Titre : L’Émissaire (partie 10/15)
Auteur :
soleil_ambrienFandom : Neverwhere
Persos : Richard, le Marquis de Carabas, un ptit peu Porte ; des OCs pas sympas
Rating : PG
Warnings : La violence du rating arrive enfin xD Sang, donc, et mild violence.
Disclaimer : Tout appartient à Neil Gaiman.
Prompt : Richard apprend à vivre et non plus simplement survivre dans London Below... en s'inspirant plus qu'un peu de la technique du Marquis. (d'
azalee_calypso, pour
obscur_echange 2011)
Notes : J'ai du retard, beaucoup de retard, désolée ! En compensation, c'est long et y a des références de partout, parfois explicites, parfois non. ^^
Début
ici.
10. Shepherd’s Bush
« Qu’est-ce qu’il y a exactement, à Shepherd’s Bush ? s’enquit un Richard un peu inquiet.
-Un buisson, répondit laconiquement le Marquis.
-C’est juste un buisson, répéta-t-il, soulagé.
-‘Juste un buisson’… C’est pas un buisson sous la fenêtre de la cuisine, c’est le buisson de Shepherd’s Bush.
-Mais c’est un machin qui peut nous péter à la gueule, ou pas ?
-Non, c’est une porte.
-C’est juste une porte, redit Richard.
-Si tu répètes tout ce que je dis, on ne va pas y arriver.
-Désolé, s’excusa-t-il. Quoi, comme porte ?
-C’est une porte qui permet d’accéder au Royaume des Bergers.
-On dirait une citation de la Bible mal traduite, commenta le chevalier.
-Le pire, c’est que ça résume assez bien la situation, en effet, souligna le Marquis, d’un air sombre.
-Le pire ? Comment ça, le pire ? »
Cette fois-ci, Carabas ne répondit pas.
Ils progressèrent de front dans le tunnel et parvinrent en effet à un buisson d’épines, enflammé et rachitique. Le feu qui l’embrasait, d’une inhabituelle couleur bleutée, le consumait tout en le laissant intact. Richard ne put s’empêcher de penser au Buisson Ardent, dans l’histoire de Moïse. C’était intriguant.
« Donc c’est ça, le fameux buisson ? Comment est-ce qu’on entre au Roy… »
Le contact de la pointe d’une lance contre son dos le coupa net dans son élan. À côté de lui, son compagnon avait un javelot appuyé sur la gorge. Il grimaça, mécontent. La plaie était guérie depuis la veille, mais le point restait sensible. Ses yeux pivotèrent autour d’eux et il discerna leurs assaillants.
Les bergers étaient vêtus de peaux de bêtes, drapées autour du corps, une épaule dévoilée. Ils allaient pieds nus et s’étaient enroulé des bandelettes de tissu autour des mollets. On aurait dit des représentations de Jean le Baptiste dans le désert, en encore plus crasseux.
Leurs yeux étaient fixés sur eux, hargneux. Ils les emmenèrent, leurs lances toujours placées à des points stratégiques. Richard pensa brièvement à ces films où les explorateurs se font enlever par une tribu farouche.
Dans la catégorie ‘porte pratique’, on ne pouvait décemment pas citer le Buisson. Passer à travers ressemblait à une immersion dans du gaz lacrymogène : on avait les yeux larmoyants, la peau mise à vif et l’impression de s’embraser tout entier. L’expérience n’était pas recommandable - et ce n’était là que le début.
Malgré la traversée, leurs ravisseurs restaient silencieux, comme des mimes hostiles. Cet aspect les rendait étrangement effrayants, encore plus que s’ils avaient braillé des menaces, car on ne savait à quoi s’attendre.
Quelques bêlements se firent entendre, et en jetant un coup d’œil vers eux, Richard rencontra les bestioles les plus terrifiantes qu’il ait vues de toute sa vie - hormis la Bête, évidemment, mais cette dernière était hors-concours. Yeux rouges, laine emmêlée et surtout, dentition impressionnante ; on se serait cru dans ce vieux nanar aux moutons anthropophages, où un troupeau attaquait des gens, la folie dans le regard. Le troupeau, compact, mâchonnait quelque chose qui ressemblait à de la chair sanguinolente. Richard eut un haut-le-cœur, mais on le poussa, le Marquis et lui, et ils reprirent la route.
Tout près, il y avait aussi des chiens brun-roux, des molosses aussi sales que leurs gardiens mais presque complètement silencieux. Or Richard se souvenait avoir lu quelque part que c’était les canidés qui n’aboyaient pas qui s’avéraient les plus dangereux. Ainsi menacé et emmené, il regrettait vraiment de ne pas pouvoir dégainer le poignard que lui avait confié Chasseur.
Le groupe parvint aux abords de la Reine des Bergers, qui était très différente de ce que Porte leur avait dit de Victoria ou du souverain de la Cité Blanche. Vêtue comme ses sujets, elle était installée sur un amas de pierres et avait les cheveux emmêlés. Après qu’on les ait fait s’incliner devant elle, cette dernière leur adressa la parole d’une voix rocailleuse.
« Pourquoi arborez-vous un air sombre ? les admonesta-t-elle. Certainement, si vous agissez bien, vous vous relèverez. Si, en revanche, vous agissez mal, le péché est couché à la porte… »
On eût dit que chacune de ses phrases venait tout droit de la Bible - ce qui était d’ailleurs probablement le cas.
« D’où venez-vous ? Quelle est votre occupation ?
-Et vous ? demanda bêtement le chevalier, par réflexe.
-Nous, nous sommes bergers, tout comme l’étaient nos ancêtres. »
Par pure conscience professionnelle, malgré la panique qui l’envahissait, Richard entreprit quand même de parler du Consortium. Au terme de la conversation, il se rendit compte qu’il n’avait probablement pas tout bien compris à ce dans quoi il s’engageait, car il se retrouvait rendu à négocier - non seulement leur entrée, mais également leur propre vie.
« Que devons-nous vous donner ?, murmura Richard, paraphrasant sans le savoir la Genèse.
-Vous ne me donnerez rien si vous êtes d’accord avec ce que je vais vous proposer. Qu’il n’y ait donc pas de dispute entre mes bergers et vous, décida-t-elle.
-Ainsi soit-il », conclut le Marquis, pour faire davantage couleur locale - et aussi probablement un peu par sarcasme.
C’était déjà un progrès, s’ils consentaient à ne pas leur faire de mal, pensa Richard. Mais alors, la reine s’empara d’une arme, accrochée à sa ceinture, et tous deux reculèrent. C'était un couteau de pierre, à l’air tranchant comme l'acier - un vieil objet, d'aspect ancien ; cruel, pour tout dire.
« Ceci est ma chair », déclara-t-elle sentencieusement, en se coupant l’un de ses doigts à l’aide de ce poignard bien aiguisé. C’était l’auriculaire de la main gauche. Le couteau dont elle s’était servie aurait pu avoir été utilisé par Abraham, tant il paraissait ancien. Une réminiscence vint à Richard : cela lui rappelait le poignard de pierre dans Narnia, celui dont se servait la Sorcière Blanche, et que l’on revoyait ensuite. Et il y avait bien ce quelque chose de moral et de répugnant chez ces gens, le même sentiment que celui qu’il avait commencé à éprouver, plus vieux, en relisant C.S. Lewis. Le sang s’écoula dans une coupe de bois, vite rejoint par le moignon de chair. Richard eut de nouveau envie de vomir, mais se retint.
« Le sang de l’alliance nouvelle et éternelle », expliqua-t-elle en essuyant la lame dans un linge blanc, où on distinguait vaguement une tête de barbu.
Richard et Carabas échangèrent un regard gêné.
« Je crois que finalement, je préférais quand mon maître avait demandé une faveur en échange de l’entrée dans le Consortium, grommela ce dernier. Ce n’était vraiment rien du tout, en comparaison.
-Qu’est-ce qu’elle veut exactement ? lui demanda-t-il.
-Cela me semble pourtant évident. Non pas une livre de chair, mais un pouce de chair. Si tu me pardonnes ce mauvais jeu de mots shakespearien. »
La reine faisait déjà circuler la coupe et le couteau de sacrifice, en leur faisant signe d’accomplir les mêmes gestes qu’elle. Après une courte hésitation, Richard s’exécuta en serrant les dents. Pour se rassurer, il se dit que le Peuple des Egouts n’était pas si loin, et qu’ils pourraient toujours troquer des antiseptiques (probablement périmés, mais c’était le cadet de ses soucis) pour soigner leurs blessures. Malgré cette pensée, il ne put retenir un hurlement lorsque la lame de pierre entailla la chair et l’os, en séparant le petit doigt du reste de la main.
Alors qu’il bandait sommairement la plaie en se tordant de douleur, un berger passa l’arme au Marquis, qui eut beaucoup plus de mal à se décider. En effet, l’idée de susciter volontairement une hémorragie rencontrait en lui une vive résistance, qui tenait de l’instinct de survie. Il avait déjà perdu énormément de sang, il n’y avait pas si longtemps, et c’était dangereux d’ouvrir une nouvelle plaie à si peu d’intervalle. Pourtant, le rituel semblait nécessaire. Bref, il n’arrivait pas à se décider. C’était la première fois que Richard le surprenait à hésiter.
Le chevalier ne l’avait jamais vu dans un tel état. De grosses gouttes de sueur perlaient sur son front au teint devenu cendreux. Brusquement, Richard aussi comprit le problème : la plaie ouverte, l’hémorragie, la vie qu’il n’avait pas eu le temps de cacher à nouveau. La réticence du Marquis était tout à fait légitime - autant que faire se pouvait, de la part d’un homme qui avait perdu ses cinq litres de sang pas plus tard que la semaine dernière.
Mais la reine s’impatientait et les lances de bois les tenaient toujours en joue. Résolu, Richard prit l’arme que les doigts sombres tenaient toujours, et entama l’annulaire. Ce fut beaucoup plus difficile que la première fois, car il savait très exactement quelle serait la douleur infligée, mais il alla tout de même jusqu’au bout. La lame était très coupante, ce qui lui facilitait la tâche.
« Qu’est-ce que tu fais ? laissa échapper le Marquis, en état de choc devant ce sacrifice.
-Je verse mon sang pour vous, en rémission, expliqua-t-il à la fois pour lui et pour l’assistance.
-Arrête ! »
Mais c’était trop tard, il était déjà allé trop loin. Le deuxième doigt tomba dans la coupe de bois, lui aussi. Quand ce fut fini, Richard se détourna et vomit, violemment et profondément. Il se doutait bien que ce n’était pas conforme à l’étiquette, et bien des lances se tournèrent vers lui d’un air agressif, mais il n’en avait cure. La reine étendit sa main sale vers lui, comme pour le protéger, et les javelots s’abaissèrent.
« L’alliance nouvelle est donc scellée.»
Ensuite, le petit doigt de la reine repoussa tandis qu’elle signait le papier du Consortium, et il se sentit soudain très bête.
La souveraine l’informa tout de même qu’il avait trop donné de chair et de sang pour conclure ce contrat. Non contents d’être forcés de rallier son groupe, les bergers lui étaient donc redevables. Mais personne ne fit le moindre geste pour le soigner.
Il dénoua donc le tissu vert qu’il avait mis dans sa poche - inutile de salir le mouchoir de Porte, qui n’aurait de toute manière pas suffi à endiguer l’hémorragie - et le plaça autour des deux phalanges restantes. Le foulard devint immédiatement écarlate. Une fois ces préparatifs achevés, il tint à préciser un dernier détail.
« Je veux un laissez-passer », haleta-t-il, la main toujours aussi douloureuse.
C’était l’élément le plus capital. Enfin, en plus de leur ralliement à leur cause.
La reine détacha de son propre cou un crucifix de bois, où était fixé un petit Christ de bronze, représenté lors de l’apogée de sa Passion. S’il n’était pas sur le point de tomber dans les pommes, Richard aurait probablement apprécié qu’il s’agisse là d’un objet unique, directement lié à un souverain de l’En Bas, et par là même, précieux.
Ce ne fut qu’une fois le pendentif empoché qu’ils purent enfin quitter le Royaume des Bergers tant redouté, et tout cela, sains et saufs. Enfin, presque. L’un d’eux avait désormais deux doigts de moins et voyait des points noirs tourbillonner devant ses yeux, mais ce n’était qu’un détail face à l’énormité du chemin accompli.
Ils progressèrent dans les couloirs le plus rapidement possible. D’un commun accord, ils s’aventurèrent vaguement du côté du Peuple des Egouts, qui ramassait tant de choses qu’ils possédaient probablement des médicaments - et qui constituait aussi le fief allié le plus proche. Leurs pas résonnaient dans le souterrain, répercutés par l’écho.
« Tu t’es comporté de façon stupide, remarqua Carabas, en citant toujours le Livre Saint. Courageuse, certes, mais stupide. »
Soudain, Richard sentit un fou rire incontrôlable monter en lui. Il fit de son mieux pour le réprimer, parce que le Marquis, lui, semblait éprouver un mélange d’admiration, d’inquiétude et d’amusement.
« Récapitulons, dit-il en pouffant de temps en temps. Je t’ai sauvé d’une bande de bergers crasseux qui en voulaient à ta chair et à ton sang, j’ai réussi à les convaincre de rejoindre le Consortium et j’ai survécu à la perte de deux doigts. J’ai tout bon ?
-Oui, reprit Carabas, respectueux malgré lui. Ça efface la dette que tu as contractée à Broad Street., clairement. Tu sais, avec la fontaine à choléra. Mais…
-Ah, et pour la croix… »
Il déposa dans la main sombre le crucifix qu’il avait obtenu.
« Ça, ça la rembourse, non ? »
-Un laissez-passer pour les bergers de Shepherd’s Bush contre une amulette de la cour du Baron. Attends voir… »
Le Marquis réfléchit un moment.
« Merde ! » finit-il par dire tout haut, en donnant un coup de pied dans le vide. Un caillou s’en alla valdinguer dans le canal avec un petit ‘ploc’. Ce devait être la première fois que Richard l’entendait jurer ainsi. Surtout avec cette expression sur le visage, celle qui signifiait ‘je me suis fait avoir’ ; celle que Richard, lui, affichait à tour de bras depuis qu’il côtoyait le Londres d’En Bas.
« Quoi ? demanda-t-il, amusé.
-Ça te rembourse, mais en plus, sa valeur est supérieure à celle du pendentif que je t’ai confié. C’est un laissez-passer. La mienne est au mieux une protection. Si le Baron est vraiment de mauvaise humeur, peu importe que tu portes une kat’ chimen. Alors qu’avec la croix de la Reine des Bergers, tu es intouchable. Intouchable à Shepherd’s Bush ! Tu te rends compte ? »
Non, il ne se rendait pas bien compte. Par contre, le Marquis enragea tandis que lui se gaussait sans pitié, en lui volant un peu de cette assurance du plus malin.
« Je n’y crois pas. Je te dois une faveur », maugréa-t-il d’un ton abasourdi.
Cette fois, Richard éclata franchement de rire. La situation s’avérait bien trop absurde. Carabas hésita, puis finit par le rejoindre dans cette hystérie communicative.
« Je dois une faveur au prince des amateurs. »
En temps normal, une telle épithète l’aurait vexé. Là, il était si satisfait de son triomphe qu’il ne la releva même pas. Au contraire, il renchérit :
« Prince des amateurs et bien-aimé hôte des bergers ?
-Comme toujours, tu résumes à outrance, mais oui, c’est l’idée.
-Comme quoi, ça valait le coup de se faire couper deux doigts, plaisanta-t-il. Aïe ! »
Il s’effondra de douleur, à cause de sa main mutilée. Carabas sauta sur l’occasion pour immédiatement rembourser sa dette.
« Je peux te montrer où te soigner, offrit-il.
-Pas la peine, éluda Richard. J’irai aux sources de Streatham. C’est bien là que tu t’es soigné, non, avant que le Baron ne t’aide ?
-C’est très loin, et c’est disproportionné par rapport à ta plaie. »
Le blessé serra les dents, mécontent.
« Sans vouloir t’offenser, ajouta Carabas dans un mélange de respect et de malice.
Lui, il avait connu bien pire. D’un autre côté, Richard s’était précisément sacrifié parce qu’il était au courant de cela, et ce point le rendait admirable.
« Bon. Où veux-tu m’emmener, histoire de ne rien me devoir du tout ?, grommela Richard.
-Allons à Farringdon, pour guérir ta blessure, fit le Marquis.
-Quoi ? Mais je suis capable de retourner tout seul à la fontaine que tu m’as montrée, merci bien !
-Ce n’est pas la même. La fontaine de West Smithfield n’a aucune capacité curative. Le puits des Clercs, en revanche, prodigue une eau douce, claire et excellente pour la santé…
-On dirait une publicité d’eau minérale », se moqua-t-il en se tenant la main.
Ce qui ne l’empêcha pas de l’accompagner.
Le Marquis avait raison. Clercwell le soigna de sa blessure, qui se renferma instantanément lorsqu’il trempa ses doigts dans l’eau sacrée : les doigts qui avaient été coupés repoussèrent, littéralement. Un petit miracle, en quelque sorte. Richard s’étonna à peine - il se doutait d’un truc dans le genre.
«Donc maintenant, tu ne me dois plus rien, c’est ça ?
-Hélas non, rectifia Carabas. Les Bergers sont si dangereux qu’il en faudra beaucoup, afin que je répare ma dette envers toi. »
Ils se plongèrent tous deux dans un abîme de réflexion, face au danger auquel ils avaient échappé.
« Ça aurait pu être pire, remarqua enfin le Marquis. Ils auraient pu nous égorger dès qu’ils nous ont vus.
- Oui, et ça aurait pu être mieux, aussi», répliqua faiblement Richard.
Certes, sa blessure n’existait plus, mais le traumatisme restait présent.
Lorsqu’ils revinrent à la Maison de l’Arche et que Porte leur ouvrit, elle s’en voulut de les avoir envoyés là-bas.
« J’aurais dû savoir que c’était une mauvaise idée, murmura-t-elle d’un ton d’excuse. Pardonnez-moi.
-Oh, on a juste failli se faire tuer, hein, rien de bien grave », ironisa Richard. Il avait appris à manier le sarcasme, lui aussi, et n’en était pas peu fier. Il commençait enfin à s’adapter.
Mais Porte leva vers lui des yeux coupables, et il s’en voulut un peu de lui parler ainsi.
Après tout, il n’était pas le Marquis, lui.
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part. 2)
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