Originale : Trois fois sans frais [L'Art de la quête]

Oct 19, 2011 15:35

Trois fois sans frais
Univers : L’Art de la quête
Genre : Donjons et Dragons Discount
Censure : k+/pg-13
4e de couv : Une quête, ça coûte cher.
Date : mai 2010

Note : Écrit pour shinia_marina, à l’occasion de creerpouraider 2010 (c’est le dernier, je vous le promets)


Le prince Enguerrand était complètement fauché. Tout le monde savait plus ou moins que le roi Albéric lui avait coupé les vivres après qu’il avait pour la troisième fois manqué ruiner le royaume en voulant impressionner sa dulcinée de la semaine, mais personne ne savait mieux que Pol à quel point le prince était sur la paille.
Le budget qu’il allouait aux quêtes avait fondu comme neige au soleil… le rythme des quêtes, non.
« Oh, vous êtes mes meilleurs quêteurs, lui avait dit Enguerrand d’un ton léger lorsque Pol lui avait fait part de ses réticences. J’ai une parfaite confiance en vous, vous saurez vous débrouiller et me faire honneur et tout ça. »
Pol était un saint. Un ange de patience et de mansuétude.
Je ne le changerai pas en grenouille je ne le changerai pas en grenouille je ne le changerai pas en grenouille je ne…
En ces circonstances, si Pol se servait des quêtes de base du prince (qui depuis quelques temps étaient passées de : « trouvez-moi une fille » à « trouvez-moi des trésors ») pour récupérer quelques objets magiques au passage (ou au détour), ce n’était que justice.
Tout ceci ne résolvait pas le problème du financement. En général, lorsque cela devenait nécessaire, Pol ne voyait pas d’inconvénient à payer en nature pourvu que l’autre en face ne soit pas trop répugnant. Le problème, c’était que cela arrivait de plus en plus souvent et le cacher à Shamyel devenait difficile.
Comme tous les paladins, Shamyel était tellement aveuglé par la Grâce qu’il ne voyait les choses qu’à travers Elle. Ce qui pouvait se résumer par : Tout Est Bien Dans Le Meilleur Des Monde Et On Est Là Pour S’Assurer Que Ça Le Reste.
Quelques années plus tôt, Pol avait affronté un paladin déchu, auquel un inconscient ou un être particulièrement cruel avait arraché le voile de Grâce. Pol ne connaissait pas son histoire, mais un paladin déchu avait toujours eu le cœur brisé, ce qui était le seul moyen de le détacher un instant de la Grâce protectrice.
C’était plus facile à faire qu’on ne l’imaginait.
Pol ne voulait jamais, mais alors jamais voir Shamyel perdre la Grâce, se changer en cette ombre mauvaise, amère et folle, capable de détruire le monde pour surmonter sa douleur. Il savait qu’il avait le pouvoir de briser le cœur de Shamyel, et c’était bien le seul dont il ne voulait pas. Mais il l’avait, alors maintenant il devait faire attention.
Pol détestait l’idée qu’il devait respecter la Grâce pour y arriver, mais il n’avait pas le choix. Et respecter la Grâce c’était respecter les idées farfelues de ses paladins à propos de l’Amour et des sentiments et tout ça. Donc ne pas laisser Shamyel découvrir que le corps de Pol finançait beaucoup de leurs quêtes.
Au bout du compte, ce qui devait arriver arriva : Pol se retrouva à refuser les conditions d’un guide (non, parce qu’il y avait une différence entre « fantasmes bizarres » et « perversité pure », et à un moment il fallait savoir s’arrêter) et ce dernier le prit mal.
Pol le menaça un peu de son bâton de sorcier. Le type parut se calmer et Pol partit en quête d’un autre guide. Peut-être même qu’il dépenserait quelques sous pour celui-ci.
Mais alors même qu’il rejoignait Shamyel dans l’auberge, le guide (qui devait avoir des tendances suicidaires) surgit soudain et s’exclama d’un ton mauvais :
« Alors comme ça je suis pas assez bien pour toi ? Tarif trop haut ? Pourtant t’as couché avec Piedro ! »
L’aubergiste se figea derrière son bar et prit l’air dégagé.
« Et on peut pas dire que ce soit un étalon, qu’est-ce que tu lui as offert pour la chambre, hein, sorcier ?
- Pol ? De quoi il parle ? » demanda Shamyel d’un ton étrange.
Pol aurait muselé le guide sur place, mais ce dernier, décidément privé de tout instinct de survie, voulut se saisir du poignet de Pol et avant même qu’il ait fini son geste, Shamyel avait appuyé la lame de son épée contre sa gorge.
Pol changea immédiatement le guide en lézard, un peu pour lui sauver la vie, beaucoup pour maintenir l’intégrité de Shamyel. Il s’empara du bras de ce dernier et le tira vers la sortie.
« Viens par là, abruti. »
Une fois dehors, il se tourna vers Shamyel qui avait l’air d’un chiot auquel on vient de filer un coup de pied.
« Shamyel…
- C’est vrai, ce qu’il a dit ? »
Pol avait très peu de scrupules à lui mentir. Malheureusement, Shamyel n’était pas un imbécile.
« Enguerrand n’a plus de sous, déclara Pol. Ce qui veut dire que nous non plus. »
Expression horrifiée.
« Et c’est pour ça que tu, que tu as dû… ?
- Oui… » Pas la peine qu’il sache qu’il lui arrivait parfois de le faire déjà avant. « … mais ne te mets pas dans tous tes états, ce n’est pas dramatique, d’accord ? Et puis ça me permet de travailler ma magie charnelle. »
Shamyel le fixa du regard, pas tout à fait stable, pas tout à fait convaincu, pas du tout, du tout content.
« Le prince le sait ? demanda-t-il d’une drôle de voix.
- Bien sûr que non », répondit Pol qui ne voulait pas savoir qui de son prince ou de son meilleur ami Shamyel choisirait de défendre l’honneur.
Il soupçonnait que c’était le sien et de toute façon, c’était mauvais pour la Grâce, ce genre de choix dramatique. Et il ne mentait pas : Enguerrand n’en savait rien, n’y avait probablement pas réfléchi, et serait sûrement très embêté de l’apprendre. Pol gardait cette information sous le coude, au cas où il aurait une grande faveur à lui demander.
« C’est fini, maintenant, tu ne recommence plus », ordonna Shamyel.
Dans sa voix, la puissance de la Grâce. Le mode « Paladin Va Remettre Le Monde Comme Il Doit Être », ce qui était très bien.
« Je te le promets », jura Pol en dessinant une croix de rupture de serment sur son bâton.
Il poussa un petit cri lorsque quelque chose l’électrocuta ; le symbole de la croix sembla surgir de son bâton, vola jusqu’à la paume de Shamyel qui l’écrasa dans son poing fermé.
« Hum, fit Pol.
- Jure-le-moi.
- Juré », grommela Pol.
Shamyel sourit largement.
« Bon, dit-il d’un ton joyeux. On peut repartir, maintenant !
- Il ne nous reste presque plus un rond ! »
Shamyel haussa les épaules, pas inquiet pour deux sous.
« La Grâce pourvoira à nos besoins ! »
Pol ferma les yeux de désespoir.
Ils n’avaient pas fini.

(fin)

(1116 mots)

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