Titre : Incompréhensions
Auteur.e : Caihong (Participant.e 11)
Pour : Soresu (Participant.e 1)
Fandom : Scum Villain’s Self-Salvation System
Persos/Couple : Luo Binghe/Shen (Yuan) Qingqiu
Rating : PG-12
Disclaimer : SVSSS appartient à Mo Xiang Tong Xiu
Prompt : Luo Binghe revient de l’Abysse en tant que roi des démons et déclare la guerre aux clans. Sa seule condition pour l’éviter : qu’on lui donne Shen Qingqiu en mariage. Luo Binghe est en fait juste extrêmement maladroit dans sa séduction. Il revient moins furieux parce que Shang Qinghua lui fait des rapports réguliers sur son Shizun et le deuil auquel il fait face et Il veut juste rendre son shizun heureux (et avoir quelque réponses au passage). SQQ est persuadé qu’on l’envoie juste à l’abattoir et parce qu’ils sont un peu bêtes, il y a des quiproquos mais ça finit par marcher et ils vécurent heureux et un peu bêtes XD
Notes : je ne sais pas si cette réponse correspond réellement à ce que tu attendais (notamment en ce qui concerne les quiproquos), j’ai aussi pas mal collé à certaines choses du roman, mais j’espère que cette fic te plaira malgré tout !
L’annonce fut brutale, surprenante. Personne ne s’était attendu à ce qu’un jour, un jeune homme apparût de nulle part, prétendît être le roi des Démons et déclarât la guerre à l’ensemble des sectes. Personne n’avait envisagé non plus son unique condition pour l’éviter : lui offrir Shen Qingqiu, de la secte Cang Qiong, en mariage. Une proposition assez curieuse, qui interpella tout le monde.
Peu se rappelaient alors de ce jeune homme, prétendument mort pendant la compétition désastreuse qui avait coûté la vie à de nombreux disciples, trois ans plus tôt. Les quelques concernés s’étonnèrent de sa survie et s’interrogèrent.
Personne ne comprit, beaucoup envisagèrent une plaisanterie, certains n’y accordèrent même aucun crédit. L’arrivée d’une immense armée démoniaque dans leur monde dissipa tous les doutes. Cet homme était vraisemblablement fou, ou au moins étrange, mais il ne mentait pas sur les moyens dont il disposait. Les démons avaient trouvé leur roi, et ce dernier était venu avec une seule exigence qui leur assurerait la paix. Une exigence excentrique qui ne concernait que peu de personnes ; une seule, en vérité.
Ainsi, tous les regards se tournèrent vers la secte Cang Qiong, dans l’attente.
**
Lorsque Shen Qingqiu apprit la nouvelle, une chape de plomb s’abattit sur ses épaules jusqu’à le laisser abasourdi et terrifié. Lui non plus ne comprenait pas. Ou comprenait trop bien, et si peu en même temps. Comment avait-il pu sortir de l’Abysse si tôt ? Son si beau plan de secours était loin d’être prêt ! Dans le webnovel, sa vengeance s’était appuyée sur son procès, et il avait profité de sa séquestration au sein du palais Huan Hua pour l’exécuter ; qu’en était-il, cette fois ? Quel était donc le sens de cette demande et son lien avec la volonté de Luo Binghe de le transformer en homme-bâton ? Et son harem ? Désirait-il, avant de le tuer, de l’humilier en l’y intégrant ? Pourquoi ? À quoi devait-il ce changement ? Il ne s’était pas montré plus cruel que le Shen Qingqiu originel, bien au contraire !
Ou peut-être est-ce là le problème ? Parce que je l’ai traité comme un maître aimant, la trahison s’est révélée plus terrible pour lui ? Un nœud lui noua les entrailles et refusa de se dissiper. Dire qu’il avait cru agir au mieux, mais sans doute n’avait-il qu’envenimé les choses !
- Rassure-toi, nous ne te livrerons pas, affirma Yue Qingyuan en posant sa main sur son épaule, sur un ton rassurant. Nous te protègerons, peu importe le temps que cette histoire durera.
- Cette demande est totalement grotesque, marmonna Liu Qingge, davantage pour lui-même.
Shen Qingqiu acquiesça sans oser répondre. Il doutait que ce fût si simple. Luo Binghe n’abandonnerait pas si aisément ; sa colère était immense. Il était désormais l’un des individus les plus puissants de ce monde. Liu Qingge était mort à ce stade du novel ; sa présence changerait-elle réellement la donne et assurerait-elle sa survie ?
- Ne fais pas cette tête. Tu n’iras pas, affirma Liu Qingge avec une telle assurance qu’un instant, Shen Qingqiu y crut.
Cependant, il craignait les répercussions de cette décision, se demandait jusqu’où iraient les choses s’ils s’obstinaient dans ce refus.
Ses adelphes martiaux ignorèrent ses hésitations. Ainsi, leur réponse ne tarda pas : la secte Cang Qiong refusa d’accéder à cette requête qu’ils déclarèrent absurde.
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- Était-ce trop direct ?
Assis sur son trône, Luo Binghe hésitait. Avait-il réellement bien fait ? Son maître comprendrait-il ? C’était la méthode la plus rapide et la plus simple qu’il avait envisagée. Initialement, malgré sa fureur et sa détresse, il avait réfléchi à la meilleure façon de prouver à son maître que, malgré ses origines, il était capable de devenir un cultivateur comme un autre, méritant de revenir à ses côtés. Il avait fini par interroger Shang Qinghua, qui lui avait indiqué l’état dans lequel sa mort avait plongé Shen Qingqiu. Une attitude incompréhensible, puisqu’il était responsable de ce pseudo-trépas, mais qui l’avait autant soulagé que rempli d’allégresse. Il avait alors pensé se rendre directement à la secte pour le voir. Cependant, les seigneurs des pics devaient connaître sa nature, désormais ; ils étaient susceptibles de le bloquer et de l’en empêcher. Il avait beau retourner la situation dans tous les sens, cette décision lui paraissait pertinente.
Et pourtant, il ne parvenait pas à se tranquilliser. Le stress, peut-être. L’attente, aussi.
Personne ne répondit à sa question murmurée pour lui-même. La salle était presque vide ; seuls ses subalternes les plus proches se tenaient à ses côtés, ainsi que Shang Qinghua. Ce dernier évitait de le regarder, bien que son envie de se frapper le front fût forte. Trop direct ? Ce n’était pas seulement trop direct, c’était du n’importe quoi ! Dans quel monde avait-il vu cette proposition de mariage forcée comme une méthode de séduction valable ? Comment mon protagoniste peut-il être aussi stupide ?
- Comment séduit-on la personne que l’on aime ?
Shang Qinghua tourna brusquement la tête vers lui, stupéfait, tandis que Sha Hualing et Mobei-Jun observaient leur roi d’un air étrange. Était-il réellement en train de le leur demander, à eux ? Pas en lui adressant une demande en mariage forcée, pour commencer !
La bulle de perplexité dans laquelle Luo Binghe avait plongé ses lieutenants éclata à l’arrivée prudente d’un démon que Shang Qinghua peina à reconnaître. Il s’agissait d’un membre du groupe laissé dans le monde des humains, afin de recueillir la réponse de la secte Cang Qiong. Luo Binghe se redressa vivement à sa vue, euphorique. Cependant, son enthousiasme diminua lorsqu’il se rendit compte du malaise qui transparaissait de tout l’être de son sujet. Disparut complètement lorsque ce dernier balbutia la réponse tant attendue, au contenu non espéré. Il serra les poings, provoquant un raidissement immédiat de tout le monde autour de lui.
- Ils refusent ?
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Les jours passèrent, tendus ; la secte Cang Qiong persista dans son refus, Luo Binghe s’agaça et le monde s’impatienta. La guerre était bien trop facile à éviter pour qu’ils la risquassent. Que valait la vie d’un seul homme contre celles d’innombrables autres ? Ou, plus vraisemblablement, que valait sa seule vertu contre la vie de tant d’autres ? Car il ne s’agissait que d’un mariage !
Shen Qingqiu ne savait s’il devait en rire. Sa seule vertu ? Juste un mariage ? Il était si aisé pour eux de fermer les yeux sur ce qu’il en était réellement ; ils n’étaient pas concernés, après tout ! Cependant, ils avaient malheureusement raison. Sa conscience se tordait à l’idée de sacrifier tant de vies pour sa sûreté personnelle, qui n’était, par ailleurs, même pas garantie. Comment pouvait-il critiquer les décisions du Shen Qingqiu originel s’il se montrait si égoïste ? Comment lui en vouloir pour la mort de Yue Qingyuan si lui-même causait celle de tous les siens ? Il ne désirait nullement provoquer la ruine de la secte toute entière, un risque non négligeable s’ils persistaient à défier le protagoniste. Le simple fait d’être qui il était lui garantissait sa future réussite.
Aussi, il céda, et s’assura que la nouvelle fût transmise à qui de droit. Il fit la sourde oreille aux protestations de ses adelphes martiaux, la mort dans l’âme et résigné. Il aurait voulu croire à une autre issue possible, mais celle-ci paraissait inéluctable. Au moins ses confrères et amis ne tomberaient-ils pas avec lui.
La réponse de Luo Binghe ne tarda pas, à son grand malheur ; quelques heures plus tard, ce dernier se tenait dans l’enceinte de la secte avec son escorte, prêt à le récupérer. L’atmosphère était électrique ; les seigneurs des pics, tendus et furieux de cette intrusion, ne cherchaient cependant pas à les chasser uniquement parce que Shen Qingqiu les avait implorés de ne pas le faire.
Une dizaine de pas seulement les séparait, désormais. Affirmer que Luo Binghe était heureux était un euphémisme. Son visage rayonnant, presque exalté, donna des sueurs froides à Shen Qingqiu. Il ferma brièvement les yeux. Ainsi, l’heure était venue.
- Cela fait longtemps. Je suis heureux de vous revoir, Shizun.
Un frisson parcourut son corps. Cette appellation qu’il persistait à utiliser et ce ton affectueux rendaient cet instant plus effrayant encore. Comme dans le novel, Luo Binghe se révélait être un sacré acteur ; Shen Qingqiu aurait réellement pu croire qu’il était heureux, s’il ne connaissait pas son côté manipulateur, apparu suite à son séjour dans l’Abysse. Ou peut-être l’était-il vraiment ; après tout, l’heure de la vengeance avait sonné.
Près de lui, ses confrères perçurent son malaise et leur propre frustration s’accrut. Ils avaient l’impression de vendre leur camarade, alors qu’ils s’étaient juré une fidélité absolue.
- Tu n’es pas obligé d’y aller, insista Yue Qingyuan, d’une voix presque suppliante. Nous pouvons -
- Non, refusa une fois encore Shen Qingqiu en secouant la tête, avant de lui adresser un léger sourire. Ça va aller.
Du coin de l’œil, il s’aperçut que Liu Qingge s’apprêtait à intervenir à son tour et s’inquiéta de la main qu’il tendait déjà vers la garde de son épée. Il secoua la tête en sa direction pour lui signifier de rester tranquille puis, la mort dans l’âme, il amorça un premier pas vers Luo Binghe, puis un second, jusqu’à se tenir face à lui. Ce dernier lui sourit et lui tendit la main. Après un instant d’hésitation, il la saisit pour se retrouver à ses côtés. Lorsqu’il fut assez près de lui, le jeune homme lui souffla à l’oreille :
- Il va falloir que nous discutions. Ce disciple a quelques questions à vous poser.
Shen Qingqiu écarquilla les yeux, pâlit, crut qu’il allait s’évanouir. Discuter ? Il voulait discuter ? Il pinça les lèvres pour retenir un rire sans joie. Ainsi, il désirait d’abord l’interroger avant de le torturer puis de le tuer, en plus de l’humilier. Tout un programme.
- Ne vous inquiétez pas, affirma Luo Binghe à l’adresse de tous, en serrant Shen Qingqiu contre lui. Ce disciple est tout à fait capable de s’occuper de son maître.
Des hoquets indignés accueillirent ces paroles, la tension monta d’un cran et le concerné lui-même se sentit défaillir. Seul le bras ferme de Luo Binghe le maintint debout. Dans son esprit, Shen Qingqiu gémit de désespoir. Pourquoi n’avait-il pas envisagé de plan C ?
Avant que les seigneurs des pics n’eussent l’occasion de répliquer à cet outrage, Luo Binghe et son escorte disparurent, emportant Shen Qingqiu avec eux.
**
Shen Qingqiu ne se sentit pas le moins du monde soulagé lorsque Luo Binghe ordonna à son escorte de se disperser, avant de lui signifier d’un geste de le suivre. Résigné, il lui emboîta le pas, peu désireux de connaître leur destination. Une salle de torture ou une quelconque prison mal aménagée sonnaient comme des options tout à fait valables.
Lui était-il possible de quitter ce corps avant qu’il ne subît diverses tortures ?
Le trajet dans les couloirs prit des allures de marche funèbre, une impression accentuée par le silence seulement entrecoupé par l’écho de leurs pas et les recoins enténébrés. Luo Binghe ne cessa de lui jeter des œillades à la dérobée et fronça les sourcils en constatant ses traits fermés. Il ne comprenait pas.
Lorsque le jeune homme l’invita à gagner une pièce, Shen Qingqiu eut la surprise de se retrouver dans un appartement luxueux et non une geôle lugubre. Certains détails lui rappelèrent sa maison de bambou au pic Qing Jing et titillèrent sa nostalgie.
Près de lui, Luo Binghe se racla la gorge.
- Shizun…
Shen Qingqiu sentit sa main sur son épaule, retint un cri terrifié, fit volteface et recula tout en le repoussant dans le même mouvement. Il faillit tomber en arrière mais se rattrapa de justesse. Son disciple n’avait reculé que d’un pas. La main tendue vers lui, il affichait un air d’incompréhension totale qui se dissipa, remplacée par une certaine amertume. Un rictus éleva la commissure de ses lèvres et remplit Shen Qingqiu d’angoisse.
- Je… Ce disciple comprend. La situation doit vous sembler… troublante.
Troublante ? Ce n’était pas exactement le terme ! Tu veux me torturer et me tuer, je suis plus que troublé !
Luo Binghe laissa retomber sa main le long de son corps.
- Ce disciple vous laisse vous installer et reviendra plus tard. Nous avons beaucoup de choses à discuter… dont du mariage.
Shen Qingqiu contracta les mâchoires sans répondre, lui signifiant du regard qu’il ne désirait qu’une chose, qu’il quittât la pièce au plus vite. Discuter du mariage ? Et que voulait-il discuter ? Il le lui imposait ! Désirait-il l’humilier davantage en prétendant l’inclure dans sa préparation ?
Et alors que Luo Binghe disparaissait derrière la porte de sa nouvelle prison, Shen Qingqiu commença à se dire que la mort aurait peut-être été préférable à ce que son disciple lui réservait.
**
- C’est ici.
La vision du jardin de bambous lui offrit autant d’apaisement que de tourments. Le tout avait été aménagé de telle sorte qu’il ressemblait à une parcelle du pic Qing Jing - l’inspiration était indéniable. Quel en était donc l’objectif ? Recréer une sorte de cadre pour mettre en application sa vengeance, comme s’ils se trouvaient au pic Qing Jing lui-même ?
Shen Qingqiu était trop abasourdi et choqué pour seulement émettre un son. Près de lui, Luo Binghe souriait, fier de son effet. Il lui désigna une petite table, l’invita à s’y asseoir. Le service était déjà prêt. Plusieurs petits contenants en occupaient la surface, recouverts d’un couvercle. Shen Qingqiu tendit distraitement les doigts vers l’un d’eux, sentit la chaleur qui en exhalait, puis il balaya une nouvelle fois du regard ce décor tranquille et horrifique.
- Ce disciple l’a fait aménager… pour vous, avoua-t-il d’un ton presque timide, tandis qu’il prenait place à son tour.
Shen Qingqiu déglutit, acquiesça faiblement avant de baisser la tête. Son hypothèse se voyait confortée. C’était certainement là que tout se jouerait.
Luo Binghe le fixa puis fronça les sourcils devant son absence d’entrain et son refus de soutenir son regard. Ses poings se serrèrent sous la table. Quelque chose n’allait pas. N’aurait-il pas dû se montrer heureux de sa survie et lui réclamer des nouvelles, ou s’enthousiasmer de ces efforts ? Pourtant, il conservait le silence, les traits fermés, le visage partiellement caché par l’éventail qu’il venait de déplier. Une attitude à laquelle il s’était attendu, avant l’aveu de Shang Qinghua. Tout, chez lui, trahissait ce dédain et cette haine que Luo Binghe craignait de confronter.
Un faux sourire sur les lèvres, il lui désigna alors les plats d’une main, lui proposa de se servir à l’envie. Shen Qingqiu hésita une seconde, avant de soulever un premier couvercle. Il ne savait pas à quoi s’attendre ; il peinait à concevoir l’intérêt de ce repas pour son ancien disciple. Souhaitait-il rejouer une scène avant d’entrer dans le vif du sujet ? Lui accorder un dernier instant de pseudo-tranquillité avant cela ? Ou l’attente, l’angoisse qu’elle générait, étaient-elles incluses dans son plan ?
Shen Qingqiu se figea. Des petits pains fourrés à la viande hachée se serraient dans la boîte en bambou. Le nuage de vapeur se dissipa dans les airs en de légères volutes éphémères. L’odeur, alléchante, lui titilla les narines, et un haut-le-cœur le saisit. Il y avait forcément un message, n’est-ce pas ? Lui signifiait-il ainsi qu’il finirait dans cet état, le corps trop massacré pour être identifiable, voire que sa chair serait intégrée à de la nourriture ? Il eut envie de vomir, bien que son estomac fût vide. Il n’avait presque rien mangé depuis l’annonce, et il ne serait pas plus capable d’avaler quelque chose au cours de ce repas.
- Quelque chose ne va pas, Shizun ?
Comment cela pourrait-il aller ? Tu veux me voir souffrir et me tuer ! eut-il envie de répliquer, mais il s’en abstint. Il lui adressa un sourire feint, évita de croiser son regard. Il refusait de discerner la lueur de satisfaction qui devait briller dans ses prunelles pourpres.
- Un simple malaise, affirma-t-il, comme il sentait Luo Binghe se tendre.
Inutile de le provoquer ni de l’énerver. Affronter un repas n’était pas le pire, et il ne voulait pas hâter la survenue de la suite.
- C’est en train de passer.
Luo Binghe le jaugea pendant quelques secondes, sceptique. Comme Shen Qingqiu attrapa des baguettes et se força à se servir, il se détendit un peu et attrapa des baguettes à son tour avant de l’imiter.
- Ce disciple a cru que vous refuseriez de manger, lâcha-t-il, soulagé.
Shen Qingqiu garda le silence, songeur. Il y avait cru, lui aussi. La nourriture se réduisait en cendres dans sa bouche, mais cela lui paraissait préférable à d’autres éventualités. Pourquoi continues-tu de te désigner comme un disciple ? Tu es bien plus puissant que moi, je n’aurais plus rien à t’apprendre. Essaies-tu de me faire culpabiliser ? De me rendre nostalgique en repensant au passé, lorsque tu cuisinais pour moi ? Il jugea cette hypothèse tout à fait valable et cela le déprima. Luo Binghe n’avait pas conscience d’à quel point il l’était déjà, d’à quel point il regrettait son petit lotus blanc, pur et innocent. Une version de lui morte avec sa chute dans l’Abysse, que Shen Qingqiu avait enterrée des années plus tôt.
Aucun d’eux ne prononça la moindre parole pendant de longues minutes. Les secondes s’étiraient en une lente torture pour Shen Qingqiu tandis que Luo Binghe, lui, réfléchissait en vain à un moyen d’engager la conversation. Il avait tant de choses à lui demander… tant de choses qu’il désirait savoir.
Un instant, il aperçut une légère trace de sauce sur la joue de son maître. Il tendit alors instinctivement la main pour l’essuyer. Shen Qingqiu lâcha brusquement ses baguettes et recula son visage, pâle comme la mort, épouvanté. Luo Binghe se figea, stupéfait, puis un goût amer imprégna sa langue. Ainsi, même un simple contact le rebutait autant ? Ce constat le blessa. À cet instant, il se mit à douter des paroles de Shang Qinghua. Son dégoût était si évident, et cette façon de le rejeter trahissait tant toute cette haine qu’il nourrissait pour lui, à présent ! Lui, la nourriture qu’il grignotait du bout des lèvres, le jardin… rien ne trouvait grâce à ses yeux, contaminés par les relents d’un monde qu’il exécrait. Luo Binghe pourrait tenter tout ce qu’il voulait, cela ne changerait rien, n’est-ce pas ?
- Vous haïssez vraiment les démons, n’est-ce pas ? lâcha-t-il soudain en se levant.
Il avait besoin de prendre l’air. Il aspirait à la compagnie de Shen Qingqiu mais ne supportait pas sa haine, son mépris à son égard. Il donnerait tout pour le rendre heureux, s’il lui en donnait seulement l’occasion. S’il cessait de s’arrêter sur sa nature semi-démoniaque.
Shen Qingqiu le considéra, interloqué. Quel était le sens de cette question ? Il hésita un instant, puis songea qu’il évoquait sa présence en ces lieux de manière générale et sa propre attitude. Il était incapable de feindre un enthousiasme qu’il n’avait pas. Il allait mourir, il le savait et Luo Binghe aussi, alors pourquoi le prétendre ? Il soupira. Qu’il les haït ou pas, quelle différence à présent ?
- Comment pourrais-je être heureux d’être ici ? lâcha-t-il plutôt, dans un soupir.
Luo Binghe se raidit sous le choc, puis un sourire étrange étira ses lèvres.
- Oui, pourquoi ?
Il le salua avant de prendre congé, lui promit de revenir bientôt. Shen Qingqiu médita un moment sur la signification de son attitude, sans parvenir à la découvrir.
**
- Où est Shang Qinghua ? grogna-t-il, fusillant un pan de mur du regard comme s’il espérait ainsi le transpercer.
Plusieurs jours s’étaient écoulés depuis que Luo Binghe avait récupéré son maître à la montagne Cang Qiong et rien n’avait changé. Il avait tenté quelques méthodes de séduction sur les conseils de ses subalternes mais rien n’avait trouvé grâce à ses yeux, ni le cadavre du monstre rare qu’il lui avait offert - Shen Qingqiu s’était même affaissé, comme sur le point de s’évanouir, puis s’était écarté vivement lorsque Luo Binghe l’avait rattrapé -, ni ses autres cadeaux ou autres gestes d’attention. Il ne comprenait pas. Il en venait même à se demander s’il n’avait pas rêvé les propos de Shang Qinghua ! Aussi désirait-il confirmation le plus vite possible ; il l’avait convoqué, mais l’humain avait argué que ce n’était pas si simple de s’éclipser de la secte, surtout en ce moment, à cause de l’effervescence consécutive à l’enlèvement de l’un de leurs seigneurs. Car, pour la secte Cang Qiong, Luo Binghe avait enlevé l’un des leurs. Ce dernier ne s’en inquiétait pas. Qu’ils s’agitassent donc ; ils ne pouvaient rien lui faire. Ils finiraient par se résigner.
- Il arrive, répondit vaguement Mobei-Jun, tandis que ses yeux erraient vers l’entrée de la pièce.
Luo Binghe s’agaça de cette réponse qu’il jugea trop évasive avant d’entendre l’écho de ses pas. Il se redressa. Aussitôt que Shang Qinghua apparut, il fut sur lui.
- Toi…
Shang Qinghua laissa échapper un couinement de frayeur et tenta de se cacher derrière Mobei-Jun, en vain. Ce dernier le repoussa auprès de son roi, puis croisa les bras dans son dos, resta. Luo Binghe plissa les yeux en baissant la tête vers Shang Qinghua tandis que ce dernier tremblait, imaginant déjà son cadavre fraîchement tué. Pourquoi avait-il donné un air si effrayant à son protagoniste, déjà ? Et pourquoi cette convocation soudaine ?
- Ai-je rêvé ? Ou m’as-tu menti ? Au sujet de Shizun qui se serait affligé de ma mort ?
Shang Qinghua crut avoir mal entendu.
- Q-quoi ?
Luo Binghe insista, avant de lui décrire avec dépit l’attitude de son maître qui détrompait les propos qu’il venait de citer. Il attrapa les épaules de l’espion, comme pour le prendre à témoin, le secouant au passage. Shang Qinghua tenta de se dégager de sa poigne, en vain.
- Je n’ai pas menti ! Il vous suffirait de demander à n’importe qui de la secte, tout le monde le comparait à une épouse en deuil tellement son affliction était flagrante ! Il a même érigé une tombe avec votre ancienne épée au pic Qing Jing, vous pouvez aller voir !
- Alors pourquoi ? Pourquoi agit-il ainsi ? Comme si je le dégoûtais ? marmonna-t-il pour lui-même, daignant enfin lâcher Shang Qinghua dans le même temps.
Ce dernier en profita pour reculer puis massa ses épaules. Il haussa un sourcil perplexe. Il le dégoûtait ? À aucun moment, Shen Yuan ne lui avait paru dégoûté par lui… Oh ! Une idée émergea brusquement dans son esprit. Sa fameuse stratégie pour éviter de finir en homme-bâton, avec la graine ! Il devait toujours croire que Luo Binghe aspirait à le transformer ainsi pour se venger. Il n’avait pas conscience des sentiments que ce dernier nourrissait pour lui, et qui changeaient toute la donne. C’était compréhensible ; envisager une telle hypothèse n’était pas intuitif, surtout après de telles tentatives de séduction ratées - Luo Binghe avait grandi parmi les humains, comment parvenait-il à être si nul ? Il aurait dû trouver logique qu’offrir une tête ensanglantée ne plairait pas !
Pourtant, était-ce si dur, pour son camarade de transmigration, de penser à la possibilité que cette torture ne fût plus d’actualité, après tous les changements que Shen Yuan avait apportés au scénario ?
Qu’ils étaient bêtes, tous les deux !
- Excusez-moi mais… êtes-vous sûr d’avoir été clair sur vos intentions à son égard ?
S’il pouvait résoudre cela par lui-même… il n’avait pas envie que Shen Yuan tentât de l’assassiner s’il allait le voir pour en discuter !
- Et lui avez-vous demandé ce que vous désiriez savoir ?
Ses questions plongèrent Luo Binghe dans un silence songeur. Shang Qinghua devina que la réponse était négative.
**
Une fois encore, Shen Qingqiu contempla sans un mot ce que Luo Binghe avait apporté avant de détourner les yeux, puis de cacher son visage derrière son éventail. Luo Binghe déposa ses offrandes sur la table avant de s’asseoir à son tour. Il s’agissait de friandises importées du monde humain, dont des tanghulus, sur lesquels le regard de Shen Qingqiu s’était attardé, comme horrifié. Les traits de Luo Binghe se fermèrent. Que croyait-il, qu’il allait l’embrocher avec ?
- Ils viennent tous du monde des humains. Vous pouvez les manger sans crainte.
Pas qu’il risquât davantage avec la nourriture de ce monde, Luo Binghe s’en assurerait, mais la réticence de Shen Qingqiu demeurait sans équivoque sur ses pensées. Cette attitude devenait également inquiétante ; il avait peu mangé, depuis son arrivée, ce que lui confirmaient les serviteurs qu’il avait affectés à sa suite. Il ne savait comment agir. Le forcer à s’alimenter ne ferait qu’aggraver le fossé qui existait entre eux.
Shen Qingqiu hocha vaguement la tête sans répondre, conservant cette distance qu’il ne cessait d’appliquer entre eux. Une moue dépitée et amère tordit un instant les traits du jeune homme. C’était vraiment lui le problème, n’est-ce pas ?
Pourtant, Shen Qingqiu finit par déposer son éventail, attrapa une première friandise et la porta à sa bouche. Dernier repas du condamné, hein ? À ses yeux, c’était la seule chose qui expliquât cette ‘faveur’ ; il avait conscience de l’impatience grandissante de Luo Binghe et devinait qu’elle ne tarderait pas à exploser, ce qui lancerait le réel début des hostilités. Shen Qingqiu était si usé par l’attente qu’il ne savait plus s’il espérait le voir surgir le plus tard possible ou si, au contraire, il aspirait à ce que tout s’achevât au plus vite.
Une chose l’étonnait cependant. Il avait cru intégrer le harem de Luo Binghe avant le bouquet final qui précèderait sa mise à mort, or il n’en avait vu nulle trace, entendu nul écho, comme s’il n’existait pas. Aussi profita-t-il du silence songeur de son vis-à-vis pour lui demander :
- Et Liu Mingyan ? Et Ning Ying ? Où sont-elles ?
Luo Binghe écarquilla les yeux, estomaqué, puis son visage s’assombrit, une lueur de jalousie brillant dans son regard. Shen Qingqiu la rata, ne notant que sa colère grondante.
- Qu’en sais-je ? Pourquoi, elles vous manquent ?
- Elles ne figurent pas dans ton harem ?
- Mon harem ?
Luo Binghe serra les poings sur la table, lâcha la boulette de sucre qu’il tenait. Il s’essuya tranquillement les mains avant de lâcher :
- Ainsi, vous nourrissez une image si mauvaise de moi que vous me croyez occupé à me constituer un harem…
Pas que, protesta vaguement Shen Qingqiu dans son esprit, même si l’entretien de ce fameux harem aurait dû occuper une bonne partie de son temps - les scènes érotiques composaient une part majeure du récit ! Et où était le problème ? Il était le protagoniste, il était normal qu’il eût autant de succès ! Peut-être que le fait d’être revenu plus tôt avait diminué ses compétences de séduction et qu’il ne l’assumait pas ?
Il remarqua que Luo Binghe le fixait et frissonna sous l’insistance de ce regard.
- Ce disciple n’a qu’une seule personne à l’esprit, affirma-t-il. Une seule. Il se fiche des autres.
Shen Qingqiu cligna des yeux avant de l’observer, hébété. Était-il réellement en train de parler d’une personne pour qui il nourrirait des sentiments ? Une seule ? Et les autres ? Et qui ? Qui aurait réussi l’exploit de prendre tant d’importance dans son esprit, au point de réduire à néant son harem aux trois milles fleurs pareilles à du jade, de rendre son évocation intolérable même ? À quoi ressemblait donc une telle personne ? Elle ne doit pas être humaine, conclut-il. Ce ne devait pas être une simple démone non plus.
- Vous me haïssez tant que cela ?
- P-pardon ?
- Est-ce bien pour cela que vous m’avez repoussé dans l’Abysse ? Votre deuil dont Shang Qinghua m’a parlé, ce n’était que de la comédie, n’est-ce pas ? Ce ne peut être que cela ! Pourquoi ? Pourquoi avoir agi ainsi ? Tout le monde dit que c’était trop intense, vous n’aviez pas besoin d’en faire autant !
Shen Qingqiu écarquilla les yeux, choqué. Le sens de cette tirade lui échappait ; où s’intégrait-elle dans son plan de vengeance et quel rapport avait-elle avec les propos précédemment tenus ? Quel besoin de tenter de l’amadouer alors qu’il était déjà à sa merci ?
Luo Binghe se leva brusquement et Shen Qingqiu l’imita, prêt à fuir. Luo Binghe avança d’un pas, Shen Qingqiu recula tout autant, mais son disciple s’avéra plus rapide que lui. Ce dernier posa ses mains sur ses bras. Une sensation glacée parcourut alors l’ensemble de son corps et il eut l’impression que son esprit dérapait. L’heure de la torture approchait, finalement… juste parce qu’il avait parlé des filles !
- … alors que je vous aime -
Hein ? Shen Qingqiu scruta Luo Binghe, soudain attentif, comme si ce dernier allait soudain éclater de rire et lui annoncer qu’il ne s’agissait que d’une plaisanterie. Au lieu de cela, il repéra des larmes aux coins de ses yeux et de la détresse dans son regard. Il réalisa ensuite que, s’il avait la sensation qu’il étouffait un peu, ce n’était que parce que Luo Binghe le serrait contre lui comme si sa vie en dépendait, avec un tel désespoir que Shen Qingqiu commença à s’interroger. Il rosit, gêné par l’intimité de leur position - la pose ressemblait réellement à un couple enlacé ! - mais pas aussi rebuté qu’il l’aurait cru. Lui-même se voyait comme un hétérosexuel mais, en même temps, il n’avait pas eu une vie sentimentale des plus florissantes, et il concédait en lui-même n’avoir jamais considéré une autre éventualité pour lui-même.
Dire qu’il se sentait perdu était un euphémisme. Cela faisait des années qu’il était persuadé que Luo Binghe comptait le tuer, de sorte qu’il n’avait même pas tenté de réfléchir à d’autres possibilités. Il se sentit stupide. Il avait modifié tant de choses, déjà, pourquoi pas ce point-là aussi ? Ce pouvait n’être que de la comédie ; cependant, avouer des sentiments inexistants n’avait aucun intérêt, sauf si l’on connaissait l’amour que l’autre nourrissait pour soi et que l’on espérait l’utiliser. Luo Binghe n’avait aucune raison de le croire.
- Tu… tu n’as pas prévu de me transformer en homme-bâton ?
Luo Binghe écarquilla les yeux.
- Quoi ?!
Il marqua un bref silence, puis protesta avec indignation :
- Qui parle de vous transformer en… en homme-bâton ? Je vous protègerai de quiconque voudrait s’en prendre à vous !
De son visage transparaissait également une certaine perplexité quant à la nature de cette crainte. Une crainte sacrément précise, tout de même.
Contre toute attente, Shen Qingqiu sentit un début de soulagement le gagner. Sans doute était-ce trop rapide, mais la scène sonnait si vraie, ces quelques phrases avaient été prononcées avec une telle ferveur… qu’il commençait réellement à intégrer la possibilité que Luo Binghe fût tombé amoureux de lui. Il écarquilla les yeux lorsqu’une pensée lui vint. Attends, c’est moi qui remplace son harem, dans son esprit ? Comment une telle chose avait-elle pu se produire ? Il n’avait agi que comme un maître dévoué à son égard ! Il n’était alors qu’un adolescent pur et innocent ! Quand se serait-il soudain intéressé à lui ?
- N’as-tu pas envie de te venger pour ce qu’il s’est passé, il y a trois ans ?
Luo Binghe relâcha son étreinte et s’éloigna un peu de lui pour le fixer.
- De me venger ? Tout ce que ce disciple veut, c’est se tenir à vos côtés et vous rendre heureux. Que vous ne le haïssiez plus.
- Je ne t’ai jamais haï.
- Pardon ?
Shen Qingqiu se perdit un instant dans ses pensées, intégrant ses précédentes paroles, ainsi ne se rendit-il pas compte que son disciple le contemplait désormais avec espoir.
- Quel rapport avec cette histoire de mariage ?
Luo Binghe rosit. Son malaise fut perceptible.
- C’était pour… vous séduire ?
Le séduire ? Shen Qingqiu haussa les sourcils, interloqué. Depuis quand l’on séduisait avec une proposition de mariage forcée ? Cela n’avait rien d’une bonne méthode !
- Mais qui t’a donné une idée pareille ?
Il ne brûlait plus les étapes, à ce stade, il les snobait royalement pour se précipiter directement sur son objectif !
Il croisa les bras, son éventail calé dans le creux de son coude, à présent détendu. Devant lui, Luo Binghe se faisait tout penaud. Ce n’est définitivement pas un rêve, n’est-ce pas ? Le Luo Binghe du novel n’a jamais menti de la sorte ! Il ne se rappelait aucune scène où il aurait tenté de séduire l’une des cibles de sa vengeance, comme Shen Qingqiu ou Ming Fan. Il s’était contenté de les torturer et de leur accorder une mort affreuse.
- Et que comptais-tu faire ensuite, au juste ? Me forcer à avoir des rapports avec toi ?
Rien que de penser à l’éventuelle nuit de noces lui donnait des sueurs froides. Luo Binghe n’avait pas oublié ce genre de détails, n’est-ce pas ? Il était forcément conscient de ce qu’il se passait au sein d’un couple après une telle union !
- Non ! s’exclama Luo Binghe, horrifié. Je comptais… je… je voulais… vous séduire avant ?
Shen Qingqiu soupira et secoua la tête. Il ne savait même pas ce qu’il faisait… Qu’il était bête !
- Si… si vous ne m’avez jamais haï, alors… pourquoi m’avoir jeté dans l’Abysse ?
Shen Qingqiu ouvrit la bouche avant de la refermer, hésitant. Il lui était impossible de lui révéler la vérité, au sujet du novel, de la transmigration, et du Système qui l’avait forcé à perpétrer un tel acte au nom du respect des éléments-clés de l’intrigue. Luo Binghe n’avait aucune raison de le croire s’il prétendait qu’il était le protagoniste principal d’un roman en ligne… un roman de qualité toute relative, qui plus est.
Cependant, il devait lui fournir une explication. Luo Binghe l’en implorait du regard. Comment interpréterait-il son silence, s’il se taisait ? Risquait-il de compliquer les choses, encore une fois ?
- Tu… te souviens-tu de la question que je t’ai posée, avant que nous partions pour la compétition ?
Luo Binghe mit quelques secondes avant de tenter :
- Lorsque vous m’avez demandé ce que j’étais prêt à endurer pour protéger la personne qui m’est chère ?
Shen Qingqiu acquiesça.
- À ce moment-là, vous… vous saviez déjà… ?
- Pas tout à fait, mentit-il. Je ne savais pas pour la survenue de l’Abysse, ni pour la trahison de Shang Qinghua. Cependant… je savais déjà que tu étais en partie un démon. Et que… qu’il faudrait certainement que tu en passes par là, pour maîtriser totalement ton potentiel. Je… je me doutais que tu y survivrais, ajouta-t-il sur un ton d’excuse.
Il ne sut que dire d’autre, aussi il se tut, tout en priant pour que Luo Binghe ne lui réclamât pas des détails qu’il serait bien en peine de lui fournir. Cette justification lui paraissait tant être en carton-pâte !
D’abord hébété, Luo Binghe adopta ensuite une mine réjouie et, à son immense soulagement, il ne le poussa pas à étayer sa réponse. Soulagé, Shen Qingqiu préféra tout de même changer de sujet.
- En ce qui concerne ton, euh, ta déclaration - enfin, tes… sentiments pour moi ?
Même s’il intégrait l’idée, elle suscitait toujours autant d’incrédulité chez lui. Il était bien tenté de lui demander comment cela était arrivé, mais peut-être plus tard. D’autres choses devaient être mises au clair avant.
- Oui ?
Le ton était rempli d’espoir. Shen Qingqiu n’était pas sûr qu’il appréciât la suite ; il était incapable de lui dire qu’il lui retournait évidemment ses sentiments. Il avait besoin de temps pour y réfléchir, considérer la situation sous cet angle, et déterminer ce qu’il ressentait à cet égard. Il était conscient d’apprécier énormément Luo Binghe ; sa prétendue mort l’avait ébranlé, et il était vrai qu’il avait ressenti une affliction plus profonde qu’il ne l’aurait cru possible. Mais de là à parler d’amour romantique, à ce stade ?
- Je… je dois t’avouer n’avoir jamais envisagé les choses sous cet angle.
Luo Binghe hocha la tête, un peu déçu. Shen Qingqiu soupira intérieurement, soulagé.
- Cela ne veut pas forcément dire que c’est un refus…
Le regard du jeune homme brilla. Lui-même s’étonna en prononçant ces mots. N’était-ce pas risquer de lui créer de faux espoirs ? Envisageait-il sérieusement que sa sexualité pût changer, ou qu’il l’eût mal déterminée ?
- … je veux juste prendre le temps avant de te donner une réponse.
Luo Binghe rayonna.
- Alors, vous me donnez une chance… ?
- De me séduire. Sans mariage - ce n’est pas une technique de séduction, au passage, c’est supposé arriver après. Nous verrons pour cette histoire de fiançailles plus tard ! ajouta-t-il précipitamment.
Pourquoi ne se contentait-il pas de lui demander de l’annuler ? Il ne se comprenait pas lui-même.
- Bien sûr ! s’écria Luo Binghe, aux anges.
- Et je veux pouvoir sortir librement. On ne traite pas la personne que l’on aime comme un prisonnier.
- Vous n’êtes pas mon prisonnier ! s’exclama le disciple, horrifié que son maître le vécût comme tel.
Shen Qingqiu sourit, amusé. Était-il possible d’être si peu doué ? Il allait devoir travailler dur s’il désirait réussir sa tentative de séduction ! Parce que jusque-là, à aucun moment il n’avait eu l’impression d’être un invité libre de ses mouvements. Sans doute devrait-il le lui expliciter, comme deux ou trois autres choses. Pas qu’il fût lui-même un expert en cet art mais certaines bases, logiques en son sens, semblaient échapper à son disciple.
Lorsque ce dernier s’aperçut que son maître n’exprimait nul grief, au contraire, il se détendit, puis il lui sourit à son tour. Finalement, Shen Qingqiu se rendit compte qu’il n’était plus si pressé de disparaître de cet endroit.
Peut-être pourrait-il même s’y faire, à la longue.