Titre : Inarrêtables
Auteur : Écholalie (Participant.e 13)
Pour : Taliesin le Barde (Participant.e 11)
Fandom : Legend of Vox Machina
Persos/Couple : Grog, Pike, Wilhand
Rating : K
Disclaimer : Vox Machina appartient à Matt Mercer et aux joueurs de Critical Role
Prompt : cela m’intéresserait une fic prequel où on verrait comment Grog se fait à une vie sédentaire et à son nouveau foyer après des années à errer avec la horde, le tout dans un environnement violent et assez abusif.
Est-ce qu’il s’est tout de suite entendu avec Pike ou est-ce que cela a mis plus de temps ? Est-ce qu’il a eu des ennuis à cause des habitudes qu’il a prise dans son groupe ? Comment Pike et lui en sont venus à partir à l’aventure ensemble, est-ce que c’est Grog qui en a eu marre de la vie sédentaire ou Pike qui rêvait d’aventure après avoir entendu des histoires de voyage venant d’un barde quelconque ?
Notes : L’amitié entre Grog et Pike est un de mes aspects préférés de Vox Machina et on manque de scènes entre eux. Merci de m’avoir donné l’occasion d’écrire cette scénette !
Grog fut réveillé par une odeur étrange, différente de tout ce qu’il avait senti. Curieux, il ouvrit les yeux mais ne vit que des planches en bois vermoulu. Il essaya de bouger pour se retourner et poussa un grognement de douleur. Tout son corps lui faisait mal, comme s’il s’était fait écraser par un troupeau de dragons qui était en suite revenu dans l’autre sens pour s’essuyer les pieds sur son torse. Mais comme il était encore en vie, ça devait être autre chose. Il fronça les sourcils, essaya de rassembler ses souvenirs, et d’un coup se rappela tout d’un coup, la Horde, le vieux Gnome, Kevdak.
Kevdak. Grog se leva d’un coup et se cogna la tête au plafond.
-Doucement mon grand ! Tu vas te faire du mal !
Il dut baisser la tête pour chercher d’où venait la voix, et découvrit une Gnome à hauteur de ses genoux. Il avait du mal à la voir, parce qu’un de ses yeux était fermé et gonflé, et qu’il voyait double de l’autre. Kevdak n’était nulle part en vue, ni la campagne enneigée où il l’avait laissé mourir. Il leva le bras pour s’essuyer le visage.
-Oh !, s’exclama la Gnome. Le sang a séché sur ton œil. Peut être qu’un peu d’eau… Attends. Assied-toi, je reviens.
Grog hocha la tête et se laissa glisser au bas du mur avant de laisser sa tête retomber en arrière. Elle rebondit contre un mur si violemment qu’un tableau au-dessus du lit voisin tomba presque sur ses genoux. Le tableau comme le lit étaient minuscules. Grog fronça les sourcils. Il ne comprenait pas où il était ni qui était la Gnome. Elle, il ne s’en rappelait pas, mais elle ressemblait au portrait que le vieux Gnome portait en médaillon. Il décida d’attendre qu’elle lui donne des réponses avant de dire des bêtises. Il ne voulait pas avoir l’air de penser que tous les Gnomes se ressemblaient, ou quelque chose comme ça.
La Gnome revint en courant, portant une serviette aussi grande qu’elle toute mouillée dans une main, et une tasse pleine d’un liquide fumant dans l’autre. C’était de là que venait la bonne odeur.
-Voilà pour ton œil, et voici pour ta gorge.
Grog attrapa machinalement les deux objets. Dans ses mains, la serviette devint un mouchoir et la tasse un fragile jouet pour enfant.
-C’est moi ou le monde a rétréci ?
La Gnome rit, comme s’il avait eu un bon mot.
-Quelque chose comme ça. Quand les Dieux ont crée le monde, ils ne l’ont pas vraiment fait à la taille des Gnomes, pas vrai ? Mais on fait avec, et mieux que les grandes personnes ne veulent le croire ! Enfin, tu dois savoir ce que c’est, tu as le même problème mais dans l’autre sens, n’est-ce pas ? Ne bouge pas. Grand-père est allé en ville, pour acheter quelques petites choses à ta taille, mais tu devras faire avec ce qu’on a pour l’instant. pour l’instant. Je te donnerais bien directement la théière pour boire, mais elle est brûlante. Désolée. Tu es Grog, n’est-ce pas ?
-Oui.
Avec précaution, Grog leva la tasse jusqu’à ses lèvres et avala l’unique gorgée. C’était bon, mais ça manquait d’alcool, et après l’avoir bu, il avait encore plus soif.
-Grand-père dit que tu l’as sauvé d’un sale pétrin, que tu l’as défendu au péril de ta vie. Tu te souviens ? Tu avais l’air d’avoir pris de sacrés coups à la tête.
Inconsciemment, Grog eut un haut le cœur. Il ferma ses yeux, mais derrière ses paupières il continua de voir les poings de Kevdak arrivant à toute vitesse pour cogner sur son crâne. Une main minuscule se posa sur son genou et le souvenir disparut. Quand il rouvrit les yeux, la Gnome le contemplait d’une drôle de façon. Grog connaissait la colère, le mépris, la haine, la jalousie, la rage, mais pas cette émotion-là. Il apprendrait un jour que c’était de la compassion, et qu’on n’était pas faible pour faire naître cette émotion chez les autres.
-Pardon, dit la Gnome tout doucement. Je ne voulais pas réveiller de mauvais souvenirs. Je ne t’en parlerais plus si tu ne veux pas en parler, promis. Mais je voulais te dire merci d’avoir sauvé mon grand-père.
Les poings serrés de Grog se dénouèrent. Oui. Il se souvenait de ce qui s’était passé. Il avait sauvé quelqu’un au lieu de le tuer, pour la première fois de sa vie. Ça lui faisait tout chaud dans son cœur. C’était un sentiment nouveau, pas désagréable. Beaucoup plus que la honte qu’il ressentait en se battant avec la Horde.
-Oh, tu saignes !
Grog baissa les yeux. En serrant les poings, il avait cassé la minuscule tasse.
-Désolé.
-Non, c’est moi qui aurait du te donner quelque chose de plus solide. Occupons-nous déjà de ta main, puis je trouverais quelque chose d’autre.
La Gnome tendit sa main vers lui, mais pas en un geste agressif. Elle n’avait pas l’air de vouloir le cogner, et de toute façon, elle était toute petite, elle ne lui aurait pas fait très mal. Grog lui donna sa main et regarda avec étonnement de la lumière surgir de ces mains pour soigner la sienne, où des morceaux de la tasse s’étaient incrustés.
-Je suis Pike, au fait, se présenta la Gnome. J’aurais du me présenter plus tôt. C’est moi que grand-père est allé cherché pour te soigner, et je suis arrivée juste à temps, crois-moi. Voilà, c’est parti. Désolée, je n’ai pas pu soigner toutes tes autres blessures. J’apprends encore. Essuie-toi le visage maintenant, je vais chercher un meilleur contenant pour ce thé.
Grog s’exécuta machinalement, en faisant le moins de mouvement possibles pour ne pas rouvrir ses plaies, mais aussi pour ne rien faire tomber d’autre dans cette maison miniature. L’eau qui imbibait la serviette fit du bien à son œil gonflé. Il se sentait déjà mieux. Par contre, il ne comprenait pas pourquoi Pike tenait tant que ça à le guérir et lui donner à boire. Dans la Horde, on se moquait toujours de ceux qui avaient besoin d’aide pour se nourrir, boire ou marcher. Ils étaient vite laissés derrière, avec un couteau pour s’ôter la vie s’ils avaient un peu de courage. Sinon, c’était la mort qui les attendait dans les étendues sauvages de Tal’Dorei. Ceux qui utilisaient la magie pour soigner étaient vus avec le même mépris, parce que proposer des soins à d’autres, c’était dire qu’ils étaient trop faibles pour se débrouiller seuls, et on en revenait au premier point. Grog se tassa encore un peu plus contre son mur.
-Je suis faible, avoua-t-il à voix haute.
-Mais non, mon grand, pas du tout ! Enfin, un peu pour le moment, mais seulement parce que tu as perdu beaucoup de sang et que ces monstres t’ont fait beaucoup de mal. Tu as dormi trois jours, c’est normal que tu ne te sentes pas encore bien, mais un peu de repos supplémentaire, un peu - ou dans ton cas, beaucoup - de nourriture, et tu seras comme avant. Tiens, je t’ai trouvé quelque chose pour ton thé.
Elle souleva vers lui un sceau, grand comme une très grosse tasse et à moitié rempli de thé. C’était bon, mais ça manquait d’alcool à l’intérieur. Grog n’osa pas réclamer, cette petite Gnome avait déjà fait beaucoup pour lui. Quand il l’eut but en quelques gorgées, Pike grimaça et déclara qu’elle allait en refaire immédiatement.
Il réalisa alors qu’elle avait l’air aussi nerveuse que lui. C’était pour ça qu’elle parlait autant. Grog aurait voulu lui dire qu’elle ne devait pas avoir peur, mais il était un Goliath qui avait failli tuer son grand-père, et ils étaient dans une maison qu’il pouvait détruire à main nue, ou qu’il aurait pu détruire s’il avait plus de force qu’un nouveau né.
Grog la suivit du regard pendant qu’elle retournait préparer du thé sans savoir quoi faire. Il n’était pas censé être là. Il était censé mourir pour ne pas affaiblir la Horde. Mais il avait survécu et ne savait pas ce que cela voulait dire. Est-ce que maintenant il affaiblissait le clan de ceux qui l’avaient sauvé ? Est-ce que ce n’était pas encore pire ?
Réfléchir était trop difficile. Grog ferma les yeux. Quand Pike revint, il fit semblant de dormir, même quand elle posa sur lui une couverture qui couvrait tout juste ses genoux et le haut de ses jambes. Épuisé, il finit par réellement s’endormir.
Le lendemain, Grog se réveilla dans un monde tout aussi étrange que la veille. Willhand était rentré avec des choses pour lui, une couverture presque à sa taille, un couteau, une fourchette, une assiette et un verre, plus la promesse d’une nouvelle tunique et d’un pantalon dès que la commande serait prête, quoi que ça veuille dire.
Grog ne pouvait pas refuser ces choses, surtout s’il voulait manger, et il ne voulait pas décevoir Willhand, puisqu’il semblait qu’il soit le chef de clan. Le vieux Gnome dormait encore quand Pike lui montra tous ces objets qu’elle appelait des « cadeaux » avec enthousiasme. Grog la regarda tout déballer en hochant la tête, mais sans montrer la joie à laquelle elle s’attendait visiblement.
-Qu’est-ce qu’il y a ?, demanda-t-elle d’une voix inquiète. Tu n’aimes pas ? Je sais que c’est plutôt prévu pour des gens de la taille des Humains, mais il faudra plus de temps pour te trouver des choses à ta taille.
Grog secoua la tête avec véhémence. Il n’avait jamais rien possédé, à part sa hache et ses vêtements. Il aimait bien l’idée de posséder des choses, mais son plaisir n’enlevait rien à son sentiment de culpabilité.
-J’aurais du y aller avec Willhand, souffla-t-il en regardant ses mains toujours trop faibles pour tenir une hache.
-Quoi, à la ville ?, s’étonna Pike. Ce n’est pas grave, tu pourras le faire, quand tu auras retrouvé tes forces.
-Les guerriers doivent participer aux raids, même quand ils sont blessés.
Pike écarquilla les yeux.
-Grog, ce n’était pas un raid, les Gnomes ne font pas des raids, sauf parfois sur le garde-manger et sur la bibine. Grand-Pa a acheté tout ça, avec de l’argent. Tu sais ce que c’est, quand même ?
-L’argent, oui. C’est ce qu’on prend par force aux gens qu’on attaque et qu’on finit par oublier là où on l’a enterré.
-Je suppose que pour certaines personnes ça se réduit à ça ? Et je ne peux pas juger, il y a un certain nombre de brigands de grand chemin dans mon arbre généalogique - personne n’est prêt à avouer avoir été détroussé par des Gnomes, à part d’autres personnes de petite taille - alors je suppose qu’il y a aussi des sacs enterrés par ma famille dans le coin. Mais il va quand même falloir qu’on te mette à jour à propos du commerce et des marchés.
Devinant que c’était ce qu’on attendait de lui, Grog hocha la tête. De ce qu’il comprenait de son petit discours, il était censé rester avec le clan Trickfoot. Il n’était pas bien sûr de ce que pouvait faire un clan de trois personnes, dont deux Gnomes, mais puisque ils tenaient tant à l’aider, il décida d’être menaçant pour dix, une fois qu’il irait mieux et de les défendre jusqu’à la mort s’ils en avaient besoin. Ils étaient son clan maintenant, un clan où on mangeait des légumes en plus de la viande sur une table avec une décoration en dentelle et où on mettait une goutte d’alcool dans le thé parce que la vie avait besoin d’épice.
Pour être sûr d’être assez fort pour défendre sa nouvelle famille, Grog accepta sans protester les soins de Pike. Peut être que cela voulait dire qu’il était faible, mais c’était le seul moyen de devenir plus fort ensuite. Et puis, c’était la Horde et Kevdak qui répétaient depuis qu’il était enfant que seul le faible et le lâche acceptaient la magie de la guérison et Kevdak et la Horde avaient tort de vouloir faire du mal à des vieux Gnomes comme Willhand et de se moquer de guérisseuses aux mains douces comme Pike.
Au bout de quelques jours, il fut capable de se lever et de faire quelques pas dans la maison, puis à l’extérieur. Petit à petit, Grog s’habitua à ce que tout soit trop petit pour lui. Les Trickfoot faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour lui faciliter la vie de ce côté là, et il appris qu’une bonne partie des éléments de la maison étaient déjà un peu grand pour des Gnomes, comme la table ou les chaises, et que le plafond haut avait été soigneusement pour accueillir des personnes de la taille d’Humains une fois de temps en temps. Ils n’avaient juste jamais prévu d’héberger un Goliath comme lui.
Comme il avait encore besoin des soins de Pike, Grog dormait roulé en boule près de la cheminée, en essayant de ne rien renverser ou cogner. Mais une fois qu’il alla mieux, Willhand lui demanda de se tenir debout à l’extérieur, pour une coutume étrange qui s’appelait prendre ses mesures.
-C’est pour te faire faire des vêtements à ta taille, mon grand, expliqua Pike de sa voix douce, et aussi pour voir si on peut te fabriquer un lit à ta taille, afin que tu ne te fasses plus mal au dos. Il n’y a pas la place dans la maison, mais peut être dans la grange ? On peut la transformer pour faire une chambre confortable.
-Pourquoi faire ? On ne peut pas emporter un lit.
Pike rit avant de ramasser une fleur et de la lui coincer derrière l’oreille.
-Pourquoi emporter ton lit ? Et où ?
-C’est l’hiver, répondit Grog sans comprendre pourquoi il devait expliquer ces choses là à une Gnome beaucoup plus intelligente que lui. Mais au printemps le clan doit bouger, pour chasser et piller.
-Nous ne sommes pas des nomades Grog, nous sommes des sédentaires.
-Sédentaires ? C’est pas des gens qui n’ont pas de dents ? Mais vous avez des dents, même Willhand.
-Tu t’es prit un coup sur la tête en plus du reste ?, s’inquiéta aussitôt Pike.
Grog rougit et baissa la tête.
-Non. J’ai toujours eu du mal avec les mots compliqués.
-Oh, rougit à son tour Pike. C’est pas grave, je suis là pour te les expliquer maintenant, et je préfère ça à une commotion cérébrale. Sédentaire, ça veut dire qu’on reste au même endroit toute l’année. Oh, et aussi qu’on ne pille pas.
C’était une drôle d’idée, d’après Grog, mais ça avait aussi l’air calme et tranquille. Et comme Pike était calme et tranquille, peut être que ce n’était pas si mal. Il pouvait au moins essayer. Depuis qu’il était chez les Trickfoot, il essayait plein de choses nouvelles comme se laver régulièrement et nettoyer sa hache après usage. C’était étrange au début et puis on s’y faisait. Grog était prêt à essayer beaucoup de choses si c’était Pike qui le lui demandait.
Il aimait bien Pike. En fait, il commençait à beaucoup l’aimer. Et elle avait même l’air de bien l’aimer aussi.Elle riait beaucoup, mais toujours avec lui et pas de lui, comme son oncle et le reste de sa famille. Elle était toujours prête à prendre le temps de lui expliquer les choses qu’il trouvait compliquées, et quand Willhand proposa qu’il l’appelle aussi Grand-Pa, c’est elle qui le rassura en jurant qu’elle ne prenait pas ça pour un vol. C’est aussi Pike qui l’entraîna au village pour sa première leçon de vie de civilisé avec une bourse de pièces de cuivre pour acheter ce qu’il voulait sans taper sur personne. Avec elle, la vie de sédentaire n’avait pas l’air si affreuse.
Au printemps cependant, Grog commença à trouver le temps long. Il avait l’habitude d’errer avec la Horde à cette époque, surtout pour chasser. Piller, ça venait plutôt en automne, surtout quand les réserves n’étaient pas assez importante pour tenir l’hiver. À moins bien sûr qu’ils ne tombent sur des personnes qui méritaient d’être pillées, c’est à dire sur n’importe qui de plus faible que la Horde. En conséquence, rester inactif à cette saison lui paraissait anormal. Grog passait parfois des journées entières à regarder l’horizon de la clairière et à raconter les bons moments de la vie avec la Horde, ce qui voulait dire qu’il racontait toujours les mêmes histoires, car il n’y en avait pas beaucoup dans lesquelles Grog ne faisait pas des choses horribles à côté de sa famille. Mais il y en avait quand même, des histoires où ils marchaient dans la neige en hurlant des chants de guerre pour se tenir chaud, ou le plaisir de se lever sans savoir où on dormirait le soir. Pike l’écoutait toujours avec attention.
C’est elle qui trouva la solution à son ennui. Elle était géniale comme ça. Un jour qu’il tournait dans la clairière sans savoir comment s’occuper - le bois était coupé, les clôtures réparées, le gibier chassé - elle vint vers lui en tenant quelque chose caché derrière son dos, emballé dans du papier.
-Tout va bien mon grand ?
-Oui !, promit Grog en se redressant d’un air coupable. Des tas de choses à faire, tout va très bien. Très très bien.
Pike secoua la tête.
-Non, je sais bien que ça ne va pas. Je te connais assez pour que tu ne puisses pas me le cacher. Tu t’ennuie n’est-ce pas ? Tu sais que si tu as envie de partir, tu peux le faire, n’importe quand. Tu n’as même pas à demander.
-Tu veux que je partes ?
-Moi ? Non ! Tu es mon meilleur ami ! Mais tu peux, si tu veux. Tu es guéri. Tu peux faire tout ce que tu veux. Tu veux vraiment rester ici toute ta vie ?
-Non, reconnut Grog.
Il se sentait mal de le dire à haute voix. Il aimait les Trickfoot. Mais il allait devenir fou s’il ne pouvait pas taper sur quelque chose de plus dangereux qu’une souche de bois mort avec sa hache.
-Je m’en doutait, sourit Pike comme si ce n’était pas grave qu’il parle de les abandonner. Tu peux le dire, tu sais ? On ne sera pas vexés juste parce que tu as la bougeotte.
-Oui. J’aurais pu. Pardon.
Grog n’était pas très bon pour parler de ses sentiments. On ne faisait pas ça dans la Horde. On se battait, on se saoulait pour oublier les copains morts au combat, et on recommençait. Les Trickfoot fonctionnaient différemment.
-Mon apprentissage auprès de la Lumière Éternelle progresse bien, tu sais ?, reprit Pike en passant à un tout autre sujet.
-Tu deviens très bonne pour guérir, confirma Grog en se demandant où elle voulait en venir exactement.
Pike grimaça.
-Oui. Je suis douée pour ça. Mais… Tu sais, moi aussi je me pose des questions. Des fois je me demande si je veux vraiment passer ma vie dans un temple à soigner les blessés qui viennent demander de l’aide. Je ne dis pas que ce n’est pas une chose utile, tu comprends, mais je me demande si c’est vraiment ça ma vocation.
Grog hocha la tête comme elle avait l’air de s’y attendre. Il ne savait pas ce que c’était qu’une vocation, mais ça n’avait pas l’air amusant, alors il décida d’être triste pour elle, au cas où ce soit ce qu’elle attendait de lui.
-Je réfléchissais aux commandements de la Lumière Éternelle, poursuivit Pike. Ils ont l’air tellement simple, mais ils ne le sont pas quand on regarde dans les détails. « Inspire les autres à s’unir. Aide ceux qui n’ont pas de guide. Soigne ceux qui n’ont plus d’espoir ». Oui, tout ça invite à rester dans un temple et à soigner ceux qui viennent à nous. Mais il y a aussi le commandement d’éliminer ceux qui se complaisent dans le mal et de rendre justice et ça, on ne peut pas le faire dans un temple, pas vrai ? Les mauvais ne viennent pas se soumettre à la justice, il faut l’amener à eux. Alors je me demandais si tu pouvais m’apprendre à me servir d’une arme.
Tout le reste du discours était passé loin au-dessus de la tête de Grog. Les dieux et les commandements, c’était des histoires qu’il ne comprenait pas. Par contre, se battre, ça il connaissait. Il sourit largement, et plus largement encore quand Pike dévoila ce qu’elle cachait derrière son dos, un marteau de forgeron enveloppé dans du papier sale. Grog s’en empara pour le soulever. Pike rougit aussitôt.
-Je sais que ce n’est pas une vraie arme comme ta hache, mais le forgeron allait en changer et je l’ai eu pour quelques pièces seulement.
-Il est équilibré, déclara Grog en rendant l’outil. Et le marteau aussi est une vraie arme. Peut être avec un bouclier ?
Pike hocha la tête avec enthousiasme.
-Je dois pouvoir en trouver un aussi, ou Grand-Pa m’en fabriquer un. Tu vas m’apprendre, alors ?
-Oui. Mais tu veux vraiment partir à l’aventure? Te battre contre des ennemis ?
Son cœur se mit à battre plus vite. Elle voulait vraiment se battre. Elle était comme lui en fait, et il ne s’en était même pas aperçu. Pike lui offrit un sourire jusqu’aux oreilles.
-Tu n’es pas le seul à devenir dingue au printemps. Avant que tu n’arrives, je ne savais même pas pourquoi j’étais aussi agitée à la fin de l’hiver, et même avant que tu sois là pour me raconter tes histoires, j’ai toujours adoré écouter les histoires des bardes et des voyageurs. Je ne sais pas si je suis faite pour l’aventure, mais je sais que j’ai envie… Que j’ai besoin d’essayer. Dormir à la belle étoile, combattre des brigands, dormir dans les auberges… J’en rêvait déjà avant que tu n’arrives, mais maintenant je sais que c’est ce que je veux faire ! Je sais que je suis juste une Gnome et que ce monde de grandes personnes n’est pas fait pour moi, mais… tu crois que je pourrais me battre et aider en me battant, pas seulement en soignant ?
-Il faut voir comment tu te bat, déjà.
Pike lui offrit un large sourire et fonça sur lui en hurlant avec son marteau. Grog s’y attendait et l’arrêta du plat de sa main, la repoussant à presque un mètre de distance. Pike trébucha, tituba, mais resta debout, secoua la tête pour se réveiller, et repartit à l’assaut, sans plus de succès. Un revers de la main l’envoya au sol. Pantelante, elle resta allongée sur le dos quelques instants pour retrouver son souffle, pendant que Grog s’étirait sans montrer le moindre signe de fatigue. Il attendit patiemment le temps qu’elle se relève en s’appuyant sur la barrière contre laquelle elle était tombée.
-Alors ?, demanda-t-elle quand elle se sentit capable de parler.
Grog connaissait Pike. Il savait qu’elle voulait de lui qu’il soit honnête, alors il décida de l’être. Pour une fois, il savait exactement quels mots utiliser, parce que le combat, c’était son domaine depuis qu’il était tout petit, mais déjà plus grand qu’elle.
-Tu n’as pas de souffle, ta technique est mauvaise et tu n’as pas de muscles. Mais tu sais te relever sans pleurer et quand tu sauras bouger, tu feras une cible difficile à toucher. J’étais pareil quand j’ai commencé. J’ai vu des Goliaths qui étaient meilleurs au départ, d’autres qui étaient pires. Les meilleurs le restaient pas toujours longtemps. Il y a le talent, et il y a l’entraînement.
-Alors, tu crois que je peux apprendre ?
Ses yeux étaient plein d’espoir, mais sa voix tremblait légèrement. Grog hocha férocement la tête pour la rassurer.
-Il te faut une armure, un bouclier, et apprendre à tomber sans te faire mal et à te relever à chaque fois. Ça prendra du temps.
-Je sais.
-Beaucoup de temps. Et ça fera mal partout pendant des jours.
-Je sais. Je n’ai pas développé mon lien à la Lumière Éternelle en un jour. Je dois travailler dur même pour soigner comme je le fais aujourd’hui, et il me faudra travailler encore plus dur si je veux être vraiment bonne. C’est pareil avec les muscles. Et je ne suis pas stupide. Je sais ce que je serais plus petite que la plupart de mes adversaires. Je te promet que je serais prudente. Je me battrais à la fois avec la lumière sacrée et avec mon marteau, mon épée, ou l’arme avec laquelle je serais la plus douée. Mais je vais me battre.
Grog aimait la lueur qu’il voyait dans ses yeux. Il l’aimait beaucoup. En réponse, il poussa un cri d’attaque auquel elle se joignit avec fougue. Grog l’attrapa et la fit tourner en la serrant dans ses bras. Ils allaient être des aventuriers, ensemble. Grog prendrait la plupart des dégâts à sa place, parce qu’il l’aimait trop pour vouloir qu’il lui arrive du mal, et la laisserait prendre des coups, parce qu’il l’aimait trop pour vouloir l’empêcher de s’amuser. Il accepterait sa guérison, parce qu’accepter les soins pour continuer à se battre montrait qu’on était à la fois fort et intelligent. Grog n’était pas intelligent, mais il le serait toujours plus que les Goliaths de la Horde.
Il se mordit les lèvres. Il n’avait jamais réussi à dire la vérité à Pike. Grand-Pa Willhand lui avait promis qu’il ne le ferait pas lui-même et que Grog pouvait prendre tout le temps du monde, et même toute la vie, pour y parvenir. Grog se sentait mal chaque fois qu’il y pensait, mais s’il devenait un aventurier avec Pike, il allait pouvoir arrêter des groupes capables de faire du mal comme la Horde. Alors, il se pardonnerait peut être d’avoir failli priver Pike de son grand-père. Et avec Pike, ils seraient inarrêtables.