FIC - LES ANGES - DU DÉSORDRE AUX ENFERS (CHP.4) - PARTIE 1

Feb 08, 2019 17:10


Titre : Du Désordre aux Enfers
Fandom : Bible/Mythologie chrétienne/Angel!verse de modocanis
Personnages : Les Archanges, Lucifer, des démons, quelques anges et des Saint(e)s qui traînent...
Couples : Lucifer/Michael, Raphaël/Asmodée, Michael/Raphaël si vous regardez bien.
Disclaimer : Rien à moi !


Dans les profondeurs de la Terre, aux fins fonds de l'Enfer, les damnés étaient regroupés en file et patientaient dans des conditions horribles à l'accueil principal. Ils soufflaient, soupiraient, rouspétaient face à l'attente interminable (« On est en Enfer ou au bureau de poste, là ? ») alors que les secrétaires à l'accueil prenaient tout leur temps pour traiter des dossiers d'admission et - souvent - discutaient avec le collègue d'à côté, sourds à l'exaspération ambiante des damnés. Pour couronner le tout, la grande horloge, qui indiquait le temps qui passait, se figeait régulièrement, lorsqu'elle n'avançait pas avec une lenteur douloureuse, faisant perdre aux damnés toute notion du temps et leur donnant davantage l'impression d'une interminable attente.

- Danielle Bertrand…, appela le démon qui trempa sa plume dans un encrier et se préparait à écrire tandis que la damnée s’avançait vers lui. Morte le 5 janvier à six heures du matin… Motif : crise cardiaque. Pêchés principaux : colère et avarice, vous avez renié toute votre famille après avoir épousé un bourgeois et avez traîné votre sœur nécessiteuse dans la boue. Vous avez claqué à temps dis donc, encore quelques jours et vous auriez fait une crise existentielle où vous vous seriez repentie de tous vos pêchés et seriez devenue nonne… Enfin passons… c'est Danielle avec deux « L » ou un seul « L » ?

Avant que la damnée n'ait eu le temps de répondre, le démon se désintéressa complètement d'elle et se tourna vers son collègue :

- Tu as une idée, Gracchus ?

- Alors non, mais tu vois ça me rappelle ce temps où une courtisane nommée Danielle avait fait appel à nos services pour empêcher son mari de coucher auprès d'elle. Elle ne voulait pas le tuer car il avait une belle fortune qu'elle espérait hériter, mais elle ne voulait pas de lui dans sa couche, du coup on s'était rapproché auprès du service de la luxure qui -

- Ah oui, s'esclaffa son collègue, je m'en rappelle de cette histoire, c'était pas aussi pour cette affaire qu'on a du -

L'assemblée des damnés soupira de plus belle alors que les deux démons s'engagèrent dans une longue conversation qui devrait durer trois mois, dix heures et cinquante minutes.

À plusieurs kilomètres de là, en plein cœur de Pandémonium la capitale des enfers, dans les somptueux quartiers du palais de Lucifer, l'Archange Raphaël s'éveillait, sans avoir eu le souvenir de s'être assoupi la veille.

Lorsqu'il se réveilla, il ne reconnu pas la chambre dans laquelle il se trouvait et - l'espace d'un moment - se demanda s'il n'avait pas dormi pendant quelques décennies ou quelques siècles, comme cela avait pu se produire dans le passé. Uriel lui avait suffisamment cassé les oreilles pour avoir manqué la chute de l'Empire Romain, et avait du user de stratagèmes pour le réveiller et le tirer hors du lit pour éradiquer la Grande Peste Noire.

Il se hissa péniblement hors du lit, se disant qu'il aurait les idées plus claires après une bonne tasse de café, une douche et sa lecture quotidienne du journal.

L'énorme crâne d'une créature suffisamment grotesque pour ne pas être identifiée, accrochée au mur lui faisant face lui rappela cependant bien vite où il se trouvait, et lui offrit un réveil plus qu'efficace.

Il se dirigea vers le grand balcon, ouvrant la fenêtre pour contempler le paysage si différent du Paradis qui lui faisait face.

Le ciel était peint de la couleur du sang, de hautes tours noires et perçantes se dressaient ça et là et, vers l'horizon, il pouvait distinguer des volcans qui - à en juger par les coulées de lave qu'il crachait - n'étaient certainement pas là pour la déco. Des têtes hideuses figées dans la pierre décoraient les murs des bâtiments alentours et dans le ciel, on pouvait apercevoir quelques créatures, les pires monstres que l'enfer pouvait offrir. Face à un tel spectacle d'horreur, Raphaël n'eut qu'une phrase en tête :

- Ah ouais, quand même…

Il resta là debout, contemplatif devant ce paysage lorsqu'un bruit d'ailes perturba son attention. Une affreuse petite gargouille se trouvait juste au-dessus de lui. Avec ses petites dents pointues, son allure ridicule et boudinée et ses yeux démoniaques, elle toisait Raphaël sans rien dire, sinon pousser de petits grognements pathétiques.

Raphaël, qui avait l'habitude des Chérubins de Cupidon et que la gargouille lui rappelait, décida de rester calme et immobile, en attendant que la gargouille se lasse et s'en aille. Comme les Chérubins et les Tyrannosaures, leur vision était basée sur le mouvement et n'attaquait que lorsque leur proie bougeait. Ainsi, Raphaël attendit.

La gargouille grogna, avant de déposer un papier journal sur le balcon et de s'envoler plus loin.

Il se pencha pour se saisir du journal qu'il commença à lire, appuyé contre le mur du balcon, se disant que tout de même, il manquait une tasse de café. La première page, avec les gros titres de couleur sang, annonçait les dernières catastrophes ayant eu lieu sur terre, ainsi qu'une interview d'un démon mineur, rescapé d'une rencontre avec Gabriel, livrait un témoignage déchirant et confiait ne plus pouvoir travailler dans de telles conditions.

Il feuilleta les pages, toutes truffées de mauvaises nouvelles. Des catastrophes naturelles, les dernières bourdes du Président des États-Unis plongeant un peu plus son pays dans la haine et la médiocrité, d'autres articles déploraient la hausse des ventes de la Bible et la page des sports listait les différentes façons de jouer au golf en se servant de Chérubins comme balle.

Raphaël fit une moue. Toutes ces mauvaises nouvelles dans un seul journal, même fut-il celui des enfers, était répétitif et déprimant, et Raphaël se lassait vite de sa lecture. Se grattant le menton d'un air pensif, il se demanda comment arranger les choses, avant qu'une idée ne lui vienne à l'esprit.

Il avait déjà essayé ce tour avec succès une fois, avec l'agenda d'Uriel, mais ça ne coûtait rien de tester sur un journal démoniaque.

Il agita un doigt en direction du journal et son doigt s'illumina d'une lueur vive, et Raphaël observa avec satisfaction alors que son tour se mettait en place et que les lettres se modifiaient sur le papier.

À la une du journal, on pouvait à présent lire divers titres :

Succès fulgurant de l'opéra rock Jésus ! Le Messie en personne venu lui-même incognito sur scène !

D'adorables naissances de chatons causent une vague d'amour et de paix dans le monde !

À nouveau heureuse et pleine d'espoir, l'humanité abandonne les anti-dépresseurs et le suicide !

« C'est pas gentil d'être méchant ! » le best-seller écrit par l'Archange Gabriel bientôt dans toutes les librairies !

Raphaël trouvait qu'il s'était surpassé. Il aimerait bien découvrir la réaction des démons en lisant leur journal quotidien (toutes les nouvelles n'étaient pas vraies mais Raphaël laissait aux démons le soin de le découvrir par eux-mêmes) mais l'appel de la douche, une bonne douche chaude, se révéla plus fort que tout.

Reposant le journal, il se dirigea ensuite vers une porte au fond de sa chambre, où étaient inscrites en lettres d'or le mot « Salle de bain ». Celle-ci présentait un certain luxe, avec une baignoire-jacuzzi, un lavabo en marbre et une douche suffisamment spacieuse pour y contenir un groupe de personnes.

Raphaël admira un moment la beauté du marbre et la clarté du carrelage mural, avant de se dire qu'une si belle salle de bain en plein cœur de l'enfer devait forcément cacher quelque chose. Il ouvrit avec précaution la porte de douche et, sans y entrer, il ouvrit le robinet.

Un énorme jet de flammes sortit du pommeau de douche dans un bruit sourd, éclairant la salle de bain et faisant des reflets contre les murs sombres.

Raphaël songea qu'il ne devrait pas être surpris.

Jugeant qu'une douche infernale nuirait à son teint, il décida de fermer le robinet et quitta ses appartements, en quête d'une salle de bain convenable.

*

Dans les profondeurs du Quatrième Cercle, réservé à l'avarice, le démon Alastor vaquait à ses affaires. Tout en sifflant un air de Another Bites the Dust, il déposait avec soin divers instruments de torture. Une fourche, un fouet, une massue, une grande pince, un long couteau tranchant et autres joyeusetés. Il se devait d'offrir à son invité le meilleur qu'il avait ! Alastor se vantait d'être le meilleur démon bourreau de tous les neuf cercles infernaux, et aucune de ses victimes ne pouvait prétendre le contraire, même si cela était aussi du au fait qu'elles n'avaient plus de langue ou plus de voix pour se plaindre. Telle était la façon de faire d'Alastor. Lorsqu'il torturait, il s'appliquait jusqu'au bout. Et, pour parfaire la chose, il complétait la torture en se présentant toujours sous son apparence préférée : celle d'une créature humanoïde recouverte de poils, avec des yeux sanglants, des oreilles pointues, des dents acérées, un petit bec horrible et - comme tout diable qui se respecte - des cornes.

Alastor eut un sourire satisfait, sitôt ses instruments tous sortis et prêts à l'utilisation. Derrière lui, sa victime était enchaînée à la taille, aux mains et aux chevilles sur une chaise métallique.

Alastor se retourna et s'avança vers lui, un sourire positivement sadique aux lèvres.

- Ainsi, nous nous retrouvons Richard Dupont, comme je vous l'avais promis le jour où vous m'avez vendu votre âme en échange de la chance au jeu… Hin hin hin, vous allez maintenant payer le prix de votre cupidité et ce, pour le reste de l'éternité ! N'est-ce pas monstrueusement génial ?

Richard Dupont - qui avait gagné une somme phénoménale de son vivant qui lui avait permis de quitter son misérable boulot de fonctionnaire à la SNCF pour s'installer dans une villa de rêve à l'autre bout de l'océan Pacifique, avait pu se payer un mariage digne de celui d'un roi avec son épouse, organisé de somptueuses fêtes où coulait à flot l'alcool, et assuré les arrières de ses enfants et petits-enfants - se dit qu'il ne regrettait absolument rien, mais décida de ne pas interrompre son interlocuteur qui avait l'air si pris dans son discours. Ce serait terriblement malpoli.

- Savez-vous qu'on me surnomme « le bourreau infernal » ? reprit Alastor, laissant peser le silence l'espace d'un instant, comme pour laisser à sa victime le temps d'encaisser ses paroles et de réaliser avec effroi le sort horrible qui allait lui être réservé.

Si Richard devait être honnête, il avouerait qu'il n'avait jamais cherché à connaître l'identité ou la fonction du démon qu'il avait contacté de son vivant, c'était déjà assez pénible de retenir celles de ses collègues, il ne voulait pas s'encombrer de quelque chose d'aussi insignifiant que le nom ou le métier d'un démon.

- Pendant toute ma longue existence, j'en ai torturé des âmes désespérées. C'est ma passion. J'ai même combattu pour Lucifer pour assouvir cette soif de sang et de tortures ! raconta Alastor, les yeux brillants de malice. Des anges, des hommes, des créatures monstrueuses que vous ne pouvez pas imaginer dans vos cauchemars les plus terribles comme des Léviathans ! Des monstres à mille têtes ! Des dragons cracheurs de feu ! Oh oui, j'en ai torturé et démembré des âmes, et savez-vous ce que j'ai remarqué au bout du compte ?

Richard secoua négativement la tête, attendant que cela se passe.

- Combattre des anges, c'est très surfait. Ça jacasse, ça jacasse sur le côté lumineux et ça laisse des plumes partout. Les monstres, pour peu qu'on sait se servir d'une épée, c'est de la petite bière. Non, j'ai trouvé une proie bien plus intéressante, bien plus redoutable à chasser et à torturer. Tellement fragile, mais tellement intéressant à faire tomber…

Il sourit, prenant une fourche pointue qu'il fit tourner dans sa main.

- Vous voyez de quoi je parle, n'est-ce-pas ?

Richard hocha la tête, frappé par une illumination.

- Le moustique !

- Oui c'est ça, l'homme ! s'écria Alastor. L'homme est la proie la plus -

Il se tut subitement, observant Richard avec des yeux ronds.

- Pardon ?!

C'était étonnamment poli de la part d'un démon.

- Le moustique. C'est la véritable plaie de l'humanité, répondit Richard avec le plus grand sérieux.

- Vous vous moquez de moi ? fit Alastor en fronçant des sourcils.

- Comment plaisanter ? Ces fichues bestioles volent bruyamment près de vous dans votre sommeil puis se taisent et se cachent dès qu'on allume la lumière, elles trouvent la seule partie du corps où vous n'avez pas mis de produit contre les moustiques pour vous pomper du sang. Ce sont des créatures vicieuses. Qui n'a jamais éprouvé de plaisir en les écrasant ? De plus, si on ne fait pas attention, on peut attraper la malaria. Cette maladie est une vraie plaie pour l'humanité, le nombre de victimes est affolant !

Alastor secoua la tête, avec l'air de quelqu'un qui avait du mal à croire ce qu'il entendait.

- Non, c'est pas ça. Enfin si, la malaria est une plaie pour l'humanité, mais je ne parlais pas du moustique quand je parlais de proie.

- Ah. Autant pour moi. Je me disais aussi… une fourche, c'est pas bien pratique pour tuer le moustique, fit Richard en faisant un geste de la tête en direction de la fourche du démon.

- On s'éloigne du sujet là, dit Alastor qui commençait à sentir une migraine venir. Reprenons depuis le début : il existe une proie bien plus intéressante à chasser et à torturer, le pire prédateur que ce monde ait jamais porté. À côté, un requin blanc est inoffensif. Vous savez de quoi je parle, Richard Dupont ?

- Oui enfin, techniquement le grand requin blanc n'est pas dangereux. Un prédateur certes, mais sa réputation est très grandement exagérée. C'est notamment du aux Dents de la Mer qui est certes un film culte mais qui aura causé beaucoup de tord aux requins. En réalité, le grand requin blanc ne fait qu'une cinquantaine de victimes par an et celles-ci -

- Oh oh oh ! J'ai signé pour être bourreau moi, pas pour des cours de science, reprocha Alastor en pointant sa fourbe en direction de Richard d'un air réprobateur.

- Certes, mais avouez que ces préjugés sont extrêmement toxiques pour les requins ! C'est du moustique dont nous devrions plutôt nous méfier. La malaria fait bien plus de morts par an que le grand requin blanc. D'ailleurs, les victimes ne meurent pas à cause du requin car celui-ci ne s'acharne pas sur l'homme, mais l'hémorragie est plus fatale que -

- NON MAIS ! BORDEL DE - JE VOUS PARLE DE L'HOMME ! DE L'HOMME ! L'HOMME EST LE PRÉDATEUR ULTIME ! LA PROIE LA PLUS INTÉRESSANTE ! explosa Alastor.

Le visage de Richard s'illumina, comprenant enfin l'allusion du démon.

- Ah. Aaaah. Faut être plus clair aussi.

Puis, au bout d'un moment, il fronça des sourcils, semblant réfléchir à quelque chose.

- Oui enfin, pour être proie il faut être animal ou insecte. L'homme n'est ni l'un, ni l'autre.

- Bien-sûr que si ! protesta Alastor.

- Ça dépend du sens qu'on donne à la question. L'homme est un mammifère comme bon nombre d'animaux, mais l'homme est doué de parole et par parole, j'entends par-là un langage avec des mots et des phrases. J'apporte cette précision car les animaux produisent des sons et sont doués de parole comme nous, mais notre langage et celui des animaux ne sont pas construits de la même manière, c'est pourquoi nous faisons la distinction entre -

Alastor poussa un long soupir tout en se prenant la tête entre les mains.

- Suuuuuuper, parmi les six milliards d'humains sur Terre, il a fallu que je pactise avec celui qui a un diplôme en sciences.

- Un doctorat en biologie, précisa Richard pensant bien faire.

- Euh - excusez-moi ? intervint une voix étrangère.

Alastor grogna dans sa barbe et planta furieusement la pointe de sa fourche sur le sol.

- Quoi, qu'est-ce qu'il y a encore ? On peut plus torturer tranquillement ici !

Ils se retournèrent. À quelques mètres d'eux, Raphaël se tenait au niveau de l'ouverture de la salle de torture.

À sa vue, Richard fut subjugué, comme s'il n'avait jamais vu telle créature dans sa vie. Alastor ne partageait pas le sentiment. Il avait plutôt l'air contrarié.

- Un archange en Enfer ? Depuis que le boss a autorisé la mise en place de circuits touristiques dans les cercles infernaux, l'Enfer est de plus en plus mal fréquenté…, pesta Alastor. Qu'est-ce que vous voulez ?

- Je cherche unesalle de bain…

- Et puis quoi encore ? C'est une salle de torture ici, pas un endroit pour faire trempette !

Si Raphaël fut perturbé par l’agressivité du démon, il ne le montra pas. À la place, il prit une profonde inspiration.

Et commença à parler :

- Pour approfondir le sujet, l'homme peut être effectivement reconnu comme un animal si l'on prend en compte la théorie de l'évolution. Comme Charles Darwin, et de nombreux scientifiques par la suite ont su le démontrer, l'homme -

- Non pitié, c'est de la torture-là ! Même pour un démon comme moi, c'est ignoble, se plaignit Alastor. Essayez le troisième cercle, une partie de l'endroit est inondée, c'est tout ce que j'ai de mieux à proposer !

- Hmm, merci je ferais avec ! répondit Raphaël.

En s'éloignant, il entendit la conversation reprendre entre Alastor et sa « malheureuse » victime.

- Bon. Revenons à nos moutons !

- Vous voulez dire à nos moustiques, non ? répondit Richard. Quoique non. Nous parlions plutôt de l'homme, n'est-ce pas ? Comme je le disais, il y a plusieurs éléments qui distinguent l'homme des animaux, comme par exemple -

Le cri d'Alastor pouvait s'entendre à travers les neuf cercles infernaux.

Contrairement aux indications d'Alastor, Raphaël ne s'était pas aventuré jusqu'au troisième cercle pour trouver une douche, trouvant que le troisième cercle était trop loin à son goût et n'étant pas assez naïf pour se fier aux paroles d'un démon. Être naïf face à un démon était une chose que seul Gabriel pouvait se permettre, mais c'était aussi parce qu'aucun démon n'avait encore réussi à résister face à Gabriel. Raphaël devait se contenter d'autres armes…

Il retourna sur ses pas et déambula un moment dans les rues de Pandémonium, observant avec la curiosité d'un touriste l'architecture gothique, ses angles irréguliers, l'omniprésence du noir et du rouge, les nombreuses statues grotesques et les tours aux longues pointes, sans prêter attention aux démons qui se retournaient, surpris, sur son passage.

Après un moment à errer sans trouver son bonheur, il se trouva dans un coin isolé, bordé par un petit espace de lave et de fumée.

Il s'arrêta un moment pour l'observer. Ce petit coin de lave qui se transformait sans cesse en plusieurs nuances d'orange avait quelque chose d'hypnotisant. La lave qui bouillait et laissait échapper une chaleur infernale et des volutes d'une fumée blanche-grise lui rappelait étrangement quelque chose…

Frappé par une idée subite, Raphaël s'approcha et tendit sa main qui s'illumina.

En quelques secondes, l'endroit fut envahi par un brouillard épais tandis que la lave se transformait. Lorsqu'il eut terminé, Raphaël contempla son travail d'un air satisfait. Il claqua des doigts et, se retrouvant complètement nu, il trempa d'abord un pied, puis l'autre.

Il soupira d'aise et ferma les yeux alors qu'il s'enfonça dans les eaux chaudes et thermales qui avaient remplacé la lave, et se détendit, calant son dos contre la roche.

- On est jamais mieux servi que par soi-même… c'est presque un petit coin de Paradis.

D'ailleurs, il se demanda comment les choses allaient au Paradis, avec Uriel…

*

Tuer un ange, ce n'était pas chose facile. À moins d'être le Créateur en personne, personne ne pouvait tuer un ange - déchu ou non. Anges et démons pouvaient bien se taper dessus, transpercer l'autre ou le démembrer, la mort n'était pas une option. Du sang versé, des membres brisés, des hématomes, un traumatisme à vie oui, mais point de grande faucheuse pour les anges et les démons. Au Paradis, on pouvait descendre dans le sens « chuter », mais se faire descendre non. C'était aussi simple que ça.

La même chose se valait pour les disparitions. Techniquement, un ange ne pouvait pas disparaître. Deux ailes, une auréole, une toge blanche et parfois une tête de lion, d'aigle ou des milliers d'yeux, c'était difficilement discret. À moins de faire partie des services secrets, chargés de l'espionnage, personne ne disparaissait… du moins pas involontairement.

Pourtant, voilà deux archanges qui s'étaient évaporés en quelques heures d'intervalles.

Garants de la justice divine et de l'harmonie du cosmos, les Trônes avaient développé le service de l'Inquisition Céleste, chargé de rendre la justice divine sous toutes ses formes et d'enquêter sur des affaires angéliques ou démoniaques, que ce soit sur le plan céleste ou terrestre. C'était de cette division que venait l'ange Zadkiel qui était tristement connu pour avoir failli causer le sacrifice du fils d'Abraham au lieu du mouton d'Abraham, pour devenir l'histoire que nous connaissons actuellement.

Outre ce fâcheux incident, l'Inquisition Céleste était connue pour son travail discret et efficace, ce qui avait encouragé Uriel à entrer en contact avec eux et d'organiser un rendez-vous avec leur meilleur détective, avant de gravir les 221 marches (les Trônes avaient été très pointilleux sur le nombre) qui menaient au service des disparitions importantes du bureau des Affaires Célestes qui se trouvait au sein d'une haute tour.

Plus on montait dans la tour, plus l'affaire était importante et le service qu'Uriel recherchait avait été le suivant : celui des disparitions importantes, qu'il n'avait visité qu'une fois, lorsque l'illustre Copernic avait disparu (il s'était avéré au bout du compte que Gabriel avait décidé de l'emmener voyager en espace, après que Copernic ait émis le souhait d'en apprendre plus sur les astres).

Uriel avait gravi les marches sans rechigner, sans savoir que tout ce ménagement lui faisait perdre des plumes qui s'accumulaient dans l'escalier, si bien qu'un ange finit par glisser sur une de ses plumes pour faire une belle chute qui l'emmena sur terre faire un plongeon dans la Méditerranée. Les habitants et touristes jurèrent d'avoir vu passer un gros oiseau, et apprécièrent le nuage en forme d'ange qui s'était soudainement formé dans les nuages.

Mais pour l'heure, Uriel avait fait son rapport face à l'assemblée présente : une poignée d'anges sous la direction de Mitzrael, l'ange-détective qui se chargeait des affaires de disparition.

En annonçant la nouvelle de la disparition de deux Archanges, Uriel s'était attendu à de la stupeur, voire de l'effroi. Certainement pas à ça :

- Mon premier cas de disparition d'archanges, quelle émotion ! s'écria Eriel, secrétaire au bureau des Affaires Célestes, en commençant à écrire sur la couverture d'un dossier « AFFAIRE - DISPARITION DES ARCHANGES MICHAEL ET RAPHAËL »

- Modérez votre émotion ! le rouspéta Uriel. Une disparition d'Archange c'est déjà assez catastrophique comme ça, alors deux… Revenons-en au problème qui m'a poussé à faire appel à vos services ! Pour le moment, personne ne se doute de rien. On est tellement habitués à leurs absences à rallonge que le fait que personne ne les croisent au Paradis n'étonne encore personne… mais toute chose a ses limites. Je n'ose pas imaginer la réaction générale lorsqu'il sera rendu évident que deux Archanges ont disparu… Nous risquons la panique générale ! Sans compter que notre image de marque va encore prendre du plomb dans l'aile…

- Je suis d'accord, approuva Mitzrael. Ils rigoleraient bien en bas s'ils apprenaient ça, et j'en connais un cornu en bas à qui ce genre de nouvelle ferait trop plaisir…

- Lucifer ? devina Uriel.

- Ah non. Crappus. Un démon du huitième cercle. Il y a quelques siècles, il s'était un peu trop amusé au tir au pigeon avec des anges stagiaires donc je lui ai donné une punition divine dont il garde encore les traces, et depuis il m'a juré une vengeance terrible. Je l'attends toujours d'ailleurs…

- Ah oui ! ajouta Eriel, le visage s'illuminant. C'était pas la fois où tu lui avais planté une lance dans le -

Uriel se racla bruyamment la gorge.

- Heu oui - Revenons au sujet ! reprit Mitzrael. Suite à notre entretien d'hier, Monseigneur Uriel, j'ai pris la liberté d'organiser un peu la salle en vu de cette réunion.

Sur ces paroles, il retira le drap pour révéler un grand tableau sur lequel on avait placé deux petites figures en forme d'ange. L'une d'entre elle avait une épée et était couverte de peinture rouge, comme si on avait cherché à reproduire du sang tandis qu'on avait joué à la seconde figurine une chemise hawaïenne et une trousse à pharmacie. À la craie avaient été inscrites la date et les heures où les archanges Michael et Raphaël avaient été vus pour la dernière fois, et le motif de leur absence.

- Bon, résumons un peu l'affaire ! s'écria Mitzrael en sortant brusquement son arme de son fourreau et s'en servant de règle pour servir son propos en pointant occasionnellement les étiquettes et les figurines, faisant blêmir Uriel. Mardi à 16 heures, heure locale, Monseigneur Michael quitte le Paradis pour -

- Qu'est-ce que vous utilisez, là ? demanda Uriel, la voix baissant dans des tons aigus.

Mitzrael posa son regard sur son arme « Quoi, ça ? », et le présenta à Uriel qui recula brusquement.

- C'est mon couteau, pour administrer la justice divine ! Il est beau, hein ?

Les mots manquèrent à Uriel dont les yeux étaient fixés sur la lame tranchante.

- Oui je sais, il fait toujours son petit effet, répondit Mitzrael. Parfois, j'obtiens même des confessions rien qu'en le sortant. Mais ne vous inquiétez pas Monseigneur Uriel, je ne compte pas m'en servir tout de suite.

- Rangez-moi-cette-arme, répondit Uriel entre ses dents.

- C'est un couteau en fait.

- Peu importe, rangez-le ! s'écria Uriel, que la proximité de l'arme avec son visage rendait nerveux.

Mitzrael haussa des épaules, puis remit son arme dans son fourreau sans discuter.

- Comme je le disais, mardi vers 16 heures, Monseigneur Michael quitte le Paradis pour aller combattre un dragon qui sévissait en Islande. Jour suivant, c'est la réunion semestrielle des archanges devait avoir lieu à 11 heures. Monseigneur Uriel, vous avez commencé à traquer vos collègues à partir de 6 heures du matin. 10 heures, vous retrouvez Monseigneur Raphaël et l'envoyez chercher Monseigneur Michael sur terre. Depuis, nous sommes sans nouvelles d'eux. Le lendemain, vous retrouvez la machine d'accueil complètement détruite, ne laissant aucun doute sur l'identité du casseur…

- Cela laisse donc supposer, ajouta Uriel, que Michael et Raphaël sont bel et bien remontés mais n'ont pas pu rentrer à cause d'un insecte qui a affecté la machine et … qu'y-a-t-il Eriel ? soupira-t-il, excédé.

- Excusez-moi patron, mais je ne vois pas ce que les insectes ont à voir dans cette histoire…

- Comment ? N'est-ce pas le terme employé pour désigner un soucis informatique ?

- On appelle ça un bug, mais je comprends la confusion… Bug veut dire insecte en anglais et, mine de rien, c'est peut-être tout petit mais qu'est-ce que ça peut causer comme soucis, un insecte…

- Ne m'en parle pas, renchérit son collègue de droite, le moustique a d'ailleurs été désigné comme l'une des espèces les plus mortelles à cause de la malaria. Plus de 600 000 décès par an !

- À côté de ça, le grand requin blanc peut aller se rhabiller, ajouta le collègue de gauche en hochant de la tête.

Uriel se racla bruyamment la gorge.

- Si vous pouviez laisser de côté les requins et les moustiques pour en revenir au sujet principal ?

- Désolé, patron ! répondirent en chœur l'assemblée des anges.

Uriel les observa un moment les yeux plissés, comme s'il s'attendait à une nouvelle remarque de la part de quelqu'un voulant faire son intéressant, puis, s'assurant que ce n'était pas le cas, il reprit son discours.

- On m'a reporté ce matin un nouvel élément dans cette enquête, Michael et Raphaël auraient été aperçus au Purgatoire hier en fin de journée, mais n'y sont pas restés. À présent, où se trouvent-ils et pourquoi n'ont-ils pas essayé à nouveau de remonter au Paradis ? J'attends vos hypothèses !

- Un kidnapping, peut-être ? proposa Eriel.

- Michael ? Kidnappé ? Il faut que t'arrête de sniffer les nuages ! répondit Aniel, son voisin.

- Attendez ! Et si Michael était parti faire ses emplettes comme d'habitude (« Je n’appellerais pas 'combattre le mal' comme étant 'faire des emplettes' » fit un ange à son collègue qui hocha des épaules d'un air indifférent), mais qu'il aurait eu un empêchement quelconque qui rallonge son temps sur terre ? proposa Anauel, une Puissance.

- J'espère qu'ils ne leur sont pas arrivés malheur, s'inquiéta Yeliel. Ils n'auraient pas été importunés ces derniers temps ?

Uriel laissa échapper un petit rire moqueur. Il ne savait pas pour Raphaël, mais les rares personnes importunant Michael avaient plus tendance à finir en petits morceaux ou avec des membres brisés.

- Pour le moment, cela me paraît simple, répondit Mitzrael. Pour moi, il est fort probable que Monseigneur Raphaël ait trouvé Monseigneur Michael et qu'ils ont tous les deux cherché à entrer au Paradis, mais la machine défectueuse n'a pas été en mesure de les laisser entrer. Face à ce problème, ils ont du se mettre à la recherche d'un refuge. Après un passage au Purgatoire, ils doivent vraisemblablement se trouver sur terre. La raison pour laquelle ils ne sont pas remontés peut être double : soit ils ont fait le choix de ne pas revenir tout de suite en espérant ainsi vous enquiquiner et parce qu'ils apprécient leur séjour sur terre ; soit, il leur est arrivé quelque chose, mais compte tenu du caractère bien connu de Monseigneur Michael c'est fort probable !

Le visage d'Uriel prit une teinte rouge, visiblement vexé.

- Ce serait tout à fait probable, répondit un ange en hochant de la tête avec un air sérieux. C'est un cas typique de rébellion face à l'autorité, c'est un problème qu'il vous faudra saisir au plus vite, Monseigneur Uriel afin de reprendre le contrôle de la situation et montrer que votre autorité est valable !

- Qui êtes-vous ? s'enquit Uriel.

- Je suis Rochel, et j'aspire à devenir psychologue angélique !

- On ne l'aurait pas deviné, fit remarquer Uriel en haussant un sourcil.

- Mes conseils ne sont cependant pas à prendre à la légère, Monseigneur Uriel ! C'est avec bienveillance que je vous livre ces conseils ! Il vous faut vous faire respecter par vos collègues, sinon ils vont recommencer à disparaître et de manière plus régulière! Ce qu'il faudra faire, c'est opérer la psychologie inversée. Quand ils vont revenir, vous ne demandez même pas où ils étaient. Ça risque de les perturber.

- Ou alors ça va bien les arranger, marmonna Uriel qui sentait la migraine le gagner.

- En attendant, il nous faut les retrouver ! reprit Mitzrael. Et pour cela, il faut se mettre dans la peau de nos victimes disparues, se mettre dans leur tête. Ce n'est qu'en imaginant leurs faits et gestes qu'on aura une chance de trouver des pistes et de les retrouver.

- C'est élémentaire, pour citer Sherlock Holmes ? railla Uriel.

Mitzrael l'observa avec un air comique.

- Voyons Monseigneur Uriel, tout le monde sait que Sherlock Holmes n'a jamais prononcé cette phrase ! Vous pouvez demander à Conan Doyle, il -

- Il vaudrait mieux ne pas lui en parler, intervint Aniel. Il risque de piquer une crise ou de fondre en larmes si on lui parle encore de sa création. Il est encore aigri de savoir qu'on a plus retenu en mémoire son personnage que ses autres romans sur Terre.

- Il a même balancé une cornemuse au dernier gus qui est venu lui parler de Sherlock Holmes, ajouta Anauel.

- Oui, enfin ça n'a pas dérangé Monseigneur Gabriel plus que ça, répondit un autre ange. Pire, il a pris ça comme un encouragement pour faire de la musique et on a eu le droit aux grands titres de Queen.

- Je croyais que tu aimais Queen ? fit Aniel à son collègue.

- Pas pendant dix heures. Joué par une cornemuse.

Un frisson parcourut toute l'assemblée des anges, encore marqués par ce souvenir.

- Assez parlé de Gabriel, nous avons assez de soucis comme ça. Nous avons deux archanges portés disparu ! intervint Uriel.

- On peut toujours demander de l'aide à Agatha Christie ? proposa Yeliel. Elle s'y connaît en mystère. Tiens, une fois, de son vivant, elle est partie du jour au lendemain et ses proches ont eu du mal à la retrouver… Elle doit s'y connaître en matière de disparition.

- Non mais ça, ça ne compte pas, répondit Anauel. Cette histoire de disparition, elle l'a inventé pour ne pas avoir à dire qu'elle était partie se détendre sur les plages d'Afrique du Nord à prendre des leçons de surf avec Monseigneur Raphaël.

- On pourrait revenir au sujet principal ? intervint Uriel, irrité. Et laisser les défunts en dehors de cette affaire ? Ça relève plus de l'Inquisition Céleste que de la fiction criminelle des mortels !

- Excusez-nous patron, on s'est un peu emportés ! s'excusa Mitzrael.

- Ne m'appelez pas « patron », c'est d'un familier…

- Yes, my Lord !

- … Patron, c'est mieux.

*

Aucune lumière n'atteignait l'Enfer, hormis celle qui se dégageait des feux infernaux et qui servaient la plupart du temps à la torture des damnés. Pourtant, la plupart des démons savaient reconnaître lorsque le jour se levait sur terre, en particulier Balam dont le dragon de compagnie, qui réclamait tous les jours sa balade matinale, illustrait son impatience en faisant tout brûler sur son passage.

- RAAAAAHHH ÇA VA, ÇA VA ! On va la faire cette sortie, rouspéta Balam qui sortait de son domicile.

Balam s'étira de mauvaise grâce, et respira à plein poumon, se revigorant de l'air infernal.

- Aah, au moins il n'y a rien de tel qu'une bonne bouffée de mauvaises ondes pour commencer une mauvaise journée ! s'exclama-t-il en sortant de son sac tout un attirail pour équiper le dragon à sa sortie, notamment une selle pour le chevaucher.

- Vu ton comportement, les Enfers ne vont pas te suffire hein ? Tu as raison, ça fait une paye qu'on a pas été causer la terreur chez ces moustiques d'humains. Qui c'est le méchant dragon qui va détruire des villes et causer la terreur ? Oui c'est toi ! Oui c'est toi ! s'écria-t-il en caressant la tête du dragon.

Le dragon en sautilla de plaisir, si bien et si fort que cela atteignit la surface de la terre et causa un tremblement de terre, faisant s'écrouler un hôpital en construction et faisant retarder l'avancement des travaux.

- Voyons voir quel endroit je vais choisir…, fit Balam en sortant son téléphone portable. Oh, salut Baël ! Dis donc, t'en tire une tronche haha ! Ça vient de toi, toute cette énergie négative dans Pandémonium ?

- Ah non, ça vient de ce type là-bas, répondit le démon en pointant du doigt une silhouette au loin.

Balam laissa échapper un sifflement admiratif.

- Bah dis donc, j'ai jamais ressenti des ondes aussi négatives ! Tu crois que c'est qui, pour dégager une telle énergie ? Un duc ? Un prince infernal ?

- Vu l'armure qu'il porte, c'est au moins un prince ou général d'une armée infernale, répondit Baël en plissant des yeux dans l'espoir de mieux discerner l'individu.

- Hum… C'est drôle mais cette tête me dit quelque chose…

- Tiens, on dirait même qu'il se dirige vers nous !

- Hé attends une minute, il ressemble étrangement à…

- Michael, l'archange psychopathe !

À l'entente de ce nom maudit, le dragon laissa échapper un glapissement effrayé et fit violemment volte-face et s'envola, en transperçant le plafond de pierre et entraînant à sa suite Balam, qui tenait encore les rênes du dragon.

Laissé seul face à l'archange aux airs meurtriers qui s'approchait de plus en plus, Baël déglutit.

- Qu'en… qu'en est-il de la prohibition de la violence gratuite par les anges ? tenta-t-il, soudainement très nerveux.

- Connais pas, vint la réponse brève avant qu'un poing ne s'abatte sur le démon.

*

Les grilles du palais de Lucifer étaient témoins d'un spectacle inédit. Toute une foule de démons et de monstres s'y étaient attroupés, le tout dans un concert de protestations et de bavardages. La dernière fois que c'était arrivé, Jésus avait franchi les portes de l'Enfer suivant sa mort et beaucoup de démons n'avaient pas su comment réagir.

À Pandémonium, la présence de deux archanges en enfer avait commencé à faire son chemin. Si bien que de nombreux démons s'étaient rapprochés du palais, dans l'espoir dans savoir plus sur la situation, et pour exprimer leurs grief et mécontentement.

- C'est de la provocation !

- C'est vrai ce qu'on raconte ? Que l'ange psychopathe et son copain sont parmi nous ?

- Pas possible ! Ils ont chuté ou quoi ?

- Je te parie les âmes de vingt fonctionnaires que le vieux barbu les a jeté dehors !

- L'un d'entre eux a béni un lac de lave ! L'enfer, ce n'est pas un espace de détente !

- D'abord des touristes et maintenant des emplumés ? Il y en a marre ! L'Enfer aux démons ! L'enfer, c'est pas un moulin ou un site touristique pour prendre des vacances !

- Ce n'est tout de même pas prochainement, l'Apocalypse ? Parce que je viens d'acheter les âmes de quelques syndicats de la SNCF et j'aimerais bien m'amuser un peu avec le réseau ferroviaire français…

- L'un d'eux a complètement bouleversé l'édition du journal d'aujourd'hui en changeant les bonnes nouvelles en mauvaises ! Des naissances de chatons, des humains heureux, la religion en plein boum, pluie soudaine de billets dans un quartier pauvre… J'ai failli faire une attaque !

- Depuis que mes damnés ont vu un de ces guignols en robe, ils sont persuadés que le Grand Manitou là-haut leur a envoyé un ange pour les sauver et les ramener au Paradis. L'ange avait beau tirer la tronche, ils en pleurent de bonheur ! C'est très mauvais pour le business ça. Il faut faire quelque chose ! Comment voulez-vous les torturer efficacement dans de telles conditions ?

Toutes ces réclamations et protestations parvinrent jusqu'au balcon ouvert de Lucifer. Confortablement installé sur son fauteuil, dans sa robe de chambre, le Prince de ce monde était fort occupé à lire son journal, avec une tasse de café brûlant à la main, sans se soucier des complaintes de ses sujets ou de calmer la foule en colère. Un café avec le journal au petit-déjeuner, ça prenait le temps de se savourer et Lucifer n'avait aucune envie de bouger.

Il leva à peine un sourcil lorsque Adramalech fit son apparition dans le grand salon, marmonnant pour lui-même que s'il avait chuté et était devenu chancelier des Enfers et intendant de la garde-robe du diable, ce n'était certainement pas pour relayer des messages entre Lucifer et le reste de ses sujets.

Réajustant son col autour de son cou de paon, il salua son maître et l'observa d'un air critique.

- Qu'est-ce que c'est que cette affreuse loque que vous portez sur le dos ? lança-t-il d'un air hautain.

Lucifer prit cela comme sa façon de dire « bonjour », et releva à peine les yeux de son journal.

- Hmm, cette robe de chambre ? J'éprouve un attachement tout particulier à ce vêtement, il me vient d'une folle nuit révolutionnaire à Versailles avec -

Adramalech soupira d'un air critique, avant de changer de sujet. Lucifer pouvait se montrer particulièrement nostalgique par moment, et cela devenait alors difficile de l'arrêter.

- Enfin passons. Vous comptez faire quelque chose pour apaiser la foule dehors ? demanda-t-il en faisant un geste de la tête en direction du balcon.

- J'ai l'intention de laisser la bureaucratie infernale faire son travail. Je leur ai transmis un petit mot dans la soirée pour les prévenir du séjour de mes invités et des consignes à respecter.

- J'en conclus que les rumeurs sont exactes. Les archanges Michael et Raphaël sont parmi nous.

- Ils logent au palais depuis hier soir, approuva Lucifer avec un petit sourire satisfait.

Adramalech laissa échapper une grimace dubitative.

- À en croire les bruits qui courent dans Pandémonium, ça fait belle lurette qu'ils ont quitté leur chambre !

- C'est vrai, soupira Lucifer en tournant une page de son journal sur le titre « L'heureux vainqueur du loto devenu milliardaire consacre sa fortune à la construction de couvents et d'orphelinats ! », l'un d'entre eux a déjà commencé à prendre ses aises, et j'ai cru comprendre que les gardes du palais avaient été assommés… Quel dommage, je me serais fait un plaisir de réveiller Michael moi-même…

Adramalech toussota, estimant que cela se passait de commentaires.

- Quelle idée vous avez encore derrière la tête, se lamenta-t-il, deux archanges en Enfer ! Qu'est-ce que vous comptez faire avec eux ? Leur faire une visite guidée, ajouta-t-il un brin sarcastique.

- Il y a de ça en effet, répondit Lucifer avec un sourire charmeur. J'ai l'intention de montrer à nos invités ce que les Enfers ont à offrir… en outre. Nous n'avons encore jamais eu d'archanges en enfer pour une durée indéterminée, j'ai l'intention de ne pas laisser échapper cette occasion.

- Je me demande bien par quelle malédiction vous les avez persuadés de descendre jusqu'ici, renifla Adramalech.

- Voyons Adramalech… Je suis le diable en personne, je sais séduire et être persuasif.

- Peuh ! Pas avec cette loque que vous portez et cette mine de déterré, croyez-moi.

Lucifer se demandait parfois s'il ne gagnerait pas plus à demander plus de respect auprès de ses sujets…

Au dehors, les cris de protestation des démons continuèrent à se faire entendre. Adramalech jeta un bref coup d’œil en direction du balcon.

- Vous ne comptez rien faire ? demanda-t-il.

Lucifer cligna des yeux.

- Si, répondit-il.

Et il but une nouvelle gorgée de café, puis tourna une page de son journal.

- Ce que je veux dire, corrigea Adramalech avec un soupir, c'est : vous ne comptez pas vous adresser vous-mêmes à vos sujets ?

- Ce ne serait plus l'enfer si j'étais un patron exemplaire à l'écoute de chacun de mes sujets, se contenta de répondre Lucifer.

Adramalech roula des yeux.

- Oh et puis après tout, vous faites comme vous voulez. J'ai assez de travail comme ça, sans me préoccuper de votre nouvelle lubie sur les archanges.

Il tourna des sabots et commença à faire une sortie droite et magistrale, que les paroles de Lucifer le firent se stopper net dans sa sortie :

- Oh, Adramalech ! Tu diras bien à Belzébuth, Belial et Astaroth que s'ils ont besoin de connaître mes plans sur Michael et Raphaël, ils n'ont qu'à me demander au lieu de se servir de mon intendant.

Adramalech ne pouvait pas le voir mais il jurerait sentir le sourire amusé, voire narquois, de Lucifer.

fanfic, fandom : bible/mythologie chrétienne, un jour j'écrirais enfin quelque chose, angel!verse de modocanis

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