10/ Cuisine et art de vivre :
Ok, c'est peut-être un peu capillotracté, comme rapport thématique, mais je n'avais vraiment aucune autre idée sur quoi mettre dans cette case. Des bouquins de cuisine et d'art de vivre à proprement parler, j'en ai des tas, mais de là à les lire de A à Z pour en faire un compte rendu...
La place des bonnes - La domesticité féminine à Paris en 1900 - Anne Martin-Fugier (1979 / Perrin, 2004)
Historienne spécialiste de la vie socio-culturelle au XIXe siècle, Anne Martin-Fugier s'attache, dans un de ses premiers livres, à cette figure si souvent évoquée et pourtant si méconnue qu'est la servante.
Sont étudiées ses conditions concrètes de vie, bien proches de ce qu'on appelle aujourd'hui esclavage, et très longtemps ignorées par les progrès du droit du travail - car remettre en question l'absolue disponibilité du domestique, corvéable à merci, était remettre en question tout un mode de vie bourgeois trop bien ancré dans les mœurs.
Mais loin de s'arrêter à la simple dimension matérielle de son sujet, l'auteur en explore aussi la dimension symbolique, imaginée : la servante vue par les maîtres, à travers un large corpus littéraire allant des romans de l'époque à des ouvrages non fictifs, manuels de "savoir servir" ou discours théoriques sur le sujet. Servante idéale, dévouée corps et âme à ses maîtres jusqu'au sacrifice, ou créature menaçante, voleuse, perfide, souvent putain : entre deux extrêmes, l'image de la bonne balance. Car toujours, de par sa fonction même, elle reste l'étranger dans la famille : si on la rêve alliée, son intégration ne peut passer que par le don de soi, et celles qui refusent le sacrifice restent un danger potentiel, plus ou moins grand selon les cas. Un danger étranger dont on ne sait se passer.
Difficile de faire la part de la réalité et du fantasme, là-dedans, même si les archives judiciaires donnent quelque idée des délits réellement commis pas les domestiques. Pas tant que cela, même si les frontières avec la prostitution, parfois, sont assez floues, et qu' en matière criminelle, l'apanage des bonnes reste l'infanticide. Car la bonne n'a ni le temps, ni les moyens, ni souvent le droit d'être mère...
Face à une situation humainement consternante, face aussi à une croissante pénurie de bonnes à tout faire - ces employées uniques de la petite et moyenne bourgeoisie -, le discours évolue dans les premières décennies du XXe siècle, basé sur le modèle américain. Autrefois, la bonne était une question de standing, certains étaient prêts à se priver de beaucoup pour être servis. Désormais, mesdames, tirez plutôt fierté de savoir mettre la main à la pâte, de tout faire par vous-mêmes !
Et ainsi naquit, sur la dépouille de la bonne démodée mais toujours modèle, la parfaite ménagère. Tout aussi corvéable, mais heureuse de l'être puisque l'étant pour les siens.
Solidement documenté, relevé d'une analyse très pertinente des faits, agréablement vivant, passionnant de bout en bout, La Place des bonnes est, sous son titre un peu austère, ce que la littérature historique devrait être bien plus souvent. Un livre que je conseillerais très vivement à tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de la vie quotidienne, comme à ceux que concernent les questions sociales ou/et féministes.
Il va de soi que j'ajoute sans tarder les autres études de l'auteur à mon pense-bête !