Cendres et contes de fées

Dec 29, 2007 12:29


Titre : Cendres et contes de fées
Catégorie : réponse au défi « le sorcier du mois de décembre » : Merope Gaunt
Genre : Angst
Rating : avec hésitation, NC-17, pour violence et suggestion        
Disclaimer : Harry Potter appartient à JKR. Plus des allusions imprécises à des contes célèbres.

Un jour, mon prince viendra.
Merope serre les feuillets écornés contre son cœur.
Son père lui a ordonné de nettoyer le débarras. La corvée, dégradante pour un sorcier de sang pur,  échoit tout naturellement à elle, la « propre à rien de Cracmolle ».
Mais à présent qu’elle parcourt avidement les restes d’un recueil de conte de fées rongés par les termites, tout cela n’a plus d’importance.
« Souillon ! »
Cette fois, l’injure lancée par Morfin ne l’atteint pas. La malheureuse princesse du conte est elle aussi maltraitée et humiliée par sa famille, réduite à vivre dans la crasse et la saleté, vêtue de haillons.
Comme Cendrillon, Merope se tait et obéit sans murmurer. Au fil des ans, elle s’enfonce davantage dans les recoins poussiéreux des tentures qui ont perdu leur splendeur passée, ou sous les tabourets boiteux. N’importe quelle cachette fait l’affaire, du moment qu’elle lui accorde quelques minutes de répit supplémentaires. Son père et son frère la découvriront bien assez tôt, et elle deviendra à nouveau Sally entre leurs mains.
Sally, c’est cette poupée de chiffons, toute molle, qu’une vieille femme du village a offert à Merope quand elle avait six ans. Merope en a seize maintenant, mais elle se souvient nettement de Sally, de ses membres pendants qui l’étonnaient (où étaient ses os ?).
Sally possédait des billes toutes rondes en guise d’yeux, et Merope était gênée par ces paupières qui ne se fermaient jamais. Quand Sally dormait-elle ?
Malgré toutes ses bizarreries, Merope a aimé Sally, sa douceur inattendue quand elle avait touché sa peau de tissu. Elle a hurlé lorsque Morfin lui a coupé les mains, puis les pieds, puis la tête.
Elle ne crie même plus quand les coups pleuvent de partout, secs comme de la grêle. Son père l’empoigne par les cheveux- elle ne croise pas son regard, parce qu’elle sait que ses yeux sont injectés de sang et cette vision ne lui révèle que trop le supplice coutumier qui l’attend-, et il cogne sa tête contre le mur, à plusieurs reprises.
Elle prie pour que les chocs lui fassent perdre connaissance, et elle ne s’éveillera que dans cent ans, comme au sortir d’un long sommeil…    
Il est suffisamment habile pour qu’elle reste consciente. Son frère les rejoint, titubant sous l’emprise de l’alcool, et soudain la douleur n’est plus circonscrite. Merope ne se sert pas de ses bras comme bouclier : quels coups parer ?
Sa vue se trouble alors qu’ils s’acharnent sur sa chair meurtrie. Immobile, Merope joue à la poupée désarticulée.
Le Prince embrasse la Princesse endormie.
Elle ouvre ses yeux, et dit sereinement :
«Vous vous êtes fait attendre ».

Le Cavalier passe au grand galop.
Merope entr’aperçoit ses yeux noirs emplis de mystère, ses cheveux d’encre, ses traits finement ciselés, ses lèvres pleines…
Un rayon de soleil éclaire les grains du nuage de poussière soulevés par les sabots de son cheval.
Elle se réfugie dans l’âtre éteint, au milieu des cendres qui lui rappellent ces firmaments de poussière et le jeune Tom Jedusor.
Ce soir-là, elle croit sa dernière heure venue quand son frère serre son cou frêle entre ses mains rudes et puissantes, comme pour en extirper jusqu’au dernier souffle de vie.
Contre toute attente, Merope ne meurt pas, et une bonne fée nommée Azkaban lui donne la liberté.
Ses doigts se referment autour du médaillon des Gaunt. Les traits de Merope se durcissent : elle se souvient qu’elle est l’héritière de Serpentard, un titre qui la rend digne de son Prince.
Son bonheur s’impatiente de devoir l’attendre, il s’agite des tréfonds du grimoire d’Elixirs et autres Potions interdites qui gît sur la table de la cuisine.
Merope s’en saisit et tourne les pages, jusqu’au Philtre d’Amour.

Le Cavalier passe au grand galop.
Il descend de sa monture, respirant avec difficulté. Le soleil l’éblouit. Ce mois de juin est inhabituellement brûlant, la soif le tenaille…
« De l’eau, Messire ? ».
Il réprime un mouvement de recul à la vue de la Gaunt. Tout en elle le révulse, de ses paupières tombantes à ses traits lourds. Avec Cecilia et les autres jeunes squires du comté, il se moque d’elle pour mieux cacher la peur qu’elle lui inspire. Sans pouvoir l’expliquer, il sent confusément que la Gaunt n’est pas tout à fait « normale ».
Tom Jedusor fait la fierté de ses parents, de sa fiancée Cecilia et de tout Little Hangleton. Il respire la beauté, l’intelligence…En un mot, il est parfaitement sain de corps et d’esprit, et les êtres tels que lui éprouvent une horreur instinctive de ces contrefaçons d’êtres humains affligés de tares secrètes, telle la jeune fille sans âge qui lui tend une coupe d’eau.
Mais Tom Jedusor meurt de soif, et ce fait seul l’incite à surmonter sa répugnance envers la Gaunt.
S’il avait lu Blanche Neige, ou Hansel et Gretel, il aurait su que c’était une très mauvaise idée que d’accepter un présent comestible (ou, le cas échant, buvable) offert par une sorcière.
Le lendemain matin, son père, furieux, jette la lettre qu’il lui a laissée en guise d’explication dans la cheminée, avant de se rappeler que cette dernière est éteinte pour cause de chaleur estivale. Sur son ordre, un domestique se précipite pour enflammer les feuillets recouverts de la grande écriture de Tom.
Les mots passionnés par lesquels le Prince de Little Hangleton déclare son éternel amour pour Merope Gaunt rejoignent les cendres.

Autrefois, Merope pensait qu’elle ne se lasserait jamais d’entendre : « je t’aime ».
Les premiers temps de leur union ont surpassé ses rêves les plus fous. Il lui appartenait corps et âme, comme elle lui était attachée à tout jamais. Du moins, c’est ce qu’elle croyait.
Aujourd’hui, elle en a assez d’être toujours la première à initier leurs baisers, à quémander une preuve de tendresse.
Elle ne comprend pas pourquoi il persiste à être « froid » avec elle. Bien sûr, elle n’a qu’à ordonner pour être servie, mais elle veut son Prince charmant, pas un elfe de maison.
Mérope a augmenté sa dose matinale de Philtre, mais il demeure cet amant sans âme qu’elle commence à haïr, parce qu’elle ne supporte plus qu’au plus fort de leurs étreintes, il ne réponde pas à son enthousiasme. Parce qu’il lui oppose ses yeux vides quand elle se donne toute entière. Parce que cette résignation lui rappelle qu’il subit ses caresses et ses baisers.
Sans le Philtre, qu’en serait-il ?
Merope veut chasser ces pensées, mais alors qu’elle mord furieusement la lèvre de Tom, elle commet l’erreur de le regarder en face.
Ses yeux noirs brillent de l’éclat placide de billes d’agate.    
Sally…
Merope se retire brusquement, sans qu’il la retienne. Pendant une semaine, elle ne partage pas la couche de Tom, en pénitence.
Mais le huitième jour, la tentation est trop forte. Elle ne peut pas se passer des bras de Tom encerclant sa taille, de la chaleur qui émane de lui, de la sensation de ses lèvres contre son cou…
Tout sentiment de culpabilité s’évanouit alors qu’elle lui demande s’il l’aime, et qu’il lui répond qu’il adore sa Princesse, entre autres paroles si douces qu’elles ne peuvent que provenir d’un homme amoureux.
Merope cède à son désir, sa foi dans le Philtre renouvelée.

Merope est confiante. 
Chaque jour qui passe l’assure de l’amour que lui porte Tom. Jour et nuit, il ne la quitte pas. Ils se suffisent à eux-mêmes. Il ne veut qu’elle, ne désire qu’elle.
Ils vécurent heureux…
A présent, elle porte son descendant. Elle sait que ce sera un garçon, qu’il sera beau comme son père, et qu’elle l’appellera Tom.
La dernière partie du conte se réalise. La boucle est bouclée.
 …et eurent beaucoup d’enfants.
Merope connait les moindres recoins du cœur de Tom, et ce cœur est tout à elle. Le Philtre a pu aider, mais la précaution est superflue désormais.
Dans le pire des cas, Tom est un gentleman. En homme d’honneur, quels que puissent être ses sentiments, il ne pourra pas abandonner la chair de sa chair, Tom Jedusor Junior. Il accomplira son devoir de père.
Merope rit nerveusement, s’interrompant quand Tom remue à côté d’elle. Doucement, elle se glisse hors du lit. Sur la pointe des pieds, elle rejoint la cheminée.
Il l’aime, il le lui a une fois de plus prouvé au cours de la nuit. Quelle garantie lui faut-il de plus ?
C’est maintenant ou jamais.
D’un geste, Merope vide dans l’âtre l’ensemble de ses réserves. Demain matin, pour la première fois depuis des années, Tom ne sera plus sous l’emprise de l’élixir.
Toute à son euphorie, elle ne se souvient pas de ce  conte médiéval associant Tristan, Yseult, et un philtre d’amour. Un beau conte d’amour et de mort, avertissait-on dès la préface.
Les amours pharmacopées sont brèves et finissent mal. Mais cette morale-là, Merope l’ignore encore, alors qu’elle s’apprête à passer éveillée les quelques heures qui la séparent de l’aube, assise à même le sol, tout près des cendres. 
 

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