Vous êtes nombreux à vous poser des questions sur la légalité des fanfictions.
Alors, suite à un échange intéressant sur la communauté
amours_de_fans, je me suis penchée sérieusement sur le problème.
Pour commencer, quelles lois s'appliquent à la publication des fanfictions ? Il y en a trois :
- la législation sur les droits d'auteur par le lien indéfectible entre les fanfictions et une oeuvre existante
- la loi sur la liberté de la presse du fait de la mise à disposition du internet
- la loi sur la protection des mineurs Nous allons examiner tous ces textes et déterminer dans quelle mesure ils permettent ou interdisent de publier des fanfics.
I : Le code de la propriété intellectuelle
Une fanfiction repose sur une oeuvre, à laquelle est attachée des droits d'auteur.
A : La définition des droits d'auteur
Tout auteur dispose sur son œuvre de deux types de prérogatives : les droits moraux et les droits patrimoniaux dont le régime est fixé par les articles L.121-1 à L.122-12 du code de la propriété intellectuelle (CPI).
1 - Les droits moraux
Le droit moral comporte quatre type de prérogatives : droit de divulgation, droit à la paternité, droit au respect, droit de repentir.
· le droit de divulgation permet à l’auteur de décider du moment et des conditions selon lesquelles il livrera son œuvre au public (CPI,art,L.121-2 ),
· le droit à la paternité permet à l’auteur d’exiger la mention de son nom et de ses qualités sur tout mode de publication de son œuvre. C’est aussi l’obligation pour tout utilisateur de l’œuvre d’indiquer le nom de l’auteur. Ce droit ne fait obstacle à l’anonymat ou l’usage d’un pseudonyme,
· le droit au respect permet à l’auteur de s’opposer à toute modification susceptible de dénaturer son œuvre,
· le droit de repentir permet à l’auteur, nonobstant la cession de ses droits d’exploitation de faire cesser l‘exploitation de son œuvre ou des droits cédés, à condition d’indemniser son cocontractant du préjudice causé (CPI, art, L.121-4). Contrairement aux droits patrimoniaux, les droits moraux appartiennent toujours à l'auteur. Il ne peut pas les céder.
2 - Les droits patrimoniaux
Ils confèrent à l'auteur de disposer du droit exclusif d’exploiter son œuvre sous quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire (CPI, art, L.123-1).
3 - La contrefaçon
La loi incrimine au titre du délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi (CPI, art L.335-3)
Comme vous le voyez, cela ne rigole pas.
B : La publication des fanfiction est-elle une violation des droits d'auteur ?
Bon avant de voir si la fanfiction tombe sous le coup de ces droits, penchons nous sur les exceptions
1 - Les exceptions
Les exceptions sont fixées de manière limitative par l’article L.122-5 du code de la propriété intellectuelle (CPI). Ainsi la loi autorise l’utilisation de l’œuvre sans autorisation de l’auteur dans les cas suivants :
a- Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille
b - Les reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective.
c - Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source :
- les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées;
- les revues de presse
- la diffusion à titre d’information d’actualité des discours publics;
- les reproductions d’œuvre d’art destinées à figurer dans le catalogue d’une vente aux enchères publiques effectuées en France par un officier public ou ministériel;
d - La parodie, le pastiche et la caricature compte tenu des lois du genre;
2 - la fanfiction profite-t-elle de ces exceptions ?
A priori, non. Nous sommes dans le cadre d'un publication hors de la famille, ce n'est pas une copie de l'oeuvre privée, cela ne rentre pas dans le cadre des analyses ou revue de presse.
Et les fics parodiques ? Oui, là, on peut se poser la question.
Personnellement, je dirais que ce sont davantage des parodies de fic que des parodies de l'oeuvre Quoiqu'il en soit, c'est au titre de la parodie que le livre
Barry Trotter a pu être publié.
3 - La fanfiction et droit moral de l'auteur
Il faut le reconnaitre, le droit moral de l'auteur sur la diffusion de son œuvre n'est pas respecté par la publication de fanfiction. Mais ce droit n'appartient qu'à l'auteur et il est le seul à pouvoir agir pour le faire appliquer.
Ainsi, les auteurs ne souhaitant pas que leur œuvre serve de base à de la fanfiction l'ont fait savoir et les sites de publication responsables ne publient pas les fanfictions qui en découlent (c'est le cas des œuvre de Anne Rice, qui sont interdites sur fanfiction.net)
Dans le cas contraire, il n'y a pas de problème tant que les auteurs ne se manifestent pas.
4 - la fanfiction et les droits patrimoniaux
Ça c'est plus délicat et puis ce ne sont pas nécessairement les auteurs qui en dont les détenteurs. Visiblement, les song fic ou les textes contenant la citation d'une chanson complète ont été reconnus comme violant ce droit. Fanfiction, après avoir été assigné, les a interdits.
Pour le reste des fanfictions, je suppose qu'elles ne sont n'est pas considéré comme violant les droits patrimoniaux sinon fanfiction.net n'existerait plus depuis longtemps.
Mais alors... tant que les auteurs ne protestent pas, on a le droit de publier ce qu'on veut ? Euh, non, pas tout à fait, car il y a d'autres règles de droit régissant les textes publiés.
II : La loi sur la liberté de la presse
La jurisprudence a établi que la publication sur internet tombe sous le régime de la presse. La loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 pose avant tout le principe de la liberté d'expression. Mais comme il ne faut pas que cette liberté soit mal employée, des limites ont été posées. Voyons ces règles auxquelles ils fait se soumettre quand on publie un message de façon publique.
A : Les délits définis par la loi sur la presse
1 - La provocation aux crimes et délits
Il est interdit d'inciter à commettre les infractions suivantes : atteintes volontaires à la vie, atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, agressions sexuelles, vols, extorsions, destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, actes de terrorisme
Il est interdit de faire l'apologie des crimes, des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou des crimes et délits de collaboration avec l'ennemi
Il est interdit de provoquer à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée
Il est interdit de provoquer à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap Il est interdit de contester l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité
2 - Délits contre la chose publique
Est puni l'offense au Président de la République, diffusion de nouvelles fausses, propres à troubler l'ordre public
3 - Délits contre les personnes
Les délits d'injure et de diffamation tombent sous le coup de la loi pénale
4 - délits contre les chefs d'état et agents diplomatiques étrangers et publications de justice interdites
Bon, je vous fais grâce des définitions, on s'éloigne du sujet
B : Et la fanfiction dans tout ça ?
A partir du moment où vous publiez sur un site, vous et l'administrateur du site devez vous soumettre aux lois pénales. Si je me suis donnée la peine de recopier en partie la loi du 29 juillet 1881 c'est pour que vous sachiez ce que vous n'avez pas le droit de publier.
Pas de racisme, de sexisme ou d'homophobie. Pas d'apologie d'actes violents contre une autre personne, pas de description de viol complaisante, pas de négationisme. Pas davantage d'injure ou de diffamation contre une personne existante et reconnaissable. C'est interdit et passible de poursuites.
Bon, c'est tout ? Non, pas tout à fait, car on a encore une loi qui régit toute production ou diffusion auprès des enfants et des adolescents.
III : La loi de protection des mineurs
Article 227-24 du code pénal :
Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur.
Ça a le mérite d'être clair. Les sites de fanfiction, surtout dans les sections basées sur des œuvres destinées à la jeunesse sont évidemment concernés.
Cela veut dire que les écrits pornographiques (les fameux lemons) ou violents, peuvent entrainer des poursuites pénales contre les administrateurs des sites. Donc ne vous étonnez pas si les sites de fanfiction qui ne sont pas explicitement réservés aux adultes font la guerre aux NC-17 ou MA. Ils ne font qu'obéir à la loi.
Conclusion
- le droit moral de l'auteur lui permet d'interdire les fanfictions basées sur son oeuvre, mais on peut les publier tant qu'il ne le fait pas
- la fanfiction n'est pas considérée par les tribunaux comme empiétant sur le droit patrimonial d'une oeuvre (sinon les sites de fanfiction connus auraient déjà fermé)
- La fanfiction est considérée comme un produit dérivé donc empiète sur les droits patrimoniaux, mais leurs titulaires n'attaquent pas forcément car cela leur fait indirectement de la publicité (mais ils pourraient le faire et gagner)
- les règles sur la presse s'appliquent à la publication sur internet, donc on ne peut pas écrire n'importe quoi dans sa fic (je vous conseille de lire le détail du billet pour savoir ce qu'il est interdit de mettre dans vos textes)
- La loi de protection des mineurs interdit la pornographie et la violence sur les sites directement accessibles aux mineurs
Je ne prétends pas avoir fait le tour de la question de manière exhaustive. Je ne suis pas une avocate, et je n'ai trouvé aucun site qui rapproche ainsi tous les textes se rapportant à ce sujet précis (du moins en droit français).
J'espère cependant que cela a répondu à certains de vos questionnements.
Billets à suivre :
-
le droit et internet- les fanfiction et la loi américaine
Sources :
Tout savoir sur les droit d'auteur (site du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique)
La loi du 29 juillet 1881 (lexinter.net)
Sur la protection des mineurs (journaldunet.com)