Genius Of Love
Ce matin-là, quand Gethin ouvrit les yeux, il ne vit rien. Il n’entendit rien non plus si ce n’est une respiration légère et régulière à ses côtés. Le jeune gallois n’avait pas besoin d’allumer la moindre lumière, il connaissait la plus petite aspérité du corps de l’homme qui dormait paisiblement à ses côtés. Se tournant légèrement vers lui, il n’eût qu’à tendre la main de quelques centimètres, pour sentir sur sa paume, la peau un peu rappeuse de la joue de son amant. Il se rapprocha encore un peu plus pour sentir son souffle chaud contre ses lèvres. Il resta dans cette position durant de longues minutes, profitant un maximum du sentiment de quiétude absolue que lui offrait cette matinée. Se relevant sur un de ses coudes, Gethin embrassa légèrement la tempe de Jonathan et s’extirpa du lit en douceur.
La lumière dans la cuisine était éclatante, contrastant avec l’obscurité qui régnait dans la chambre à coucher. Gethin, vêtu de son pyjama bleu, s’affairait devant ses fourneaux. Les toasts dans le grille-pain, les tranches de lard dans une poêle, le jeune homme s’appliquait à concocter le petit-déjeuner quand il sentit les lèvres de Jonathan se poser sur sa nuque en un baiser aérien.
« Bonjour.
-Bonjour. Je t’ai réveillé en me levant ?
-J’étais déjà réveillé depuis un bon moment. Bien dormi ?
-Oui, super. »
Jonathan alla s’asseoir d’un pas nonchalant à la petite table de la cuisine, en sortant au passage, deux assiettes et des couverts dans un petit meuble en bois repeint par ses soins. Les yeux encore remplis de sommeil, il regarda un long moment durant son amant s’affairer avant que ce dernier ne pose tout sur la table et vienne le rejoindre.
« C’était sympa la soirée d’hier soir. » Dit Jonathan en servant les œufs au plat.
« Oui, il y avait beaucoup de monde. » Répondit Gethin tout en se relevant pour aller chercher la théière.
« Ouais… J’ai mal aux jambes, j’ai trop dansé. »
Le silence retomba de nouveau. Un silence agréable, laissant aux deux hommes l’espace suffisant pour se réveiller en douceur, profitant de ce moment de calme intense avant la tempête de la journée. Dehors, le soleil tapait déjà fort sur le bitume londonien, la ville se réveillait au rythme des premiers travailleurs. Un matin comme tous les autres où Gethin et Jonathan se plaisaient à cultiver une sérénité à toute épreuve.
« T’as pas l’air bien. »
La réflexion de Jonathan sortit Gethin de ses pensées. Ne voyant pas comment il pouvait en venir à cette conclusion, il leva vers l’homme un œil interrogateur.
« Tu te brûles la langue à vouloir boire ton thé trop vite alors que d’habitude tu aimes le laisser un long moment dans la tasse pour qu’il refroidisse. Tu n’as pas touché aux toasts alors que tu adores ça et tu regardes dans le vide alors que d’habitude tu me regarde, moi… »
Surpris de constater à quel point Jonathan connaissait la moindre de ses petites habitudes, il reposa la tasse de thé qui effectivement lui brûlait la langue mais aussi les doigts et poussa un long soupir en se passant une main sur son visage encore endormi.
« C’est l’anniversaire de ma mère aujourd’hui.
-Elle a quel âge ?
-56 ans.
-Tu ne me parle jamais de tes parents...
-Il n’y a pas grand-chose à dire en fait.
-On a toujours un tas de choses à dire à propos de sa famille. »
Un sourire triste naquit sur les lèvres de Gethin.
« Je sais que… Que ce sont eux qui m’ont forcé à partir et que… Qu’ils ne m’acceptent pas tel que je suis mais… Mais ils me manquent quand même. »
Jonathan sourit et posa sa main sur celle de son amant.
« C’est normal j’imagine… Tu ne veux pas les appeler ?
-Je ne me sens pas prêt. Je ne serai pas le bienvenu là-bas… »
Jonathan attrapa sa main et posa ses lèvres dessus.
« Quel pays de fou peut ne pas vouloir d’un homme comme toi… » Soupira-t-il.
Gethin leva ses yeux larmoyants vers Jonathan et le remercia du regard d’être là avec lui dans ses moments de doutes.
2 ans que Jonathan et lui étaient ensemble. Le jeune gallois osait à peine y penser tellement cette histoire lui semblait trop belle pour être vraie. Lors de leur première rencontre, Gethin n’aurait jamais pensé qu’une quelconque histoire d’amour aurait pu être possible entre eux deux. Et puis voilà, malgré tout, malgré leurs différences, en ce matin du printemps 79, ils mangeaient ensemble à la même table, les yeux dans les yeux.
Une fois le petit-déjeuner terminé, Gethin laissa Jonathan débarrasser seul la table. Ce dernier n’avait aucun impératif avant l’après-midi. Gethin, lui, devait ouvrir la librairie à 9h. Il se doucha puis s’habilla. Une fois totalement prêt il sortit dans la rue. A peine eût-il franchit le pas de leur porte que de grosses lettres noires lui tapèrent dans l’œil. Inscrit en gros sur la vitrine à la bombe noire « Fucking Pederasty ».
Gethin baissa la tête et serra le poing, incapable de faire le moindre geste.
Le jeune gallois adorait cette boutique, il aimait le métier qu’il exerçait. Au-delà d’être une simple librairie, « Gay’s the Word » devenait au fil du temps un véritable repère pour tous les jeunes gens qui se découvraient homosexuels. La librairie représentait le symbole d’une société en mouvement, le symbole de toute une communauté qui, au fil des batailles, devenait de plus en plus puissante et soudée. Mais tout cela ne se faisait pas sans dégâts collatéraux. Aujourd’hui, Gethin ne se sentait pas la force de se battre contre l’ignorance et la haine des gens.
Jonathan, qui n’avait rien raté de la scène, avait aussitôt attrapé un seau d’eau savonneuse et deux éponges. Il tendit le seau à Gethin qui n’avait toujours pas bougé.
« Courage camarade ! Au boulot ! » S’exclama-t-il en commençant à gratter la vitrine. Voyant le regard désespéré de Gethin, il lui mit un peu de mousse sur le nez et lui fit un petit baiser sur la joue.
« Ne pleure pas Geth… On pleurera quand on aura une bonne raison de pleurer… »
Gethin sourit timidement, convaincu qu’à ce rythme-là, avec cet homme à ses côtés, il n’aurait jamais aucune raison valable de verser la moindre larme…
Il était à présent 20h. Gethin avait eu une journée bien remplie et il n’avait pas été malheureux, une heure auparavant, de pouvoir enlever ses chaussure et ne plus rien faire de toute la soirée. Il s’était changé, avait fait un brin de rangement dans le salon puis s’était enfoui dans le canapé, sous une épaisse couverture, un livre de Klaus Mann dans les mains.
Il aimait les moments comme celui-ci, surtout après la journée qu’il venait de passer. Ces moments où on sent que rien ne peut plus nous arriver, ces moments où l’on souffle et où l’on réalise la chance de vivre la simple vie que nous vivons. Oui, Gethin n’avait pas le moral aujourd’hui. Cette date, l’anniversaire de sa propre mère, lui rappelait à quel point il était loin de chez lui, de son pays de Galles. Sa famille lui manquait terriblement et de plus en plus. Certains jours, la douleur en devenait même physique. Il se sentait seul à Londres. Bien sûr il avait Jonathan, cet appartement et cette librairie. Il s’y sentait bien mais malgré tout cela, il ne pouvait le nier ; Il n’était pas londonien. L’accent gallois, les chants, les gens, les rires de sa sœur, les histoires de sa grand-mère, les cawls de sa mère… Tout, absolument tout lui manquait ici. Il essuya une larme et se replongea dans sa lecture.
Sur les coups de 22h, Gethin entendit la porte s’ouvrir et se refermer avec fracas, il leva les yeux de son livre et aperçut Jonathan entrer dans la petite pièce. Cette vision lui redonna immédiatement une bouffée de bonne humeur. Voir cet homme lui rappela aussitôt pourquoi il était toujours à Londres, pourquoi, au fond, il se sentait bien ici. A Londres, Gethin avait Jonathan et rien que pour ça, il pourrait vivre encore des années et des années sans remettre les pieds chez ses parents.
« Pizza time ! » S’écria Jonathan en posant une boite en carton sur la table basse près du canapé. « J’ai super faim, pas toi ? » Demanda-t-il à Gethin en s’asseyant à ses côtés.
« Si… » Répondit ce dernier en posant son livre et en se redressant. « Bonne journée ?
-Ouais. On a fait une bonne représentation. Et toi ? J’ai vu que tu as réussis à tout nettoyer.
-Oui, Mark est venu me filer un coup de main dans l’après-midi.
-Il est sympa ce Mark…
-Ouais. »
En prenant la première part de pizza, Gethin jeta un coup d’œil en direction de Jonathan. Oui, vraiment, il pouvait se sentir chez lui à Londres. Il pouvait se sentir chez lui partout ailleurs d’ailleurs, à condition qu’il ait Jonathan à ses côtés.
Un peu plus tard dans la soirée, Gethin était en train de nettoyer les reliefs de nourriture sur la table basse tandis que Jonathan était occupé dans la salle de bain. Une fois que le gallois eut finit, il se rasseya dans le canapé. Tout seul, son esprit se reperdit encore une fois dans de sombres pensées. Non, décidemment ce soir, Gethin n’avait pas envie de se retrouver seul une minute de plus. Il se releva et se dirigea vers la salle de bain. A l’intérieur, Jonathan était en train de se laver les dents, face au lavabo, le corps et les cheveux encore tout mouillés de la douche, une simple serviette nouée sur ses hanches. Gethin arrive derrière lui et l’encercla de ses bras tout en lui embrassant la nuque puis les épaules. Jonathan sourit de contentement et sans cesser de se brosser les dents, il attrapa une des mains de son amant et la posa sur son ventre. Ce dernier en profita pour caresser cette peau douce qui lui était offerte et joua un petit moment avec son nombril.
« Jon…
-Mmh ?
-Ca fait combien de temps que tu n’es pas rentré chez toi ? »
Surpris de cette question à laquelle il ne s’attendait absolument pas, Jonathan cracha dans l’évier et se rinça la bouche avant de répondre, prenant tout son temps.
« Je… Je ne sais pas… Une semaine ? Plus peut-être… Pourquoi ? » Répondit-il, inquiet de comprendre la raison de cette question si soudaine. Il chercha Gethin du regard à travers le miroir mais celui-ci ne le regardait pas, trop occupé à observer la peau de son dos qu’il ne cessait d’embrasser et de mordiller.
« C’est juste que… Je me disais que peut-être tu pourrais emmener toutes tes affaires ici…
-Tu veux dire que je pourrais emménager ici ? » Reformula Jonathan et haussant les sourcils.
« Ou… Oui j’ai pensé à ça mais bon… Je pourrais comprendre si tu veux pas hein ! C’est juste une idée en l’air, comme ça. »
Jonathan se retourna aussitôt, surprenant Gethin. Il prit son visage entre ses deux mains et l’embrassa sur la bouche puis il posa son front contre le sien.
« Bien sûr que je le veux Geth… »
Le jeune gallois sourit et l’embrassa à son tour, avec tout son cœur. Il l’attira à lui comme pour se fondre dans lui, comme pour caresser le moindre centimètre carré de son corps. Gethin n’avait jamais été doué pour exprimer ses émotions, alors bien souvent, il se servait de son corps.
Jonathan ralentit le rythme et se recula un peu. Il embrassa les lèvres, la joue puis le cou et les omoplates de son homme.
« Lève les bras. »
Gethin s’exécuta et Jonathan lui ôta son tee shirt. Sans hâte, avec douceur. Le jeune gallois, anticipant le reste, déboucla sa ceinture et enleva son pantalon. Une fois nu, il se rapprocha de son amant, il défie le nœud de sa serviette et l’embrassa. Jonathan se sentit fondre sous l’effet des lèvres de Gethin, alors avant de succomber à la tentation, avant que le désir et le plaisir ne les enflamment totalement tous les deux, il l’entraîna vers sa chambre, leur chambre à présent.
Une petite heure plus tard, allongé, nu contre Jonathan, Gethin se dit que, oui, finalement, c’était ici chez lui et que pour rien au monde il ne changerait quoique ce soit à l’instant présent.