With this post we are continue new section (with the tag that will allow you to easily find its posts), in which we will publish foreign-language materials devoted to [Translit]. On the one hand, a lot of such materials have started appearing, on the other hand, they haven't been systematized on the blog at all but have just come through here and there as a one-off aberration.
We have never limited ourselves to a Russian-language audience, striving not only to translate Russian and bring it into correspondence with other languages but also to serve as an apparatus for the transmission and re-coding of messages in foreign languages, in other words, a mechanism for the systematic defamiliarization of our own language in both the linguistic and poetic sense. The time has come to extend the metaphor of defamiliarizing translation ("translit") into the regular practice of publishing in foreign languages.
Here we will put poems and articles by the authors of [Translit] that have been translated and published in foreign languages (which will also allow us to study the infrastructure of foreign-language resources devoted to experimental literature), interviews from newspapers and journals of a wider profile, and also announcements and reports on [Translit] events that take place abroad. If you would like to limit your reading to the materials in this section, you can subscribe to the RSS-feed with the tag "switch the language.
Enregistrement audio de la présentation sur le site du Librairie du Globe (français - russe) Remarques introductives de
Alexei Grinbaum à la présentation de l'almanach Translit
Ce n’est pas la première fois, et l’exemple le plus connu date des années 1920, qu’il émerge dans la littérature russe un ensemble d’auteurs de gauche. Cette sensibilité politique se montre très ouvertement dans leurs textes et à travers leur militantisme. Il suffit de rappeler qu’un des slogans les plus en vue des manifestations politiques en 2011 a été inventé par Pavel Arsenyev, ici présent, qui d’ailleurs a été brièvement arrêté par la police pour avoir lu en public un poème d’un autre auteur de Translit, Édouard Loukoyanov. Ce slogan : « Vous ne nous représentez même pas », avec le double sens de « représenter », dit l’essentiel : une génération est entrée en scène, pour laquelle l’opposition soviétique/antisoviétique est réellement épuisée, et qui ose reprendre, pour la première fois depuis les années 1920, le flambeau d’un texte poétique imprégné de langage politique.
Mais cette politisation des textes n'a pour but ni la quête du pouvoir politique ni la compréhension de ces processus, comme c’est le cas en philosophie politique. La politisation des textes que nous lisons dans Translit a pour objet la langue et pour méthode l’écoute. Elle est orientée vers la littérature : vers la production littéraire. Derrière la couche superficielle, quoique très perceptible, de militantisme politique, émerge une autre réalité, purement littéraire, et par cela plus durable et infiniment plus importante pour la poésie russe. Il s’avère que l’aspect politique de ces textes n’est qu’une conséquence d’un phénomène si attendu et si radical : l’apparition d’une langue poétique nouvelle, non seulement celle des énoncés à visée publique et politique, mais également celle du poème lyrique et de l’élégie. C’est lorsqu’on découvre chez les auteurs de Translit la capacité d’écrire un poème d’amour de type complètement nouveau qu’on se rend compte qu’un glissement fondamental est en œuvre dans la littérature russe.
Pour m’expliquer, je me permettrai de citer deux fois Czeslaw Milosz. Dans les années 1930, ce grand poète polonais a été membre d’un cercle de jeunes gens de gauche, tout comme le sont les auteurs de Translit aujourd’hui. Voici sa première remarque, qui apparaît dans le livre Témoignages de la poésie :
- Пройдя через чистилище общественных доктрин, я слишком хорошо знаю их бесплодность, чтобы здесь к ним возвращаться, хотя мне случалось сталкиваться с их необычайно тонким - и забавным - применением, вроде спора в кругах польского авангарда двадцатых годов о том, какая рифма является социалистической. Не сомневаюсь, однако, что потомки будут нас читать, пытаясь понять, каким был двадцатый век, точно так же, как мы многое узнаем о девятнадцатом веке из стихов Рембо и прозы Флобера.
Comme on voit, derrière l’aspect politique des textes des auteurs polonais des années 1920, un témoignage de ce qu’était le XX siècle, de la même manière on lira le XXI siècle à travers les textes de Translit. Mais cela peut sembler exagéré. Pourquoi donc ces auteurs, pourquoi pas tant d’autres ? Je vais citer encore une fois Milosz :
- Здесь затрагивается проблема беспокойства, которое охватывало поэтов XX века при каждой встрече с «человеком улицы»: по отношению к нему они чувствовали себя рафинированными, замкнутыми в своей «культуре»… Когда в попытке завоевать расположение «человека улицы» они «нисходидили до его уровня», результаты оказывались неудачными, поскольку поэзия не терпит ничего искусственного.
La grande découverte des auteurs de Translit, c’est d’avoir trouvé, mais aussi avoir contribué à inventer, cette langue non artificielle des jeunes gens du XXI siècle. Comme disait Brodsky dans son immense poème Народ: «Припадаю к народу. Припадаю к великой реке, пью великую речь…» Les auteurs de Translit parviennent à boire exactement de la même source.
Et là il s’avère que la politisation de leurs textes n’est qu’une conséquence de cette nouvelle parole du peuple. Le « mangeur des céréales », comme Milosz appelle d’après Hésiode cet « homme de la rue », pense et parle politique. Donc, la parole qui sort de sa bouche est celle même que, dans Translit, on qualifie trop rapidement de langue politique de gauche.
Mais il faut aller encore plus loin. Car, pourquoi cette langue est-elle imprégnée de politique ? N’était-ce déjà le cas pour la dernière grande révolution langagière dans la poésie russe, celle des années 1950 et 1960 ?
Non, et quelque chose de fondamental s’est passé depuis : l’avènement de la technique. La langue des mangeurs de céréales est aujourd’hui formée à travers les média, et la technique derrière ces moyens de communication omniprésentes, qui seuls emplissent et contrôlent toutes les oreilles et toutes les bouches, cette technique joue ainsi un rôle magistral en poésie. C’est cela la nouvelle donne de la littérature, russe ou autre, dont l’étendue des conséquences va beaucoup plus loin qu’un moment passager de militantisme politique. Le lien entre la technique et la littérature comme entre l’eau et le sable d’une rivière, ce lien inexistant jusqu’à l’arrivée de la vague des auteurs de *kraft et de Translit, c’est ce qu’il y a de nouveau et d’intéressant dans leur poésie.
L’almanach Translit et la série *kraft en sont bien conscients. De façon tout à fait révolutionnaire pour la scène littéraire russe, le numéro 9 de Translit est intitulé : Вопрос о технике. Dans ce numéro, un philosophe du cercle de Translit, Mikhail Kurtov, écrit :
- Каждый этап социализации означает обретение машинами своего рода элемента самосознания и открытие нового измерения соединения человек-машина. Так, эстетическое измерение этого соединения впервые было открыто кинематографом, культурное рождение которого также было ознаменовано встречей машин… Прислушиваясь к шуму их языка, человек может надеяться получить доступ к языкам вещей… Задача состоит преждевсего в том, чтобы включить их в мир человеческих значений.
Il devient donc clair que le glissement opéré par Translit dans l’histoire de la littérature russe n’est lié à la politique que de façon secondaire. Plus profondément, il est lié à la nouvelle parole du peuple, et cette langue se forme dans l’interaction de l’homme avec la machine. Des langages de programmation et autres populations du monde informatique, et par là des technologies de la communication entre et avec le peuple, peuvent prétendre à façonner la poésie au même titre que les formes métriques ou les couches sémantiques déjà familières.
Je vais terminer par un poème d’Édouard Loukoyanov. À première vue, ce poème d’amour ne semble que paraphraser le cinquième chant du Cantique des cantiques, mais on se rend vite compte qu’il représente l’invention en poésie russe d’une élégie nouvelle. La parole d’amour y emploie des formes dont l’origine se trouve dans les instructions d’un compilateur, les langages de programmation et aussi dans cette informatique qui, à travers l’interaction de l’homme qui mange des céréales et de la machine qui mange des électrons, prend d’assaut et renouvelle la langue du peuple et de la poésie :
***
Возлюбленный мой такой и такой, лучше десяти тысяч таких:
голова его - чистое такое; кудри его - такие, такие, как тот;
глаза его - как те при тех, которые в том;
щеки его - то, то такое того; губы его - те, источают такую вот ту;
руки его - такие-то, с тем; живот его - как то из такое того, такое;
голени его - такие те, такие на таких тех; вид его подобен тому, такой, как то;
уста его - то, и весь он - такой.
из книги Эдуарда Лукоянова в серии *kraft
Paris le 10 janvier 2014
Фото: Пьер Леон