[Fic] Pièce rapportée, Nimona, Nimona+Goldenloin/Blackheart [d'Alegría, pour Chewie]

Jul 29, 2024 16:46

Titre : Pièce rapportée
Auteur : Alegría (Participant.e 9)
Pour : Chewie (Participant.e 2)
Fandom : Nimona
Persos/Couple : Nimona, Goldenloin/Blackheart
Rating : K
Disclaimer : Nimona appartient à N.D.Stevenson et Troy Quane pour la version BD et le film
Prompt : Goldenloin x Blackheart. Où Goldenloin constate (ou a l’impression) que le fossé entre eux se creuse à mesure que Nimona s’insère dans la vie de Blackheart et y prend de l’importance.
- BD ou film, les deux me vont et m’intéressent. Peut amener Goldenloin à se rendre (davantage) compte du contraste avec lui-même, posé en ennemi.
Notes : J’ai choisi le film, plus frais dans ma mémoire. La fic se passe autour de la rencontre dans un bar entre Ballister et Ambrosius


Ambrosius Goldenloin se regarda dans le miroir en ajustant sa tenue, prenant soin à replacer correctement le moindre cheveu qui dépassait et que son armure brillait de milles feux. Il ne se souvenait pas avoir été aussi nerveux de sa vie, même à son premier rendez-vous amoureux avec Ballister, quand ils sortaient à peine de l’adolescence et qu’ils étaient pétrifiés d’effroi à l’idée de faire une erreur et de briser leur amitié. Il était même plus nerveux qu’avant la cérémonie qui aurait du faire de Ballister et lui deux preux chevaliers du royaume, les dignes héritiers de son ancêtre Gloreth. À ce moment là, il avait cru que le monde s’offrait à eux. Quel idiot il faisait.
Aujourd’hui, à nouveau, Ambrosius n’avait pas droit à l’erreur. Sauf que cette fois il ne cherchait pas à séduire Ballister, ou à plaire à la foule, mais à sauver l’homme qu’il aimait. Son reflet lui renvoya un regard inquiet. Ce n’était pas la première fois qu’il s’apprêtait à être le preux chevalier de Ballister. Plus d’une fois, Ambrosius avait du s’interposer entre lui et les autres écuyers déterminés à le faire renoncer à son rêve. C’était même suite à une de ces altercations qu’il avait la première fois osé proposer un rendez-vous à Ballister. Il s’était à moitié ridiculisé en balbutiant sa demande. Il avait eu de la chance que son ami lui dise oui.
Le regard dans le miroir n’était plus celui de cet adolescent fougueux et idéaliste qui rêvait de combats contre des monstres où ils se couvriraient de gloire et sauveraient les habitants du royaume. Jamais il ne l’aurait formulé à voix haute, mais il se voyait déjà porter le coup fatal à un monstre haut de cinq étages, sauvant Ballister de la mort avant de le prendre dans ses bras et de l’embrasser fougueusement. On les aurait acclamé, les autres chevaliers auraient enfin reconnu la valeur de Ballister, lui aurait enfin prouvé qu’il était digne de l’héritage de Gloreth, et il aurait demandé Ballister en mariage ce jour là.
Ambrosius n’avait jamais partagé ce rêve avec quiconque, même avec Ballister. Il n’avait pas besoin qu’on lui dise à voix haute que c’était idiot et égoïste que de souhaiter voir son amoureux blessé juste pour être le héros le sauvant et l’embrassant devant un coucher de soleil. Il avait été un enfant, avec un rêve d’enfant. Il avait fallu qu’il tranche le bras de Ballister pour devenir enfin adulte. À présent, il se demandait si Ballister avait jamais fait le même rêve que lui et s’ils se connaissaient aussi bien qu’il le croyait.
Une nouvelle fois, Ambrosius rectifia une mèche rebelle et frotta un coin un peu trop sale à son goût de son armure. Il devait présenter parfaitement, et ses arguments être inattaquables. Le jour était arrivé où ses fantasmes adolescents se réalisaient, mais au lieu d’être excité à l’idée d’affronter un monstre pour l’homme qu’il aimait, Ambrosius avait peur. Les enjeux étaient trop importants. L’échec inenvisageable. Aujourd’hui, il devait sauver Ballister des griffes du monstre qui se jouait de lui, le sauver de lui-même. Ambrosius aurait trouvé plus simple d’affronter le monstre à main nue que d’avoir cette conversation, pas avec ces enjeux. Ambrosius ne pouvait pas perdre Ballister une deuxième fois. Il l’aimait trop pour ça.
Il jeta un dernier coup d’œil dans le miroir. Il n’avait jamais eu l’air plus héroïque, et il n’avait jamais tant ressemblé à la femme dont le portrait était répété d’un bout à l’autre de la ville. Trois ans plus tôt, il avait coupé ses cheveux parce que même s’il aimait les porter long, la ressemblance avec son ancêtre Gloreth était trop frappante et pesait comme un poids sur ses épaules. C’était Ballister qui lui avait conseillé de les couper, quand Ambrosius lui avait confié qu’il avait peur de ne pas être à la hauteur de Gloreth et que tout le monde la voyait en le regardant. Comme Ballister l’avait dit, Ambrosius s’était libéré d’une partie de ce poids en coupant ses cheveux. Il avait craint que Ballister l’aime moins ainsi, mais son amant lui avait rit au nez et accusé de vanité avant de l’embrasser. Ballister lui avait juré qu’il l’aimerait même chauve et que ce n’était pas de sa magnifique chevelure blonde volant dramatiquement derrière lui qu’il était tombé amoureux, mais de ce qu’il y avait dessous. Ambrosius l’avait embrassé fougueusement. À l’époque, tout était si simple entre eux.
Aujourd’hui, même avec les cheveux courts, la ressemblance à la statue monumentale qui se dressait au centre de la ville était flagrante. Ambrosius espérait juste être à la hauteur de la tâche dont il avait hérité, et pouvoir sauver Ballister avant qu’il ne soit trop tard. Il ne se le pardonnerait jamais si Ballister était condamné à cause des horribles machinations de ce monstre innommable.

Le bar où il avait donné rendez-vous à Ballister était à une bonne distance de son appartement, et Ambrosius avait prit du retard en s’observant de manière maniaque dans le miroir. Ballister était normalement quelqu’un de très patient, mais Ambrosius n’était pas sûr de le reconnaître depuis l’assassinat de la Reine. Une fois, il avait eu quatre heures de retard à un rendez-vous parce que la directrice l’avait retenu pour discuter de sa promotion, mais Ballister l’avait quand même attendu jusqu’à la fermeture du restaurant puis sur un banc à proximité et ils avaient terminé la soirée dans le même bar où ils devaient se retrouver à présent. Il n’en irait peut être pas de même cette fois-ci.
Malgré le risque que Ballister le laisse en plan, Ambrosius ressentit quand même le besoin de passer par la grande place où trônait la statue de Gloreth. Il ajusta sa capuche pour ne pas être reconnu, conscient que la ressemblance n’échapperait pas à grand monde s’il était en présence de la statue, puis acheta un bouquet de maigres fleurs dans la dernière boutique encore ouverte aux alentours.
-Désolée, s’excusa la vendeuse en entourant les fleurs pâlichonnes d’un petit ruban blanc. Beaucoup de gens tiennent à faire un geste ces derniers jours, vous comprenez. Mon stock ne suit plus.
-Je comprend parfaitement. C’est déjà bien assez. Je voulais faire un geste moi aussi, mais je ne pense pas qu’elle se vexe d’un si petit bouquet.
La vendeuse hésita, puis entoura quelques autres fleurs encore plus pitoyable d’un nouveau ruban et les tendit à Ambrosius.
-Si vous pouviez poser celles-là de ma part ? Je ne sais pas si j’aurais le temps avant de rentrer.
-Bien sûr.
Le métal de son armure brilla quand il sortit le bras de sous sa cape pour payer. La vendeuse lui lança alors un regard implorant.
-Les chevaliers vont nous sauver, n’est-ce-pas ? Comme Gloreth l’a déjà fait ?
Ambrosius retrouva ses réflexes de chevalier et serra sa main d’une voix ferme.
-Madame, je vous promet que les chevaliers mettent tout en œuvre pour assurer votre sécurité. Ce n’est qu’une question de temps avant que le monstre ne soit mis hors d’état de nuire.
La vendeuse soupira de soulagement et pressa les deux bouquets de fleur dans ses mains en refusant son argent. Gêné, Ambrosius ressortit sans protester, n’osant pas s’attarder au risque qu’elle le reconnaisse. Il pouvait réconforter une citoyenne effrayée en étant un chevalier lambda, mais doutait qu’Ambrosius Goldenloin, dernier descendant vivant de Gloreth, soit à la hauteur de ses espérances.
Une fois dehors, il rejoignit le pied de la statue de Gloreth et s’arrêta. Dans un cercle de deux mètres autour du socle, le sol était recouvert de fleurs multicolores et de dessins d’enfants. Son cœur se serra. Il y avait toujours des présents au pied de la statue, même mille ans après la mort de Gloreth, bien sûr. La population restait à jamais reconnaissante de ce qu’elle avait fait pour sauver son peuple des monstres qui le menaçaient. Mais aujourd’hui, il y avait quelque chose de différent dans ces présents. Usuellement, on ne voyait autant de fleurs qu’à l’anniversaire de sa mort et qu’à celui de la création de la ville. Ces fleurs étaient un témoignage de la peur qui régnait en ville.
D’un coup, Ambrosius réalisa son égoïsme. Il voulait tellement sauver Ballister qu’il en avait oublié que c’était tout le royaume qui était menacé par le monstre. Et pourtant, même en voyant ça il continuait de ne penser qu’à Ballister.
Heureusement, la foule avait déserté le monument avec l’heure tardive, laissant Ambrosius seul en tête à tête avec son ancêtre. Il se recueillit silencieusement quelques instants en essayant de se rappeler de la dernière fois qu’il était venu seul au monument, en vain. Enfant, il venait avec ses parents une fois par an pour déposer une gerbe de fleurs, trois jours après la cérémonie de commémoration en l’honneur de Gloreth. Ses parents préféraient se recueillir dans l’intimité, loin des caméras et des regards curieux. Ambrosius était comme eux. Après leur mort, il était venu une fois avec la directrice, entre l’enterrement et son entrée à l’Institut, puis toutes les fois suivantes avec Ballister. Les cérémonies officielles ne comptaient pas. Il s’efforçait de n’être qu’un écuyer parmi d’autres et d’ignorer tous les regards posés sur lui, de ceux des enfants dans les bras de leurs parents à ceux de la directrice, puis d’oublier cette épreuve. C’était étrange de venir sans Ballister.
Avec un pincement au cœur, il déposa les deux bouquets au pied de la statue, et leva les yeux pour la regarder, mais depuis le sol c’était à peine s’il distinguait plus qu’un regard déterminé au-dessus de la gigantesque forme de l’épée qui s’érigeait en bouclier protecteur. Pour les habitants du royaume, c’était une héroïne, presque une déesse. Ils avaient imaginé que tant que sa statue se dresserait, rien de mal ne pourrait arriver dans le royaume. Ambrosius y avait cru, lui aussi. Ils s’étaient tous trompés. Mais pour lui, Gloreth n’était pas qu’une héroïne, elle était aussi son ancêtre, un modèle auquel il ne pouvait jamais que son confronter sans pouvoir sortir de son ombre étouffante. Pour Ballister, elle avait été autre chose encore, un idéal auquel aspirer, mais aussi la promesse qu’il pourrait un jour s’élever au-dessus de ses humbles origines en se montrant digne de l’héritage qu’elle avait confié à ses chevaliers. Pour tous les deux, elle avait été quelque chose d’inatteignable, mais sa légende leur parlait à tous les deux, tout comme la nécessité de protéger son héritage.
Et maintenant, Ballister travaillait pour, ou avec, le monstre de Gloreth. Comme le monde avait changé. La preuve reposait dans son sac, brûlante. Ambrosius espérait qu’elle suffirait à convaincre Ballister.
-Est-ce que c’était plus facile pour toi ?, demanda-t-il au visage impassible de la statue. Les gens t’écoutaient-ils quand tu jura de les protéger ? Ou bien est-ce qu’ils te disaient qu’ils savaient mieux que toi ce qui se passait et que tu étais dans l’erreur ? Je suppose qu’on ne le saura jamais. Mais si tu pouvais, rien qu’une fois, m’aider à trouver les mots…
Il se tut et attendit, le cœur battant, sans trop savoir quoi. Un signe, peut être, qu’une part de Gloreth était encore là dans cette statue, prête à se dresser contre l’ennemi, et à répondre aux appels de son descendant. Mais Ambrosius devait être stupide s’il attendait un tel miracle. Le temps des héros comme Gloreth était révolu. Ne restait de ce temps que de bien piètres chevaliers, et Ambrosius Goldenloin qui était totalement dépassé, alors que le temps des monstres, lui était revenu, ou ne s’était jamais terminé.
-Aide-moi, Gloreth, supplia-t-il. Ton monstre est revenu, et je ne sais pas quoi faire. Il tient Ballister, l’homme que j’aime, et j’ai besoin de… Je ne sais pas, trouver les mots, trouver la force de le lui arracher. Ton monstre a tout changé depuis qu’elle est arrivé. Est-ce que c’est comme ça qu’elle vous a attaqué, insidieusement, en se faisant passer pour l’un de vous avant d’essayer de tout détruire de l’intérieur ? Est-ce qu’elle a fait à d’autres ce qu’elle essaie de faire à Ballister ? J’aurais voulu que tu laisses plus d’informations sur elle que ce vieux parchemin… Il a son utilité, mais ce dont j’ai besoin, c’est d’instructions, d’une stratégie pour l’abattre, ou même une explication de pourquoi elle a survécu ! Elle est dangereuse, et tu étais censée avoir réglé le problème ! Maintenant Ballister lui mange dans la main et fait semblant d’ignorer le danger qu’elle représente pour tout ce que tu défendais et je…
La boule dans la gorge d’Ambrosius grossit au point qu’il n’arrivait à parler. Depuis l’assassinat, il n’avait personne à qui parler de ses craintes, même pas à la Directrice qui avait toujours été si bonne pour lui après son entrée à l’Institut, et c’était comme si quelque chose montait en lui, montait et menaçait d’exploser. Ambrosius inspira profondément pour maintenir cette pression sous cloche et essaya de se calmer.
-Protège-les, si tu peux, acheva-t-il. C’est ton peuple, ta ville. Je veux les aider, je connais mes devoirs, mais… je dois sauver Ballister, tant qu’il est encore temps, tu comprends. Pas seulement parce que je l’aime ! Il est, il aurait été le meilleur des chevaliers. Meilleur que moi. Nous aurons besoin de lui, pour sauver le royaume. Il faut juste que je lui fasse comprendre le danger. Il peut parfois être buté, mais cette fois, il va comprendre. Il le faut.
Ambrosius passa une main sur son visage, défaisant en partie la coiffure sur laquelle il avait passé deux bonnes heures. La Directrice l’avait fait capitaine dans les minutes suivant la terrible cérémonie ayant causé la mort de la Reine et où il avait coupé le bras de Ballister. À ce moment là, il était trop sidéré pour protester, mais il était maintenant bien conscient qu’il n’avait pas mérité son grade, contrairement à Gloreth. On le lui avait donné uniquement parce qu’il était le descendant de celle-ci, et il lui semblait voir les yeux de la statue tourner vers lui un regard plein de jugement. Mais l’accusait-il de ne pas être digne de son héritage, ou d’avoir laissé se creuser le fossé entre lui et Ballister ?

-.-.-.-

Il arriva finalement le premier au Serpent à Ramure. En attendant son arrivée, Ambrosius répéta dans sa tête une dernière fois tout ce qu’il voulait dire à Ballister. Il commencerait à dire qu’il le croyait, qu’il avait toujours su - non, espéré, il devait être honnête pour être convainquant - qu’il n’était pas un criminel, et qu’il comprenait ce qu’il vivait. Surtout, il allait s’excuser. Reconnaître sa part de responsabilité dans ce qui était arrivé. Au minimum, Ambrosius aurait du bien plus tôt réaliser que Ballister était la victime du monstre, pas son complice.
Alors qu’il allait perdre espoir, Ballister arriva enfin. Au début, tout se passa bien et Ambrosius reprit espoir. Ballister semblait réceptif à son discours, et même soulagé de l’entendre parler ainsi. Dès qu’Ambrosius parla d’affronter et d’anéantir le monstre ensemble, son attitude changeait du tout au tout. C’était leur vieux rêve, protéger ensemble le royaume des monstres, mais maintenant Ballister hésitait. Pire, il insistait pour appeler le monstre son amie.
Son amie.
Un monstre.
C’était à n’y rien comprendre. Ballister défendait un monstre et la croyait plus qu’Ambrosius, son petit ami, son amant. À chaque mot de Ballister, le cœur d’Ambrosius se brisait un petit peu plus. Il ne fut même pas surpris quand Ballister fuit à nouveau dans l’ombre, retournant probablement se cacher dans l’antre du monstre et s’abreuver un peu plus de ses mensonges. Ambrosius haïssait le monstre de l’avoir ainsi changé. S’il l’avait osé, il aurait suivi Ballister pour tenter de prendre le monstre par surprise, mais il avait vu celui-ci se battre. Il doutait de pouvoir le vaincre sans au moins le soutien de Ballister, voire d’une demi douzaine de chevaliers. Il aurait aussi voulu crier après Ballister ou de lui courir après pour tenter une dernière fois de le convaincre, mais il ne voulait pas attirer l’attention des chevaliers ou même d’un civil armé d’un téléphone avec caméra intégrée sur Ballister. Ambrosius le laissa donc repartir, encore.
Tout juste se consolait-il avec l’idée que Ballister avait au moins récupéré son épée, et donc un moyen de se défendre contre le monstre, même s’il doutait qu’une simple épée suffise, après que le monstre ait mis en déroute l’élite des chevaliers. Ballister avait aussi pris la représentation du monstre. Ambrosius avait l’espoir qu’il cogite dessus pendant le trajet de retour vers leur repaire, qu’il imaginait sordide. Ballister était quelqu’un d’intelligent, bien plus qu’Ambrosius. C’était un scientifique et un ingénieur autant qu’un chevalier, ce qu’Ambrosius n’était pas.
Pourvu que la marche suffise à lui ouvrir les yeux.

Ambrosius réalisa qu’il n’était pas près de dormir avec l’inquiétude qu’il ressentait pour Ballister. Il fut un instant tenté de retourner au Serpent à Ramure et de descendre le contenu de la première bouteille qu’on lui mettrait sous le nez, avant de se reprendre. Il était un chevalier. Il était le descendant de Gloreth, qui jamais n’avait tremblé face à l’ennemi. Il était un capitaine, dans une ville menacée par le pire monstre qui soit. Ambrosius devait garder la tête froide, et se montrer digne de son sang et de son nom, même s’il n’était techniquement pas de service ce soir. Incapable de rentrer chez lui dormir et incapable de penser à autre chose qu’à Ballister, Ambrosius se mit à errer dans la ville.
L’accusation de Ballister le jour où le monstre s’était publiquement dévoilé tournait en boucle dans sa tête. Elle est intelligente, gentille et raffinée, et elle me défend, contrairement à toi. Ambrosius n’arrivait toujours pas à croire qu’il ait dit une chose pareille. Déjà, le monstre n’avait rien d’une chose gentille et raffinée. Ambrosius voulait bien la croire intelligente, il avait pu constater de lui même qu’elle savait se battre en gardant son sang froid et qu’elle changeait de forme selon la meilleure stratégie à adopter. Mais elle n’était ni gentille, ni raffinée. C’était le monstre de Gloreth, capable de commettre des destructions sans précédent. D’ailleurs, elle lui avait parue inéduquée et barbare avant même qu’il apprenne qui elle était.
Entendre Ballister encenser le monstre qui avait presque détruit le royaume mille ans plus tôt n’était rien. Ambrosius pouvait même comprendre l’envie de Ballister de le blesser en retour de son bras tranché. Toutes les nuits depuis l’attentat, Ambrosius se réveillait en sueur, l’image du bras de Ballister tombant à terre se mélangeant avec celle de sa tête roulant au sol sur l’échafaud. Mais ce qui faisait le plus mal, c’était le reste de la phrase. Elle me défend, contrairement à toi. Le monstre avait vraiment insinué ses griffes jusque dans l’esprit de Ballister s’il en venait à dire des choses pareilles. Ambrosius l’avait toujours défendu et avait toujours cru en lui. C’était une accusation cruelle.
Mais méritée, souffla un pan de son esprit qu’Ambrosius aurait préféré ignoré. Un bras coupé, plusieurs tentatives d’arrestations… Que n’avait-il pas fait à Ballister ces dernières semaines ? Pendant quelques jours, il l’avait même cru coupable du meurtre de la Reine. Ambrosius aurait voulu pouvoir le nier, mais c’était vrai. Il aurait du faire confiance à Ballister en dépit de toute évidence, et il ne l’avait pas fait. En un sens, c’était sa faute si Ballister était tombé sous la coupe du monstre. Il faudrait une vie entière pour qu’il se fasse pardonner son horrible comportement, et si Ballister ne voulait plus de lui, Ambrosius comprendrait. Il se dégoûtait lui-même chaque fois qu’il repensait à sa réaction à la mort de la Reine. Un chevalier était formé à répondre rapidement à une menace, mais il y avait tellement de meilleures choses à faire que de trancher le bras d’un suspect, comme de le désarmer et de le faire tomber à terre pour le menotter. Il avait paniqué, mais plus Ambrosius y pensait, moins il comprenait comment il avait pu en arriver à de telles extrémités. Par contre, il comprenait parfaitement que Ballister lui en veuille.
La rancune n’excusait cependant pas tout. Qui préférait écouter et croire un monstre plutôt que son petit ami ? C’était à peine s’il avait écouté, et cru, ce qu’Ambrosius lui disait sur le monstre. Celui-ci devait le contrôler, d’une manière ou d’une autre. Hélas, le vieux parchemin représentant le monstre de Gloreth ne donnait aucun autre renseignement sur ses pouvoirs. Il pouvait avoir d’autres pouvoirs que la métamorphose. Cela expliquerait en tout cas bien des choses. Ballister détestait les enfants. Même quand il était enfant, il détestait les autres enfants. Ceux-ci lui avaient fait bien trop de crasses pour qu’il leur fasse confiance. Au début, Ambrosius avait du lutter dur pour surmonter sa méfiance, alors il n’y avait aucune raison qu’il fasse confiance à une enfant ou une adolescente aux envies de meurtre flagrante. Aucune.
Elle avait du lui murmurer des mensonges à l’oreille, déformer son point de vue jusqu’à ce Ballister voit des ennemis partout, même dans l’homme qui l’aimait plus que tout au monde. Il fallait que ce soit ça. Parce que sinon, si Ballister n’était pas contrôlé mentalement par un monstre assoiffé de sang, cela voulait peut être dire que le monstre, c’était Ambrosius lui-même pour l’avoir laissé tomber au moment où Ballister avait le plus besoin d’aide.
Ambrosius finit par s’asseoir sur un banc et laissa tomber sa tête entre ses mains. Des larmes perlaient au coin de ses yeux mais refusaient de couler. Il se retenait de crier et de pleurer depuis tellement longtemps qu’il n’y arrivait plus. C’était comme si la douleur anesthésiait son cerveau. Il ne savait même plus quoi penser ou quelles émotions ressentir. Il avait besoin de quelqu’un pour lui dire quoi faire, Gloreth, la Directrice, n’importe qui. Tout serait plus simple si quelqu’un lui disait simplement quoi faire, et même quoi penser.
Il était totalement perdu. Il ne comprenait pas comment ils avaient pu en arriver là, comment Ballister avait pu sombrer si vite dans la défiance et la paranoïa et lui même… Par moment, Ambrosius ne se reconnaissait plus. Il n’était pas étonné que Ballister n’y arrive pas non plus. À ce stade, il n’était même pas sûr que tuer le monstre suffise à combler le fossé qui s’était creusé entre eux. Les choses que Ballister lui avait craché au visage… Ambrosius craignait qu’à la prochaine rencontre Ballister ne lui crie que c’était fini entre eux et qu’il regrettait de l’avoir jamais aimé. C’était peu de chose, à l’aune du retour du monstre de Gloreth, mais pour Ambrosius, ce serait la fin de son monde.
Une vibration de son armure d’avant-bras le sauva de s’enfoncer un peu plus dans ces pensées dépressives. Il prit l’appel en sentant son estomac se retourner. Il savait déjà que la nouvelle n’allait pas être bonne.
-Capitaine, retentit la voix paniquée d’un de ses hommes, quelque chose approche de la ville ! Je ne sais pas ce que c’est, mais c’est énorme !
Le monstre de Gloreth. Ambrosius se mit à courir.

-.-.-.-

L’aube se levait à peine quand Ambrosius put se laisser tomber à côté de Ballister, toujours prostré là où Nimona avait disparu, les yeux fixés sur l’horizon nouveau qu’elle leur avait dévoilé. Ambrosius jeta un coup d’œil coupable à la ville dans le dos de Ballister. Ils avaient causé plus de dégâts en combattant ce qu’ils croyaient être un monstre que le monstre lui-même. Les cris qu’il avait poussé… Non, les cris que Nimona avaient poussé n’étaient pas des cris de rage. C’étaient des cris de douleur.
La scène qui s’étendait à présent sous les yeux d’Ambrosius était une parodie cauchemardesque de ses fantaisies d’adolescent. Il y avait bien eu un monstre, mais il était haut de dix étages et pas cinq. La ville était en ruine, et sa population sauvée, mais Ambrosius ne pouvait s’enorgueillir d’y avoir participé. C’était le monstre qui avait sauvé ces gens qui poussaient des cris de joie et de soulagement au pied de la muraille, et l’Institut qui avait failli commettre le crime. Ballister avait peut être failli mourir, mais Ambrosius ne l’avait pas sauvé en s’intercalant héroïquement entre le monstre et lui. À la place Ballister qui avait fait preuve d’humanité en s’intercalant entre Nimona et sa mort et en la ramenant à elle. Ambrosius découvrait avec les autres une valeur qu’il n’avait jamais soupçonné chez Ballister, et il n’allait pas se montrer le plus vil des hommes en le demandant en mariage.
Tout ce qu’il pouvait faire, c’était essayer de le soutenir, même s’il avait du mal à comprendre. Tout doucement, Ambrosius posa une main sur l’épaule de Ballister. Il s’attendait à moitié que le contact soit rejeté, voire à recevoir un coup de poing bien mérité dans la figure, mais Ballister s’effondra simplement contre lui, comme il l’avait fait plus tôt dans la soirée, avant qu’Ambrosius soit obligé de l’abandonner pour répondre à l’appel du devoir. Cette fois, Ambrosius le serra aussi fort que possible pour manifester son soulagement de l’avoir encore avec lui.
Son geste suffit à faire craquer quelque chose en Ballister, qui se mit à pleurer à grosses larmes contre son épaule. Ambrosius resta figé, totalement désemparé. Il n’était pas habitué aux larmes de Ballister. Son petit ami s’était très vite blindé contre les insultes des autres écuyers et apprit à laisser glisser leurs remarques sur lui comme si c’était de l’eau.
-C’est ma faute, murmura Ballister quand le flux de larmes se fut tarit.
-Comment ça ?
-Je l’ai poussée à bout. Personne ne lui avait jamais fait confiance, sauf moi. Et quand j’aurais du me montrer digne de cette confiance…
Ambrosius s’écarta de Ballister pour le contempler, incrédule. Il prit note des cernes au-dessous des yeux de son amant, de ses traits amaigris, de sa légère grimace quand il toucha un peu trop brutalement son épaule au-dessus de l’amputation. Ballister n’avait pas eu de meilleures nuits que lui depuis l’attentat.
-Tu te trompes, protesta-t-il. Tout le monde l’a rejeté, mais pas toi. Jamais toi.
Ballister secoua la tête et rit faiblement.
-Si seulement. Je l’ai traitée de monstre, avant et après que tu me montres cette image. Je lui ai demandé d’arrêter d’être ce qu’elle était. Et même quand je ne disais rien, c’était clair que mon attitude lui hurlait que je la trouvais dérangeante et que je n’étais pas à l’aise en sa compagnie. Puis elle a cru que j’avais changé, et j’ai quand même à moitié tiré mon épée contre elle. Nimona croyait pouvoir me faire confiance, et j’ai tout gâchée.
-Tu l’as sauvée, à la fin. Quand je t’ai vu sur l’épée, mon cœur s’est arrêté de battre, mais pas un instant je n’ai cru qu’elle te ferait du mal.
Ballister tourna vers lui un regard surprit.
-Vraiment ?
Ambrosius hocha la tête.
-Pardon. D’avoir mis tant de temps à le voir.
Ballister ne répondit pas. Il se mit à frotter ses doigts l’un contre l’autre, comme s’il espérait voir se ranimer l’étincelle de Nimona s’il le désirait suffisamment fort. Ambrosius détourna la tête. Il détestait voir Ballister aussi abattu. Il était soulagé qu’il ne l’accuse pas d’être responsable de c’était passé, mais il détestait encore plus le voir s’accuser de l’être lui même. À prendre, Ambrosius aurait encore préféré que Ballister lui crie dessus.
-J’étais jaloux, je crois, confessa-t-il après un moment.
-Tu crois ?, renifla Ballister.
L’étincelle d’amusement dans son regard rassura un peu Ambrosius. Tout n’était pas fini entre eux si Ballister s’amusait encore de ses défauts.
-Qu’est-ce que j’étais censé penser ? De mon point de vue, tu tentes d’assassiner la Reine, tu disparaît des semaines, tu réapparaît avec une adolescente à qui tu demandes de tuer tout le monde et elle m’appelle ta némésis puis se transforme en rhinocéros pour détruire l’Institut !
-C’était un malentendu ! Je lui disait qu’on ne pouvait pas tuer tout le monde !
-Et bien, je suis peut être un idiot qui t’a soupçonné bien plus longtemps qu’il n’aurait du, mais reconnaît que son comportement n’aidait pas !
Ballister lui lança un regard torve qui devint soudain triste.
-La première fois qu’elle s’est transformée en requin, elle m’a demandé si je voulais mettre la tête à l’intérieur. Et quand je lui ai demandé si elle pouvait s’arrêter, elle m’a fait comprendre que ce serait comme arrêter de respirer. Elle était tellement soulagée de voir que je commençais enfin à comprendre. Si elle l’avait pu, elle aurait même tenté d’être mon acolyte sans jamais se dévoiler. Elle avait trop peur de ma réaction. Je ne sais pas si c’est parce que d’autres ont réagi aussi mal que moi ou parce qu’elle n’avait jamais osé se montrer comme elle était vraiment.
Ambrosius tourna sa tête vers la statue de Gloreth. Son regard de pierre semblait à la lumière de l’aurore plus indifférent que brave.
-Est-ce qu’elle t’a jamais raconté ce qui s’est passé avec Gloreth ?
-Non. C’est encore de ma faute. Je l’ai tout de suite accusée d’être un monstre. Je ne l’ai même pas laissé se défendre, et elle s’est braquée à son tour. J’aurais du savoir qu’elle réagirait ainsi. Elle n’aime pas être mise au pied du mur, mais je me suis senti trahi.
Le mot « encore » flotta silencieusement dans l’atmosphère.
-Je suis sûr qu’elle t’en a dit plus qu’à quiconque, chuchota Ambrosius pour le réconforter en essayant de le prendre à nouveau dans ses bras.
Ballister le repoussa avec agacement.
-Et alors ? Je devrais me réjouir d’avoir été un peu moins infect avec elle que tous les autres ? De n’avoir été un salaud qu’une fois ? Non. J’aurais du… Elle commençait à me faire confiance. J’aurais du lui donner la même chose en retour. Elle savait ce qu’elle risquait en m’aidant, et c’est moi qui exigeait toujours plus d’elle. J’ai été un mauvais boss.
Il passa rageusement sa main sur son visage pour essuyer ses larmes et ne parvint qu’à étaler un peu plus de suie et de poussière. Une poussière formée par l’explosion de Nimona. Son sacrifice. Ambrosius n’avait jamais rien sacrifié pour Ballister. Il s’était intercalé entre lui et ses harceleurs quand ils étaient écuyer, mais l’aura qu’il possédait juste parce qu’il était le descendant de Gloreth le protégeait du même sort. Il avait gobé tous les mensonges de la Directrice et participé à sa campagne de haine. Quand la culpabilité de Ballister avait été remise en question il aurait du tout abandonner pour le rejoindre et essayer de comprendre avec lui ce qui s’était passé.
Avant l’attaque, Ambrosius avait passé la soirée à haïr le monstre qui avait dressé Ballister contre lui comme un ennemi. Mais c’était évident maintenant que c’était lui qui s’était laissé utiliser par la Directrice comme une arme. Lui qui avait été l’ennemi, pas un chevalier mais un instrument de destruction. Lui qui avait creusé ces gouffres dans lequel le silence s’engouffrait.
-Ce n’était qu’une petite fille, murmura Ballister d’une voix vide. Juste une petite fille.
Ambrosius n’était même pas sûr qu’il était censé l’avoir entendu. Et d’un coup, il comprit ce qui lui avait échappé depuis le début. À un moment donné durant ses semaines passées en cavale, Ballister s’était attaché à Nimona comme si elle était sa fille. Ambrosius n’y aurait jamais pensé. Ils avaient parfois parlé de fonder une famille avec Ballister, mais c’était dans un futur très vague. Des deux, c’était Ballister le plus réticent à adopter. Il n’aimait pas les enfants et craignait de ne pas savoir ou aimer s’en occuper. Ambrosius, quand à lui, aimait l’idée d’une famille, mais pas celle d’imposer de vivre à l’ombre de Gloreth comme lui avait du le faire à un enfant. L’idée d’une vie sans enfant ne les dérangeait pas énormément. D’ailleurs, ils étaient jeunes, ils avaient le temps de profiter d’abord de la vie de chevalier.
Mais de découvrir comment Ballister avait considéré Nimona, Ambrosius se sentait plus mal que jamais vis à vis du comportement qu’il avait adopté les jours précédents. Il en restait tout estomaqué, Ballister et père étaient des mots qui rimaient difficilement ensemble, mais il était obligé de l’accepter. D’un coup, il avait l’impression que c’était lui la pièce rapportée qui tentait de s’insinuer de force dans la relation entre Ballister et Nimona, et pas cette dernière qui avait surgit pour démolir toutes ses certitudes.
Il contempla à nouveau le profil impassible de Gloreth, se demandant qui était vraiment son ancêtre dont il pensait connaître l’histoire par cœur. Il l’avait toujours vue comme irradiant de lumière et projetant sur lui une ombre trop grande, mais il avait à présent l’impression que le métal de la statue s’était ternie. Il ignorait qui elle était, une menteuse qui avait prétendue vaincre un monstre qui souffrait autant que n’importe quel humain, une mère qui comme Ballister avait rejeté un enfant différent, ou autre chose. Si Nimona était vivante, elle aurait pu répondre à ses questions, mais il ne pourrait que passer sa vie à s’interroger sans trouver de réponses.
Ambrosius regarda son armure avec répugnance. Elle aussi était ternie par la suie et le feu des combats. Il ne savait pas s’il pourrait rester un chevalier après les évènements de cette nuit, ni s’il pourrait se regarder dans un miroir avant longtemps. Sa seule certitude, c’était qu’il passerait sa vie à tenter de se racheter aux yeux de Ballister. Il deviendrait quelqu’un que Nimona n’aurait pas haï ou craint si elle avait vécu. Et peut être qu’enfin il se détacherait des ombres de la Directrice et de Gloreth.

pour:chewie, fic, auteur:alegría, nimona

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