Le baiser de la femme araignée - Manuel Puig (1976 - Seuil, 1979)
Dans une prison de Buenos Aires, deux hommes ont été réunis dans une même cellule. Deux hommes qu'a priori tout oppose. Molina, homosexuel condamné pour détournement de mineur, se rêve en femme et ne sait que s'évader dans l'imaginaire. Valentin, activiste communiste, ne vit que pour la lutte, dans l'espoir de changer un jour la société.
Nuit et jour, Molina raconte à Valentin les films qu'il chérit - de vieux films romantiques, où le sens importe souvent moins que la beauté des images et des sentiments et où une femme, toujours, se sacrifie pour l'homme qu'elle aime.
D'histoire en histoire, à force de parler, les deux hommes peu à peu s'apprivoisent, se découvrent et apprennent à s'aimer.
N'allez pas chercher, dans ce roman, une mise en scène de l'univers carcéral. Les seules descriptions, assez longues et détaillées, appartiennent aux films que raconte Molina, et l'essentiel de la narration repose sur les dialogues entre les deux hommes, assortis de longues notes de bas de page qui résument l'histoire du regard psychanalytique et sociologique sur l'homosexualité et, par delà, l'identité sexuelle. Des notes assez insolites d'abord, puis de plus en plus intéressantes par la manière dont elles sous-tendent l'intrigue principale et orientent sa lecture.
Derrière une histoire d'amour touchante entre deux hommes mis à l'écart de la société - une société dont leurs désirs ou leurs engagements contestent l'ordre établi - le Baiser de la femme-araignée est aussi un roman sur l'image de la femme, sur l'enfermement des sexes dans des rôles figés, réducteurs, et sur la nécessité de remettre en question les diktats plus ou moins conscients d'une société patriarcale.
Un très beau roman, où les mots de la liberté se conjuguent avec ceux du rêve.
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En 1985, le Baiser de la femme-araignée a été
adapté à l'écran par Hector Babenco.
Une adaptation très réussie, qui évite les redondances avec le livre en décalant très légèrement le propos central sans pour autant le trahir. Le thème de l'image de la femme et des rapports entre les sexes reste présent, mais de manière plus implicite : l'essentiel est plutôt dans l'évolution de la relation entre Molina et Valentin, un brin plus conflictuelle, dans le thème de l'acceptation de l'autre... et dans le pouvoir libérateur de l'imagination, au sein d'un univers carcéral mis en scène de manière bien plus détaillée.
Raul Julia (Valentin) et William Hurt (Molina), tous deux formidables, donnent une belle consistance aux deux personnages que le livre a plus tendance à désincarner - ou à incarner en une simple, quoique puissante, parole.
J'ai juste regretté qu'une réplique de Valentin, qui donne son sens au titre, ait été sucrée dans cette adaptation !
En somme, livre et film se complètent à merveille, et se découvrent avec beaucoup de plaisir à la suite l'un de l'autre.
(Ca change de
Gomez Addams et
Mr Rochester XD)
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Note cinéphile :
Je pensais tout d'abord que les films de Molina étaient pure invention de l'auteur, puis la ressemblance entre une de ces histoires et le si beau
I Walked with a zombie de Jacques Tourneur m'a mis la puce à l'oreille. De fait, une autre histoire est très clairement tirée de
la Féline, du même Tourneur, et après recherches plus approfondies, il s'avère que le scénario d'un troisième film peut être identifié :
le Cottage enchanté, de John Cromwell.
Les autres films sont effectivement inventés par l'auteur, mais s'inspirent d’œuvres diverses, notamment de mélodrames mexicains des années 40.