Tsumi .

Sep 17, 2012 17:16





C’est une femme d’une cinquantaine d’années aux cheveux gris et au regard doux qui est venue me l’annoncer. Je suis réveillée depuis à peu près cinq minutes et c’est à moitié dans les choux que je réussi avec un peu de mal à m’asseoir dans ce lit d’hôpital trop dur, toute seule, comme une grande.
La voyant arriver, je tente de me créer un visage respectable mais c’est peine perdue étant donné la nuit que je viens de passer. Je la regarde dans les yeux, elle me sort un sourire pas vraiment franc mais qui se veut rassurant je présume.
« Félicitations Maeda-san. Vous êtes maman. Votre petit garçon va très bien, nous le garderons encore quelques jours en couveuse, il est un peu faible, mais d’ici mercredi vous serez rentrée à la maison avec lui ! »
Ca y est mon fils est là. Je n’ai plus le choix, je dois assumer, ne plus m’enfuir, faire face. Je suis prête à l’accueillir, mon excuse parfaite.

Je m’appelle Asako. En japonais, Asako veut dire enfant du matin. Dès ma naissance, le ton était donné ; Je suis née à six heure trente, mes parents m’ont donc donné ce prénom. De la pure raison, aucune fantaisie, très terre-à-terre comme réflexion. Je suis née le matin je suis donc l’enfant du matin. Point final.
Petite fille modèle, à l’école j’étais timide et à l’adolescence, je me suis révélée être une jeune fille agréable, gentille et respectueuse. Pas de crise d’adolescence, jamais un mot au-dessus de l’autre, je faisais la fierté de mes parents. A dix-sept ans, je suis tombée amoureuse d’un de mes camarades de classe ; Maeda Katsu. Son prénom à lui veut dire victoire. Cela dit bien ce que ça veut dire. Doué, brillant même. Beau garçon, poli et droit, bref,  le genre idéal. Ce fut mon premier homme.
Je suis devenue madame Maeda deux ans après, j’avais alors dix-neuf ans. Je nageais en plein bonheur, un beau mariage avec un homme quasi parfait, n’est- ce pas ce dont rêvent toutes les jeunes filles ?
Je n’ai pas continué mes études supérieures. Pour quoi faire ? Mon mari ramenait assez d’argent à la maison… Une fois installés dans notre joli petit pavillon dans une banlieue tranquille de Tôkyô, je devins une fine cuisinière et je m’inscrivis dans trois associations de quartier.

Droiture, respect, fidélité, docilité. Quatre mots qui ont toujours régi ma vie. Etant enfant mes parents me les ont martelé, me répétant sans cesse que c’était ces mots qui me permettraient d’accéder à un futur heureux. Et je m’y suis toujours tenu avec une rigueur à faire pâlir quiconque. Toujours ou presque. Le tableau serait incomplet si je ne racontais pas le passage éclair de Sakurai Sho dans mon univers.

J’avais vingt-deux ans à l’époque, c’était au début de l’année 2005. Entre la maison à entretenir et mes nombreuses activités au sein de notre communauté, je n’avais pas beaucoup de temps pour moi. Un soir, je reçu un appel de Sumire, la seule amie que j’avais gardé du lycée. Sumire était l’exact opposé de ce que j’étais et de ce que je suis encore aujourd’hui. Belle, libre, légère. Elle menait sa vie comme elle l’entendait, au jour le jour, se soûlant de cette liberté, elle respirait la volupté. Je ne sais pourquoi nous nous sommes liées, d’ailleurs je ne l’ai jamais vraiment apprécié et je pense que de son côté la réciprocité est de mise. Quoiqu’il en soit, un soir elle m’appela pour m’inviter à son anniversaire. Je ne comptais pas y aller. Je n’avais jamais fait partie de ses nombreuses soirées et j’étais sûre que je ne m’y sentirai pas à mon aise. Nous n’avions pas la même vie. Elle était étudiante et partageait son petit appartement tokyoïte avec trois autres colocataires. Elle insista lourdement pour que je vienne, disant que ma présence était importante à ses yeux. Fatiguée de l’entendre débiter arguments sur arguments, j’allai demander la permission à mon mari. Celui-ci, à mon grand dam, n’y vit aucune objection et c’est donc, morte de trouille que je me rendis à son anniversaire.

Arrivée devant son appartement, je sonnai à l’interphone. Sumire se présenta devant moi, plus provocante que jamais. Vêtue d’une robe courte et échancrée, elle était d’une beauté à toute épreuve bien qu’un peu vulgaire. Me serrant dans les bras elle me fit monter. Nous arrivâmes dans un petit salon surpeuplé, envahi de fumée et de relents de cannabis et d’alcool. Qu’est-ce que je faisais là ? Sentant la nausée me monter à la gorge, je pensais franchement à faire demi-tour quand Sumire prit mon bras.
« Amuse-toi, fais comme chez toi. Tu veux boire quelque chose ?
-Je… Euh… Qu’est-ce qu’il y a ?
-Vas voir le type au bar là-bas, c’est le maître des cocktails en tout genre ! »
Je me dirigeai alors vers le bar en question, me faisant bousculer de toute part par toutes sortes de danseurs déjà bien éméchés malgré les vingt-et-une heures qu’affichait l’horloge.
« Bonjour.
-Salut ma belle ! Qu’est-ce que je te sers ?
-Je… Euh je ne sais pas. Quelque chose de bon et de pas trop fort…
-Un Ginger Orange, ça t’irait ?
-C’est quoi ?
-Tabasco, gingembre, jus d’orange. Y’a pas d’alcool. »
Bien qu’à l’annonce du tabasco ma gorge sembla se révolter, l’absence d’alcool me fit accepter sa proposition. Le regardant faire, je tentai de dissimuler mon malaise. Il me tendit le verre, je le remerciai puis me retournai. C’est là que je l’aperçus. Mes yeux eurent d’abord du mal à le percevoir, avec toute cette fumée qui me brûlait les rétines. Derrière les danseurs, il était adossé au mur, une cigarette à la main, un verre dans l’autre. Il semblait seul mais cela n’avait pas l’air de le déranger. Il observait la scène mais n’y prenait pas part. Habillé d’un simple jean noir et d’une chemise largement ouverte sur son torse imberbe, il était vraiment très beau. Ses cheveux noirs étaient un peu en batailles et il secouait souvent sa tête pour les sortir de devant ses yeux. Malgré le fait que nous étions à peu près une cinquantaine de personnes à nous entasser dans un appartement minuscule, ce garçon sortait du lot. Il se dégageait de lui une sorte d’aura bien particulière, un charme intemporel à la James Dean.
Je ne voyais que lui. Incapable de bouger, ne cessant de trembler, mes yeux n’arrivaient pas à se décoller de cet homme. La musique était forte mais j’avais l’impression d’entendre sa respiration à chaque bouffée de cigarette. Soudain je sentis un bras passer autour de mes épaules.

« Tu regardes Sho-kun hein ?
-Quoi ? Non ! Je…
-C’est mon petit-ami. Mais nous ne sommes pas du genre exclusifs.
-Ah.
-Vas le voir !
-Sumire-chan ! Je suis mariée !
-Oui. Et alors ? Ton mari n’est pas là, si ?
-Non, mais…
- Alors amuse-toi s’il te plait, pour une fois dans ta vie. »

Sur ses mots, mon amie s’éloigna et alla danser ou plutôt sauter sur un type à notre gauche. Un peu vexée par ses paroles, je ne pus cependant pas changer de position, mes yeux toujours rivés sur ce Sho-kun. Il avait à présent posé son verre sur un meuble à côté de lui et avait négligemment posé sa main libre sur la poche de son jean, le pouce à l’intérieur de celle-ci. Il avait aussi rallumé une seconde cigarette. Je me rendis compte pour la première fois de ma vie que ma poitrine contenait un cœur battant quand celui-ci adopta un rythme inhabituellement incohérent. Ce que je ressentis à ce moment-là, était jusqu’à présent inconnu pour moi. Une attirance presque magnétique, une envie dégradante mais ô combien agréable d’aller à sa rencontre. Ce n’était pas une aspiration tendre ou romantique comme j’avais pu y goûter en voyant mon mari pour la première fois mais une tentation abrutissante. C’était sexuel. Ce corps d’homme définitivement parfait me criait de le toucher, de le caresser, de le mordre…
Soudain ses yeux cessèrent de vagabonder de ci de là et vinrent s’ancrer dans les miens embrasant au passage mon bas ventre. Surprise par ce geste imprévu, je baissai les yeux et gouta enfin à mon cocktail. Toussotant, les larmes aux yeux, je mis ma main sur ma gorge. Ce truc était tout bonnement imbuvable ! Sans le vouloir, je relevai le regard humide vers cet homme qui m’obnubilait et remarqua qu’il avançait d’un pas décidé dans ma direction. Ne pouvant toujours pas faire le moindre geste pour esquiver la confrontation, je le contemplai simplement venir à moi. Il n’était plus qu’à deux mètres de moi quand il accrocha sa cigarette à ses lèvres et son regard plissé pour esquiver la fumée, ce fit plus insistant. Il se planta face à moi. Il n’était pas aussi grand que je l’avais cru mais son corps ne me paraissait que plus attirant maintenant que j’aurais pu le toucher.

« Tu danses ? »
Dieu que sa voix était belle… Dans la continuité de son corps, elle était un peu roque, magnifiquement grave et elle transpirait la sensualité.
« Je… Euh…
-Tu me regardes depuis cinq bonnes minutes. Viens. »
N’attendant pas mon accord, il saisit ma main et m’entraina au milieu de la cohue. Je remarquai que la musique avait changée mais  je ne connaissais pas cette chanson, ma culture musicale étant vraiment très pauvre. Un coup d’œil à l’énorme télé qui servait de chaine hifi m’apprit qu’il s’agissait de la chanson Cherry Blossom Girl de Air. Il posa ses mains sur mes hanches et commença à bouger au son de la musique. Mon verre toujours à la main, je ne sus quoi faire durant un instant. La raison aurait voulu que je l’arrête tout de suite mais une force bien plus puissante me poussa à passer mes bras autour de son cou et de le suivre dans cette danse qu’il avait entamée. Il sentait l’alcool et la fumée de sa cigarette qu’il avait toujours aux lèvres venait me piquer le nez et la gorge. Cependant son corps entier était ardent, je le sentais et me plongeai dans cette grisante sensation d’abandon. Nous restâmes entremêlés de cette manière tout le long du morceau. Quand les premières notes d’une nouvelle chanson plus vive se firent entendre, sans desserrer notre étreinte il me susurra à l’oreille de le suivre. Désertée par tout esprit d’initiative, je ne pus que coopérer quand il saisit une nouvelle fois mon bras et m’entraina hors de la foule des danseurs. Il jeta sa cigarette dans un verre abandonné et m’entraina dans une autre pièce de l’appartement.
Arrivés dans la chambre de Sumire, il lâcha ma main et alla verrouiller la porte. Je ne bougeai toujours pas et le regardai faire, comme absente ou plutôt hypnotisée. Il revint vers moi et m’attira vers lui par la taille pour poser ses lèvres dans mon cou. Electrisée, je le repoussai violemment.

« Qu’est-ce que vous faites ?!
-Et toi, qu’est-ce que tu fais ? »
Son regard était vitreux. Je n’étais pas une experte dans le domaine mais n’importe qui aurait pu voir transpercer un furieux désir à travers ses pupilles dilatées.
« Qu’est-ce que je fais ? Moi ?
-Oui, tu m’allumes depuis que tu es arrivée.
-Quoi ?!
-Ne mens pas.
-Je… Je ne faisais que vous regarder. C’était… De la curiosité !
-On ne regarde pas quelqu’un de cette façon quand on ne veut pas coucher avec. »

Je tremblais à présent de tous mes membres. Ma tête tournait et je sentis une boule au fond de mon ventre que je ne connaissais pas jusqu’alors. La chaleur qui régnait dans cette pièce était étouffante. Je regardai l’homme en face de moi sans savoir quoi répondre de plus. Il s’avança, reposa ses mains sur mon corps et fit glisser ses lèvres sur ma gorge, sa langue jouant avec ma peau.
« Je suis mariée…  Murmurai-je en forçant mes bras à rester le long de mon corps.
-Je ne suis pas célibataire non plus… » Me répondit-il en commençant à défaire les premiers boutons de mon chemisier. Je sentais son corps musclé de plus en plus brûlant contre le mien. Je ne pouvais détacher mon regard du plafond, ses cheveux venant me chatouiller le visage. Ses mouvements se firent plus brusques quand les derniers boutons de ma chemise lâchèrent et qu’il écarta rapidement cette dernière pour fondre sur ma poitrine.
« C’est… C’est un viol… Gémissais-je.
- Alors arrête-moi… »
Sentant toute raison quitter mon corps et le désir l’envahir, je saisis ses cheveux et l’embrassa violemment. Je n’avais jamais encore connu un baiser de la sorte. Nos dents s’entrechoquèrent et nos langues ne tardèrent pas à se retrouver. Tout allait si vite, il n’y avait pas de place pour la tendresse, j’embrassais cet homme comme si j’avais voulu le dévorer. Ses mains expertes parcouraient mon corps, déposant sur chaque centimètre de ma peau une sensation de brûlure insoutenable. Sentant mes jambes flancher, il me plaqua contre le mur et me souleva du sol.
Nos ébats n’eurent rien de délicat ou de tendre. Consumée par une folie encore inconnue, partagée entre haine et passion, je n’étais plus en état de réfléchir à quoique ce soit. Son sexe déchirant mes chairs trop peu habituées à tant de brusquerie, je me sentais vivante et délicieusement souillée. Vacillant entre douleur et volupté, croulant sous cette bestialité nouvelle et envoutante.
Je jouis fort cette nuit-là. Une première, un abandon total. Criant d’une façon dont je n’avais jamais osé le faire avec Katsu, me laissant aller contre cet homme qui lui aussi jouit en moi en un râle extatique.
Sans plus attendre, il se retira aussitôt, jeta le préservatif dans une poubelle et entreprit de renfiler sa chemise. Moi, totalement hébétée, je mis un bon moment à revenir sur terre avant que mon horrible vérité ne me retombe sur le cœur, je m’affalai par terre, la tête entre les mains, le visage en larmes.
Secouée de sanglots, je n’arrivais pas à me calmer, n’osant plus regarder l’homme qui m’avait rendu si fragile, si honteuse.

« Pourquoi ?» Lui demandais-je sans bouger entre deux soubresauts.
« Tu avais l’air différente, très prude malgré ton regard. » Me répondit-il sans cesser de se rhabiller.
« Alors… Tu as fait ça juste pour me pervertir ?
-Tu as trouvé ça pervers ?
-Ne m’oblige pas à définir ce que nous venons de faire. C’est dégueulasse.
-Non. Moi j’ai aimé ça et toi aussi… »
Ne pouvant stopper ce flot de sanglots discontinu, je ne répondis rien. Je le sentis s’accroupir face à moi, passant sa main contre ma joue il essuya quelques larmes.
« Pourquoi te mettre dans cet état là puisque tu as aimé ?
-Je ne devrais pas.
-Si, c’est humain. Tu as l’air de ne pas t’adonner à ça souvent, je me trompe ? »
Je levai alors les yeux vers lui. La colère prenant le pas sur tous les autres de mes sentiments se bousculant en moi.
« Tu ne sais rien de moi.
-C’est vrai.
-Ce que je viens de faire, c’était une erreur. J’ai une vie au-delà de cet appartement minable ! »
-Et alors ? »
A ces mots, je ne pus me retenir et lui assenai une claque magistrale. Un peu surpris, il se contenta de passer la main sur sa joue rougie.
« Je ne peux pas me permettre tous vos petits jeux ! Je suis une adulte et surtout, j’ai… J’ai une conscience ! Ce soir était juste une petite parenthèse que je ne cesserai de regretter jusqu’au jour où je l’oublierai !
-Tu as quel âge ?
-21.
-Tu en fais 16, t’as l’air d’une poupée... »

Il se releva et alla me chercher mon chemisier. Je le saisis et le remis en place. Une fois un peu rhabillée, il me tendit la main pour m’aider à me relever. Une fois debout tous les deux, il me regarda dans le blanc des yeux.
« Si un jour tu te décides à voir la réalité en face, tu sais où me trouver… » Il déposa ses lèvres sur ma joue et ressortit dans le salon bruyant en rallumant une cigarette.

Droiture, respect, fidélité, docilité. Quatre mots que devrait suivre chaque femme qui se respecte. Quatre mots que je m’efforce de suivre à la lettre.

Après cette soirée, je repris mon train-train quotidien, mentant plutôt bien à mon mari, il ne s’est jamais douté de ce qui c’était passé. Je retrouvai ma vie telle que je l’avais toujours imaginé, telle qu’elle aurait toujours dû être. Le confort que procure un foyer, un mari, jamais je ne voudrai perdre cela.
Quelques mois après l’anniversaire de Sumire, je demandai à mon mari de me faire un enfant. C’était devenu une nécessité, sentant que la soirée que j’avais vécue ne cessait de hanter mon esprit, je voulais passer à autre chose. Il le fallait. Je devais sceller ce confort pour que jamais plus il ne puisse m’échapper.

Je m’enferme dans cette vie respectable, je me complais dans ce petit monde clos qui est le mien. Cette sensation d’abandon, de décadence que j’avais ressentis alors me donne envie de vomir. Jamais je ne cesserai de regretter cette folie, cette erreur.

Et pourtant, la proposition que Sho m’a faite, la dernière fois que je l’ai vu ne cesse de me revenir en tête… « Si un jour tu te décides à voir la réalité en face, tu sais où me trouver… »
Quelle réalité ? Ma réalité est ici et elle me va. Je suis heureuse comme ça. Et si j’en viens à l’oublier un jour, cet enfant est là pour me le rappeler. Je vais aimer ce petit être tant et si fort que je finirai bien par oublier ce coup de canif dans le contrat…

sakurai sho x oc, os

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