7 Février - La loi du régicide - original

Feb 07, 2012 20:45

Titre : La Reine déchue
Auteur : selemba
Jour/Thème : 7 Février - La loi du régicide
Fandom : Original
Personnage : Narratrice, Rachel, Rebecca
Raiting : PG-13
Disclaimer : Tout à moi, mis à part le contexte historique
Participation au vote de fin de mois : Non


La Reine déchue

Je t’ai tout de suite haï, toi et tes jolies boucles brunes, toi et tes yeux fiers. Tu es arrivée tout en douceur, avec tes grandes malles débordantes de vêtements et tes beaux meubles. Royale. Ce fut un vrai tremblement de terre.

Tu t’es installée dans l’immeuble et dans nos vies en quelques jours. Le parfum de santal que tu aimes tant porter emplissait la cage d’escalier et la nuit, j’entendais tes petits pieds glisser sur le sol. Toi et ta fille, ta parfaite réplique, vous avez pris possession de nos vies et on ne peut plus t’en extraire, Rachel, tu t’es incrustée dans les moindres recoins.

Tu descends l’escalier sous les visages fermés de tous nos voisins et tu regardes droit devant toi, blotti dans ta superbe. Et je te déteste tant en ce moment que je voudrais me précipiter sur toi, t’arracher tes jolis yeux aux cils démesurés, tes yeux si nobles ; et les jeter au milieu de tes affaires, celles qu’ils ont passées par la fenêtre quand ils sont venus vous chercher.

Mais toi, toi tu regardes droit devant toi, drapée dans ta suffisance et tu inondes le monde de ta beauté, de ta perfection.

Comment peut-on encore être digne dans ces moments Rachel ? Comment peux-tu encore garder les yeux droits devant toi quand le monde entier voit ta déchéance ? Quand ils plaisantent sur ton corps aux courbes angéliques, quand tes meubles délicats s’écrasent au sol, quand ils poussent ton adorable fille dans la rue ?

Tu es venue avec tes grands airs, ton port altier et tes petits biscuits parce que « voyez-vous, il faut toujours bien s’entendre avec ses voisins ». Tes gâteaux étaient délicieux, dorés juste comme il le fallait. J’aurais voulu te claquer ma porte au nez, te les enfoncer au fond de ce cou que tu avais si blanc.

J’ai pris le petit panier et je t’ai remerciée. Et je me suis détestée, oh tellement détestée, de les trouver succulents ces biscuits.

Tout était comme ça chez toi, Rachel. Tu étais une reine descendue chez nous et tu nous enfonçais chaque jour un peu plus la tête dans notre platitude. Tes cheveux étaient toujours plus soyeux, tes lèvres plus rouges, tes yeux plus brillants. Nos enfants nous semblaient si pâle à côté de ta fille ; je me suis surprise plus d’une fois à t’envier pour ce petit trésor qu’était ta Rebecca.

Comme je rêvais de te jeter à bas de ce trône, de te vomir au visage cette compassion, cette sympathie dont tu nous submergeais.

Car sais-tu, Rachel, à quel point je détestais ta gentillesse ? À quel point je détestais ta générosité et ces sourires que tu nous offrais chaque matin ? Je me sentais toujours si laide, si aigrie à tes côtés. Je te jalousais de toute mon âme, de tout mon cœur et toi, tu m’adressais ces sourires sincères.

Comment pouvais-tu même oser nous sourire, toi l’étrangère, toi la nouvelle arrivée ? Nous donner des friandises, nous faire cadeau des robes devenues trop petites pour ta Rebecca ne te suffisais pas, il fallait aussi que tu nous offres tes sourires.

Comme tu nous étais supérieure, Rachel, et comme nous en crevions de nous en rendre compte chaque jour.

Alors j’ai fait ce que tous ici n’avaient pas le courage de faire.

Ce fut si simple, un appel anonyme, quelques mots murmurés : « Il y a des Juifs au septième de la rue St Michel ». Tellement simple.

Et toi, pauvre biche naïve qui regarde autour de toi, comme si tu voulais marquer à jamais nos visages sous tes paupières. Tu ne peux même pas concevoir que l’un de nous t’ai dénoncée. Que nous t’aurions tous dénoncée.

La vie n’est pas comme tu voulais bien le croire Rachel, et j’espère que quand tu t’en apercevras, tu t’embourberas dans ta décrépitude, dans une avilissante normalité.

« Les reines tombent toujours un jour. », voudrais-je te crier. Mais l’odeur de santal qui règne encore partout ici, comme un souvenir de ta supériorité, me réduit au silence.

Alors je me tais et je te regarde simplement saisir d’une main la valise qu’ils t’ont laissée prendre et de l’autre ta petite fille si parfaite. Je te regarde choir et j’attends le moment où tu comprendras à quel point tu as toujours été si inférieure à nous.

Parce que, vois-tu Rachel, tous tes grands airs n’auront pu nettoyer la souillure de ton sang.

original, fevrier 12

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