Hurlemort - Serge Brussolo (Denoël, 1993)
Aux temps les plus noirs du Moyen-Âge, un petit village s'est retranché derrière la forêt. Une forêt sauvage où l'on ne s'aventure jamais, qui a peu à peu dévoré les routes, coupant Hurlemort du reste du monde. Menace autant que protection.
Il y a bien des mystères, à Hurlemort. Enfouis dans la colline, les visages de marbre des anciens dieux déchus, pas tout à fait morts pourtant et qu'il faut savoir se concilier. L'éclair en guise de ligne de vie, tracé dans la main de Céline, la Marquée, celle que l'on hait et qu'on épie, car sa chute pourrait bien causer la fin du monde connu. L'absence du seigneur des lieux, le baron Gilles, parti un jour chasser et jamais revenu à son château branlant.
Sans un protecteur, les paysans ne sont rien - ils le savent. Et Céline ne sait pas rester sans rien faire, se contenter de trembler et d'attendre. A toute aventure, il faut bien un héros : elle se fera donc héroïne, pour ces gens qui veulent sa mort et ne lui sont pas grand chose, jusqu'au cœur de la forêt...
Découvert à la fin de l'adolescence, relu bien des fois depuis avec le même plaisir, Hurlemort est un de mes livres préférés, un de ceux qui m'ont le plus marquée et ont contribué à ancrer ma fascination pour le Moyen-Âge. Ce n'est sans doute pas la vision la plus subtile de l'époque, dont Brussolo retient surtout les noirceurs - mélange de cruauté, de superstitions et d'ignorance qui se nourrissent les unes les autres pour précipiter les personnages en aveugles dans un jeu de brutes. Mais ces superstitions, cette ignorance, sont aussi les ferments d'une fabuleuse capacité à inventer, à recréer le monde au gré des fantasmes, des peurs, de l'imagination de ceux qui le contemplent. Un ferment poétique et imaginaire dont l'auteur a remarquablement su tirer parti, pour créer une ambiance aussi trouble que captivante.
Si le suspense, évidemment, ne fonctionne plus guère pour moi aujourd'hui, je me souviens m'y être laissée prendre toute entière à la première lecture. Et les personnages sont à la mesure de l'univers - un peuple encrassé de bêtise et de misère, plus pathétique que réellement détestable, au-dessus duquel s'élèvent quelques belles figures en clair-obscur. Lumineuses, celles de Céline et du vieil ermite égaré, rescapé des Croisades venu finir ses jours au fond de nulle-part. Ténébreuses, celles du baron Gilles et du moine fou de Dieu, venu semer pénitence et désolation sur cette terre impie.
Un très beau roman, après lequel les autres œuvres de Brussolo m'ont toujours un peu déçue malgré leurs qualités.