Titre: Secret révélé
Auteur:
shono_himeFandom: Rivages (Original)
Pairing: Llyr/Cael
Rating: PG
Disclaimer: *serre les deux beaux gosses contre elle* A moi! A moi!
Le jour est à peine levé, le soleil ne frappe pas encore les volets de la chambre, plongée dans une pénombre agréable. Dehors, pourtant, la ville ne dort jamais vraiment. Cael se lève silencieusement, s'étirant soigneusement, et Llyr, à travers ses yeux mi-clos, observe le jeu des muscles fins de son dos. Sans doute Cael le croit-il encore endormi, car il s'éloigne à pas de loup, en direction de la salle d'eau. La porte se referme sans un bruit, et Llyr se retrouve seul. Il se redresse sur un coude et regarde autour de lui, cherchant chaque trace de la présence de Cael dans la pièce. Une chemise pliée sur une chaise, un livre ouvert sur le fauteuil près de la fenêtre et ce petit pot d'huile de rose, qu'il insiste, tout les soirs, à appliquer sur sa tempe.
Le flacon et son contenu sont certainement signés Llyria, mais Llyr a beau répéter à Cael la futilité du geste, a beau lui assurer que la cicatrice n'est rien d'autre que ça, une cicatrice, son Lieutenant n'en démord pas, et, tous les soirs, quand ils vont pour se coucher, Cael, soigneusement et silencieusement, s'occupe de sa blessure presque guérie. Sans même se regarder dans un miroir, Llyr sait que le sourire qui erre sur ses lèvres est riche en nuances. L'adoration, la reconnaissance et la mélancolie s'y mêlent, signalant les émotions contradictoires que l'attention de son amant lui procure.
L'odeur de cet onguent ne lui semble pas imprégner sa personne, mais il peut la sentir, plus tard dans la soirée, quand Cael lui prend le visage pour l'embrasser, lui caresse les épaules ou s'y accroche, quand Llyr lui fait l'amour. Elle colle aux mains de son Lieutenant, et devient petit à petit une partie de lui, un rappel de ce qui les lie.
Llyr se lève à son tour, pris du besoin soudain et impérieux de voir Cael, de prendre ses mains et de les embrasser, encore et encore, ces mains qui restent un des seuls souvenirs de cet instant très bref où il s'est cru mourir, où le monde a explosé dans sa tête, où ces deux mains chaudes et tremblantes l'ont retenu, désespérées et fébriles, mais infiniment plus fortes que tout ce qu'il avait connu jusqu'alors.
Silencieusement, lui aussi, il traverse la pièce, tendant l'oreille. De la salle d'eau lui parviennent des sons étouffés, et quand il pousse la porte, la vision qui l'accueille aurait de quoi ravir n'importe qui. Cael est étendu dans la baignoire, chaque goutte d'eau sur sa peau comme un hymne à l'amour que lui porte Llyr, et ce dernier a soudain envie de perdre son esprit dans l'eau autour de lui, mais il secoue la tête, rejetant la tentation.
"Je me demandais si tu allais venir..." souffle Cael, les yeux fermés.
Llyr apprécie le tutoiement trop rare, car Cael ne baisse que trop peu ses barrières, comme dans ces moments là, quand la fatigue, ou au contraire un plaisir simple, lui font oublier ses défenses. Il regrette cette distance entre eux, un fossé presque insultant, pour deux êtres comme eux, qui, un temps, ont partagé un corps. Cette distance, c'est son Lieutenant qui l'impose, mais Llyr sait très bien qu'il en est lui-même à l'origine. Il sait, car il l'a lu dans l'esprit de Cael. La frustration, l'indignation, et surtout la douleur de ne pas savoir, de ne pas être jugé digne de savoir. Pourtant il en est digne, il l'a prouvé, et même sans cela, Llyr le sait.
Ils sont là, tous les deux, nus et encore ensommeillés, et là où il devrait y avoir abandon, familiarité, il y a toujours cette barrière entre eux, ce silence né des secrets que l'on cache.
"Je réfléchissais," s'entend répondre Llyr en faisant un pas, puis un autre, avant d'atteindre le tabouret de bois, près de la baignoire.
"À quoi?"
Llyr sourit en s'asseyant. Il prend d'une main le savon, retrouvant son odeur musquée, et pose l'autre sur l'épaule de Cael, se penchant vers lui pour déposer un baiser dans ses cheveux. Sans répondre, il savonne ses mains, puis les passe dans les cheveux de son amant, avec soin et en prenant son temps.
Ils restent un instant silencieux, imprégnés et bercés par la mélodie du Lien, puis Llyr croit entendre comme un rire, rythmé par le chant et par le bruit des vagues et il se surprend une nouvelle fois à sourire.
"Tu sais," commence t'il d'une voix lente, "moi aussi, je suis fils de Prêtre... Il est, ou il était, j'avoue que ne sais pas très bien, Prêtre de Maryn."
Sous ses mains, il sent le mouvement avorté de Cael, comme une envie de se retourner pour le regarder sans arriver à finir son geste, et Llyr préfère qu'il en soit ainsi. Tout en continuant à lui savonner les cheveux, il reprend son histoire.
"C'était un Prêtre comme je les déteste: imbu de lui-même et sûr de son pouvoir sur le peuple, il profitait des taxes et des privilèges de son rang pour s'en mettre plein les poches et assouvir sa soif de pouvoir. Quand j'étais jeune, je me suis plus d'une fois fait huer, dans la rue, sans comprendre pourquoi... Et ma petite sœur non plus."
Cael se détend sous ses mains, comme un cadeau pour le récompenser de sa confiance, et un soutien pour lui permettre de continuer à parler.
"Elle avait deux ans de moins que moi, et si j'étais la fierté de mon père, destiné à prendre sa succession au Temple, elle... Notre mère était morte en la mettant au monde, et je crois que mon père ne s'en est jamais vraiment remis. Et puis elle était de Terre, elle était curieuse, bavarde et remuante... Il ne savait pas quoi faire d'elle."
Il se rince les mains et commence à faire de même avec les cheveux de Cael, usant de la magie pour lui éviter de bouger. Se concentrer sur quelque chose de précis comme ça lui fait du bien.
"Je venais d'avoir seize ans, et j'allais bientôt rentrer au Temple quand c'est arrivé. Un hiver très rude, de maigres récoltes et le Continent tout entier s'est mis à crever de faim, encore plus que d'habitude. Les paysans ont essayé d'en appeler au Clergé, mais nombreux ont été les Prêtres qui ont fait la sourde oreille. Mon père était de ceux-là, et pour les paysans, ce fut la fameuse goutte d'eau de trop. Un soir, ma sœur n'est pas rentrée de sa prière au Temple de Silva."
Il se rappelle la terreur soudaine, quand son père lui avait appris la nouvelle, et cette colère montante à ne le voir rien faire pour la retrouver. Il se rappelle comment la colère s'est changée petit à petit en ressentiment, puis en haine brûlante. Il secoue la tête et reprend le savon pour continuer sa tâche.
"Ils voulaient juste faire peur à mon père, pour le faire céder, le contraindre à leur ouvrir les greniers du Temple, mais ils se sont retrouvés le bec dans l'eau quand il a refusé. Il a dit qu'ils n'étaient pas des hommes, pour s'en prendre à une enfant, et que le Clergé ne traitait pas avec les animaux. Il leur a dit d'en faire ce qu'il voulait... Alors, et bien..."
Il ferme un instant les yeux, et accompagnée par le chant de l'eau, la main de Cael se pose sur la sienne, serrant doucement ses doigts.
"Ils l'ont gardée un mois, puis ils nous l'ont rendue, et mon père a enfin eu la fille qu'il voulait. Elle ne parlait presque plus, ne riait plus, et elle "se tenait", comme il disait. Moi, j'avais l'impression de voir un roseau privé d'eau, une fleur de soleil. On a compris pourquoi quelques temps plus tard, quand mon père a découvert qu'elle était enceinte."
À nouveau, les doigts de Cael serrent les siens, un peu plus fort cette fois.
"Je ne l'ai appris que parce que j'ai surpris une conversation qu'il avait avec un autre Prêtre. À moi, il me disait qu'il allait la faire rentrer au Temple de Silva de Kell, que sa place était là, et elle, elle hochait la tête comme une marionnette... Sauf que ce soir là, il disait au Prêtre qui devait l'accompagner à Kell qu'elle ne devait jamais atteindre le Temple. Alors je suis allé la chercher, j'ai pris quelques affaires et on est partis. Puisqu'ils devaient l'emmener vers le Sud, on est partis vers le Nord, vers Maurr. Je voulais trouver un bateau, et trouver les Gypsy, pour leur confier ma sœur."
Ce voyage lui revient, l'incertitude du lendemain, la terreur d'être rattrapés, le désespoir de voir sa sœur si fragile, et toujours cette rage au ventre, qui le pousse à avancer, à la porter parfois, pourvu qu'ils avancent, qu'ils s'éloignent de leur Père et de sa trahison à sa famille.
"La ville était grande, on a pu s'y cacher sans problèmes. Je travaillais sur le port, j'aidais à débarquer les marchandises, j'aidais à la pêche, je faisais un peu tout ce qu'on me laissait faire, pour gagner de l'argent. C'est comme ça que j'ai fait mes premières armes en tant que matelot. Elle restait dans la cabane qu'on habitait, à recoudre mes vêtements et à pleurer, parfois, j'en voyais les traces sur ses joues quand je rentrais. Mais elle ne parlait toujours pas, à part pour s'excuser, quand je rentrais tard le soir, épuisé et trempé. Elle s'excusait de tout et de rien, et elle pleurait..."
Les yeux grands ouverts, il ne voit plus qu'elle, ses longs cheveux châtains tombant sur ses joues humides, ses lèvres qui bougent d'excuses muettes, et soudain le cauchemar se dissipe, quand Cael l'appelle doucement, juste une fois. Il prend une grande inspiration sifflante, s'accroche au Lien et reprend une nouvelle fois.
"Et puis une nuit, quand je suis rentré, elle était là, en sang dans la chambre, à gémir de douleur. Elle m'appelait à l'aide, me disait qu'elle avait mal... J'ai fait envoyer chercher la vieille rebouteuse du quartier, mais le temps qu'elle arrive, il était trop tard."
Il se rappelle le signe de la tête de la vieille qui venait de se pencher sur sa sœur, l'air désolé et dégoûté de celle qui observe un beau gâchis, et sa propre envie de hurler, mais ses yeux restent secs, comme ce soir là. Il se rappelle aussi avec une gratitude diffuse la présence de la vieille près d'eux, jusqu'à la fin.
"Ça a pris toute la nuit. Quand le matin est venu... J'avais l'impression d'être parti avec elle et avec son bébé. Alors j'ai décidé que tant qu'à disparaître... J'ai pris mes affaires, tout l'argent que j'avais économisé, pour le bateau qui devait nous conduire jusque chez les Gypsy, et j'ai mis le feu à la cabane. Et j'ai disparu."
Il ne raconte pas la suite, l'errance d'un temps, avant sa rencontre avec son Capitaine, et avec Lorgos. Cette histoire là n'a pas d'importance. Il continue de parler, pourtant, comme un naufragé continue malgré tout de nager, sans même jamais voir la côte.
"Je n'ai jamais parlé à personne de ça. Jamais. J'ai gardé son existence, et jusqu'à son nom même pour moi pendant des années. Elle n'était qu'à moi, son souvenir était le trésor que personne, jamais, ne volerait."
Les mots qui franchissent ses lèvres le font presque sourire. Il en a trouvé un autre, de trésor comme ça, une pierre précieuse qui n'appartient qu'à lui.
"Et puis un jour, alors que j'étais un jeune Capitaine à peine expérimenté, j'ai rencontré une femme. Elle était là, cachée dans un bateau que l'on venait d'aborder, enceinte et agonisante, et j'ai cru voir ma sœur. Je ne me souviens même plus vraiment ce qu'on a fait de l'équipage, mais je me souviens l'avoir prise avec moi et l'avoir confiée à l'infirmier de bord. Elle a perdu son enfant sur mon bateau, mais elle a survécu. Je me souviens qu'elle m'a dit qu'elle ne voulait plus vivre, qu'elle était déjà morte, de toute façon, que plus rien n'avait d'importance... Alors je lui ai dit que j'allais lui offrir un toit, la liberté de faire ce qu'elle voulait, et que si elle était morte, elle n'avait qu'à renaître, et je lui ai donné un nom, sans lui dire d'où il venait. Le nom de ma sœur."
Ce n'était pas trahir son secret de ne pas dire d'où venait le nom, et elles se ressemblaient tellement, ces deux femmes brisées... Llyr continue de garder ce prénom au plus près de son cœur, de le cacher avec tout ce qu'il a, et elle est là, cette distance, ce fossé qui le sépare de Cael. Un simple prénom tant aimé, une existence chérie, mais gâchée, trop courte.
"Elle s'appelait Llyria."
Cette fois, Cael se retourne et doucement, il lui prend les mains pour les porter à ses lèvres, à son visage, comme Llyr lui-même voulait le faire, plus tôt, et c'est étrange, mais il peut sentir sous ses doigts les larmes qu'il n'arrive pas à verser, et dans son cœur, une plaie brûlante, tout doucement, commence à se refermer.
FIN.