Mercredi dernier, je suis allée voir, sur les conseils de
meuh_leu et avec Lola, la pièce Cendrillon, écrite et mise en scène par Joël Pommerat.
Réécriture « totale et magnifique » (dixit Télérama) du conte traditionnel, Cendrillon est une pièce intense et sombre, littéralement puisque l'on y fait souvent sortir les acteurs des ténèbres par quelques jeux de lumière diffus. On rit beaucoup, on pleure à chaudes larmes, on a peur aussi parfois, c'est une réussite absolue.
Dans cette version du conte, c'est Cendrillon - ou plutôt Sandra - qui s'inflige les tâches ménagères les plus ingrates. Car la « très jeune fille » est rongée par un terrible sentiment de culpabilité. Juste avant que sa mère ne s'éteigne, elle a cru l'entendre dire dans son dernier souffle qu'il ne tenait qu'à elle de l'empêcher de mourir tout à fait. Seulement, le sacrifice exigé s'avère plus difficile qu'elle ne le croyait, et chaque fois qu'elle oublie de s'y plier, elle est accablée par l'idée que peut-être, elle vient de causer la mort définitive de sa mère.
La mise en scène est épurée mais parfaite, l'essentiel du décor étant projeté sur les trois murs de la scène et le mobilier apparaissant et disparaissant presque comme par magie. Les images sont frappantes, les détournements intelligents. Ce n'est pas la pantoufle qui est en verre, ce n'est pas par peur des citrouilles que Sandra est obsédée par l'heure, le prince est au moins aussi paumé qu'elle et son odieuse marâtre fait finalement un peu pitié.
Les acteurs sont belges, et leur accent qui, bien que léger, écrase les R comme de la purée de patate, donne un ton désinvolte et délicieux aux personnages, tout en exacerbant le burlesque des dialogues.
Les textes enfin, sont aussi beaux qu'ils savent être drôles - ce n'est pas pour rien que l'édition poche est en rupture de stock. L'histoire commence ainsi, murmurée comme un secret d'une belle voix à l'accent inconnu :
Je vais vous raconter une histoire d'il y a très longtemps… Tellement longtemps que je ne me rappelle plus si dans cette histoire c'est de moi qu'il s'agit ou bien de quelqu'un d'autre.
J'ai eu une vie très longue. J'ai habité dans des pays tellement lointains qu'un jour j'ai même oublié la langue que ma mère m'avait apprise.
Ma vie a été tellement longue et je suis devenue tellement âgée que mon corps est devenu aussi léger et transparent qu'une plume. Je peux encore parler mais uniquement avec des gestes. Si vous avez assez d'imagination, je sais que vous pourrez m'entendre. Et peut-être même me comprendre.
Alors je commence.
Dans l'histoire que je vais raconter, les mots ont failli avoir des conséquences catastrophiques sur la vie d'une très jeune fille. Les mots sont très utiles, mais ils peuvent aussi être très dangereux.
C'était la deuxième année que le spectacle Cendrillon était représenté aux Ateliers Berthier (Théâtre de l'Odéon) et les places n'ont pas été faciles à obtenir. S'il repasse l'année prochaine, ou dans un autre théâtre près de chez vous, jetez-vous dessus : vous ne le regretterez pas.
PS : Deux spectacles de Joël Pommerat à l'Odéon en septembre :
Les Marchands et
Au monde. Je vais les voir tous les deux les 21 et 22 septembre respectivement.