Homo Lupus

Jan 09, 2010 16:34


HOMO LUPUS - Le Dévoreur d'enfants

Fandom : Harry Potter

Disclaimer : Propriété de JK Rowling. Ecrit avant la lecture du Tome 6.
Rating : PG

Personnage : Remus Lupin

Le dévoreur d’enfants :
Le petit garçon était assis dans l’herbe froide et humide, emmitouflé dans sa cape. Le vent d’hiver mordait son visage rougi par le froid, ses cheveux châtains lui fouettaient le front et gênaient son regard bleu clair aussi glacé que l’air. Sa mère discutait plus loin, avec d’autres femmes, tournant le dos au gigantesque toboggan rouge du parc dans lequel les enfants s’amusaient. Elle riait à gorge déployée même s’il ne pouvait pas l’entendre, le vent sifflant violemment dans ses oreilles. Un grand garçon aux cheveux très noirs le regardait en se moquant. Une fille de son âge, le nez froncé et le front plissé, tirait sur la manche de son ami pour qu’ils s’en aillent.

" Laisse-le, c’est un petit, tu vois bien ? "

" C’est peut-être un petit, mais il m’a poussé dans le toboggan ! " Grogna le grand garçon.

" T’allais pas assez vite … "bouda le petit.

Il reçut en réponse un regard outré du grand garçon qui se pencha vers lui, prenant l’air méchant, et le saisissant par le col de sa cape.

" Dis le moucheron, t’essaies pas de me dire que j’avais peur ? "

L’enfant se sentit trembler. Son estomac lui faisait mal, car il avait peur, mais quelque chose lui donna la force de se lever et de regarder dans les yeux son adversaire, pourtant plus haut que lui de deux têtes. Une chaleur bien sagement nichée dans son cœur lui en donnait la force, et cette chaleur, c’était son courage.

" Oui t’avais peur ! S’écria-t-il. Tu tremblais comme une fille ! "

" Moi ? Avoir peur ? "

Le garçon, ulcéré, leva le poing pour cogner l’enfant courageux qui l’avait défié, mais son amie le tira de nouveau par la manche.

" Arrête Jimmy ! Il a six ou sept ans, pas plus ! Ne fais pas n’importe quoi ! "

Jimmy retint son poing, boudeur, mais ayant retrouvé tout de même son calme. La fille soupira, levant les yeux au ciel. Elle avait l’air d’être habituée au tempérament colérique et bagarreur de son ami. Jimmy considéra le garçon un long moment, circonspect et défiant, puis il esquissa un sourire trop large pour être honnête.

" Alors toi tu es un petit garçon courageux n’est-ce pas ? "

Le garçon préféra ne pas répondre. Il y avait dans cette voix, malgré le sourire et le calme apparent, quelque chose de sournois et de menaçant.

" C’est une qualité, ça, d’être courageux, petit, poursuivit-il avec assurance. Seulement … Quand on a cette qualité-là … On a tendance à se faire un peu trop remarquer … Comme le petit chaperon rouge, qui se balade dans une forêt sombre, prêt à se faire manger par le loup affamé. Ou comme le Comte Dalva qui s’empara du don de vol aux oiseaux et s’élança si haut dans le ciel que l’Aigle-Dieu lui creva les yeux. Tu sais que montrer son courage ce n’est pas une vertu. Ca ne suffit pas. Après il faut en assumer les conséquences. Les petits garçons comme toi qui parlent trop et qui voient plus gros que leurs yeux ne le leur permettent, tout ce qu’ils y gagnent c’est … Attirer le Dévoreur d’Enfants. "

L’enfant tressaillit violemment. Le garçon le mettait mal à l’aise, ses histoires avec les vieux contes ne le touchaient pas mais le Dévoreur d’Enfants, c’était différent. C’était un tabou. C’était … réel. Instinctivement, il fit un pas en arrière, comme si le garçon était lui-même le monstre qu’il évoquait.

" Ah je vois … dit Jimmy, triomphant. Pas si courageux que ça finalement, le mioche. Alors on a peur du Dévoreur d’Enfants ? Maman te dit bien de ne jamais t’éloigner d’elle ou de la maison pas vrai ? Elle a peur que son cher bambin soit le prochain sur la liste … Il paraît qu’il opère dans la région depuis plusieurs semaines … Il prend trois victimes par mois … Et depuis le début du mois de janvier les journaux n’ont parlé que d’une seule victime. Un petit garçon de ton âge, et qui te ressemblait de surcroît … Tu pourrais parfaitement être le prochain. Au moment même où nous parlons, il doit être en quête d’une proie, d’un nouveau garçon qu’il pourrait déchiqueter et dévorer. On dit que ce qu’il préfère faire aux enfants c’est de leur ouvrir le ventre, ainsi ils voient leurs corps vomir leurs entrailles alors qu’ils sont toujours vivants … C’est horrible, n’est-ce pas ? "

Le petit garçon se sentait verdir à mesure que l’effrayant discours de Jimmy prenait de l’ampleur. Il aurait bien aimé lui répondre mais la vérité était que son inquiétant discours ne contenait que des vérités. Le Dévoreur d’Enfants frappait bel et bien dans la région, et chaque jour ses parents lui répétaient d’être prudent, et ne le laissaient plus sortir seul. Instinctivement, l’enfant regarda dans la direction de sa mère, cherchant à y puiser du réconfort et de la force. Sa réaction fut accueillie par un gros éclat de rire.

" Allons bon … Le gentil petit garçon ne montre finalement son pathétique courage que si maman n’est pas loin ? "

" Jimmy, on s’en va ! Intervint alors la petite fille d’un ton pressant. Tu n’es vraiment pas marrant. "

"Arrête de pleurnicher ! Gronda Jimmy. Je m’amusais juste un peu avec le petit trouillard … "

" Moi je ne m’amuse pas … Ces morts n’ont rien de drôle ! "

" Bon d’accord, on y va, j’arrête … "

La petite fille, qui était devenue livide en entendant parler du Dévoreur d’Enfants, tourna vivement les talons avant de s’en aller d’un bon pas, suivie aussitôt par Jimmy, qui fit un dernier clin d’œil à l’enfant.

" Tâche de vite retourner auprès de ta maman, le mioche. On ne sait jamais ce qui peut arriver … "

Jimmy fuit alors, son rire sardonique s’engouffrant dans une bourrasque du vent d’hiver, qui donna le tournis à l’enfant. Les os glacés par la peur et l’humiliation, il dut malgré lui et contre sa fierté obéir mot pour mot à ce qui lui avait prédit son jeune tyran. Il courut vers sa mère pour qu’ils quittent le parc. Surprise par l’attitude singulièrement pressante de son fils d’ordinaire calme et enjoué à l’idée d’aller dans ce parc qu’il appréciait beaucoup, elle s’agenouilla pour lui demander ce qui n’allait pas. N’obtenant aucune réponse, elle se contenta de faire ce qu’il préférait : lui sourire et le serrer dans ses bras, murmurant « Je t’aime Remus ». Sans un mot de plus, elle le prit par la main et l’emmena.
Ce jour-là, Mrs. Lupin opéra un léger détour avant de rentrer à la demeure familiale. Puisque Remus avait voulu rentrer plus tôt du parc, elle avait le temps de faire quelques courses à la Cour d’Armée. La Cour d’Armée était un quartier commercial sorcier, dissimulé en plein cœur de Dublin, invisible aux Moldus, à l’instar du Chemin de Traverse à Londres. Les boutiques y étaient moins nombreuses et moins variées mais cela suffisait pour les courses urgentes, et c’était plutôt pratique pour les sorciers n’ayant par leur permis de transplaner, ou pour ceux qui faisaient leurs courses avec leurs enfants mineurs.
Remus adorait se promener avec ses parents dans la Cour d’Armée, c’était animé, fourmillant de monde, coloré et les diverses animaleries, magasins de sport, librairies, confiseries ou boutiques de farces et attrapes constituaient toujours immanquablement une source d’amusement et d’émerveillement. Aux yeux d’un adulte, les ruelles étroites de la Cour parsemées de petites boutiques aux stocks peu fastes faisaient regretter le véritable village que représentait le Chemin de Traverse. Mais aux yeux d’un enfant tel que Remus, qui n’était allé à Londres qu’une ou deux fois et s’en souvenait à peine, la Cour d’Armée était un endroit fantastique, où l‘on pouvait tout trouver.

Mrs Lupin traînait son fils par la main, pour ne pas le perdre dans la foule, et pour le presser de la suivre. Remus, qui était toujours émerveillé par cet endroit après tout ce temps, et les centaines de fois où il avait foulé ces pavés, se remplissait de cette chaleur et cette agitation joyeuse qui perçait tout autour de lui. Protégé par cette foule insouciante, rassuré par les couleurs vives, il commençait à oublier le Dévoreur d’Enfants, les paroles de ce Jimmy, le vent, ainsi que le froid.

Parvenus devant la vitrine crasseuse et peu ragoûtante de l’apothicaire « Chez McConaughey », Mrs Lupin clama qu’elle avait un besoin urgent de graines de tournesols, de racines d’orgence ainsi que d’yeux de tritons pour ses remèdes. Peu enthousiasmé à l’idée d’entrer dans cette boutique sombre et repoussante, exhalant une odeur désagréable d’herbes fortes mélangées, et où le vieux McConaughey le taquinait sans cesse, Remus demanda à rester à l’extérieur pour regarder le nouveau modèle de balai à la boutique de sport. Contre sa promesse de ne pas s’éloigner et de l’attendre bien sagement les quelques minutes qu’il lui faudrait pour ses emplettes, l’enfant en eut la permission et courut vers la vitrine tandis que sa mère faisait tinter la sonnerie de « Chez McConaughey ».

Le dernier modèle flambant neuf des Etoiles Filantes était exposé fièrement dans la vitrine du magasin de sport, et la multitude de petites empreintes de mains salissant le verre fit comprendre à Remus qu’il n’avait pas été le seul à l’admirer ce jour-là. Entourant le balai, des pancartes publicitaires clamaient qu’il s’agissait du balai le plus perfectionné jamais confectionné, et vantait ses multiples mérites. L’un de ces panneaux mentionnait en gros caractère qu’il avait été testé par le champion Ludo Verpey lors de la précédente Coupe d’Europe remportée par la Grande-Bretagne, et plusieurs photos animées parsemaient le décor, représentant le fameux joueur chevauchant le balai et effectuant toute sortes de loopings, avec un genre un peu fanfaron.

Se lassant de la contemplation d’un balai démesurément cher que ses parents n’auraient jamais les moyens de lui offrir, Remus s’éloigna un peu pour regarder les chouettes et les hiboux dans leur cages à l’animalerie. Son père lui avait toujours promis qu’il en aurait un le jour de sa rentrée à Poudlard, quand il aurait onze ans, et Remus avait vraiment hâte car il adorait les animaux. Perdu dans ses pensées, il ne sentit pas tout de suite la truffe humide qui cherchait des caresses de sa main, ni la chaleur de la boule de poil qui voulait se serrer à lui, mais finit par baisser les yeux à l’écoute d’un petit couinement plaintif.

Il se retrouva alors nez à nez avec un petit chiot noir qui réclamait à tort et à travers son attention. Surpris, Remus fit un geste brusque, réprimant un cri d’étonnement. Brusqué par cette réaction, le jeune chiot recula et finit par détaler, toutes pattes dehors.

"Hey attends ! "

Sans réfléchir, Remus se mit à courir derrière la bête pour la rattraper. Il déambula à zig-zags dans la Cour d’Armée, franchit ruelles sur ruelles, dépassa et contourna les boutiques qu’il connaissait, se guidant à la vue furtive de la boule de poil noire, allant et venant, comme un petit fantôme facétieux. Après avoir couru un petit moment sans arriver à mettre la main sur l’impalpable chiot, Remus s’arrêta dans un cul-de-sac, essoufflé. Cette fois-ci, il avait définitivement perdu sa trace. Et en regardant plus attentivement tout autour de lui, il se rendit compte qu’il s’était lui aussi perdu.

Il se raisonna pour ne pas paniquer et pour essayer de se souvenir du chemin qu’il avait pris, mais sa logique fut titillée puis mordue violemment par l’aspect sombre et inquiétant de la ruelle, exaltant son imagination. Le temps était toujours au plus mauvais, et les bourrasques de vent violentes. Lorsqu’il retrouvait suffisamment de calme pour percevoir un peu de silence entre les souffles venteux et sa propre respiration saccadée, il lui semblait entendre la voix de sa mère, portée par le vent, qui criait « Remus ! Remus ! ».

"Maman ? "

Un poids sur son épaule. Son cœur bondit dans sa poitrine. Il se retourna et vit une grande femme au visage cadavérique et au regard noir hanté profondément creusé dans ses orbites. Le vent soufflait de plus en plus violemment, dément, faisant battre la longue chevelure ébène et sauvage de la femme au son d’une mélodie puissante et impérieuse. Pourtant, dans tout ce bruit, une voix ferme et épuisée retentit plus clairement encore que si elle avait été cloisonnée entre quatre murs.

"Tu cherches ta mère mon garçon ? "

Remus refusa de répondre à cette étrange apparition aussi soudaine que celle d’un revenant, aussi folle que son regard, aussi inquiétante que sa voix et se contenta de la dévisager avec épouvante. La main squelettique et décharnée serrait pourtant sa fragile épaule d’une force vigoureuse dont il ne l’aurait cru capable. Cette force, ce regard ténébreux et ce teint cadavérique l’amenèrent à pousser une conclusion redoutable.

" Va … Vampire … "

Le visage de la femme fantomatique sembla se tordre de douleur.

" Non mon garçon … Je suis humaine, tout comme toi … Trop humaine. Allons-nous en avant que ta maman ne nous trouve. "

Remus voulut hurler et se débattre, mais la femme l’enserra de ses deux grands bras maigres, dos contre son ventre, l’étouffant dans cette étreinte. Le regard vide de toute vie, elle murmura, tremblante, une formule pour qu’il s’endorme et l’enfant perdit aussitôt connaissance. Galvanisée par une vigueur surnaturelle née de son désespoir, mais terrassée à la fois par une écrasante fatigue nerveuse, elle pleura à chaudes larmes sur le chemin du retour, des larmes s’écrasant sur la figure endormie et innocente d’un jeune enfant à qui serait dérobée sa pureté.
Lorsque l’enfant se réveillail constata qu’il ne pouvait ni bouger, ni crier. Allongé sur un sofa miteux, dans une maison à l’état de délabrement avancé, il se débattait comme un poisson hors de l’eau, dans un effort passionné mais pathétiquement voué à l’échec. Même s’il ne pouvait plus gémir, les larmes coulèrent à flot, salées et se glissant entre ses lèvres scellées. Il plissa les yeux douloureusement, rougis et picotés par les larmes. Les flammes d’un feu de cheminée, vives et brûlantes, contribuaient à brouiller sa vision. Mais il distingua tout de même la silhouette de la grande femme maigre et fantomatique.
Il eut un mouvement de terreur supplémentaire en la reconnaissant, et se tordit si fort sur le sofa usé, qu’un grand froissement de tissu attira son attention. Elle le dévisagea, triste et désabusée. Sa main famélique frottait distraitement son ventre, comme si elle avait faim, et son regard terne et hanté, si profondément noir et enfoncé dans ses orbites, le scruta d’un regain d’intérêt. Remus aurait voulu hurler à la mort.

Lentement, elle délaissa le fauteuil duquel elle s’était perdue dans sa contemplation et vint s’asseoir à genoux sur le sol, se mettant au niveau du sofa. Elle regarda le petit garçon avec une sorte de détresse mêlant la compassion. Doucement, calmement, presque maternelle, elle lui toucha la peau, glissa ses doigts effilés dans ses cheveux châtains, et lui caressa le front, attentive et soigneuse.

" Mon pauvre pauvre pauvre enfant … Quel âge as-tu ? Six ans ? Sept ans ? Je suis sûre que tu es un enfant très vif, tes yeux sont si intelligents. De beaux yeux bleus. Comme ta maman doit t’aimer, et comme ton papa doit être fier de toi … Tu aurais pu devenir un bon sorcier, tu ne crois pas ? Dans quelle Maison t’aurait-on dirigé ? Moi j’étais à Gryffondor. Je me suis souvent bercée d’illusions ces dernières années en me disant qu’il fallait du courage pour le faire, mais je me mentais à moi-même. Du courage pour tuer, ça oui, il en faut. Mais pour dénicher les victimes, il faut juste vendre son âme. Pas besoin d’autre chose. A ton avis … Que dira de moi mon … Mon bébé ... "

Sur le dernier mot, la femme fantomatique éclata en sanglots, portant violemment la main à son ventre, comme si on tentait de lui arracher du corps le fœtus de son enfant au moment où elle parlait. Remus connaissait ces larmes-là. Il avait vu sa mère pleurer de la même façon le jour où elle avait perdu sa future petite sœur. Sans doute pleurait-elle pour son fils unique au moment où il était témoin de la déchéance psychologique de sa tortionnaire.

" Mon bébé … murmura-t-elle, la voix rauque. Mon bébé … Mieux vaudrait que je meure … Mieux vaudrait que nous mourions tous deux … Quel enfant pourrait supporter d’avoir des parents comme nous ? Un monstre et une bête ! "

La femme se redressa soudainement et écarquilla les yeux, comme si elle se souvenait brutalement de sa présence. Agrippant ses deux mains fuselées au visage pâle et fragile de l’enfant, elle approcha sa figure de la sienne, scrutatrice, si près que ses propres sanglots retombaient goutte à goutte dans les yeux bleus et effrayés de sa victime.

" Ne m’en veux pas ! Ne m’en veux pas ! Pauvre enfant ! J’ai de la peine et de la pitié pour toi … J’aimerais te libérer, te laisser retrouver ta maman, te laisser jouer avec tes petits camarades, et grandir, et devenir quelqu’un … Comment t’expliquer que cela m’est impossible ? Bien sûr … Il n’y a aucune explication qui compte … Bien sûr … Pas pour nous les bêtes … Mais pourtant, malgré cet enfant … Suis-je vraiment une bête, ou m’en suis-je persuadée après toutes ces années passées à le côtoyer ? Oh je l’aime si fort ! Je l’aime au point d’avoir accepté les ténèbres pour lui … Jadis, il m’a donné ce choix à faire, et sans en comprendre les conséquences, j’ai choisi de le suivre … Et j’ai choisi de tuer. Pourquoi l’amour met-il les hommes en position d’avoir à faire de tels choix ? Pourquoi ? Je ne m’attends pas à ce que tu comprennes … Je sais que tu es innocent, et que tu ne mérites pas ça, mon pauvre garçon … Mais je n’ai pas le choix. Si jamais tu arrivais à survivre, et qu’un jour tu tombes très amoureux de quelqu’un, peut-être alors comprendras-tu mon geste. Peut-être pourras-tu lui expliquer … "

Le regard égaré et possédé, la femme murmura quelques paroles inaudibles, puis muettes, caressant violemment son ventre, comme si elle parlait à son enfant à naître.

" Je vais le tuer … Pendant que tu seras avec mon amour, pauvre petit, je le tuerai. Ca vaut mieux pour lui, il ne doit pas naître … Un enfant de bête ne doit pas naître … Oh je l’aime, mais je prendrai ces ciseaux, et je le tuerai dans mon ventre. Je me tuerai peut-être aussi. Viens. "

La lueur démentielle de son regard noir soudain éteinte, et sa voix ayant inexplicablement pris un ton mesuré et déterminé, elle souleva dans ses bras le frêle garçon et le porta d’un pas vif vers une pièce près des escaliers, dont la porte était fermée à clé et cadenassée. Remus crut naïvement que, quels que fussent ses projets, elle avait changé d’idée, et comptait l’enfermer là en attendant de décider de son sort. Il espéra même qu’elle appellerait ses parents pour qu’ils viennent le chercher, et qu’elle s’excuserait encore et encore pour l’avoir emmené et lui avoir fait si peur. Mais lorsque la chaîne fut retirée, et que la serrure fut débloquée, et que la femme fantomatique ouvrit en grand la lourde porte qui grinça sinistrement, il comprit que rien de tout cela n‘arriverait.

L’odeur tout d’abord. Une nauséeuse et putride odeur mélangée, de fauve, de sueur et de sang, de décomposition, de mort. Puis le râle. Le râle mêlé de lamentations et de plaintes poussives n’ayant rien d’humain, un râle souffreteux, une respiration haletante et rauque, comme si l’air était chargé de poignards invisibles déchirant les poumons à chaque inspiration. Puis l’enfant vit la silhouette.

L’homme était allongé sur un large fauteuil, comme désarticulé et démantibulé, les bras ballants et écartés, les jambes tombantes et cotonneuses. Sa poitrine donnée en subside à l’imperceptible se soulevait violemment chaque fois qu’il respirait, à la limite du spasmodique. Son corps, abandonné et offert aux regards invisibles de la pièce sombre, avait l’air dénué de la moindre force, et apparaissait comme une offrande. Au mieux, on aurait pu croire qu‘il s‘agissait là de la dépouille inerte d‘un crucifié tout juste arraché à sa potence.

La femme fantomatique porta de nouveau l’enfant paralysé, et le laissa debout au milieu de la pièce. Puis elle recula imperceptiblement. Sa respiration s’était saccadée, mais il ne savait si c’était par peur tout comme lui, ou sous l’effet d’autre chose. La pièce était un véritable capharnaüm, d’une laideur et d’une odeur plus que repoussantes : insupportables. Les volets étaient clos et de minces filets de lumière couraient ça et là sur le plancher ou sur les murs. L’homme continuait à râler, à grogner et à gémir, comme s’il n’avait pas remarqué leur présence. L’attention presque endormie par le noir duveté et réconfortant qui régnait dans l’endroit, Remus fut sur le point de se calmer et de retrouver une forme de sérénité proche de l’apathie, la peur se muant en incertitude, l’incertitude en aveuglement.

Puis il y eut le cri. L’homme avait dû finir par sentir leur présence, même s’il ne se manifesta pas immédiatement, même si son corps crucifié ne bougea pas. Il gémit, doucement, régulièrement, puis de plus en plus fort. Sa plainte se changea en long hurlement bestial, puis quelque part, surgie d’on ne sait où, une voix humaine cria dans l’énergie du désespoir « Nooooon ! ».

La femme fantomatique, qui était restée muette et calme jusque-là, éclata violemment en sanglots, se courbant en deux, se griffant le visage si fort que Remus crut qu’elle allait s’arracher sa peau et ses yeux.

" Non ! Hurla de nouveau l’homme crucifié. Nooooooon ! "

" Il le faut ! " Hachura la femme fantomatique, hystérique, sans cesser de griffer son visage honteux.

" Non … "

Le hurlement se brisa dans la gorge de l’homme et se transforma de nouveau en gémissement plaintif. Il se mit à hoqueter de larmes, secouant la tête, lourde et décharnée.

" Non … " murmura-t-il, entre deux larmes.

" Tu n’as pas le choix ! Cria la femme, cessant de se prendre le visage. Tu ne peux plus retourner en arrière ! "

" Je ne veux plus … Je préfère mourir ! "

" Tu ne vas pas mourir. Tu sais que ce n’est pas ce qui va arriver. Il faut que tu le fasses. "

" Je préfère que tu me tues … Je t’en prie, mon amour, tues-moi … Fais cesser tout ce mal … "

La femme fantomatique fit un pas pour revenir à la hauteur de Remus, posant sa main sur son épaule. Son visage était contorsionné et convulsé, mais ses yeux noirs étincelaient de douceur.

" Je n’ai pas ce courage … Tu le sais … " dit-elle dans un souffle.

" Fuis ... Emmène ce gamin, fais-le retrouver sa famille, fuis et laisse-moi mourir seul ici … Fuis ! Fuis, je te l’ordonne ! " Hurla-t-il.

" Je n’ai pas non plus ce courage … "

Avec la rapidité d’une féline, et sans prêter attention aux suppliques de l’homme qui continuait sans cesse de gémir « Non, non, non … », elle prit un couteau sur une table à sa portée, puis saisit sans hésitation l’avant-bras de Remus. D’un geste sec, elle lacéra sa peau blanche, traçant une coupure nette et rouge, recouvrant tout son bras. L’enfant voulut crier, mais la peur ne lui fit émettre qu’un couinement étouffé. Mais la femme ne se préoccupait pas de lui. Elle regardait en direction de l’homme affalé sur le fauteuil, plus haletante que jamais, les yeux pleins d’un espoir monstrueux.

" Voilà … Voilà … souffla-t-elle. Le sang … Tu sens son odeur ? Viens à lui … Sens cette fraîcheur … C’est du bon sang, pour toi … C’est ton repas … "

"Non ! Cria alors avec force Remus, perdant son inexplicable calme, brisant sa paralysie, comme s‘éveillant de son amorphie. Non non non je ne veux pas ! Non ! Non, au secours ! Non ne me mangez pas ! "

Il voulut courir pour s’enfuir, mais toujours incapable de bouger les bras et les jambes, il tomba à la renverse, et se tordit, rampa sur le sol avec acharnement, sans arriver à rien.

" Agite-toi petit, soupira la femme, pragmatique. Agite-toi et excite-le. Viens à lui, sens cette odeur et cette peur, viens à lui. "

L’homme, qui jusque alors tentait de toutes ses forces de résister à l’appel du sang, s’agrippant au fauteuil, fermant les yeux et secouant la tête dans tous les sens comme pour tenter d’échapper à l’odeur, se mit à rugir de fureur, rejetant sa tête en arrière, faisant trembler son corps agité comme s’il était parcouru par un électrochoc. Puis il hurla à la mort, il hurla, et se redressa, immense, son cou tendu vers le plafond. Terrifié par ce hurlement d’animal, l’enfant cessa de se débattre et regarda en direction de l’homme érigé devant lui.

Son visage était frappé par un des rares filets de lumière que laissaient filtrer les volets. Sa mâchoire n’était pas une mâchoire totalement humaine, elle était trop allongée et des crocs scintillants et tranchants en débordaient. Ses yeux n’étaient pas des yeux d’hommes, mais deux billes noires et brillantes, luisant dans l’obscurité. Il n’était pas tout à fait homme, il n’était pas tout à fait bête.

La femme fantomatique recula prudemment et rejoignit la porte, masquant ses larmes. Remus l’appela au secours d’une voix stridente, une dizaine de fois et si cela ralentit sa fuite, elle ne se retourna cependant pas. Elle hésita un instant, la main sur la poignée, puis, réprimant une triste lamentation, elle referma sèchement la porte derrière elle. Remus demeura seul avec l’homme-bête. Il s’avança lourdement et gauchement, empêtré par un corps ni humain ni bestial qu’il n’arrivait pas à maîtriser. Il s’arrêta très près de l’enfant allongé sur le sol, qui pleurait, pétrifié de terreur. Sans réussir à s’agenouiller, il se laissa tomber brutalement et hurla de nouveau à la mort. Son visage était inondé de larmes.

" Nous autres sommes pires que des bêtes … Nous sommes des créatures des ténèbres, commença-t-il d’une voix éraillée. Nous sommes maudits. Ce serait tellement plus simples si nous étions seulement des bêtes. Ce serait même plus simple si nous étions des monstres. Mais il nous faut supporter cet immonde cœur d’homme qui ne cesse jamais de battre en nous, même dans les moments où plus rien d’humain ne subsiste dans notre corps. J’ai été empoisonné, petit garçon. Avant je vivais avec, je m’enfermais et me protégeais quand il le fallait, et le reste du temps je vivais paisiblement avec. J’ai même rencontré une femme que j’ai aimée et épousée. Et puis il y a eu un incident. Il est illusoire de croire qu’on peut toujours vivre ainsi. Ca nous rattrape toujours. Il y a toujours des incidents. Lors d’une chasse, j’ai attaqué et tué la seule créature qu’il ne faut jamais attaquer et tuer. Je l’ai déchirée et déchiquetée, j’ai bu son sang, mangé sa viande. Et mon sang a été maudit. Depuis je vis dans la honte et la faiblesse, commettant des exactions les plus atroces les unes que les autres pour survivre … Je suis en pleine dégénérescence, je ne contrôle plus mes transformations, qui sont intempestives. La moitié du temps je n’arrive même pas à recouvrer une forme totalement humaine. Je suis maudit et j’ai besoin pour vivre encore de boire le sang d’une créature presque aussi pure que celle qui m’a empoisonnée. Mais ça ne change rien … J’essaie juste de me sentir plus humain en t’expliquant pourquoi. "

" Vous êtes le Dévoreur d’Enfants ? " comprit alors Remus.

Les larmes continuaient à submerger le visage décharné et grêle du loup-garou, couvert de griffures et de déchirures toutes plus béantes et laides les unes que les autres, mais il ne faisait rien pour les réprimer. Il répéta encore une fois qu’il était désolé, puis mordit l’enfant profondément dans son avant-bras, là où la femme l’avait coupé avec le couteau. Aussitôt après, au contact du sang de l‘enfant, l‘homme se transforma en loup-garou. Remus hurla de terreur, et lorsque les griffes et les crocs commencèrent à s’empaler sur son corps et chair tendre, il perdit connaissance.
Lorsque Remus se réveilla, il crut qu’il était mort. Il était aveuglé par la blancheur des murs et assourdi par le silence inquiétant de la pièce. Il n’avait pas pu survivre à l’attaque du Dévoreur d’Enfants. Il était forcément mort. Mais alors qu’il se faisait ces réflexions, les douleurs commencèrent à l’assaillirent, les unes après les autres. Il regarda ses bras et ses mains, couverts de griffures et de morsures, qui avaient été soignées et désinfectées, mais qui le lançaient violemment. Il se rendit compte alors qu’il était étendu sur un lit d’hôpital, à Sainte Mangouste. Il était vivant. Il était bien vivant. Et pourtant …
Son lit était protégé par un rideau blanc opaque, mais la lumière du jour le frappant, il distinguait trois silhouettes debout derrière le tissu. Un homme, supportant une femme courbée par la douleur, tous deux têtes baissées. Ses parents. Un médicomage, grand et gros, leur parlait avec calme, droit et immobile.

" Comment est-ce possible ? " Se désespérait Mr Lupin tandis que sa femme pleurait à chaudes larmes.

"Les Aurors le soupçonnaient depuis le début, les rares victimes dont les corps avaient été retrouvés montraient des traces de morsures et de griffures. Mais comme aucun des meurtres n’a eu lieu pendant la pleine lune, personne n’a pensé qu’il pouvait s’agir d’un loup-garou. "

" Mais qu’était-ce cette chose ? Cria Mrs Lupin entre ses larmes, hystérique. Qu’a-t-elle fait à notre enfant ? Je ne comprends pas, ce n’était pas la pleine lune hier … Je ne comprends pas ! "

" Oui expliquez-vous ! " Tonna douloureusement Mr Lupin, la colère naissant dans sa voix.

" Les Aurors n’ont pas fini d’interroger sa femme, mais pour les soins de votre fils, ils m’ont permis de lui parler. Je ne sais pas jusqu’à quel point cette histoire est avérée, et nous ne saurons sûrs de rien tant que l’enquête ne sera pas conclue. Il semblerait que March Vaughan soit un loup-garou depuis son adolescence, et qu’il ait toujours vécu normalement jusqu’à une nuit où sous forme de bête, il aurait tué et bu le sang d’une licorne. "

" C’est monstrueux … " répliqua Mr Lupin avec dégoût.

" Depuis cette nuit, son sang était maudit, et son corps en dégénérescence. Le seul moyen pour lui de rester humain et de ne pas se transformer en loup-garou de façon permanente, était de boire régulièrement du sang d’innocent. C’est ainsi que son épouse Marla a commencé à enlever des enfants, pour que son époux survive. "

" Quelle folie … Quelle folie … Quels monstres ! " Grondait Mr Lupin, la rage le rendant menaçant.

" Marla Vaughan était enceinte depuis un mois et le savait depuis quelques jours … Je crois que c’est ce qui a tout déclenché, elle a craqué. Elle s’est tailladé le ventre pour perdre son enfant mais n’ayant pas le courage d’aller jusqu’au bout de son geste, elle a choisi une solution alternative. Elle a pris une hache en lame d’argent et l’a plantée dans le dos de son époux, alors qu’il s’attaquait à votre fils. C’est ce qui l’a sauvé … Puis elle a envoyé un hibou à Sainte-Mangouste pour qu’on vienne soigner Remus, les Aurors sont arrivés et l’ont arrêtée. Vous savez tout. Oubliez le couple Vaughan, l’important est que votre fils est tiré d’affaire. "

" Vous appelez ça « tiré d’affaires » ? Gémit Mrs Lupin. Vous avez vu dans quel état il est ? Mon Remus est couvert de griffures et de morsures ! "

" Je sais que c’est très impressionnant, tenta de la rassurer le médicomage. Mais il n’est pas blessé grièvement. Les plaies se refermeront les unes après les autres, il gardera des cicatrices pendant quelques temps, et puis ce ne sera qu’un mauvais souvenir … "

" Que dites-vous ? S’emporta Mr Lupin. Mon fils a été mordu par un loup-garou et vous dites que ce n’est rien ? "

" Mr Lupin, je comprends vos angoisses, mais des tas de gens arrivent à vivre avec ça … "

" Comme les vampires arrivent à vivre dépouillés de leur âme, mais est-ce véritablement une vie ? "

" Votre enfant a toujours une âme, il est humain. "

" Mais il a un cœur de bête. Il va en devenir un n’est-ce pas ? Il n’y a aucune chance pour qu’il reste humain ? "

Le médicomage resta hésitant un long moment, nerveux, puis il finit par hocher la tête.

" Votre fils est un loup-garou. "

Remus resta paralysé de terreur. Il ne se manifesta pas, il ne cria pas, il ne pleura pas. Il apprenait la nouvelle en même temps que ses parents, indirectement, et sentait la peur ainsi que des instincts inédits et animaux remuer ses entrailles. Derrière le rideau blanc qui le protégeait de la vue de ses parents, il vit la silhouette fragile de sa mère s’effondrer, à demi-soutenue par son père qui n’en avait plus la force, et dont les épaules se secouèrent à leur tour de larmes. Remus comprit alors une chose terrifiante, bien plus terrifiante que de se savoir à moitié humain, à moitié loup. Il était bien vivant et pourtant, au spectacle pathétique de ses parents courbés par le deuil, l’enfant avait l’impression d’être mort.

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