Fantôme de l'Opéra - Firmin Richard - 01. Mort naturelle

Aug 17, 2013 09:26

Titre : À qui sait attendre
Auteur/Artiste : Callirhoé Aria
Fandom : Le Fantôme de l'Opéra
Personnage : Firmin Richard
Rating : G
Thème : mort naturelle
Disclaimer : Le Fantôme de l'Opéra appartient entièrement aux mânes de M. Gaston Leroux, journaliste au quotidien L'Époque. Je ne fais que lui emprunter quelques personnages, avec tout le respect possible pour son oeuvre. =)

Quelques mots de l'auteur : parce que contrairement à d'autres personnages du Fantôme de l'Opéra, Firmin Richard est assez peu connu et que son adaptation dans le film de 2004 est  très, très différente du personnage original, je pense utile de donner quelques informations sur le personnage. Pour en savoir plus, se référer à l'ouvrage de Leroux. =)

Firmin Richard est l'un des deux directeurs de l'opéra, l'autre étant Armand Moncharmin. Il est considéré comme un musicien distingué, auteur de plusieurs oeuvres savantes, mais l'ironie de Leroux laisse sous-entendre qu'il manque de goût musical. S'il apprécie tous les musiciens, il lui semble logique que tous les musiciens l'aiment en retour, donc fait preuve d'un assez mauvais caractère, bien qu'il ait été plutôt taquin par le passé. Il supporte mal la contradiction, s'avère brutal et impulsif, mais a quand même un bon fond. Physiquement, c'est un homme d'une cinquantaine d'années, plutôt trapu, avec une physionomie un peu triste, mais un regard jovial. Comme vous pouvez le constater, il n'a rien du ferrailleur pusillanime du film de Joël Schumacher ! ^^


À qui sait attendre

"Tout vient à point à qui sait attendre. La mort, par exemple." (Bradley)

M. Firmin Richard s'était souvent demandé comment il allait mourir. Oh ! il n'avait pas vraiment peur : tant que l'idée de la mort demeure lointaine, les plus couards restent les plus braves. C'était une simple interrogation, un débat sans fin entre les mérites respectifs de l'attaque d'apoplexie (douleur minime, trépas rapide, propre et digne, mais un peu bourgeois), de la longue maladie (possiblement douloureuse, mais on a tout le temps de dire adieu à la vie) et de la mort héroïque (pas qu'il eût envie de jouer au héros, mais c'était une mort digne, quoique surannée !). Ensuite, M. Firmin Richard se souvenait que le choix ne lui revenait pas, haussait les épaules et passait à autre chose. Autant vivre, avant de mourir.

Durant une courte période de sa vie, M. Firmin Richard avait pu ajouter des options supplémentaires à son débat sur la meilleure manière de mourir. Par exemple, lorsqu'au dîner de gala qui devait célébrer le départ de MM. Debienne et Poligny, un étrange et décharné personnage avait annoncé de sang-froid le décès de Joseph Buquet, chef machiniste apprécié retrouvé pendu dans le troisième dessous, entre une ferme et un décor du Roi de Lahore, M. Firmin Richard avait médité sur l'intérêt de mourir ainsi, pour vite conclure que cette mort n'avait rien de grandiose, ni d'intéressant, ni quoi que ce soit, en dépit de son aspect spectaculaire. Le jeu n'en valait pas la chandelle. Lorsque sa concierge s'était retrouvée écrasée sous le grand lustre, il avait conclu que cette mort, quoique spectaculaire, quoiqu'inattendue, quoique très rapide, avait l'inconvénient d'effrayer et (surtout) de faire bien des taches sur le magnifique velours des sièges de l'opéra. Et lorsqu'on avait retrouvé le corps de Philippe de Chagny sur la berge du lac, il avait trouvé que de toutes les morts au monde, celle-là était sans doute la plus répugnante. Quant au fantôme de l'Opéra, outre le fait qu'une errance perpétuelle après la mort n'avait absolument aucun intérêt, rappelons que M. Firmin Richard n'y avait jamais cru.

Lorsqu'il prit sa retraite, à l'âge de soixante-trois, après dix ans à administrer l'opéra, M. Firmin Richard renonça à l'idée d'une mort glorieuse : ce n'était plus de son âge. Envisager une mort originale lui plaisait de moins en moins : plus il vieillissait, plus il s'embourgeoisait, plus il considérait avec sympathie la perspective d'une mort tranquille, plus il redoutait cette même mort. N'oublions pas que plus la Faucheuse approche, moins les couards crânent (sans calembour). M. Firmin Richard pensait que l'âge lui amènerait sagesse et résignation : il s'aperçut du contraire, regretta la désinvolture narquoise de sa jeunesse. Chaque jour, chaque heure, chaque seconde le rapprochant de la mort (comment aurait-elle pu l'en éloigner ?) voyait renforcée son appréhension. Vint le jour où M. Firmin Richard craignit tout à fait la mort.

Par une étrange coïncidence, ce fut aussi ce jour-là qu'il mourut.

M. Firmin Richard ne décéda ni d'une attaque d'apoplexie, ni d'une longue maladie. Il n'eut pas les honneurs d'une mort héroïque, pas plus que les scandales d'une mort originale. On ne le retrouva ni pendu, ni noyé, ni écrasé sous un lustre. La mort de M. Firmin Richard ne fut pas non plus le summum du ridicule : autant qu'un mort puisse le faire, il prit soin du décorum. Il ne mourut ni riche, ni ruiné ; ni reconnu, ni oublié. Ceux qui découvrirent son corps s'attendirent à le voir se redresser brutalement avec un petit sourire sur sa bouche édentée. Cela n'arriva pas :  M. Firmin Richard avait gardé le goût de la plaisanterie, mais ne se livra pas à celle, éculée, de faire croire à sa propre mort. Il était tout à fait honnêtement décédé.

À vrai dire, nul ne sut jamais vraiment de quoi mourut M. Firmin Richard, et ce, pour une raison fort simple : nul n'assista à sa mort. La veille au soir, il avait reçu deux amis à dîner, M. Moncharmin et l'ex-inspecteur de police Mifroid. L'on s'était quitté sur une poignée de main cordiale et un cordial. Le lendemain, M. Jacques Richard et son épouse, Mme Anne Richard, respectivement fils et bru du musicien, venus très simplement saluer leur parent, le trouvèrent mort, assis dans le fauteuil du salon. M. Firmin Richard avait sur le genou un livre ouvert, un verre de vin sur le guéridon, un air impassible sur le visage. L'on appela, pour la forme (le corps était déjà froid), un médecin et un prêtre. Puis, l'on répandit la triste nouvelle.

Le 21 mars 1897, l'on enterrait M. Firmin Richard au cimetière du Père-Lachaise. N'étaient présents que la famille, quelques amis et quelques anciens membres du corps de l'Opéra. Armand Moncharmin lut l'oraison funèbre, la Giry (maintenant baronne) fit un bref éloge du disparu. Fait exceptionnel, Christine de Chagny, alors de passage à Paris, chanta un petit air de la composition du défunt. On mit le corps en terre, on alla prendre un verre à la santé du mort (aussi absurde cela puisse-t-il être), et ce fut tout.

M. Firmin Richard, musicien distingué, directeur de l'opéra, personnage haut en couleurs, bon vivant, avec tout son talent, tout son tempérament, tout son potentiel, n'avait, au fond, livré au monde qu'une mort d'une effarante banalité.

Un peu comme l'auteur de ce texte, en somme.

01. mort naturelle, le fantôme de l'opéra: firmin richard

Previous post Next post
Up