Lecture : Des hommes tourmentés - Brett Martin
"Des hommes tourmentés : Le nouvel âge d'or des séries" de Brett Martin
essai - 473 pages
♥ ♥ ♥ ♥ ♥ 5/5
« It's not TV, it's HBO » clamait la célèbre chaîne de télévision au début des années 2000. Pourquoi ce reniement de leur propre média ? Eh bien, c'est parce que, comme chacun le sait, la télévision c'est le Mal. La télévision, c'est abrutissant, abêtissant, ça vous bouffe le cerveau comme une énorme méduse (comme le disent si bien Bradbury et mon papa). Contrairement au cinéma, ce noble média capable de créer les plus grands chefs d'oeuvre et, surtout, contrairement au livre qui rien ne saurait remplacer.
C'est du moins ce que l'on pensait, il y a une trentaine d'années. Il y a bien eu « X Files », « Twin Peaks » et plusieurs autres séries alliant succès et qualité, mais elles restaient des exceptions aux yeux d'un public cultivé élevé à coups de Tolstoï et de Victor Hugo. Et puis est venu le Messie. Pas un Messie barbu et souffreteux, non, mais un Messie en bermuda et chemise à motifs, bedonnant, vaguement alcoolique et capable d'étrangler un homme à mains nues. Et puis est venu Tony Soprano, sa famille dysfonctionnelle, sa horde de mafioso et même sa psy ! La réaction du public est prévisible : perplexe, apeurée, mais un brin curieuse aussi. Celle du milieu des scénaristes, en revanche, est explosive. Quoi ?! On a droit de faire CA à la télévision ? Un rythme lent, des personnages amoraux capables de tuer des innocents comme on se mouche, des passages frôlant le surréalisme, une histoire ne s'étalant pas sur deux ou trois épisodes mais sur plusieurs saisons… Et le public va gober CA ?
Le public gobe. Mieux, après une période d'adaptation un peu houleuse, il en redemande ! Débute alors ce que Brett Martin appellera, un peu pompeusement mais plutôt justement, « le nouvel âge d'or des séries ». Dans un premier temps, HBO bombarde de chefs d'oeuvre son petit public très ciblé : « Les Sopranos », « The Wire », « Deadwood », « Six feet under »… Puis c'est au tour des chaînes publiques de prendre le relais avec « The Shield », « Mad men », la mille fois récompensée « Breaking bad » et bien d'autres. le mot d'ordre n'est plus « Audimat » mais « Rendez-vous aux Emmy Awards ! » Les scénaristes, frustrés d'avoir vu si longtemps leur métier méprisé, ne se sentent plus péter (vous me passerez l'expression car je la trouve très parlante) et c'est à qui se distinguera le plus du lot.
Et faut dire qu'ils ont des raisons d'avoir la tête qui enfle. Car, comme le montre si bien Brett Martin dans son ventripotent essai, l'aventure des séries télévisées est également une formidable aventure humaine ! Celles d'hommes compliqués, géniaux, tourmentés, engagés, souvent associaux… En bref, celle des showrunners. A travers une suite de portraits hauts en couleurs, Brett Martin nous fait découvrir le monde de ces scénaristes en chef, exaltés aux comportements souvent tyranniques à qui la télévision a permis de construire tout un univers à leur image. Les plus connus sont, bien entendu, David Chase, David Simon, Vince Gilligan, mais cet ouvrage vous permettra d'en découvrir bien d'autres.
Véritable mine d'or pour les amateurs de séries TV, « Des hommes tourmentés » fourmillent d'anecdotes passionnantes, de dialogues hilarants et de rebondissements très romanesques. Les autres lecteurs seront peut-être un peu perdus sous cette avalanche de références et de noms, aussi ne le conseillerai-je qu'aux personnes intéressées et ayant vu de préférence quelque unes des séries citées ci-dessus. Un must read pour tous les sériesvores.