Shinju

Sep 17, 2012 16:56






« Je déteste ça, je déteste ça, je déteste ça ! »

Me voilà arrivé à l’aéroport de Singapour. Après avoir attendu une demi-heure que la sécurité soit prête, je me retrouve au milieux de toutes ces fans en furies, semblant défaillir à chacun de mes regards tombés au hasard sur elles. Je ne sais plus où regarder alors pour me donner bonne contenance, je sors mon plus beau sourire made in Johnny’s et je fais des gestes de la main à faire pâlir de jalousie Miss Japon 2013. Je dois avoir l’air fin avec huit gardes du corps à mes côtés. En même temps, je ne peux pas m’en plaindre, c’est moi qui ai demandé à en avoir minimum huit. A la base, l’agence en avait mis quatre à ma disposition. Mais le souvenir d’une fan me sautant dessus pour me piquer une mèche de mes cheveux lorsque je n’avais encore que quinze ans reste vif dans ma mémoire et je ne tiens pas à ce que ça recommence. D’autant plus qu’ici ce sont des fans étrangères qui ne connaissent, sans doutes, rien aux règles entourant les johnny’s.
Je me sens pas bien. Je ne me suis jamais senti bien en compagnie de fans. C’est plus fort que moi, elles me sortent par les yeux. Leurs larmes, leurs cris hystériques… Ça m’impressionne trop, ça me fait peur. Aiba et Matsujun disent que eux, ça les flatte. Moi je ne vois pas en quoi je pourrais me sentir flatter face à ces réactions exagérées à la limite de l’inhumanité. Je crois que je ne m’y habituerai jamais même si avec le temps, j’arrive de mieux en mieux à sauver les apparences. Je surprends une jeune fille qui ne doit pas avoir plus de quatorze ans me filmer avec son iPhone strassé. Voyant que je la regarde, elle chavire et fait tomber son portable. Si je n’étais pas épié de la sorte j’en sourirais.
Elles m’agacent vraiment à se mettre plus bas que terre face à moi. Qu’elles soient contentes durant un concert ou quand on performe, ok, je peux le comprendre. Je suis moi-même totalement fana du groupe Kick the can crew et à chaque fois que je vais à un de leurs concerts j’en ai des étoiles dans les yeux. Mais là, bon sang ! Je me contente de marcher d’un pas vif dans cet aéroport surpeuplé en montrant les dents et ça suffit à les faire tomber dans les pommes. Je ne supporte pas ça. En se prosternant à mes pieds de la sorte, elles ne se rendent pas compte qu’elles me mettent à une place que je ne suis absolument pas capable d’assumer. A Tokyo, les fans qu’il m’arrive de rencontrer dans la rue ont, le plus souvent, la décence de se tenir. Et si par malheur elles s’emballent, je peux tout à fait répliquer en ne risquant que la naissance d’une minable petite rumeur qui mourra dans l’œuf.
Là, c’est de l’hystérie pure et dure. J’en arrive même à haïr l’agence d’avoir officialisé mon arrivée à Singapour…

Je presse le pas et au moment où je commence réellement à manquer d’air, j’aperçois le bout de la ligne droite. Une limousine noire rutilante m’attend pour me délivrer de cette étuve à hormones.
Je m’engouffre dans la voiture après un dernier salut et le chauffeur met les gaz. Entouré de trois gorilles, je presse fort sur mes paupières, tentant de calmer le peu de nerfs qu’il me reste. Tsukamoto-san, mon agent commence à me détailler l’emploi-du-temps de la fin de cette journée ainsi que celle de demain. Elle ne semble pas comprendre que là, tout de suite, maintenant, j’ai juste besoin de respirer.

J’ai l’impression que cette fin d’après-midi s’écoule au ralentit. Serrer des mains, sourire à des inconnus et faire sans cesse la promotion de ce film, qui sera de toute façon un succès au box-office grâce à mes jolies fesses et aux beaux yeux de Kitagawa-san (ou est-ce le contraire ?). Ce n’est que sur les coups de 22h que toutes mes obligations prennent fin. Je décline poliment l’invitation à diner de mon agent mettant en avant mon état de fatigue extrême mais en lui demandant tout de même s’il était possible de me faire livrer de quoi manger dans ma chambre. Elle répond par l’affirmative et je me retire. La chambre qui m’est assignée est l’une des plus luxueuses du grand hôtel Mandarin Oriental. Poussant la porte de la chambre « Premier Ocean », je reste un petit moment comme ahuri. Il m’est arrivé à plusieurs reprises de séjourner dans des hôtels de standing et je dois bien avouer que je n’ai pas exactement grandit dans un bidonville. Mais celle-ci dépasse de loin toutes les autres. Cette chambre suinte le luxe de tous les côtés. Tellement que c’en est presque écœurant mais au moins, ici, je suis au calme et personne ne viendra me demander quoique ce soit. Du moins, pas avant 6h demain matin… Je me déchausse, enlève mes chaussettes et enfonce mes pieds nus dans cette moquette que je n’imaginais pas si douce. Faisant quelques pas je remarque que la réputation de l’hôtel n’est pas usurpée tant la vue sur la ville est épatante.
Je m’effondre sur le lit, m’endors une petite demi-heure et ne me réveille que lorsque mon agent m’apporte un plat énorme de sushis.

Je n’arrive pas à dormir. Il est 2h du mat’ et je navigue entre mon ordinateur et mon bouquin sans trouver le sommeil une seule seconde. Je m’énerve tout seul dans mon grand lit.
J’ai besoin de marcher un peu et la chambre a beau être immense, elle est loin de satisfaire ce besoin. J’ai besoin de prendre l’air aussi. J’ai l’impression que toutes les tensions de la journée me prennent à la gorge depuis quelques minutes, c’est insupportable. L’envie de sortir me prend. J’ai envie d’aller me balader même si cela n’a vraiment rien de prudent. Je me rassure en prenant deux portables sur moi dont un relié en permanence à mon agent. S’il m’arrive quoique ce soit, au moins elle pourra me localiser… J’enfile un jean et une veste passe partout, un masque, d’énormes fausses lunettes de vue qui mangent la moitié de mon visage, une casquette et le tour est joué ; Je sors à la découverte de Singapour. En sortant de l’hôtel, j’arrive sur l’immense marina. Il n’y a pas grand-chose à voir ici à part de gros yachts éclairés comme en plein jour. Je décide de m’enfoncer dans une rue de moindre importance. Je marche sans m’arrêter, les yeux grands ouverts, l’euphorie de marcher dans une si grande ville inconnue me prenant peu à peu aux tripes.
Voilà vingt bonnes minutes que je marche et les petites rues se sont peu à peu transformées en ruelles étroites. Moi, le grand angoissé, je me surprends à ne pas m’inquiéter, quoiqu’il arrive j’arriverai bien à retrouver mon chemin… Il règne une chaleur étouffante et j’imagine que les cigarettes que je fume presque en discontinue n’arrangent rien à l’affaire.

Au fur et à mesure, les casinos se transforment en petits restaurants puis en minuscules bars. Tout à coup la soif me prend et je réalise qu’en effet, je n’ai rien bu depuis m’être envoyé une douzaine de sushis dans l’estomac. Un peu plus loin j’aperçois une minuscule échoppe à l’enseigne fatiguée par le temps. Je m’approche et jette un rapide coup d’œil à l’intérieur. Je remarque avec un certain soulagement qu’il n’y a pas foule à l’intérieur. Juste un homme entre deux âges derrière le comptoir et de l’autre côté, sur un tabouret de bar, ce qui me semble être une jeune femme. Les deux sont  en grande discussion éclairés par la lumière blafarde d’un immense néon accroché tant bien que mal au plafond.

Je rentre d’un pas timide en m’excusant mécaniquement du dérangement, habitude toute japonaise qui me colle à la peau même à l’étranger. Les deux, s’ils sont un peu étonnés de me voir, ne semblent pas surpris à outrance à la vue d’un type looké de la sorte. Je me dirige vers le bar et me poste juste à côté de la jeune femme.

Je commande une bière fraiche. L’homme se retourne pour attraper un verre mais le fait tomber aussitôt, me faisant sursauter plus que de raison, la faute à mon système nerveux quelque peu dysfonctionnant ces dernières heures. J’entends la voix fluette à côté dire quelque chose que bien entendu je ne comprends pas. Je me tourne vers elle et constate qu’elle voulait me parler à moi. Je lui réponds en anglais que je ne comprends pas le mandarin.

« Il est toujours très maladroit, il faut l’excuser. » Reprend-elle dans un anglais parfait.
« Oh ce n’est pas grave, je suis plutôt maladroit moi aussi. »

Le silence retombe alors qu’un nouveau verre se rempli du précieux liquide doré.

« Vous êtes japonais ? »
La question de la jeune femme me surprend et je réalise alors que je suis démasqué, il va falloir que je me dépêche de boire cette bière pour ensuite rentrer à l’hôtel.
« Ou… Oui, comment vous…
-Vous avez un accent très marqué qui ne laisse aucun doute quant à vos origines… »
Je me sens tout à coup très con. Mon égo surdimensionné me fait voir le mal partout. Il faut que je me calme et quitte à être là, autant profiter de la soirée comme elle se présente…
« Ah je suis démasqué ! Mes origines nippones sont moins faciles à dissimuler que je ne l’imaginais… »
Elle émet un petit rire discret et j’en profite pour la détailler d’un œil que je souhaite discret.

Elle porte un haut de survêtement à capuche rouge vif bien trop grand pour elle. Elle semble aussi nager dans son jean baggy délavé. Malgré ça on devine assez facilement un corps menu et plutôt musclé. Boxeuse ? Danseuse ? Les deux me semblent possibles… Elle a un visage rond plutôt enfantin avec de grands yeux qui semblent rire en permanence malgré une bouche plutôt boudeuse. Une large frange lui tombe au niveau des sourcils, astuce sans doute pour tenter de dissimuler un front assez large également. Je sais ce que c’est, les coiffeurs se sont évertués pendant des années à cacher mon front sans limites avant d’abandonner de guerre lasse. Elle ne porte aucune trace de maquillage, du moins il ne me semble pas, je ne suis pas un spécialiste en la matière.

« Et qu’est-ce qui vous amène à Singapour ? Si ce n’est pas indiscret. » Me demande-t-elle, sans gêne, les yeux dans les yeux.
« Oh… Le travail. Rien de palpitant, je reste ici deux jours.
-Et… Laissez-moi deviner. Ce soir vous n’arrivez pas à dormir alors vous vous baladez dans les rues perdues. La fatigue du voyageur…
-Je dirais plutôt la fatigue du travailleur. Il n’y a qu’une heure de décalage horaire entre Tokyo et Singapour, ça serait vraiment une mauvaise excuse…
-Vous avez raison ! » Répond-t-elle en rigolant de nouveau.

L’homme me sert la bière et ce n’est qu’à ce moment-là que je me rends compte que je n’ai pas un seul sing dollar sur moi et le proprio m’apprend qu’il ne prend pas la carte bleue pour une si petite somme. Je vais pour sortir chercher un quelconque distributeur dans les environs mais la femme m’arrête en posant une main sur mon avant-bras. Elle attrape son portefeuille, en sort quelques pièces de monnaie et les pose face au serveur en lui soufflant je ne sais quoi en mandarin. Elle se retourne vers moi et me sourit en m’invitant à me rasseoir. Je la remercie et m’exécute.

« Chin Foon Ling. Enchantée. » Me dit-elle en me tendant la main.
« Chin… Quoi ?? » Je demande un peu piteusement en répondant à sa poignée de main.
« Chin Foon Ling. C’est moi. » Me dit-elle dans un sourire amusé. « Chin c’est mon nom et Foon Ling, c’est mon prénom. »
« Ah ! Pardon. Enchanté Chin-san.
-Foon Ling ça suffit vous savez.
-Foon Ling-san. Enchanté Foon Ling-san.
-Et vous ? C’est comment ? »
Je suis pris au dépourvu. De toute évidence, elle ne semble pas me connaitre mais peut-être a-t-elle déjà entendu mon nom je ne sais où… Je ne préfère pas tenter le diable et cherche un nom, n’importe lequel mais rien ne me vient à l’esprit à part…
« Sushi ! Sushi Sho. Enchanté… » Je lui réponds avec un sourire benêt.
« Sushi ?! Ah ça ne doit pas être évident à porter tous les jours comme nom ça…
-Ne m’en parlez pas… Ma petite sœur a bien failli s’appeler Maki mais mes parents se sont ravisés au dernier moment… »
Un autre éclat de rire et je sirote ma bière fraiche en apercevant ses petites dents blanches entre ses lèvres.

Deux heures entières passent sans que je ne les vois seulement filer. Nous parlons de choses et d’autres et je suis content de constater que la conversation ne semble pas altérée par mon anglais approximatif et scolaire. Au fil des discussions je comprends que l’homme derrière le comptoir est le frère de Foon Ling. Je crois qu’il s’appelle Chin En Lai, ou un truc dans le genre, j’ai pas bien entendu. Elle me parle de Singapour avec une ferveur incroyable. Elle est amoureuse de cette ville et même temps elle semble la détester. Elle dit qu’elle aimerait voyager mais qu’elle n’en n’a pas vraiment l’occasion. La plupart du temps, je me contente de l’écouter parler, préférant rester évasif sur les infos que je pourrais lui donner. Elle ne me demande pas ce que je fais dans la vie et je l’en remercie. Du coup, même si je suis curieux de savoir de quoi sont faites ses journées, je ne lui demande pas non plus.
Depuis que je suis rentré, seules deux personnes sont entrées dans la petite pièce. Un vieil homme avec tout plein de rides est rentré il y a un quart d’heure, il s’est assis à une petite table et n’a pas eu le temps de commander quoique ce soit que déjà le barman venait lui servir ce qu’il, apparemment, désirait. Il y a eu aussi une femme d’une quarantaine d’années, toute décoiffée, qui portait sous le bras un bébé en pleurs à qui je ne donnais pas plus de quelques mois. D’après ce que j’ai pu saisir, le bébé pleurait toutes les nuits et la maman, fatiguée de ses cris incessants, descendait marcher un peu dans la rue histoire de le calmer.

Un coup d’œil à la petite horloge au-dessus de Foon Ling me dit que je dois rentrer. Il est 4h et ma journée est censée débutée à 6h. Si je ne veux pas avoir trop l’air de zombie devant les caméras tout à l’heure, il serait préférable que je rentre à l’hôtel me doucher et essayer de dormir ne serait-ce que quelques minutes.
Je remercie le frère et la sœur de leur accueil, je salue le vieux monsieur qui semble s’être assoupi dans un coin de la pièce et m’apprête à sortir à regret.

« C’était très sympa de discuter avec vous, Sho. » Me dit la jeune femme en me raccompagnant à la porte.
« Oui, j’ai passé une très bonne nuit avec vous, merci. »
Nous restons un instant sur le trottoir, elle semble hésiter à me dire quelque chose et a du mal à me regarder dans les yeux. Quant à moi, je pourrais mettre fin à sa gêne si je le voulais mais très franchement, je n’en n’ai aucune envie. Non seulement cela me donne l’occasion de rester encore un peu plus longtemps dans ce qui me semble être un havre de paix et en pensant à ce qui m’attend dans quelques heures, je savoure cet instant. Mais en plus ce petit hale rose sur ses joues rebondies est du plus bel effet, je dois bien l’avouer…
« Vous… Vous repartez demain ?
-Non, je ne rentre qu’après-demain.
-Mon frère est ouvert toute la nuit de demain aussi. Et en plus, il ne fait pas que de la bonne bière, il est aussi le Roi du chili crab, si ça vous dit vous pouvez venir manger avec nous… »
Je ne sais pas quoi répondre. Je ne me souviens pas de mon planning exact mais il m’étonnerait fort que je sois libéré pour l’heure du diner… Malgré tout, la proposition est on ne peut plus séduisante, la perspective de toute soirée à l’image de cette nuit suffit à me donner le sourire aux lèvres.
« Ah oui ? Alors je vais essayer de revenir demain soir, je ne sais pas ce qu’est le « chili crab » et… J’ai vraiment envie de gouter aux spécialités de Singapour… »
Nous nous saluons sur ces mots, Foon Ling rejoint l’intérieur de l’échoppe et moi je reprends mon chemin vers l’hôtel, priant pour ne pas me perdre dans cette ville décidément pleine de surprises.

La journée me semble interminable tant la fatigue à laquelle j’ai droit me donne l’impression de peser le triple de mon poids normal. Mes mouvements sont nonchalants, mes paupières se ferment au moindre temps-mort et j’ai l’impression de réfléchir au ralentit.
Sur les coups de 15h, Tsukamoto-san me surprend à tomber de sommeil dans la voiture qui nous ramène à l’hôtel.
« Ecoutez Sakurai-kun, vous faites peine à voir. Si vous faites encore preuve d’un certain professionnalisme à l’heure qu’il est, je ne donne pas chère de votre peau ce soir. D’autant plus que la première du film a lieu demain et que vous devez absolument apparaitre un minimum en forme devant le monde qui vous attend. Vous avez une heure et demi de trou dans votre planning à partir de maintenant. Profitez-en pour aller vous reposez dans votre chambre. Les maquilleuses sont douées mais ne sont pas magiciennes non plus et ne cacheront pas votre mine blafarde éternellement. Il en va de votre réputation et de la mienne par conséquent. »
Je remercie du bout des lèvres mon agent et son ton toujours aussi aimable avant de filer en vitesse dans ma chambre.

Alors que je suis allongé sur mon lit, enfin tranquille, je repense à ma soirée d’hier soir. Cette Foon Ling… Je revois encore son sourire. Je me surprends à penser qu’elle était vraiment charmante. Cela me surprend d’autant plus que ce n’est habituellement pas le genre de femmes sur lequel j’ai coutume de jeter mon dévolu. En général, je préfère les femmes plus âgées que moi. Les femmes faisant preuve d’assurance, sûres d’elles-mêmes et de leurs charmes. Je les aime entreprenantes. J’ai toujours préféré les femmes aux filles, même étant gamin. La première que j’ai mis dans mon lit était une élève de ma mère de près de dix ans mon ainée. Foon Ling ne semble pas être plus âgée que moi, elle en fait même moins. Elle cachait ses atouts physiques derrières d’énormes vêtements trop grands pour elle et jamais au cours de la soirée elle n’a tenté un quelconque rapprochement séducteur. Je n’ai pas l’habitude de ce genre de relations avec la gente féminine. En fait, de toute ma vie, c’est la première femme que je rencontre qui ne tente pas de me séduire au premier coup d’œil. Et que je ne tente pas de séduire non plus. Et pourtant, cela faisait longtemps que je n’avais pas ressenti une attirance si forte. Je le sens maintenant, dans ce lit, cette fille ne me laisse pas tout à fait indifférent. Ce naturel sans fard ni faux-semblants. C’est inédit et j’aime ça.
Je dois la revoir ce soir. Je ne sais pas quelle attitude adopter. Elle me plait, c’est indéniable et plus j’y pense plus je me dis que ses lèvres ne manquent que d’une seule chose pour atteindre la perfection : Mes propres lèvres à moi. J’enfouis ma tête dans l’oreiller à cette pensée. Je ne sais pas si c’est vraiment une bonne idée.
Je ne suis pas un grand romantique et ce n’est pas le fait qu’elle habite à Singapour et moi à Tokyo qui me pose problème. Je ne me vois pas finir ma vie avec cette fille, ni même passer plus d’une semaine. Je ne crois pas aux grandes déclarations d’amour « for ever » et tout le tralala. Une relation durable se construit au jour le jour. Foon Ling serait une belle histoire d’une nuit et cela me convient très bien. Non, le souci c’est que j’ai aimé la soirée passée ensembles, à discuter de tout et de rien durant des heures, et je ne suis pas sûr de vouloir sacrifier cela pour passer sur le plan de la séduction…

Je sens une main me secouer violemment. Je me suis assoupi en pensant à la jeune singapourienne et me réveille avec mon agent à quelques centimètres de mon visage, prête à me gifler pour m’extirper de ce sommeil réparateur.
« Bien. La Belle au Bois Dormant est enfin réveillée. Sakurai-kun, finit la sieste, vous avez du taf.
-Quelle heure il est ? » Je marmonne dans un demi-sommeil.
« 17h15, je vous ai laissé un peu de rab, j’ai eu pitié de vous. Mais maintenant il faut vous bouger si vous ne voulez pas arriver en retard à vos rendez-vous. Jusqu’à 20h vous enchainez les interviews tv et presse à côté du Merlion. Puis à 20h30, diner en compagnie des principaux distributeurs du film à l’étranger.
-Di… Diner ??
-Oui, diner. Il faut vous réveiller Sakurai-kun et allez faire un tour dans la salle de bain, ce reste de filet de bave à la commissure de vos lèvres ferait peut-être fantasmer certaines de vos jeunes fans mais pour ma part je trouve ça plutôt gênant.
-Oui, pardon. »
Après un rapide ravalement de façade dans la vasque en granit du plus mauvais gout de la salle de bain, je reviens vers Tsukamoto-san.
« Ce diner… Il compte se terminer vers quelle heure ?
-Je ne sais pas, cela dépendra de comment le tout va se dérouler. Pourquoi ? Vous êtes pressé d’en finir avant même d’avoir commencé ?
-C’est que j’ai à faire après, moi.
-Comment ça vous avez à faire ? Qu’y-a-t-il de plus important que le travail durant un déplacement professionnel ?
-Si je vous dis que je veux rentrer tôt pour me reposer, vous ne me croirez pas et de toute façon je déteste vous mentir… » Je lui réponds avec un sourire que j’espère un minimum charmeur malgré mon état post-sieste.
« C’est vous qui voyez, mais par pitié, n’oubliez pas que demain des milliers de personnes scruteront vos moindres faits et gestes…
-Je serai raisonnable Tsukamoto-san.
-Bon… Je peux faire finir ce diner vers 22h, avant c’est impossible.
-Merci. »

Les interviews s’enchainent, toujours les mêmes questions, toujours les mêmes réponses. Je me sens plus en forme que ce matin, merci sans doute à ma courte sieste mais aussi à l’excitation montante à la pensée de ma soirée à venir. Rien qu’à l’idée de revoir Foon Ling, une sorte d’euphorie m’envahie et je me retrouve obligé de calmer quelques tremblements de voix. C’est un peu ridicule, je le concède mais c’est aussi plus fort que moi alors je fais avec.
Le diner arrive et comme prévu il est d’un ennui terrible. Nous sommes attablés autour d’une grande table d’un restaurant luxueux à deux pas de l’hôtel. A mes côtés, Kitagawa-san fait le show alors qu’elle déteste cela tout autant que moi. Cette fille est toujours d’un professionnalisme à tout crains malgré sa timidité maladive. Hors temps de travail, elle est incapable de demander l’heure à un passant dans la rue et au début de notre collaboration, à part quand on tournait, elle avait un mal fou à me regarder dans les yeux. Elle est comme ça, discrète à l’extrême. Mais en temps de promo, la jeune fille timide se transforme pour devenir une actrice bourrée d’assurance, ce soir en est la représentation parfaite. Elle rit, parle et amuse l’assistance sans jamais tomber dans l’exagération. Moi, je me contente de placer quelques remarques bien pensées de ci de là. Le plat arrive enfin ; Croustillant de crevettes et aïoli de wasabi sur lit de mangue fraîche et de tobiko puis un filet de cabillaud mariné au miel et poivre noir. Tout ça a l’air délicieux et sent divinement bon mais je n’oublie pas l’invitation de Foon Ling et de son frère. Je prétexte une certaine intolérance aux fruits de mer, moi qui en raffole je dois me mordre la joue pour ne pas pleurer à l’idée de prononcer une telle aberration. Je goute tout de même les légumes du Sichuan qui accompagnent le poisson et je dois bien dire que c’est excellent. Mais je tiens bon et demande à ce que l’on retire mon assiette de sous mon nez. Le patron du restaurant s’excuse platement et me demande si je désire autre chose, je refuse poliment. Il insiste, je refuse fermement mais il ne lâche pas et je commence doucement à m’agacer. Heureusement Tsukamoto-san vient à mon secours et chasse mon harceleur.
Le repas tire en longueur, c’est fou cette manie qu’ont ces gens de ne pas savoir parler et manger en même temps ! Finalement, le dessert arrive : Crème de mangue, pomelo et perles de sagou. Je picore un peu de mangue histoire de ne pas mourir de faim vu mon état de sous-nutrition avancé.
Les conversations se faisant de plus en plus espacées, c’est avec soulagement que je vois le directeur du film se lever, il conclut le diner par un rapide discours de remerciements, souhaite à tout le monde une agréable soirée et nous donnes rendez-vous le lendemain pour l’avant-première.
Je suis l’un des premiers à quitter le restaurant, fuyant le regard inquisiteur de mon agent, je file en quatrième vitesse dans ma chambre où je me change. Je quitte mon smoking strict pour une tenue plus passe partout, un jean et un simple polo feront tout à fait l’affaire. Cette fois ci, je ne prends pas de masque ni de lunettes mais prend quand même mon éternelle casquette, plus par habitude qu’autre chose.

Une fois ressortit, j’opte pour un taxi, pas question de perdre encore un peu plus de temps en y allant à pied. Dix minutes plus tard le chauffeur me dépose devant l’échoppe en plein quartier chinois. Je le remercie et lui donne un pourboire assez conséquent. Je scrute l’intérieur. Le frère est affairé derrière le bar, un couple mange à la petite table du fond sans se quitter des yeux et Foon Ling est à la même place qu’hier soir, accoudée au comptoir. Contrairement à ce que je connaissais d’elle, ce soir elle porte un short en jean court qui laisse voir des jambes d’une extrême finesse mises en valeur par des sandales compensées en toile nouées à ses chevilles par des rubans de tissu blanc. En haut, elle ne porte qu’une chemise ample dont deux boutons défaits laissent entrevoir la dentelle rose de son soutien-gorge. Le tout, bien que très épuré, suffit à me couper le souffle. Elle est incroyablement jolie là-dedans. Son frère me surprend, la jeune femme suivant son regard m’aperçoit, me sourit et vient me chercher à la porte.

« Sushi Sho ! Bonsoir ! Je suis contente de vous voir, on vous attendait. C’est que je commence à avoir très très faim ! »
Je tente de reprendre contenance et force mes yeux à se concentrer sur son regard plutôt que sur cette traitre de dentelle.
« Ah oui moi aussi j’ai très faim, désolé je n’ai pu me libérer qu’à l’instant.
-Venez, venez. »
Elle m’invite à entrer et tire le tabouret à ses côtés. Je m’y installe en saluant son frère qui, sans plus attendre, dépose deux grosses assiettes face à nous. Un énorme crabe recouvert de sauce brune. Le tout a un tout autre aspect que le croustillant de crevette, c’est sûr, mais sent dix fois meilleur.
« Vous voulez toujours gouter les spécialités singapouriennes ? » Me demande Foon Ling en remerciant son frère d’un sourire.
« Plus que jamais… » Je lui réponds en captant son regard. Si j’hésitais à entamer un jeu de séduction avec elle il y a encore quelques minutes, ce short a mis fin à toutes mes tergiversations. C’est futile, je sais, je suis d’une futilité effrayante mais je l’assume totalement. Cette nuit sera futile ou ne sera pas.
« Alors voici le chili crab. Bon appétit ! »

Elle a l’air au moins aussi affamée que moi. Quittant mon regard, elle attrape une patte de son crabe sans plus de cérémonial, la fait craquer entre ses doigts et la porte à ses lèvres pour en suçoter la chair. Je ne sais pas pourquoi mais je trouve cette image des plus sensuelles, sans compter la petite goutte de sauce qui coule le long de son petit doigt puis de sa main et qu’elle attrape du bout de sa langue avant qu’elle ne glisse sur son poignet. J’ai toujours trouvé les filles gourmandes bien plus sexy que les autres, comptant chaque calorie à la moindre bouchée de salade.
Je me reprends et attaque ma propre assiette. Je dois dire que c’est délicieux bien qu’absolument pas pratique à manger. Je m’en mets plein les doigts et mon jean récolte quelques gouttes de cette sauce épicée qui me fait rapidement monter le rouge aux joues.
« C’est très bon.
-C’est mon frère qui fait tout, il est le Roi du chili crab ! Il est connu dans tout le quartier. »
Je félicite l’homme qui me remercie dans un sourire, le même que sa sœur, en un petit peu moins charmant.
« Et est-ce que Singapour cache encore d’autres perles dans le genre ?
-Plein !
-Vous m’en feriez découvrir d’autres ? » La question peut paraitre assez aventureuse si on en saisit le double sens mais je me sens d’humeur joueuse ce soir puis ce crabe me donne décidément très très chaud.
« Si vous voulez. Mais certaines perles ne s’offrent pas aussi facilement que le chili crab !
-Ce doit être les meilleurs alors…
-Ca sera à vous de juger… »
Elle capte mes sous-entendu et rentre bien volontiers dans mon jeu, je le vois à son sourire en coin et à ses joues roses, à moins que la couleur de ces dernières ne soit dû qu’aux épices du chili mais j’aime en douter.

Les minutes passent, nous parlons de tout et de rien en ponctuant le tout de quelques petites allusions aguicheuses. Elle est très forte à ce petit jeu, ne se démontant pas et arrivant même à me faire baisser le regard à plusieurs reprises.

Sur les coups de minuit, alors qu’il n’y a plus aucun client dans la pièce à part moi, le frère de Foon Ling se débarrasse de son tablier et parle à sa sœur en mandarin tout en quittant le comptoir. Je ne comprends pas, habituellement il parle anglais pour que je puisse comprendre un minimum de quoi il est question mais là… C’est comme si il provoquait sciemment mon… Incompréhension ?
« Sushi-san, je vous abandonne j’ai à faire. C’était très sympa de vous rencontrer, si vous revenez à Singapour un de ces quatre, vous savez où venir manger. Je vous laisse avec ma sœur, veillez pour moi à ce qu’elle ne pique pas trop de trucs derrière le bar, c’est une spécialiste du genre. »
Je le salue puis il sort.
« Il te laisse souvent seule dans son bar ?
-Oui, officiellement cet endroit nous appartient à tous les deux, il appartenait à nos parents avant mais c’est surtout En Lai qui s’en occupe en fait. »
Intérieurement je suis fou de joie à la simple pensée que nous sommes seuls tous les deux mais je tâche de ne pas trop le montrer, je ne veux pas lui faire croire que la partie est gagnée d’avance, ce jeu de séduction me plait trop pour passer tout de suite aux choses plus « approfondies ».

Nous continuons à parler comme si de rien n’était en buvant quelques bières. Mon téléphone vibre souvent et Foon Ling s’en amuse.
« Tu as beaucoup de succès on dirait.
-Faut croire… » Je lui réponds en songeant à quel point elle ne pense pas être si près de la vérité.

L’air se fait étouffant dans l’échoppe et alors qu’elle range nos verres, je sors fumer une cigarette. Je m’assois sur le pas de la porte, profitant du courant d’air que procure la petite ruelle en écoutant les sons des conversations des appartements tout autour, un discret morceau de jazz s’échappe d’une chambre située tout en haut de l’immeuble d’en face. Quelques minutes plus tard Foon Ling vient me rejoindre, on ne se dit rien, profitant tacitement de la présence de l’un et de l’autre. Alors que ma clope en est presque à sa fin, elle la saisit entre mes mains, aspire la dernière taffe et écrase le mégot sous son pied. Je la regarde faire sans tenter quoique ce soit. C’est elle qui prend les devants, elle me prend la main et m’entraine à l’intérieur. Alors qu’elle ferme la porte à clef, je me colle à son dos, repousse ses cheveux et embrasse délicatement sa nuque. Je l’entends soupirer d’aise. Elle attrape mes mains et les pose sur son ventre sans les lâcher. Nous restons dans cette position un long moment. Elle sent bon, un parfum très discret, même pas un parfum, comme du lait… C’est ça, elle sent le lait, un lait sucré. J’adore son odeur.
Elle se dégage de mon étreinte, se retourne et embrasse mes lèvres avant de traverser la pièce pour rejoindre une porte discrète se trouvant derrière le comptoir.

« Je n’avais pas vu qu’il y avait une porte là.
-Singapour et ses secrets… » Soupire-t-elle en m’invitant à la rejoindre.
Derrière la porte se trouve un vieil escalier en bois qui grince lorsque nous l’empruntons. Elle monte devant moi et je me régale d’observer la courbe de ses reins. Nous arrivons dans une petite pièce basse de plafond avec en son centre un grand matelas posé à même le sol. Autour sont disposés de manière plus qu’aléatoire quelques livres, des papiers, une multitude de dvd et des fringues.
« Mon frère nous offre sa chambre pour la nuit. » Me dit-elle en souriant avant de s’allonger langoureusement sur le matelas. Je reste debout et détaille tout son corps de mon regard indiscret.
« Vous vous étiez mis d’accord avant même le début de la soirée hein ?
-Accord implicite. Viens…
-Et qu’est-ce qui m’attend dans ce lit ?
-Une perle made in Singapour. »

L’invitation ne peut décemment pas me laisser de marbre et je la rejoins vite sur le lit après m’être rapidement déchaussé. Les draps sentent la lessive fraiche ce qui me fait penser que tout implicite qu’il soit, leur accord était tout de même bien entendu entre l’un et l’autre.
Restant alanguie sur le dos, elle me regarde m’arrêter à ses pieds. Saisissant l’une de ses chevilles, je délasse les rubans blancs qui retiennent sa chaussure, je fais de même pour sa jumelle puis j’embrasse son mollet, son genou et m’arrête à mi-cuisse pour rejoindre son visage en m’allongeant tout contre elle. Je m’empare de ses lèvres et nous nous embrassons, sa langue venant chatouiller la mienne. Elle saisit mes cheveux pour approfondir le baiser alors que j’encadre son visage de mes avant-bras.
« Ca t’arrive souvent d’offrir ce genre de perles aux étrangers de passage ?
-Ne soit pas désobligeant. »

Très vite nous finissons nus l’un contre l’autre. Mes lèvres partent à la découverte de son corps, sa peau est douce et chaude, tout en elle transpire la sensualité à ce moment précis. Durant un moment interminable je la goûte du bout de ma langue, déclenchant en elle une série de soubresauts.
M’allongeant d’autorité sur le dos, elle se lève et va chercher une petite boite de préservatifs dans une commode. Avant de revenir près de moi, elle allume un petit ventilateur qui fait voler ses cheveux et me caresse d’un air frais. Revenant à moi, elle m’enjambe, déchire l’emballage du préservatif et l’enfile sur mon sexe offert. Puis, s’appuyant sur mon ventre, elle me fait entrer en elle tout doucement. Une fois m’avoir accueillie tout au creux de son ventre, elle se penche contre ma joue.
« Que dis-tu de ça ?
-Je dis que je suis tombé sur la plus belle perle de de toute l’Asie. »
Nos peaux claquent et se frottent, nous faisons l’amour longtemps, sans nous lasser, de toutes les manières possible, prenant un pied fou à rechercher le plaisir dans les moindres recoins de nos corps bouillants et frissonnants à la fois. Elle jouit plusieurs fois tout contre moi et je finis par me délivrer contre son ventre plat.

Je n’entends plus que le ronronnement du ventilateur et le bruit de la ville toujours en éveil filtré par le petit vasistas ouvert. Je suis allongé sur le dos de tout mon long cherchant un semblant de fraicheur quand Foon Ling sort de la salle de bain sans chercher le moins du monde à cacher sa nudité et vient me rejoindre sur le matelas.
« C’était bien.
-On n’est pas obligés de parler tu sais. » Me répond-elle.
Je la regarde, elle me sourit, je la prends dans mes bras et on s’endort comme ça.

C’est la sonnerie de mon téléphone qui me réveille en sursaut. A travers les persiennes, le soleil brille déjà fort dehors, je me lève au radar et d’un pas mal assuré je me lance à la recherche du portable. Je suis le son et arrive vite à mon jean, à l’endroit même où je l’ai négligemment jeté la veille. Un rapide coup d’œil à l’écran et je décroche.
« Qu’est-ce que vous foutez ?! Vous êtes où ?! Ca fait trois quarts d’heure que j’essaye de vous joindre !
-Euh… Pardon Tsukamoto-san… Je… Euh… Quelle heure il est ?
-9h36 ! Vous vous rendez compte dans quelle mouise vous nous mettez ?! Vous aviez rendez-vous avec… »
Alors que je la laisse déverser son flot de reproches et que je lui présente mes excuses entre deux injures, je regarde la pièce et remarque que Foon Ling et toutes ses affaires ont disparues. Je fais le tour de mes vêtements, les rassemble et commence à me rhabiller, le portable toujours vissé à l’oreille. Je promets à mon agent de la retrouver d’ici vingt minutes à l’hôtel, raccroche, fais un rapide saut dans la salle de bain et descends les escaliers. Je passe une tête timide par la porte et aperçoit En Lai cuisinant ce que je devine être des œufs brouillés. Je fais un pas dans la salle que je n’ai jamais vu aussi peuplée et il me voit à son tour.

« Ah bonjour Sushi-san ! Vous avez passez une bonne nuit ? » Me demande-t-il sur un ton enjoué.
« Euh… Oui. Oui, oui une bonne nuit, merci. » Je sais pertinemment qu’il sait très bien de quoi ma nuit a été faite et je ne préfère pas m’appesantir sur le sujet pensant à ma propre réaction si on se mettait à détailler les nuits agitées de ma petite sœur… Je regarde autour de moi d’un air un peu hagard et il saisit mon regard.
« Ma sœur n’est pas là, elle ne viendra sans doutes que ce soir mais… Vous repartez au Japon aujourd’hui, c’est ça ?
-C’est ça.
-Vous voulez que je lui passe un message ? »
Un message ? Oui, ça serait bien mais pour lui dire quoi ? Je ne sais pas vraiment ce que je veux lui dire… Tout en y réfléchissant j’attrape une serviette en papier et un stylo qui traine sur le comptoir.
« Cette nuit en compagnie de la perle de Singapour a été merveilleuse, je t’en remercie. Je t’embrasse Foon Ling. » Ça fera l’affaire, je signe simplement de mon prénom, sans ce ridicule « Sushi » qu’elle y accole sans arrêt prétextant que ça l’amuse et je donne le bout de serviette à En Lai.
« Je lui donnerai ce soir. Vous voulez manger quelque chose ?
-Non merci, je suis déjà bien en retard. Merci beaucoup pour ces deux soirées, c’était très sympa et je ne suis pas prêt d’oublier votre chili crab, je le recommanderai !
-Avec plaisir Sushi-san, j’espère qu’on se reverra !
- Si je repasse par Singapour un jour, je sais où revenir. »
Je le salue en souriant et sort lentement de l’échoppe. J’appelle un taxi qui passe dans la rue et jette un dernier regard à l’endroit avant de monter à bord de la voiture.

J’ai comme un gout amer sur la langue, comme un gout d’inachevé dans le fond de la gorge. Je n’attendais rien de plus de cette relation d’une nuit, c’est vrai mais j’espérais au moins la revoir avant mon départ. Je me suis réveillé seul, elle est partie bien avant moi sans me laisser le moindre message, ce n’est pas faute d’avoir vérifié sous l’oreiller. Elle est partie comme une voleuse. Une voleuse qui se serait introduit chez moi sans rien voler mais qui aurait imprégné les lieux de sa présence sans que je puisse l’effacer. C’est frustrant. Sans vouloir tomber dans le romantisme à outrance, je dois bien me rendre à l’évidence : Cette fille avait quelque chose de spécial. Avec elle, je pouvais être la personne que j’avais envie d’être, je pouvais lui montrer ce que je pense être vraiment, sans avoir à me soucier des répercussions de mes faits et gestes sur mon image médiatique. Et surtout, son naturel à elle m’avait séduit. Elle était pure, sans faux semblants, ne cherchait pas à cacher ses défauts ou en tout cas, n’en faisant pas des tonnes pour les dissimuler. Une femme entière, passionnée et passionnante. Finalement, je pense vraiment avoir rencontré une perle brute.
Je passe ma main dans mes cheveux et me force à penser à autre chose.

La journée passe et l’avant-première se déroule plutôt bien. Je suis de nouveau assaillie de fans hystériques mais cette fois ci, je peux me dire qu’elles sont là pour assister à un évènement qui dépasse ma seule personne et cela me met un peu plus à l’aise. Je joue mon rôle à merveille sous l’œil amer de mon agent qui n’a toujours pas digéré mon absence de ce matin.

Une fois les interviews post-séance terminées, à peine le temps de me changer et j’embarque dans une grosse berline noire direction l’aéroport international de Singapour. Arrivé à destination, je vois quelques fans qui font le pied de grue dans le hall. Cette fois-ci je ne suis absolument pas d’humeur à faire semblant, malgré l’heure avancée de la nuit, je mets mes grosses lunettes de soleil, visse ma casquette sur la tête, enfile les écouteurs de mon ipod et mets le son à fond. Je passe près d’elles sans un geste ni même un sourire, je vois que certaines d’elles tentent de me prendre en photo et je demande aux vigiles d’accélérer le pas et de tenter de se mettre entre moi et les objectifs. Je croise le regard déçu d’une jeune fille. La déception est souvent bonne conseillère, dorénavant elle se souviendra que ça ne sert à rien de venir scruter un mec qui marche dans un aéroport en pleine nuit…
Après avoir passés les quelques sas de sécurité et de contrôle, nous arrivons dans un petit hall où Tsukamoto-san m’annonce que nous sommes un peu en avance et que nous allons attendre ici quelque minutes le temps que l’embarquement ne commence. Prenant mon mal en patience et ne rêvant plus que d’une seule chose : Rentrer chez moi, dormir 15h durant et me remettre de mes émotions singapouriennes. Mais de toute évidence, le sort s’acharne contre ma tranquillité d’esprit. Au moment où je pose mes fesses sur un des fauteuils en plastiques, mon ipod tombe en rade de batterie et coupe un de mes morceaux favoris en plein milieux. D’énervement j’attrape le baladeur et le jette violemment au fond de mon sac. Je prends ma tête dans les mains, la fatigue m’assaillant tout à coup. Je reste un moment comme ça, essayant de chasser quelques pensées importunes de mon esprit. Je me redresse pour prendre mon portable dans mon sac quand une gigantesque affiche sur le mur juste en face de moi attire mon attention.

C’est une affiche très simple, sur un fond rouge, une jeune femme habillée d’un habit traditionnel singapourien fixe l’objectif et tout près de son visage une bulle avec une phrase dit « Comeback soon in Singapore ! ». L’affiche n’a rien de remarquable en elle-même mais plus je la regarde, plus il me semble reconnaitre cette femme en photo… Foon Ling ? Je ne suis pas totalement sûr de moi mais il me semble reconnaitre les traits de son visage, les petites fossettes de ses joues et ses lèvres… Je me lève et m’approche. Son regard ne ressemble pas à celui que je connais, il n’a pas la même profondeur, son teint est anormalement unifié et ses dent trop blanches n’ont rien de naturel. Est-ce vraiment elle ? Je suis le premier à savoir que les photos dans les magazines ne nous ressemblent pas vraiment, retouchés de partout, on peut se retrouver transformer… Je retourne d’un pas vif vers mon agent, le nez plongé dans une revue féminine.
« C’est qui cette femme ? » Je lui demande sans préavis. Elle lève la tête vers moi et suit la direction qui indique mon doigt.
« Qui ? Elle ? Euh… Ah ! J’ai perdu son nom… Attendez ça va me revenir… Un collaborateur m’en a parlé y’a pas quelques jours… F... Felicia ! Felicia Chin ! C’est ça. Une artiste très populaire ici… »
Je me retourne vers l’affiche en murmurant son nom. « Chin » c’est bien son nom mais d’où sort ce pseudo ridicule ?
« Elle pourrait faire une grande carrière internationale si elle se décidait à gérer un peu mieux sa notoriété… » Soupire Tsukamoto-san avant de se replonger dans la lecture de son magazine.
Les questions se bousculent dans ma tête. Est-ce vraiment elle ? Pourquoi m’avoir mentit ? Savait-elle qui j’étais ? Et si oui, comment me connaissait-elle ? Quel était le but de la manœuvre ? Était-elle vraiment tout à fait sincère ?
Je boue durant près d’un quart d’heure, sur ma chaise sans quitter l’affiche du regard, ne comprenant plus grand-chose à ce qui s’est vraiment passé la veille. Mais mes pensées sont interrompues quand mon agent me prend par le bras et m’entraine vers le petit couloir en verre qui mène à l’avion. Alors que j’attends, débout, les bras croisées que les passagers devant moi prennent place, j’entends mon téléphone sonner. Ce n’est ni un appel, ni mon réveil. C’est la sonnerie dont je me sers dans mon agenda pour me rappeler des trucs qu’il ne faut pas que j’oublie dans la journée. C’est bizarre, je ne me souviens pas avoir inscrit quoique ce soit aujourd’hui et surtout pour cette heure-là. J’attrape mon téléphone et ouvre la petite fenêtre indiquant « évènement important. » A la lecture du message mes yeux s’agrandissent un peu plus et je dois m’adosser au mur pour ne pas montrer trop de signes de trouble. C’est elle qui m’a laissé ce message :
« Ce fut un plaisir. A bientôt Sakurai Sho. »

Après un long moment passé à tenter de me raccrocher à un semblant de réalité, je souris en relisant le message encore et encore. Il se pourrait bien que je retourne à Singapour plus tôt que prévu moi…

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