Antonio Muñoz Molina -
Pleine Lune (Plenilunio) (1997 / Seuil, 1998)
(382 pages, soit 75 km de plus pour le challenge Tour du Monde. Total : 13 450 km et 54 363 pages pour 148 livres)
Peut-on démasquer un meurtrier rien qu'en rencontrant son regard ? L'âme d'un homme est-elle visible dans ses yeux ? Le père Orduña le prétend, et son assurance a poussé l'inspecteur à travers rues, comme malgré lui, ressassant ces questions, cherchant encore, cherchant toujours...
Dans une petite ville d'Andalousie, une fillette a été retrouvée sur le talus d'un parc. Nue, violentée, étouffée, un petit cadavre d'une violence insoutenable sous la pleine lune. Alors, la pluie a commencé à tomber, l'hiver et la peur se sont installés à demeure et l'inspecteur s'est enfermé dans cette quête du coupable, qui est aussi peut-être une fuite. Le mal, il le connaît bien pourtant, il y a été confronté durant toutes ses années de service au Pays Basque, il l'a commis lui-même, en gagnant sa vie comme délateur politique au temps de Franco. Il s'y est englué longtemps, résigné à la haine de soi, au dégoût de sa propre vie, abruti d'alcool et de silences lâches jusqu'à s'arracher enfin d'un ultime sursaut au naufrage, quitter le Nord pour le Sud. Le Sud où l'attend peut-être, au delà de l'horreur, une forme inattendue de rédemption.
Muõz Molina compose ici un polar très noir où l'enquête, quasi inexistante, s'efface derrière une méditation obsédante sur le mal et la souffrance. Cela pourrait être parfaitement glaçant s'il n'y avait en contrepartie cet éclat de lumière, cette progressive montée en puissance d'une autre force, fragile mais tenace, une force vive face aux forces d'inertie et de destruction, une force dont l'un des noms est amour - cet amour dont l'inspecteur, mal marié, vieillissant déjà, découvre bien tardivement l'existence.
Sous cette dualité, à travers quelques personnages forts, ambigus (y compris celui de l'assassin, dans l'esprit duquel on se faufile avec un mélange de répulsion et de vague pitié), se déroulent bien d'autres fils intéressants sur les rapports humains. Le mariage dévoyé, la religion rancie, le poids de la culpabilité, celui aussi de la pauvreté et de la misère intellectuelle qui englue les habitants de ces petites villes andalouses de province, pourtant si pittoresques aux yeux du visiteur. Le tout dans un mélange puissant de réalisme cruel et de poésie en demi teinte qui rend la lecture assez vite fascinante.
Très certainement pas le plus réjouissant pour aborder la littérature andalouse à la veille d'un voyage dans le sud de l'Espagne, mais indubitablement un livre et un auteur à découvrir !