Retour à Brideshead - Evelyn Waught

Feb 20, 2017 13:16


Evelyn Waught - Retour à Brideshead (Brideshead Revisited) - (1945 / 10/18, 1998)
(432 pages, soit 75 km de plus pour le challenge Tour du Monde. Total : 9750 km et 38 996 pages pour 106 livres.
4e titre pour le challenge 1914 - 1968)

Alors que s'est déjà éteint son bref engouement pour la chose militaire, les hasards de la guerre ramènent un jour le capitaine Charles Ryder à Brideshead. Ce paysage, il le connait encore par coeur : une vallée enchantée, trois lacs, un château, la plus belle demeure qu'il ait jamais connue - et avec lui, mille souvenirs d'un temps désormais révolu. C'était il y a plus de vingt ans, la première année à Oxford, les portes de la vie qui s'ouvrent enfin en grand, les amitiés studieuses qui cèdent le pas aux amitiés de plaisir, le temps où l'on apprend à boire et à aimer. C'était Sébastien Flyte, ce garçon délicieux, un peu puéril, dont il était devenu le compagnon inséparable et qui l'avait amené là, à la demeure de ses ancêtres. C'étaient les Années Folles, l'alcool qui coule à flots, la fête qui trébuche, les dysfonctionnements qui percent, la mélancolie qui s'installe et grignote, grignote irréparablement les belles promesses dont on se grisait tantôt.

Un sentiment de profonde tristesse domine à la lecture de ce roman - roman de la jeunesse perdue, de l'amour gâché, des illusions enfuies. Pas de pathos, pourtant, juste un ton de mélancolie sourde, d'amertume lucide, un peu désemparée, qui n'exclut ni l'humour pince-sans-rire ni la satire sociale. On a d'ailleurs soupçonné des personnalités bien réelles derrière certains personnages : Lord Beauchamp et son fils, Hugh Lygon, pour Lord Marchmain et Sebastian, un peu du peintre William Ranken pour Charles Ryder... De toute évidence, l'auteur peint un milieu qu'il connaît de près, la haute société de l'entre deux guerre, où se côtoient artistes et aristocrates, esthètes flamboyants et mondaines bon ton, avec ses extravagances, ses excès, ses folies, ses scandales, ses faille secrètes et ses traditions irréductibles. Le tableau en est passionnant, un peu grinçant parfois, plein de charme, de vie, de couleurs, autour d'un petit noyau de personnages assez inoubliables. J'avoue un faible particulier pour Anthony Blanche, homosexuel flamboyant qui gère l'hostilité de ses camarades avec un panache admirable et restera, malgré ses fables et ses mises en scènes, l'un des caractères les plus francs et les plus forts du roman. Pour Cordélia aussi, la petite soeur dont la piété n'a d'égale que l'impertinence. Et puis, évidemment, Sebastian, qui ne saura que chuter en perdant son enfance, se heurter aux siens comme un animal captif aux barreaux de sa cage, Sebastian que tout le monde adore et qui se déteste lui-même avec une violence désolante - de ces personnages qui me touchent trop pour ne pas me séduire malgré l'envie latente qui me prend de leur botter l'arrière-train.
Difficile, pourtant, de saisir avec précision les ressorts intimes du personnage, de comprendre exactement ce qui le ronge, ce qui détruit de l'intérieur cette famille. Une part de mystère est voulue, sans aucun doute, le narrateur lui-même, longtemps, reste perplexe devant le drame qui se joue, d'autant plus impuissant et désarmé. Puis avec lui, on commence à saisir certaines choses, mais évoquées toujours de manière très allusive - et je ne suis pas certaine d'avoir toujours bien saisi ce qui était impliqué, notamment dans les dessous des rapports familiaux, le rôle de la religion dans tout cela, à la fois essentiel et très ambigu, destructeur et consolateur. Je serais assez tentée, à vrai dire, de voir dans la figure de Lady Marchmain un symbole autant qu'un personnage. Aimée et respectée de tous, sauf de ceux qui comptent réellement pour elle, objet d'un engouement passionné mais vite éteint de la part de son époux, qui depuis lors la fuit comme la peste pour vivre une existence lointaine, libre et plus ou moins scandaleuse, vouée à détruire tous ceux qu'elle cherche à retenir avec les meilleures intentions du monde, et tout particulièrement son fils cadet, implicitement homosexuel, qui n'assume pas de la haïr, elle reste assez mystérieuse en tant qu'individu mais prend pleinement son sens si on voit en elle, femme fatale et sainte, une incarnation de la tradition religieuse de la famille. Religion catholique, en l'occurrence, qui donne aux Flyte une place un peu à part dans l'aristocratie britannique, qu'ils cherchent à peu près tous à fuir mais à laquelle ils finissent toujours par revenir, presque malgré eux, pour le meilleur ou pour le pire.

Il méritera au moins une seconde lecture, ce roman - une lecture plus posée, moins avide de savoir comment tout cela va (mal) tourner, plus sensible aux indices, aux sous-entendus, enrichie peut-être d'autres romans de cet auteur que je connais assez mal. Je me procurerai en revanche une autre édition - la traduction utilisée par 10/18 est vieille, souvent maladroite, et ne rend certainement pas justice au style de l'auteur.

Pour ceux qui voudraient approfondir le sujet, j'ai trouvé pas mal d'informations dans cet article du blog Les diagonales du temps - où l'on trouve aussi plein de choses intéressantes.

Pour finir, un tableau de William Ranken, qui illustre à merveille le sujet :-)


challenge tour du monde, challenge 1914-1968, bouquins

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