[Fic] Main dans la main, Thomas le rimeur, Elsbeth [d'Echolalie, pour Element déclencheur]

Sep 09, 2023 06:09

Titre : Main dans la main
Auteur : Écholalie (Participant.e 13)
Pour : Élément déclencheur (Participant.e 12)
Fandom : Thomas le Rimeur
Persos/Couple : Thomas/Elsbeth, Thomas/la Reine
Rating : K
Disclaimer : Thomas le Rimeur appartient à Ellen Kushner
Prompt : Elsbeth apprend que Thomas a été kidnappé par la Reine des fées (bon, elle ne sait pas qu'il a accepté de son plein gré) et elle décide, ni une ni deux, de prendre son courage à deux mains et de trouver l'entrée du royaume des fées pour aller le chercher par la peau du cou !!!
Je ne souhaite pas de rivalité entre Elsbeth et la Reine, ni taper sur Thomas
Notes : J’espère que cette réponse à ton prompt te plaira. J’avoue avoir eu quelques difficultés à adopter le point de vue d’Elsbeth sans être dure envers Thomas et la Reine, j’espère y être parvenue au final !


Du jour de la disparition de Thomas, Elsbeth se mit à compter différemment le temps qui s’écoulait. On était un jour après la disparition de Thomas, puis deux, puis dix, puis trente. Le temps qui s’écoulait se lisait dans les regards des gens autour d’elle. Elsbeth les voyait perdre espoir, l’un après l’autre, d’abord les voisins éloignés, puis les voisins proches.
Gavin cessa de croire au retour de Tom deux mois après ce jour terrible. Elsbeth était là quand la désillusion le saisit. Elle vit en un instant les rides s’accentuer sur son front et ses épaules se voûter quand il marmonna que Tom était probablement tombé depuis une falaise dans un torrent qui l’avait emmené trop loin pour qu’on retrouve son corps. Elsbeth frissonna et refusa d’imaginer un corps déchiqueté pourrissant au bord d’un torrent et nourrissant les bêtes sauvages, à jamais dépourvu des derniers soins rendus par l’Église à son corps et à son âme. Elle détourna le regard, et ses yeux tombèrent sur le visage de Meg. À sa façon de rester concentrée sur son ouvrage sans même bouger une paupière, elle comprit que sa voisine avait déjà renoncé des jours, peut être des semaines plus tôt. Gavin ne s’était accroché si longtemps à cet espoir que parce qu’il était un vieil homme buté.
Elsbeth devait l’être autant que lui parce qu’elle refusait d’abandonner, mais elle savait qu’elle pouvait tout aussi bien compter les jours qui la séparaient du moment où elle accepterait la vérité. Thomas avait disparu à tout jamais et Elsbeth était trop raisonnable pour refuser de voir la vérité en face encore très longtemps. Elle se détestait d’être aussi rationnelle, mais il valait sans doute mieux ça que de
C’est presque par accident qu’elle reprit espoir, en se rendant au marché. La vielle Eda, qui somnolait toujours des heures du rang à côté de l’étal que tenaient ses petits enfants depuis qu’elle n’était plus en état de le faire, se réveilla d’un coup à l’approche d’Elsbeth.
-Tiens, Molly. Tu as retrouvé ton homme ?
Elsbeth lui sourit. La vieille dame perdait peu à peu l’esprit. Elle ne lui en voulait pas d’oublier ainsi son nom, et elle était touchée que a disparition de Tom soit restée dans un coin de sa tête.
-Il n’a jamais été mon homme, Eda, mais non, on ne l’a toujours pas retrouvé.
La vieille femme hocha la tête.
-Pas étonnant. Cela ne fait ni sept ans, ni quatorze, ni vingt et un, n’est-ce pas ?
-Sept, quatorze ou vingt et un ? Pourquoi ces dates ?
Molly lui jeta un coup d’œil agacé, comme si Elsbeth avait posé une question bête, puis elle fronça les sourcils.
-Je ne suis pas sûre en fait, mais sept est un nombre que les Belles Gens aiment beaucoup.
-Vous croyez que ce sont elles qui ont prit Tom ?
-Je crois ? Je suis peut être vieille et ma mémoire n’est plus ce qu’elle était, mais j’ai pas oublié de ne pas être bête. Ton Tom, il a disparu dans les Monts d’Eildon, et c’est jamais bon d’errer tout seul là bas. À tous les coups il a été enlevé par les Belles Gens, et on le reverra pas avant qu’elles en aient eu assez de lui. C’est arrivé au père de ma mère, quand elle était jeune. Un jour comme ça il a disparu. J’étais enfant quand il est revenu, et je comprenais encore pas grand-chose mais c’était bizarre de voir cet homme plus jeune que ma mère l’appeler sa petite fille. Plus jeune que moi elle était à l’époque quand il a disparu, et il n’est pas resté longtemps parmi nous. C’était trop dur pour eux deux de regarder les années perdues sur le visage de l’autre, alors il est parti au-delà des collines, là où personne a jamais entendu parlé de lui. Dans sept ans, peut être que tu le reverra ton Tom, ou pas du tout.
Elle ferma les yeux un instant, et quand elle les rouvrit, la clarté en avait disparu. Elsbeth compris qu’elle n’en tirerait rien de plus. Elle paya ses achats et finit son marché, le cœur battant. Un début de plan commençait à germer dans sa tête. C’était probablement la pire idée qu’elle ait jamais eu. Mais comme elle refusait d’abandonner si tôt tout espoir, elle ne voyait pas d’autre choix possible.

Quand elle arriva chez elle chez son frère, le cœur battant toujours aussi frénétiquement, elle déposa les courses sur la table, alla sans un mot remplir un sac de quelques affaires et de la nourriture pour une semaine et repartit sans répondre à la cascade de questions et d’ordres de son frère et de la femme de ce dernier. Elle ne voyait pas l’intérêt de perdre du temps à s’expliquer quand sa décision était déjà prise. Ils auraient essayé de l’en empêcher, mais Elsbeth avait réfléchi pendant qu’elle rentrait du marché. Elle en avait assez d’être une servant dans la maison de son frère. Il n’avait pas son mot à dire dans sa décision.
Elsbeth n’alla pas non plus chez Meg et Gavin, quoique la tentation fut grande. Ils auraient eux aussi tenté de la dissuader, et contrairement à son frère, ils y seraient probablement arrivés. Elsbeth les aimait trop pour leur faire de la peine et elle savait que sa disparition, après celle de Tom, risquait de leur faire beaucoup de mal. Elle leur avait laissé une lettre sur son lit, dans l’espoir, probablement vain, de réduire l’impact de sa décision.
Que pouvait-elle faire de plus ? Elsbeth ne pouvait pas laisser Tom prisonnier du royaume des fées maintenant qu’elle savait où il était. Elle ne pouvait pas non plus se torturer pour les sept, quatorze, vingt et une ou quarante neuf ans à venir à se demander si Tom était bien prisonnier là bas ou si la mousse s’accumulait sur ses os dans quelque fossé. Si elle restait, elle finirait par n’en plus pouvoir de vivre chez son frère. Elle épouserait le premier qui voudrait bien de sa main et passerait une large partie de sa vie à le regretter. Un jour, peut être que Tom reviendrait, et elle lui en voudrait de l’avoir abandonné à ce destin. Pire, il pourrait revenir inchangé, jeune et beau, alors qu’elle-même serait plus vieille et ridée que Meg aujourd’hui, avec des enfants et petits enfants accrochés à sa jupe.
Non. Ce ne serait pas son destin. Elbeth espérait que ses vieux amis lui pardonnent un jour, mais elle ne pouvait pas renoncer, ce qui voulait dire qu’elle ne pouvait pas prendre leur temps de leur dire adieu. Si elle avait de la chance, elle ramènerait Tom trop vite pour que quiconque puisse s’apercevoir qu’elle avait disparu. Malheureusement, elle n’était pas assez naïve pour espérer que ce soit le cas. Soit elle échouait lamentablement et parvenait à rentrer avant que sa lettre ne soit lue et qu’elle soit assaillie par les regards compatissants de Gavin et Meg, soit elle devenait captive avec Tom, soit elle disparaissait à son tour sans même le trouver.
Elle refusait de penser au scénario où Tom avait volontairement disparu pour courir les filles et celui où il était partit de lui même dans le royaume des Fées. Elles l’avaient toujours trop fasciné au goût d’Elsbeth. Tom ne réalisait pas le danger qu’il y avait à s’intéresser aux Belles Gens.

La lande était déserte. Ce n’était plus l’automne, comme au temps de la disparition de Tom, c’était l’hiver. Il aurait dit en voyant ce paysage qu’une grande dame avait déposé son blanc manteau d’hermine sur les collines, ou quelque idiotie du genre. Elsbeth n’avait pas beaucoup de patience pour ses idioties de ménestrel tout en les adorant.
Pour l’instant, elle ne pouvait se permettre de penser à Thomas. Si elle pensait trop à lui, si elle dévoilait dans ses pensées qu’elle n’était là que pour lui, les Belles Gens joueraient avec elle sans jamais lui permettre de le voir, car les fées étaient cruelles. Elsbeth le savait mieux que Tom qui ne croyait en elles que du bout des lèvres, lui qui chantait pourtant leur beauté dans tout le royaume avec ses autres fadaises. Il n’avait pas été élevé dans les collines, comme Elsbeth. Depuis toute petite elle entendait chanter les milles et une raisons dont il fallait se méfier de leurs pièges. Elle était peut être même mieux préparée que Tom à cette rencontre, mais elle ne laisserait pas cette idée lui donner l’impression qu’elle avait gagné la partie d’avance. Nul ne pouvait se fier aux Belles Gens, quels que soient les efforts qu’elles faisaient à sembler bienveillantes.
Elsbeth n’avait pour l’aider que sa connaissance des chansons et sa vivacité d’esprit. Elle espérait que cela suffirait.
Sa grand-mère lui racontait que les Belles Gens ouvraient leurs portes aux visiteurs à certains jours de fêtes païennes, mais Elsbeth n’avait pas la patience d’attendre jusque là, après trois mois passés à se morfondre. Les passages, disait encore sa grand-mère, étaient ouverts à tous ceux qui savaient voir, ce qui, d’après elle, expliquait que tant d’imprudents y tombent sans réaliser ce qu’ils faisaient, parce que la majorité des jeunes gens était née sourde et aveugle, pas comme ceux de son époque. Elsbeth se demandait ce que la vieille dame aurait pensé de Thomas. Pas grand-chose sans doute.
Mais pour Elsbeth, Tom voulait dire beaucoup. Elle commença à marcher dans la lande enneigée, les yeux fixés sur le sol, attentive au moindre détail dérangeant dans le paysage sans paraître le fixer. Il lui fallut maintes fois retracer ses pas et transformer une partie de la colline en un champ de boue, mais elle finit par voir un scintillement sous les arbres. Elle s’en approcha en tournant autour comme quelqu’un qui n’avait rien remarqué, puis, au dernier moment, fonça droit vers le scintillement.

Elsbeth n’était pas poète. Jamais elle ne serait capable de décrire ce que c’était que de passer du monde des mortels à celui des Elfes. Elle en laisserait le soin à Tom. Lui savait faire rêver avec ses mots d’une manière avec laquelle elle n’essayerait même pas de rivaliser. Tout ce qu’elle pouvait dire, c’est qu’elle avait marché longtemps, à travers monts et vallées prises dans la brume, jusqu’à ce que l’hiver se transforme en un éternel printemps. Le chemin ne s’était pas ouvert volontairement à elle, il fallut qu’elle force le passage en faisant appel à toutes les ressources d’énergie qui étaient en elle.
Finalement, elle tomba, épuisée, sur un fin gazon qui sentait l’orage et la fleur de pommier. Elle ferma les yeux, dans l’espoir de récupérer son souffle. Le tintamarre dans sa poitrine et ses oreilles finit peu à peur par s’estomper, mais Elsbeth se sentait faible comme elle ne l’avait pas été depuis la toute petite enfance.
Un bout de botte qui s’enfonçait dans ses côtes la força à rouvrir les yeux et à se tourner sur le dos pour voir ce qui se passait. Elsbeth découvrit une sorte de partie de chasse composée d’une demi-douzaine d’individus en tenue de chasse. Leurs visages trop aigus, leurs yeux trop perçants, trahissaient trop bien ce qu’Elsbeth savait déjà. Elle était passée au pays des Elfes.
-Étrange force d’invasion que celle-ci, se gaussa celui qui avait attiré son attention d’un léger coup de botte. Une mortelle, seule et sans armes.
-Si elle avait apporté du fer, cela aurait été sa perte, contra un second. Mais elle n’en est pas moins rentrée de force dans le Royaume, ce qui fait bien d’elle une envahisseuse.
-Devons nous la tuer alors ?, demanda un troisième d’une voix froidement indifférente.
-Non, reprit le second en secouant la tête. Cela amusera la Reine je pense de rencontrer en une seule personne le général à la tête des forces d’invasion et tous ses soldats. Ramenons-là au palais.
Eslbeth fut relevée sans ménagement, et découvrit qu’elle était trop épuisée pour rester debout, provoquant un concert de moqueries de la part de ceux qui l’entouraient. Les regards noirs qu’elle leur jeta ne les dissuadèrent pas de la traîner sur quelques mètres avant de se lasser de la voir trébucher. Ils finirent par se lasser et la firent grimper sur une de leurs montures, qui n’était pas plus un cheval qu’eux étaient des hommes.

Ils mirent des heures ou des jours à atteindre le palais dont les geôliers d’Elsbeth avaient parlé. Le temps semblait s’écouler différemment dans le royaume des Elfes, et il valait mieux ne pas essayer de comprendre le pourquoi du comment plutôt que de se faire mal à la tête sans y voir plus clair. Quoi qu’il en soit, elle était soulagée d’arriver dans un endroit où elle avait une vraie chance d’obtenir des nouvelles de Thomas, voir de le rencontrer. Un ménestrel était un invité précieux chez les Hommes comme chez les Elfes, trop pour que Tom réside chez un vassal s’il y avait une Reine.
Elsbeth entra en trébuchant dans la grande salle du banquet. Elle se redressa et essaya de ne pas avoir trop l’air d’une paysanne stupide tandis qu’elle écarquillait les yeux pour tâcher de ne rien rater des robes splendides, des plats chargés de fruits inconnus, des tentures aux tissus luxueux et des chandeliers précieux. Sans être jamais rentrée dans un château construit par des Hommes, Elsbeth sut que ceux-ci devaient avoir l’air de masures à côté de cette seule pièce.
La Reine était plus belle encore que toutes ces richesses qui s’affichaient autour d’elle et que la totalité de ses sujets, hommes et femmes. Entendant le raffut que faisait Elsbeth, la Reine se retourna et l’examina attentivement. D’abord, Elsbeth manqua se ratatiner devant ces yeux scrutateurs qui la rabaissaient sans même y penser. Il y avait dans ce regard une grâce, une beauté, une sagesse qu’Elsbeth ne pourrait jamais atteindre.
Cette constatation aurait pu la faire pleurer et s’effondrer. Au lieu de ça, elle redressa le menton et rendit son regard à la Reine. Elsbeth n’était qu’une mortelle, peut être, mais cela ne voulait pas dire qu’elle devait avoir honte de ce qu’elle était. Elle ne se comparerait pas à la Reine, elle embrasserait ce qu’elle était.
-Que m’amenez-vous là ?, demanda la Reine. Je n’ai pas besoin d’un nouveau jouet humain quand l’actuel me divertit tant, et vous avec.
Elsbeth frissonna. La Reine devait parler de Tom. Il était donc bien là quelque part dans le palais, prisonnier exhibé comme un oiseau en cage. Elsbeth ne devait pas montrer sa colère, ou tout était perdu. Elle pria pour que son frisson passe pour de la peur égoïste, pas pour de l’inquiétude vis à vis d’un être aimé.
-Nous l’avons trouvé à la lisière, ma Reine, expliqua l’un des chasseurs en s’inclinant profondément.
Dans les yeux de la Reine, l’intérêt se fit jour.
-Vraiment ? Il est rare qu’on entre sur mes terres sans que j’en sois immédiatement avertie et tout aussi rare de lire dans les yeux du visiteur de la détermination plutôt que de l’effroi ou de l’admiration.
Le ton de la Reine indiquait qu’elle se moquait du premier et souhaitait ardemment l’autre. Elsbeth secoua la tête avec véhémence.
-Je ne suis pas là par hasard ni par erreur, votre majesté. Je suis là pour récupérer quelque chose qui m’appartient.
Les yeux de la Reine pétillèrent d’amusement, mais le pli de sa bouche resta froid.
-Quelque chose, ou quelqu’un ?, demanda-t-elle d’un ton trop aimable pour être honnête. Ce n’est pas tout à fait la même chose. Et nous accuserait-tu de t’avoir volée ?
-Je n’accuse personne, protesta Esbeth, consciente qu’elle s’engageait dans une pente glissante. Mais parfois il arrive qu’on trouve une babiole qu’on croit abandonnée et qu’on récupère sans savoir qu’elle manque terriblement à son propriétaire.
-Il est vrai que mon peuple et moi sommes friands de babioles, concéda la Reine. Peut être avons nous celle que tu cherches, mais certaines babioles, comme tu dis, viennent dans nos mains de leur plein gré.
Elsbeth vacilla. Se pouvait-il que Tom soit parti volontairement ? Oui, évidemment. Elsbeth était amoureuse de Tom, même si elle avait longtemps refusé de le reconnaître, et il y avait des raisons à cela. Tom avait eu de nombreuses aventures avec des femmes, avant et après l’avoir rencontrée, de nobles dames et peut être même des paysannes dans son genre. Elle n’aimait pas beaucoup cette idée, mais elle s’en accommodait, parce que contrairement aux autres qui prenaient juste du bon temps avec lui, elle l’aimait et il le savait. Il finirait toujours par lui revenir à cause de ça. Mais face à cette Reine aux cheveux d’or et au visage inhumain, elle doutait soudain.
-Cette babiole dont je parle, c’est mon amour. Je suis sûre qu’il a été emmené ici.
-Vraiment ? Voilà qui fournira une histoire intéressante à raconter, mais tu passeras en second. Un divertissement a déjà été prévu pour la soirée. En attendant que je te parles à nouveau, ne dérange ni mes invités et n’interrompt pas mon divertissement, ou je me montrerais bien moins indulgente envers toi et ta requête. Tu restes, après tout, une étrangère qui n’a pas reçu ma bénédiction pour entrer dans mon royaume. Tu serais bien bête de me donner raison de la refuser.
-Merci, votre majesté.
-Bien sûr, sent toi libre de te servir à manger et à boire. Après ta longue route, tu dois avoir très faim et très soif.
Elsbeth s’inclina sans mot dire. Elle n’était pas née de la dernière pluie, pour manger et boire la nourriture des Elfes. Elle attendrait d’être seule pour entamer les provisions qu’elle avait eu le bon sens d’emporter avec elle. De toute manière, elle avait l’estomac bien trop noué pour manger quoi que ce soit, pas alors qu’elle était sur le point d’enfin découvrir si Tom était bien retenu prisonnier en ces lieux, si il était ici de sa propre volonté, ou si elle avait fais tout ce chemin et prit tous ces risques en poursuivant un fantôme mort depuis longtemps.

L’apparition de Tom ne la prit pas par surprise, mais la blessa tout de même. Il entra dans la salle, une harpe dans sa main, les yeux fixés avec adoration sur la Reine, et Elsbeth comprit qu’elle était venue entamer un combat qu’elle ne pouvait pas mener. On n’était pas la rivale d’une femme comme la Reine des Elfes.
Elsbeth se cala le plus possible dans les ombres de la salle pour que sa détresse ne soit pas trop un objet d’amusement de la part des invités de la Reine et de celle-ci. Pour le meilleur ou pour le pire, celle-ci ne lui adressait plus guère d’attention. Elle écoutait la musique de Tom en lui adressant un sourire indulgent d’amante. Elsbeth n’arrivait même pas à être jalouse. Elle avait des yeux pour voir et doutait qu’un homme puisse résister au sourire de la reine. Elle pouvait se méfier de celle-ci, mais si l’Elfe lui accordait toute son attention, peut être qu’elle non plus serait incapable de penser à s’enfuir.
Une larme coula le long de sa joue. La musique de Tom, sobre et mélancolique, s’accordait tout à fait à ses pensées. C’était un chant d’amour sans paroles, entièrement adressé à une autre, mais c’était quand même la plus belle chose qu’elle lui ait jamais entendu jouer. En trois mois, il avait acquis quelque chose qu’Elsbeth l’avait toujours soupçonné de pouvoir manifester sans jamais le voir faire. Avant, il était doué. Maintenant, sa musique confinait au grandiose. Elsbeth aurait pu passer une vie entière à l’écouter sans jamais penser à reprendre son souffle, mais ce n’était pas pour sa musique qu’elle aimait Thomas, mais pour lui même, avec ses qualités et ses nombreux défauts. Et pourtant elle ne pouvait s’empêcher d’attendre avec impatience qu’il pose sa harpe, parce que celui qu’elle venait voir était Tom, pas le Rimeur.
Les dernières notes de musique finirent de s’éteindre dans un silence assourdissant. La réaction des Elfes à la musique de Tom était… perturbante. Elsbeth préférait ne pas y penser et laisser le malaise se dissiper, mais elle se demandait comment Thomas pourrait jamais se contenter d’un public humain après cette expérience.
La Reine parcourut de son regard la salle et fit signe à Elsbeth d’approcher. Celle-ci s’exécuta aussi, impatiente de pouvoir enfin voir Thomas de plus près, et de lui parler. À son approche, ce dernier cligna des yeux plusieurs fois, surpris de la voir. Il ne s’était même pas rendu compte de sa présence pendant sa prestation. Elsbeth essaya de ne pas lui en vouloir et de lui sourire, sans y parvenir tout à fait, surtout quand la Reine posa sa main sur le bras de Tom en un geste possessif.
Elle ne devait rien y lire de particulier. La Reine se permettait des familiarités d’amante auxquelles elle avait visiblement droit, d’après le sourire que lui rendit Tom. L’amour d’Eslbeth pour le Rimeur ne lui donnait pas de droits particuliers. Qu’importe que son amour soit mortel et donc infiniment plus fort que l’amour inconséquent des fées. Tom avait fait un choix qu’elle ne pouvait lui reprocher.
-Regarde, Thomas. Tu dois manquer terriblement à certaines personnes dans ton monde puisque l’une d’entre elle est venue à ta recherche, à moins que ce ne soit à ta poursuite.
Il y avait un mélange de joie, de soulagement et de honte dans les yeux de Tom quand il croisa son regard. Elsbeth eut pitié de lui. Comme il devait se sentir seul ici, unique mortel parmi des Elfes qui le regardaient tantôt avec mépris, tantôt comme un appétissant gibier. Et s’il était parti volontairement, il avait raison d’avoir honte de les avoir ainsi laissés sans la moindre nouvelle.
-Je suis venue te chercher, Tom, balbutia Elsbeth, moins sûr d’elle que jamais. Tu nous manque à tous, Meg, Gavin, moi… Rentrons, veut-tu ?
Il détourna le regard sans répondre, mais sa main tremblait sur sa harpe. Il tourna son regard vers la Reine d’un air interrogateur.
-Combien de temps ?, traduisit celle-ci. Trois mois, à peine, à quelques jours près.
Un petit sourire naquit alors sur les lèvres de Tom. Elsbeth le devina flatté qu’il lui ai tant manqué, et soulagé que pas plus de temps se soit écoulé.
-Tom ? J’ai besoin de savoir. Est-tu ici de ton plein gré ?
À nouveau, Tom détourna le regard. Sa poitrine se soulevait comme s’il luttait contre la nausée. Eslbeth aurait voulu pouvoir s’en prendre à la Reine des Elfes, mais elle comprenait bien qu’elle ne pouvait accuser cette dernière. Tom était parti de son plein gré vivre une chanson comme celles qu’il récitait aux grands seigneurs du royaume. Comment aurait-elle pu le lui reprocher ? Elle avait fait pareil par amour pour lui. Lui l’avait fait pour l’amour d’une autre. Elle devait l’accepter et renoncer à cette colère qu’elle sentait bouillonner en elle.
-Il ne peut pas te répondre, finit par reconnaître la Reine d’une voix où pointait presque un soupçon de pitié, car tels sont les termes de notre accord. Thomas est à moi pour sept ans et ce qu’il a à dire pour moi seule, puis il repartira pour le monde des mortels.
« Il repartira », songea Elsbeth, et non pas « il sera libre de repartir ». Impulsivement, elle saisit la main de Tom. Il tressaillit, puis serra la sienne en retour si fort qu’Elsbeth en avait mal. Elle commençait à comprendre. Tom était blessé parce que sa présence ici lui rappelait le monde mortel qu’il avait laissé derrière et l’amour qu’il lui vouait, mais aussi parce qu’elle lui rappelait tout autant qu’un jour il devrait quitter ce merveilleux monde des Elfes et l’amour d’une autre. Son cœur était déchiré, et celui d’Elsbeth se déchira à son tour.
-Alors je reste aussi, déclara-t-elle à haute voix, en se retournant vers la Reine.
Un rire cristallin retentit autour d’eux. La Reine lui accorda le sourire indulgent que les parents accordent à leurs enfants qui ne comprennent pas encore comment le monde fonctionne.
-Qu’est-ce qui te fait croire que je te laisserais faire ? Tu t’es introduite en mon royaume comme une voleuse. Je n’ai nullement l’obligation de t’héberger et de te nourrir. Qu’as-tu à dire à cela ?
Elsbeth resta muette. Elle était venue sauver quelqu’un qui n’avait ni besoin, ni envie d’être sauvé. Pour l’instant, Tom était son amant et son sujet, et il le serait pour encore sept ans, alors pourquoi la Reine se montrerait-elle indulgente à ce qu’elle devait voir comme une insulte faite à son autorité ? La vérité, c’est qu’elle n’avait aucune raison de l’être. L’envie vint à Elsbeth de supplier la Reine de la laisser simplement retourner dans son monde et de considérer la peine qu’elle ressentait comme une punition suffisante.
Sauf que… Sauf que Tom n’avait toujours pas lâché sa main et malgré l’amour qu’il portait visiblement à la Reine, il s’y accrochait comme un homme qui se noie. Elsbeth secoua la tête et soutint le regard de la Reine. Elle n’y lit pas de méchanceté. La Reine n’avait pas de noir dessein envers l’humanité, juste la même indifférence que la majorité de sa race ressentait envers les mortels, matinée de curiosité plutôt que de cruauté, comme les Elfes qui l’avaient traîné jusqu’au palais. Peut être même qu’elle était digne d’être aimé.
-Vous êtes la Reine, reconnut Elsbeth. Nul ne vous contraindra, moi pas plus qu’une autre, et vous me ferez ce que vous voudrez, puisque c’est votre royaume. Mais je voudrais que vous me laissiez rester ici, pour Thomas. Faites-cela non pas pour moi, mais pour lui. L’esprit des mortels est une chose fragile. Nous avons besoin les uns des autres, et la transition sera moins douloureuse pour Tom à son retour s’il y a quelqu’un avec lui qui a déjà vécu cette expérience. Des hommes sont devenus fous dans le passé, non pas d’avoir découvert votre monde, mais de l’avoir perdu. Ne laissez pas ce destin être celui de Tom.
Le regard de la Reine se teinta d’inquiétude. Elle tenait donc vraiment à Tom, à son inhumaine manière. Pour cette raison, Elsbeth était prête à lui pardonner beaucoup.
-Si tu restes, décida la Reine, tu devras partager le sort de Thomas. Comme lui, tu ne parleras à aucun habitant de ce royaume, mortel ou elfe, mais comme tu as imposé ta présence au lieu d’attendre comme lui une invitation, tu n’auras pas pour rendre ta peine moins dure à supporter l’opportunité de me parler à moi. Pas un son ne sortira de ta bouche jusqu’à ce qu’il soit temps pour vous deux de repartir. Accepte-tu ces conditions ?
Elsbeth inclina la tête. Elle entendait bien que c’était un ultimatum et qu’elle n’obtiendrait pas plus. Six ans et neuf mois de silence… Pour Tom, elle pouvait le faire. Ce ne serait qu’un nouveau compte à rebours dans sa tête. Et puis, même si elle avait trop conscience de la dureté de la vie pour se perdre dans des rêves comme Tom, elle était au pays des Elfes et elle entendait bien profiter de chaque instant qui s’écoulerait en ces lieux.
Tom lâcha sa main. Il lui adressa un petit sourire contrit et suivit la Reine qui l’entraînait vers ses appartements. Elsbeth les suivi des yeux en silence. Six ans et trois mois. Ce serait dur, mais après, elle aurait toute une vie de mortelle à profiter de Tom, s’ils s’aimaient toujours après cette épreuve. Elle, en tout cas, ne pensait pas pouvoir cesser de l’aimer juste à cause d’une Reine des Elfes et de six ans de silence. Elle ne croyait pas non plus que la Reine soit capable de décrypter ses émotions juste en prenant sa main. Et si Elsbeth avait toute une vie de mortelle à passer auprès de lui ensuite, et bien, on aurait du mal à lui faire croire que ce n’était pas elle qui sortait gagnante de ce marché.

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