trois cartons sales, entassés en guise masure. Il aura sûrement froid, mais le vin le réchauffera.

Qu’il est loin, le temps où il dormait à l’Olympe et buvait de l’ambroisie !

2.     


2. Dita

« Hey, beau gosse, tu te sens seul ? »

La proposition indécente, prononcée d’une voix rocailleuse, vient d’une belle jeune femme blonde, maquillée comme une voiture volée. Elle porte des talons aiguilles, des bas résille, une mini-jupe au ras du pubis, un top rouge au décolleté plongeant, ainsi que des paillettes dans les cheveux et des boucles d’oreilles clinquantes, qui font écho à ses bracelets en toc. Son visage semble fatigué, fané.

Aucun doute sur sa profession, celle-là.

La péripatéticienne arpente encore le trottoir, pleine d’espoir. Le plic-plac de ses chaussures résonne dans la nuit sombre.

La voilà réduite à ce qu’effectuaient jadis ses prêtresses, à Corinthe ! La dimension sacrée en moins. La voici devenue pórnai, tout simplement.

« Pauvre Dita… », murmure-t-elle en se remaquillant dans son miroir en forme de coquillage.

3.     

3.                 3. Zeus Corporation

Il resserre sa cravate ajustée et fixe ses collaborateurs.

« Comme vous l’aurez compris, messieurs, le projet Olympe s’avère capital pour notre société. Rappelez-vous bien de notre slogan !

-Avec les lits Olympe, vous dormez comme des dieux ! récite toute l’équipe en cœur.

-Bien », conclut-il.

C’est une multinationale. La Zeus Corporation, titre que l’on abrège parfois en un simple « Zeus Corp », plus rapide, vend de tout. De la boisson énergétique « Ambroisie » aux baladeurs électroniques « Muse »,  en passant par le sirop dénommé « Nectar », elle se déploie dans tous les champs possibles et imaginables. Y compris celui de la literie.

Le ridicule ne tue pas, hein...

4.      

4.                    4. The Hera feminist collective*

« Liberté pour les femmes ! » scandait la femme dans son porte-voix, en tête du cortège. Ses sœurs manifestantes reprirent ensemble son slogan. « Liberté pour les femmes ! »

Depuis le mois précédent, elles avaient lancé un mouvement d’offensive contre les violences subies par la gent féminine. Elles avaient également rassemblé assez d’argent afin de lancer une campagne à la radio, à la télévision et via des affiches.

Au début, l’association était toute petite. Mais grâce à ses tracts, à ses fanzines et surtout au bouche à oreille, elle avait de plus en plus grandi, jusqu’à rassembler tous ces gens pour la manifestation.

Héra sourit amèrement.

Plus jamais son mari ne la battrait à l’issue de ses crises de jalousie.

Il n’oserait pas. Plus maintenant.

*Le Hera feminist collective existe réellement. Tapez ce nom dans Google pour vous en convaincre. Je n’ai fait que m’en inspirer très librement.

5.   

5.        5. Thanatopraxie

Oh, comme il était loin, le temps où son métier se limitait à tout simplement assister au procès des morts, organisé par Minos, Rhadamanthe et Eaque ! A cette époque, il pouvait se permettre de ne rien faire, assis sur son trône, Perséphone à ses côtés, le féroce Cerbère à leurs pieds.

Mais hélas, les temps avaient changés, et désormais, ce n’était pas une pièce de monnaie dans la bouche qui apaisait les morts, mais la certitude de partir avec un visage entièrement restauré, qui ne serait pas dévoré par les vers, puisque les tombes s’avéraient désormais hermétiques.

Qu’il était triste, ce nouveau métier ! Ni prêtre, ni roi, Hadès n’était plus qu’un banal employé parmi d’autres. Un thanatopraxe.

6.   

6.         6. Thalassa

Thalassa. La mer qu’il aimait tant.

Poséidon reposa sa caméra avant de filmer le magnifique paysage breton qui s’étendait devant lui.

Jadis, il était le seigneur de ces contrées sous-marines. On le connaissait sous le nom d’ « Ebranleur du sol », et tous le craignaient terriblement.

Aujourd’hui, malheureusement, ce n’était plus vraiment le cas, et les touristes se promenaient dans les ruines de ses temples.

Toutefois, le prestige était resté. Les mortels se souvenaient de son nom, et l’éclat du faste passé qui l’entourait résonnait encore lorsqu’un parent racontait l’Iliade et l’Odyssée à ses enfants terrifiés.

Quant à lui, il s’était reconverti en reporter.

Et il travaillait pour une émission qui prenait justement pour sujet la mer.

7.   
 
            7. D’aimer terre

« Alors, ma p’tite dame, qu’est-ce que je vous sers ? »

La matrone aux formes généreuses adressa un sourire chaleureux à la femme qui venait d’entrer dans sa boutique.

C’était plus fort qu’elle, il fallait qu’elle se montre gentille avec les gens. Même si ce n’étaient que des mortels, et qu’ils les avaient humiliés, elle et les autres dieux, en les oubliant d’une manière aussi lâche, elle ne parvenait pas à les haïr.

Après tout, ils avaient bien fini par s’en sortir…

Et elle, elle était décidément faite pour le métier de boulangère.

«Ce sera une baguette bien cuite, s’il vous plaît. »

Elle aimait la terre, elle aimait le blé, elle aimait le pain.

Et ses clients réguliers l’adoraient.

8.      

8.        8. La nonne

Hestia n’avait jamais été très aimée, même au temps de leur culte, de toute façon. Les humains ne lui avaient inventé absolument aucune légende, hormis celle de sa naissance, que tous ses frères et sœurs partageaient. Par conséquent, elle n’en voulait pas particulièrement aux hommes de l’avoir fait sombrer dans l’oubli.

Contrairement à d’autres dieux, comme Zeus, Héra ou encore Apollon, elle ne se mêlait pas aux mortels. Au lieu de se mettre en valeur, elle restait dans l’ombre - ce qu’elle avait d’ailleurs toujours fait, en fin de compte.

La vocation de nonne était gravée dans sa chair, c’était certain.

9.        

A          9. Ars belli

Il aimait la guerre. C’était là son vice le plus pernicieux.

Contrairement aux autres divinités, qui se cantonnaient à un seul corps humain, à une seule vie, pour de très longues années, lui se plaisait à en vivre plusieurs à la suite - ce qui était d’ailleurs assez logique car ses corps de guerriers ne duraient pas.

Arès avait tendance à oublier qu’il n’était plus immortel, et que ce n’était plus l’ichor qui coulait de ses blessures, mais du banal sang. Du coup, il mourait souvent, évidemment.

Et comme il était immortel, il revenait aussitôt sur Terre, sous une forme différente.

Il fut tour à tour enfant-soldat du Libéria, militaire en Afghanistan, mercenaire en Irak… Ce kaléidoscope de sensations belliqueuses le grisait, l’enivrait.

1          

1          10. Ars strategia

Elle avait eu le choix entre se réincarner en soldat de métier, comme cette grosse brute d’Arès, ou bien entre se réincarner en membre de l’État-major.

Athéna s’était décidée pour la seconde solution.

De la sorte, elle pouvait tout à fait réfléchir aux stratégies, aux manœuvres à suivre, aux cartes.

Tout ce qui lui plaisait dans la guerre, en somme.

Elle était célèbre. Elle était crainte. Elle était redoutée.

Et mieux encore, c’était la seule et unique femme de tout le régiment.

Un sourire venait ourler ses lèvres fines et montait jusqu’à ses terribles yeux pers lorsque cette pensée lui effleurait l’esprit.

11                  

11        11. C’est en forgeant qu’on devient forgeron

Cet ancien métier était sur le point de disparaître, certes, mais il n’en connaissait pas d’autre. Alors, il s’accrochait à celui-là, désespérément.

Il savait déjà ce qu’il ferait lorsque le tout dernier forgeron aurait disparu, ceci dit. Le commerce - il allait dire « trafic » - d’armes n’avait jamais été aussi florissant.

Pourtant, il ne s’accommodait jamais de tout ce bruit métallique, de ces étincelles inopinées, de ces explosions incessantes. La fabrication de bombes, de fusils, de mitraillettes et autres armes n’était pas tout à fait satisfaisante pour son esprit antique.

Les autres dieux, qui en PDG, qui en militante féministe, qui en soldat de métier, se moquaient allègrement de lui. Mais il n’en avait cure.

Et il frappait inlassablement un morceau de métal de son marteau.

12             

12         12. Célébrité

Indéniablement, cette vie de strass et de paillettes à gogo lui plaisait.

Apollon avait commencé sa nouvelle carrière en tant que mannequin. Les flashs des photographies s’abattaient sur lui dans une pluie continue, tandis qu’il dévoilait ses formes dans une tenue presque indécente.

Il se trouvait régulièrement en première page des magazines people, et les journalistes n’avaient de cesse que de lui courir après, en traquant l’histoire de ses amours malheureuses.

Le suicide de Daphné avait alimenté la presse pendant des semaines, de même que celui de Cyparisse et de Leucatas. Cassandre avait médit de lui dans ses interviews pendant des semaines entières, principalement parce qu’il s’était rabattu sur le frère de cette dernière, Hélénos. On l’avait même accusé d’avoir accidentellement tué Hyacinthe.

Ensuite, il s’était lancé dans la chanson, en redonnant à la lyre un rôle de premier plan. L’instrument était même devenu à la mode. Des centaines d’adolescents voulaient apprendre à en jouer.

Et maintenant, la télé-réalité. Et le cinéma, et…

Sa gloire n’aurait jamais de fin !

mythologie, fic

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