Titre : une longue suite d'erreurs
Auteur : ylg
Jour/Thème : 26 août/la somme de ses erreurs + sablier
Fandom : Gensōmaden Saiyūki
Personnage/Couple : Hakkai-Gonō/Kanan
Rating : PG~13
Disclaimer : propriété de Minekura Kazuya, je ne cherche pas à le lui disputer.
Warnings : gore ! et puis encore et toujours spoil sur Hakkai dans les prochains tomes à devoir paraître en français.
Participation au vote de fin de mois : Non.
***
Kanan est morte. D'une façon ou d'une autre, c'est qu'il lui a failli.
Plus tard, alors que les jours se transformaient en semaines - et il avait l'impression que c'était des éternités auparavant, il n'était pas encore passé devant la Trinité Bouddhique mais se sentait déjà comme dans une autre vie - Gojyō l'a assuré que ça n'était pas qu'il ne l'aimait pas assez, que c'était juste la vie... mais quoi qu'il en pense, lui sait qu'il aurait dû savoir qu'elle était en danger, il aurait dû la protéger.
Encore et encore, il ressasse le passé et se demande où il s'est trompé, ce qu'il aurait dû faire lors des deux nuits de massacre et lors des deux mois de route entre pour la rattraper à temps, ce qu'il aurait dû faire ou ne pas faire pour arriver à la sauver. Toutes les erreurs qu'il a accumulées repassent dans son esprit.
S'il était rentré de l'école plus tôt, aurait-il pu se battre contre les yōkai pour la défendre, aurait-il pu la leur arracher ? S'il avait perdu moins de temps à massacrer ses voisins par colère puis les notables du village par simple vengeance, s'il s'était lancé immédiatement à sa poursuite, l'aurait-il retrouvée à temps ? Aurait-il pu trouver à mettre moins de temps à rallier le château de Hyakugan Mao, seul et sans aucun moyen ? Une fois sur place, plutôt que de traquer et tuer systématiquement chaque membre du clan, n'aurait-il pas dû se concentrer uniquement sur d'abord retrouver Kanan, sans céder au besoin compulsif d'éliminer chaque yōkai ? Surtout, s'il s'était contenté de juste les tuer, sans s'acharner autant sur chacun, leur apporter juste la mort et pas chercher un raffinement de douleur ou d'horreur pour chacun d'eux...
Et dans cette cave tragique, ayant enfin retrouvé Kanan, Kanan toujours en vie, n'aurait-il pas pu lui reprendre ce couteau, l'arrêter à temps ? Et quel besoin avait-il de ce couteau en premier lieu, d'ailleurs... aurait-il pu, finalement, aussi bien tuer les yōkai à mains nues ou en détournant leurs propres armes et n'en avoir aucune sur lui dont Kanan ait pu s'emparer ?
Et... s'il avait pu la sortir de sa cellule, qu'est-ce qui l'assure qu'il ne l'aurait pas alors tuée lui-même, horrifié de la savoir enceinte de ce monstre ? Il refuse de croire qu'il aurait pu lever la main sur sa bien-aimée, mais dans un instant de folie... il avait bien massacré tant d'innocents si peu avant !
Si elle s'était laissée emmener, aurait-il arraché l'enfant de son ventre de ses propres mains, ou l'aurait-il laissée le mettre au monde ? Non, sans doute pas ; elle n'en voulait pas, décidément pas. Ce germe de haine, il aurait fait en sorte qu'il meure.
Ils étaient encore bien jeunes tous les deux, et leur situation n'était pas la plus stable qui soit. Ils n'en étaient pas encore à rêver d'une grande famille : rien qu'être tous les deux ensemble, c'était déjà formidable. Ils étaient déjà bel et bien une famille, quoiqu'en pensent les voisins. Ils n'auraient peut-être pas pu avoir d'enfants ensemble, c'était sans doute trop risqué pour eux. Mais ils ne s'étaient pas encore sérieusement posé cette question. C'est placés devant le fait accompli qu'ils l'ont réalisé. C'est des années plus tard que Hakkai a décidé qu'il voulait effectivement une famille.
De là à élever comme sien l'enfant d'un monstre, un enfant né dans le sang, aux cheveux et aux yeux rouges, qu'ils n'arriveraient peut-être ni l'un ni l'autre à aimer ?
Après avoir rencontré Gojyō, Hakkai aime penser qu'il l'aurait fait. Mais quand il essaie de recréer son état d'esprit d'autrefois, il n'en est plus si sûr. Et Kanan elle-même aurait refusé. Elle n'aurait pas pu, non, pas pu l'aimer. Ça n'aurait fait qu'un enfant malheureux de plus. Ils n'auraient jamais été une famille idéale, partis sur de telles bases.
Après ça, il était trop tard pour retourner au village, après avoir assassiné ses voisins, les notables, plusieurs de ses élèves, tous ceux qui l'a a croisé ce soir maudit.
Même s'il avait sauvé Kanan, enfant ou pas, il leur aurait fallu fuir, encore plus loin, toujours plus loin, rien qu'eux deux seuls au monde, sans ressources, lui peut-être poursuivi par les autorités désormais. Il leur aurait été impossible, de toute façon, d'avoir et d'élever cet enfant dans de telles circonstances.
Quoiqu'il ait pu faire pour la sauver, Kanan l'aurait-elle simplement suivi ? Maintenant qu'il était un meurtrier... il en doute de plus en plus.
Elle ne s'attendait pas à ce qu'il vienne la chercher. Maintenant qu'il y repense, ils avaient fort mal tenu leurs rôles de demoiselle en détresse et de chevalier servant. Ils n'étaient vraiment pas faits pour cela. Kanan n'était pas une petite fleur fragile. C'est elle qui portait la culotte, dans leur couple. Il a vu le résultat, dans leur petite maison ravagée : elle ne s'est pas sagement laissée emmener mais s'est défendue farouchement. Ça n'a juste pas suffi, ses assaillants étaient trop nombreux pour elle et mieux armés...
Lui-même n'avait jamais pensé avoir besoin de se battre pour elle avant. C'est elle qui avait tendance à le protéger. Et à se laisser chouchouter ensuite, aussi...
Il savait se battre. À peu près. Il avait appris vaguement les arts martiaux, pour avoir un corps en bonne santé, parce que les sports d'équipe ne lui disaient rien. (Et aussi un peu parce que, mine de rien, savoir user de son propre corps était fort utile quand il s'agissait de jouer à deux...)
Elle était forte, sa soeur, son épouse... jusqu'à ce que les yōkai la brisent.
C'est aussi qu'il a mis bien trop longtemps à venir la récupérer. Elle ne l'attendait plus. Elle ne voulait plus être sauvée. Était-ce le viol en lui-même, l'enfant du monstre, le simple fait de porter quelque chose de vivant et de non-voulu ?
Il ne saura jamais ce qui lui est passé par la tête à ce moment-là. Pourquoi elle n'a pas voulu être sauvée. Il ne lui reste que ses derniers mots, sa dernière accusation:
« C'est trop tard.... »
Il ne saura jamais non plus, ce qu'il aurait pu ou dû faire différemment pour pouvoir la sauver. Il ne voit qu'un enchaînement d'erreurs sans trouver comment les réparer.
Chacune de ses erreurs est là, imprimée dans un coin de son cerveau.
Les souvenirs restent enfermés dans sa tête. De proche en proche mais pas exactement pas ordre chronologique, ils s'engouffrent par le cadre de sa pensée consciente, tourbillonnent, et s'éclipsent. Sans disparaître pour autant. Ils s'accumulent ailleurs. Un jour, une nuit, un rien pour bousculer son esprit et la ronde infernale est prête à reprendre.
Tout se mélange, mais rien ne s'échappe jamais.
Les souvenirs sont tous là, toujours. Ils les imagine qui se bousculent dans sa tête. Comme dans une boule à neige, ils s'agitent, dansent et retombent. Ou peut-être comme dans un sablier, parce qu'il passent par le tamis de sa conscience, entre les souvenirs de Gonō et les pensées de Hakkai, qui s'égrainent l'un après l'autre, dans un sens puis dans l'autre. Ou peut-être plutôt une clepsydre, en fait. Un sablier serait fait de poudre d'os, de dents déchaussées, d'ongles arrachés. Or il y est allé plus à coups de couteau qu'à coups de poing. Parfois, souvent même, avec les propres armes de ses adversaires. Liquides, les images de ses souvenirs. Une goutte de pluie, une larme, une goutte de sang.
Et le sang pourtant sèche, petit à petit. Sur les bords, en coulant, il accroche aux parois et après des éternités tombe en poudre. Ça fait des souvenirs devenus flous, qui ressurgissent après tout le reste, qui ne reviennent qu'une fois sur deux mais qui s'incrustent, tenacement, dans son inconscient, qui refusent de partir au gré de ses pensées.
Combien de tours de sa mémoire devra-t-il faire avant que tout ait figé ?
Le sang prisonnier ne peut s'évaporer. Peut-être pourrira-t-il, lui empoisonnant l'esprit. Si le verre était fêlé, encore... ça irait bien plus vite. Le crâne humain est tellement plein de foramens et de faiblesses : ça arrivera peut-être. Il sait par expérience où enfoncer un couteau entre les os pour atteindre le cerveau ou les vaisseaux importants, maintenant. Avant cela il savait, de manière purement théorique, comme il est facile de séparer les os du crâne d'un mort.
Autre temps, autre souvenir. Devant l'école, des camarades, biologistes. Peut-être un ou deux chimistes dans le tas, également, qui écoutaient et riaient avec eux.
- Il suffit de semer des graines de soya. Et quand elles germent, la force des petites pousses qui grandissent fait tout le travail. Comme ça !
- J'ai les haricots pour ça, quelqu'un veut bien me prêter sa tête pour qu'on vérifie ?
- Ah ha, non, je me sers encore de la mienne.
- Et toi, retourne donc réviser au lieu de dire des bêtises.
- Celui qui termine dernier au prochain examen c'est qu'il a rien dans le crâne et on le désigne volontaire pour l'expérience ?
- Pari tenu !
Plaisanteries, tout cela. Gonō n'aurait jamais pensé, à l'époque, qu'un jour il exploserait vraiment le crâne de quelqu'un entre ses propres doigts, comme un fruit trop mur. Même s'il ne raffolait pas de l'espèce humaine, quitter l'orphelinat pour cette grande école, retrouver Kanan, fréquenter des jeunes leur ressemblant, lui avait fait du bien. Il n'irait pas jusqu'à dire que ces gens étaient des amis pour lui, mais cette vie lui plaisait. Il ne leur aurait jamais souhaité le moindre mal. Il n'aurait jamais imaginé un jour haïr absolument ses semblables.
Pire que tout, la limite entre « semblables » et « différent » a basculé depuis. Le voilà désormais transformé en yōkai-plante. Comme si... ses crimes étaient tellement horribles que leur poids karmique l'avait relégué tout en bas de l'échelle évolutive. Une forme de vie inférieure. Un simple légume. Mais un légume ô combien dangereux : les branches délicates tatouées sur sa peau de monstre, se demande-t-il, sont-elles assez solides pour se glisser entre les os d'un ennemi et les séparer les uns des autres ?
Il n'aura sans doute jamais l'occasion d'essayer. Mais il se demande quand même. Et connaissant déjà les autres paramètres, la résistance qu'offrent les différentes articulations du corps humain ou yōkai, la force qu'il peut mettre dans ses vrilles tentaculaires... oui, il pense bien qu'il le pourrait.
Mais à quoi cela pourrait-il bien lui servir aujourd'hui ? Tous les combats du monde ne lui rendront pas Kanan. Ni extérieurs, contre n'importe quel ennemi, ni intérieurs, contre sa propre mémoire.
Qu'il revive encore et encore ces deux mois d'horreur, ces deux nuits tragiques et le calvaire entre, ne changera rien. Repasser en détail chacune des erreurs qu'il a commises ne les réparera pas. On ne vit qu'une fois et Kanan est morte. Même se blâmer, encore et encore, pour sa mort, ne la ramènera pas, et ne soulagera en rien sa douleur.
La douleur l'empêche d'oublier. Ses souvenirs l'empêchent de trouver la paix. L'un ne va pas sans l'autre. L'un se déverse dans l'autre, chacun à son tour. De Gonō à Hakkai, de Hakkai à Gonō, interminablement.