« Il était une fois…
- Pourquoi ça commence toujours par Il était une fois ? coupa la petite Alicia tout en mâchonnant d’un air absent une mèche de ses cheveux blonds.
- C’est comme ça, rétorqua Mme Spinnet déjà peu encline à conter une histoire à sa fille, et encore moins à répondre à ses questions sans queue ni tête. Et si tu comptes m’interrompre souvent, il vaut peut-être mieux que je te laisse dormir.
- Non, non ! Continue. Je dis plus un mot, promis, jura précipitamment l’enfant en serrant très fort la main de sa mère.
- Je reprends. Il était une fois, en un temps fort lointain où la magie n’en était encore qu’à ses débuts, une enfant. Une fillette d’à peu près ton âge. Oh, en apparence, elle n’avait rien de bien particulier, la petite Amy. Son visage taquin était constellé de tâches de rousseur et on lui connaissait une habilité certaine à faire des bêtises inimaginables.
Sauf que Amy n’était pas si banale que ça. Elle avait un secret : elle pouvait faire des choses, comme elle aimait le penser. Et ces choses-là, bien peu de personnes à cette époque savaient les faire. Changer la couleur des pétales d’une fleur te paraît assez normal, mais à l’époque ce n’était pas le cas. Les parents d’Amy ignorèrent toutes les bizarreries dont ils furent témoins. C’était sans doute plus facile pour eux. Cependant la fillette eut vite une réputation d’enfant étrange à éviter. Ça la rendit triste au début. Mais elle en profita pour plonger davantage dans ce que sa mère appelait, ses lubies. Puisque personne ne s’en préoccupait, Amy pouvait s’adonner entièrement à ses petits plaisirs magiques et elle apprit vite de nouveaux tours qui l’amusèrent beaucoup. Pourquoi jouer au ballon comme les deux garçons de la maison voisine, lorsqu’on peut faire parler les oiseaux ou enchanter une balle pour qu’elle bouge d’elle-même ? La magie, c’est plus drôle que les jeux du commun des mortels.
Un jour, une idée vint à la petite Amy. Plus exactement, elle fit un rêve, ce rêve que nous faisons tous un jour ou l’autre : voler haut dans le ciel. Et la pensée du bleu céleste tout autour d’elle ne la quitta plus de jour comme de nuit. Si elle avait été une petite fille comme toutes les autres, Amy aurait sûrement rêvassé un peu en regardant les oiseaux virevolter entre les nuages. Seulement avec ses pouvoirs, elle en venait à se demander s’il était possible que ce rêve devienne réalité. Alors les yeux levés vers le ciel, elle passa des heures entières à réfléchir au moyen de réaliser son premier envol. Ses parents eurent beau essayer de la faire revenir sur terre tout en poussant des soupirs d’exaspération, rien ne changea.
Amy pensa d’abord qu’elle pourrait elle-même, par la magie, voler. Mais ses pouvoirs balbutiants n’y purent rien. Et tout ce qu’elle eut comme résultats pour ses sauts de la branche du grand chêne de la cour, furent des bleus sur tout le corps. Mauvaise idée, il fallait trouver autre chose. Elle demanda de l’aide à quelques oiseaux de la forêt avoisinante, mais ceux-ci lui expliquèrent qu’elle était beaucoup trop lourde pour eux. Même l’aigle royal avec sa prestance et sa grande taille dut avouer qu’il ne pouvait rien faire non plus. Amy retourna boudeuse à sa maison, mais ne s’avoua pas vaincue pour autant.
Un soir, alors que sa mère lui contait des histoires pour l’endormir, elle eut un éclair de génie. Dans les contes, il y avait des dragons. Ses parents prétendaient que ces créatures n’existaient pas réellement, mais ils disaient bien la même chose au sujet des animaux parlants ou de la magie. Alors si Amy trouvait un dragon, celui-ci pourrait accomplir son rêve et l’amener jouer dans les airs. Sans prévenir qui que ce soit, la fillette partit bien décidée à obtenir ce qu’elle voulait, ne tenant pas compte des avertissements des histoires sur la dangerosité des dragons. Elle n’eut pas à aller bien loin. Les animaux qu’elle croisa lors de son voyage, la renseignèrent sur une montagne qu’on disait abriter un dragon. Amy s’y dirigea avec un aplomb qui déconcertèrent les animaux bien peureux face à ce monstre.
Elle voulait voler après tout. Ce n’était pas une grosse bête à écailles qui lui refuserait ça, tout de même ! Et effectivement, le dragon n’y trouva rien à redire. Pour la simple et bonne raison qu’il ne se rendit compte de rien. Il était encore tout endormi suite à l’hiver rigoureux lorsque Amy pénétra dans sa grotte. Ainsi elle n’eut qu’à se faufiler et elle grimpa avec précaution sur le dos du dragon alangui. Se calant entre les deux ailes et s’accrochant solidement aux écailles rouge sombre, elle attendit. Il fallut quelques jours au dragon pour sortir complètement de sa léthargie hivernale. Et au moment où il ébranla ses ailes avec une force insoupçonnée, Amy comprit qu’une fois de plus, elle n’avait pas eu une bonne idée. Oh, ne t’y trompe pas, Amy vola comme elle l’avait voulu. Mais le voyage ne fut pas la partie de plaisir qu’elle s’était imaginée. Elle passa des heures sur les écailles dures et rugueuses, cahin-caha à se faire ballotter au point d’en être malade. Puis il était hors de question de demander poliment au dragon de bien vouloir gentiment la déposer sur la colline là-bas. Elle prit son mal en patience et accueillit la descente avec soulagement et un peu d’effroi. L’atterrissage fut un peu rude, mais Amy fut enchantée de s’en sortir aussi bien.
Elle rentra penaude chez elle, subit la colère et les angoisses de ses parents et n’oublia pas qu’elle n’avait toujours pas pu réaliser son rêve. Elle réfléchit encore et encore, mais il ne lui venait plus aucune idée. Désespérée, Amy finit par confier à sa mère inquiète qu’elle n’arrivait pas à résoudre un problème et que cela la rongeait.
‘On trouve souvent une solution dans les choses toutes simples’, philosopha sa mère en passant une main dans les cheveux roux d’Amy. Les choses toutes simples, voilà qui était facile à dire. Comme s’il y avait beaucoup de choses simples qui pouvaient permettre de voler. Amy se sentit stupide d’avoir pu croire que sa mère pouvait l’aider. Elle voulut aller flâner du côté de la forêt, mais sa mère qui semblait avoir épuisé son quota de compréhension, se fâcha. La jeune fille dut aller en maugréant accomplir la corvée qu’on lui imposait : balayer la cour. Il n’y avait rien sans doute rien de plus ennuyeux, Amy en était sûre. Elle prit à deux mains le manche et un sourire soudain éclaira son visage.
- Et alors ? Elle a fait voler le balai ? coupa Alicia avec excitation.
- Bien sûr qu’elle a fait voler le balai, soupira Mme Spinnet. C’était facile pour elle d’enchanter un objet pour le faire voler et un balai était suffisamment solide pour la transporter à son tour. On dit qu’elle parvint à toucher les nuages et qu’elle visita des pays lointains.
- Mais maman ?
- Oui ?
- Si elle avait mon âge, elle était pas un peu jeune pour voyager si loin sans ses parents ?
- Enfin… si, répondit Mme Spinnet lassée de toutes ces questions. Mais c’est qu’une histoire.
- Mais…
- Et maintenant il est l’heure de dormir.
- Dis maman, tu crois que je pourrais avoir un balai volant un jour comme Amy ?
- Si tu es sage, Alicia. »
Lorsque Mme Spinnet ferma la porte de la chambre, elle ferma les yeux et souhaita de toutes ses forces que dans quelques années, Alicia ne s’amuse pas à vouloir des balais volants aussi chers que ceux que son père collectionnait déjà. Le coffre 504 à Gringotts n’apprécierait sûrement pas.