Titre : Emprise
Auteur : Écholalie (Participant.e 13)
Pour : Poisson d'avril (Participant.e 9)
Fandom : Dracula
Persos/Couple : Dracula/Jonathan
Rating : T
Disclaimer : Dracula est une œuvre de Bram Stoker et donc dans le domaine public
Prompt : Dans le roman, Dracula a attaqué Mina dans le but d’en faire une de ses épouses… et s’il l’avait fait plutôt pour atteindre Jonathan ? Du côté de nos héros, tout le monde s’attend à ce que Dracula souhaite s’emparer de Mina pour en faire une de ses épouses, mais tous ignorent - y compris Jonathan - que Mina n’est pas sa véritable cible, mais plutôt son charmant époux qui a glissé hors de ses griffes en s’évadant de Transylvanie…
- Tu peux partir sur une des deux options. Soit Dracula s’en est pris à Jonathan plutôt que Mina, et s’est abreuvé de son sang dans le but de le faire sien. Soit il a bien attaqué Mina mais dans le but de mieux surveiller et se rapprocher de Jonathan. Peut-être même parvient-il à prendre le contrôle de Mina pour mieux approcher Jonathan. Je te laisse le choix ! Je trouve les deux options intéressantes, donc l’une comme l’autre m’ira très bien.
Notes : J’ai adoré l’idée de ce prompt, et même s’il avait déjà deux réponses, je me suis qu’au diable l’avarice, vive les indigestions. J’espère que cette troisième version te plaira autant que les deux autres.
Le comte était à Londres depuis quelques semaines quand le vent vicié de la capitale amena jusqu’à ses narines une odeur familière, un parfum masculin mêlé d’une peur panique. Ce fait seul était si étrange qu’il lui fallut quelques instants pour réaliser d’où elle venait et à qui elle appartenait. Après tout, nul n’était censé pouvoir le reconnaître en ces terres et qui d’autre que lui pouvait faire naître une peur aussi intense dans le cœur de l’homme ? Les précieuses secondes perdues à essayer d’identifier l’odeur suffirent à sa proie pour lui échapper dans la cohue londonienne. Après avoir laissé la colère et la déception se mêler en lui, Dracula ne put s’empêcher de sourire.
Jonathan Harker. Voilà une surprise des plus inattendues, et des plus agréables.
Par nature, le comte n’appréciait pas les surprises, ou, du moins, il ne les aimait pas quand il en était la victime. Au bout de la troisième fois, une incursion de paysans armés de fourches devient lassant, même s’il était homme - ou plutôt mort, humour d’outre-tombe - à se préparer à toute éventualité. Mais pour une fois, Dracula était surpris, et plaisamment.
En abandonnant le jeune clerc de notaire en Transylvanie, le comte avait juste pensé à se conserver un agréable en-cas dans l’hypothèse où son voyage depuis longtemps planifié soit reporté ou se révèle un échec, donnant à ses épouses la permission de s’abreuver du sang du jeune homme, mais sans le tuer. Après tout, qui n’aime pas retrouver quelque douceur dans une bonbonnière au retour d’un long voyage ? Il était par nature doté de quelque chose comme d’une dent sucrée. Par ailleurs, il méritait ces tourments après lui avoir porté avec une pelle un coup au front dont le comte n’était encore pas tout à fait remis. De tels outrages devaient se payer chèrement.
Cependant, si Jonathan Harker était ici, à Londres, cela signifiait qu’il avait non seulement réussi à survivre aux trois épouses qu’il avait chargé de le tourmenter sans s’en nourrir jusqu’à son retour, mais qu’il était aussi parvenu à fuir le château que Dracula avait rendu quasiment impénétrable de l’intérieur comme de l’extérieur. Cerise sur le gâteau, le jeune clerc était parvenu à se frayer son chemin à travers des régions peuplées de loups affamés jusqu’à ce que les vivants appelaient la civilisation, probablement dans un état très affaibli, puis à rejoindre l’Angleterre, le tout en remarquablement peu de temps. Et avec lui, il ramenait sa connaissance du comte et une compréhension pour ainsi dire sans égale en Angleterre du danger qu’il représentait pour les vivants.
Dracula n’était plus seulement plaisamment surpris, il était impressionné. La chose lui arrivait si rarement qu’il se devait d’en faire part à ce cher Jonathan.
Voilà un homme qui était doué de qualités sans pareilles, réalisa le comte. Il possédait de l’astuce, de l’endurance, et une force mentale que le comte avait rarement rencontrés. La peur que ses victimes avaient de lui les tuaient après tout souvent bien avant qu’il ait fini par le lasser d’elles et qu’il ne se décide à les vider jusqu’à la dernière goutte. Non, décidément, Jonathan Harker méritait qu’il s’attarde sur son cas, et pas uniquement à cause des connaissances qu’il avait glané sur lui.
Depuis qu’il était à Londres, Dracula avait décidé d’adopter une attitude inspirée de ces dandys dont il avait tant entendu parler par les écrits émanant de cette fascinante et moderne Albion. Comme eux, il prenait soin de suivre de très près la mode et de toujours paraître à son meilleur. Son but était de petit à petit s’insinuer dans les bonnes grâces de la meilleure société pour renforcer son influence et trouver là une nourriture digne de son rang. La jolie Lucie l’avait rassasié pendant un temps, et avant d’avoir senti l’odeur de Jonathan, Dracula avait rencontré quelques jeunes femmes dont il était pressé de faire plus amplement connaissance. Les premiers cartons d’invitation qu’il espérait était arrivés sur son guéridon, merveilleuse habitude anglaise qui devait lui ouvrir bien des portes, mais du jour au lendemain il abandonna ces pistes prometteuses.
Seule la traque de Jonathan l’intéressait à présent. Le comte commença à sillonner Londres, le nez au vent, bien déterminé à retrouver cette odeur si agréable au détour de quelque boulevard. Deux jours de recherche le firent déchanter. L’odeur de Jonathan ne flottait ni à proximité de la Tour de Londres, ni dans Hyde Park et encore moins à Whitechapel. Londres était peut être une ville merveilleuse avec son activité frénétique et toutes ces vies à dévorer, mais le progrès s’accompagnait d’odeurs puissantes qui étouffaient rapidement toutes les autres dans une désagréable cacophonie olfactive. Les tanneries, les filatures et tout ce charbon craché sans cesse par les cheminées fournissaient à Jonathan une protection plus solide encore que son crucifix ne l’avait fait en Transylvanie.
Désappointé, mais toujours aussi déterminé, le comte se mit à réfléchir. Quand il avait surpris par hasard son odeur, le parfum de Jonathan se mêlait à une peur terrible, assez puissante pour tuer un homme moins fort. C’est donc qu’il avait vu le Comte quand celui-ci l’avait senti. Que ne s’était-il retourné plus tôt le jour où leurs routes avaient failli se croiser ! Enfin, il était trop tard pour le regretter, et cette réalisation lui permettait de tirer quelques conclusions. Si Jonathan savait le comte à Londres, il fallait qu’il réfléchisse comme lui.
Oui, tout espoir n’était pas perdu, et le comte avait deux immenses atouts dans son jeu. D’abord, il connaissait l’adresse du cabinet pour lequel travaillait Jonathan. Une visite et un bakchich comme on les pratiquait dans son pays lui permettrait d’obtenir son adresse, ou du moins un endroit où le joindre. Son deuxième atout, c’était sa nature de non-mort. Jonathan pouvait fuir Londres ou se terrer dans ses sous-sols, le comte avait la patience d’attendre des années jusqu’à ce que sa garde se baisse et qu’il se dévoile à nouveau à lui.
Patience. Tôt ou tard, le jeune homme tomberait dans ses griffes. Il était mortel et il avait peur. Il commettrait une erreur. Le comte décida de le laisser paniquer quelques jours de plus et de repartir de son côté en quête de nourriture à se mettre sous la dent avant de reprendre sa chasse en s’appuyant sur les outils modernes à sa disposition.
C’est le hasard qui remit le comte sur la piste de Jonathan, alors qu’il visitait sa maison de Carfax et qu’il s’apprêtait à aller voir si ce passionnant patient de l’asile voisin l’était toujours autant. Pour un vivant, l’homme était fort près de comprendre les grandes vérités de l’univers, mais il ne restait rien d’autre qu’un amusant divertissement. Jamais Dracula ne s’encombrerait d’un tel serviteur, quel que soient les souhaits du dément. Mais c’est en se dirigeant vers l’asile que le comte sentit soudain à nouveau le parfum de Jonathan.
La déception fut aussi immédiate que brutale. Était-il allé trop loin au point que le jeune homme ait perdu l’esprit en le revoyant ? Cela c’était déjà produit par le passé, quand il faisait preuve de trop de brutalité avec certaines proies. Et il était indéniable que brutal était un mot adapté pour décrire sa façon de se comporter avec Jonathan sur la fin.
Cependant, l’enfermement de Jonathan ne correspondait pas à l’image qu’il se faisait à présent de lui. Le jeune homme était parvenu à fuir son château et à revenir en Angleterre. Il n’y avait pas à douter de sa détermination ni de sa force d’esprit. Une simple vision fugace n’aurait pas fait tomber Jonathan à ce stade. Cependant, il était possible que son récit, dans un pays si peu superstitieux que l’Angleterre, l’ait fait interner.
L’idée fit sourire le comte. Enfermé dans une cellule, Jonathan serait complètement à sa merci. Restait à l’atteindre, et pour cela, le fou à sa botte serait l’instrument parfait, ou n’importe lequel de ces pauvres diables, pourvu qu’il pense à l’asile comme à sa demeure. Dans ces conditions, il aurait tout le temps du monde pour convaincre Jonathan de devenir sien. Ne pouvait-il pas lui offrir la liberté, la vengeance et la jouissance en une seule morsure ?
Adoptant la forme d’une grande chauve-souris, Dracula vola vers la sombre bâtisse. Il fut alors surpris de découvrir que le parfum de Jonathan ne venait pas des minuscules cellules où les malades sombraient chaque jour un peu plus dans la démence et le désespoir, mais au contraire de la grande bâtisse attenante, qui servait de demeure au docteur et directeur. Une seule fenêtre était présentement allumée, celle donnant sur le bureau de ce dernier. Le comte rasa plusieurs fois la fenêtre pour un premier aperçu de ce qui se passait à l’intérieur.
De nouvelles surprises l’y attendaient. Installés autour d’une grande table, Jonathan discutait avec quatre autres hommes, dont le directeur de l’asile, et une femme. Rien dans son attitude indiquait qu’ils étaient ici assemblés pour décider de l’enfermement de Jonathan. Mais alors, que ce tramait-il dans cette pièce ? Jonathan avait participé à l’achat de la maison voisine au nom de Dracula, sa présence dans le voisinage ne pouvait être une coïncidence. Les visages des participants, quand à eux, étaient trop sérieux pour les ignorer. Pire encore, la plupart des visages étaient déjà vaguement familiers au comte, notamment celui de la jeune femme. Tous avaient gravité autour de sa précédente victime, la jolie et douce Lucy, avant qu’elle ne succombe. Pressentant, un danger, le comte se posa à la fenêtre.
Il n’eut pas le temps d’entendre grand-chose, avant qu’un de ces misérables vivants à l’accent d’au-delà des mers n’entreprenne de lui tirer dessus, sur lui, le comte Dracula ! Ulcéré, il s’éloigna en feignant d’être prit de panique, mais revint tout de même voler à proximité pour surprendre la fin de la conversation. Celle-ci confirma ses suspicions. Le groupe était assemblé dans le but assumé de s’attaquer à lui et de mettre fin à son existence. L’un des participants semblait même avoir occupé son temps à glaner des informations sur les vampires en général, et Dracula en particulier. Il l’avait même qualifié d’« esprit supérieur » et pour cela, le comte lui laisserait peut être même la vie. Le tireur de chauve-souris, par contre, apprendrait le respect en mourant sous ses crocs pour servir d’avertissement aux autres, un jour ou l’autre. Heureusement, les connaissances accumulées par les conjurés ne semblait pas comporter une information essentielle, la capacité des vampires à adopter la forme des chauve-souris. Le comte devait être prudent. Pour faire face à ce groupe, et surtout pour leur arracher Jonathan, il devrait utiliser de cet atout avec parcimonie afin de ne pas attirer la suspicion.
À peine la réunion terminée que la partie masculine du groupe descendait voir Renfield, tandis que la jeune femme, Mina, montait se coucher. Le comte hésita à chercher un moyen de se nourrir d’elle. Il avait déjà pu constater sa beauté en la voyant endormie auprès de Lucy et l’odeur de son sang était enivrante. Il renonça à ce projet pour l’instant, déterminé à ne pas perdre la trace de Jonathan et notamment à savoir s’il couchait sur place ou en ville. Bien lui en prit, car les cinq hommes entreprirent juste après de pénétrer chez lui. Furieux, le comte les suivit en oubliant toute prudence, au point de se faire voir par Jonathan et un des godelureaux qui l’accompagnaient. Fort heureusement, il eut le temps de se fondre dans l’ombre et les deux crurent à un jeu d’ombre causé par les torches. Au moins, la peur lisible sur les traits de Jonathan remplaça sa colère par une faim sans cesse renouvelée. Dracula ne savait quelle odeur était la plus enivrante, celle de sa peur, ou celle de son sang.
Il convenait cependant d’éloigner les gêneurs, et de voir si Jonathan saurait résister à une attaque d’une forme différente que celles qu’il avait connu jusqu’ici. Les rats, nombreux à proximité, répondirent à son appel pour harceler les indésirables. L’attaque ne dura pas. Le comte voulait seulement se faire une idée du courage de ces cinq hommes, et leur donner l’impression que son pouvoir était moindre qu’en vérité, alors qu’il aurait pu les étouffer sous une armée de rats affamés qui auraient déchiqueté le moindre morceau de chair à leur portée.
En voyant les rats, Jonathan avait trébuché en arrière, mais sa détermination n’avait pas failli. Au lieu de sombrer dans la folie en Transylvanie, il semblait au contraire avoir acquis des réserves de courage jusque là insoupçonnées en lui. À l’occasion, il ferait bien d’en remercier le comte, ou celui-ci risquait fort de se fâcher, et il ferait bien de le faire à genoux, en adorateur.
Le docteur Van Helsing prononça en sortant un discours très satisfait qui finit de rassurer le comte à leur propos. Non seulement ils n’avaient pas fait le rapprochement entre les rats et la chauve-souris qu’ils avaient agressé plus tôt dans la soirée, mais ils ne pensaient pas qu’il s’était tenu si près d’eux pendant l’essentiel de la soirée. Lui connaissait leurs plans, mais eux ignoraient tout des siens. Profitant que les nuages voilaient totalement la lune, il suivit de fenêtre en fenêtre Jonathan jusqu’à sa chambre.
Là, l’attendait la dernière surprise de la soirée, quand il vit Jonathan se glisser dans le lit de la jolie Mina. Plus tôt dans la soirée, il avait vu au doigt de la jeune femme la bague que ces imbéciles de vivants portaient pour se signifier qu’ils resteraient fidèles jusqu’à l’entrée de la tombe, mais il n’avait pas vu celle au doigt de Jonathan. Sans doute n’avait-il pas voulu la voir. Même le comte pouvait s’aveugler à l’occasion.
Sa fureur à cette vue fut telle que s’il avait pu pénétrer dans l’asile, il aurait tué les deux époux sans même prendre le temps de se nourrir de leur sang. Bien obligé de se contenir, Dracula vola jusqu’à son cercueil dans la chapelle de Carfax et y resta dans un état proche de l’inconscience jusqu’au soir.
Le crépuscule le ramena à la conscience et lui donna l’occasion de réfléchir. Il avait eu de la chance que ces chasseurs de vampire de pacotille ne viennent pas l’achever dans son cercueil. Heureusement, ils avaient cru le faire fuir la veille et assumé qu’il se tiendrait à distance. C’est d’ailleurs ce qu’il aurait du faire, plutôt que de suivre Jonathan jusqu’à sa chambre. Il avait prit assez de risques en une nuit. Ces erreurs ne se reproduiraient plus.
Le demi-sommeil dans lequel il s’était plongé avait au moins permis au comte de se calmer et d’échafauder un plan. Les chasseurs semblaient avoir compris son plan de dissémination des caisses à travers Londres. Il allait lui falloir se hâter à ce propos, afin qu’ils ne puissent en retrouver une seule à part celles qui étaient encore à Carfax et qu’il risquait d’avoir du mal de sortir en contrebande sous les yeux de ses ennemis. Au moins, la nécessité de retrouver ses caisses allaient les occuper quelques jours, eux qui n’avaient pas son formidable intellect ni ses siècles d’expérience.
Cela laissait au Comte en partie le champ libre pour s’occuper de Jonathan. Il s’était senti trahi en le voyant se coucher auprès de Mina. Dracula n’avait peut être pas goûté de son sang, mais la promesse était implicite. Jonathan aurait du se réserver pour lui et éprouver le même choc électrique en le revoyant que le comte lui-même.
Hélas, il était trop tard pour regretter les choix qu’il avait fait ou non. Dracula pouvait cependant décider de ce qu’il voulait faire à présent, et tout en récupérant de la nuit passée, il avait tranché entre les tous les choix possibles. Il y avait fort longtemps que Dracula ne s’était pas entiché de l’idée de prendre une compagne ou un compagnon, mais peu à peu, celle-ci s’imposait à lui. D’ordinaire, c’étaient les femmes qui attiraient son regard, mais Jonathan avait quelque chose qui lui sautait d’un coup aux yeux. Que ne l’avait-il réalisé en Transylvanie ! Dracula aurait changé Jonathan sur place et c’est ensemble qu’ils s’apprêteraient à affronter la menace actuelle. Oui, le comte voulait Jonathan en entier, corps et âme, en faire son esclave consentant et adorateur.
Cette Mina était l’obstacle principal, mais pas insurmontable. Les vivants portaient une bague à leur doigt jusqu’à ce que la mort les sépare ? Il pouvait s’arranger pour que celle-ci prenne très vite la jeune femme. Mais Dracula voyait un moyen plus sûr encore de s’attacher Jonathan, et s’était de s’attaquer à Mina d’abord. S’il n’y avait pas eu ce dernier pour exciter autant ses appétits, il se serait de toute manière probablement attaqué à elle. Mina était belle, brave, et intelligente, tout ce qu’il aimait chez une épouse et une esclave. Les autres avaient parlé de la mettre à l’écart, ce qui faciliterait son asservissement. Et une fois son esclave, Mina lui amènerait d’elle-même Jonathan. Il gagnerait d’un coup un époux et une épouse, voilà tout. Et ce nouvel outrage porté à la loi du ciel le mettait en joie. Bigamie, pédérastie, meurtre, adultère, tout ces pêchés que l’Église adorait dénoncer, il allait avoir le délice d’y initier le beau Jonathan et la jolie Mina. Un frisson d’anticipation le saisit à l’idée de salir ainsi leurs âmes, en particulier celle de Jonathan. Quel plaisir il aurait à voir le sang des vivants maculer ses lèvres et ses dents, à sentir son âme se ternir peu à peu jusqu’à ce que l’Enfer tout entier le possède !
Tout ce que le comte avait à faire à présent que ses plans étaient dressés, c’était de commencer à hypnotiser Mina dans son sommeil, puis d’obtenir de Renfield l’entrée dans l’asile pour achever le travail en la forçant à boire son sang. L’image qui s’imposa dans sa tête le fit frisonner plus encore, quand il imagina Mina, le sein nu et la bouche maculée de sang se tourner vers Jonathan et celui-ci tomber à genoux, aussi blanc qu’un linceul, en sentant les fers se refermer sur ses mains et sa gorge.
Comme attendu, Renfield lui ouvrit les portes de l’asile, le laissant libre d’agir. Dracula vint tourmenter l’esprit de la jeune femme, l’hypnotisant et l’empêchant de se reposer suffisamment afin de commencer à y instaurer sa marque. Il n’avait pas besoin d’agir de même avec Jonathan. Celui-ci avait déjà passé tant de temps sous son emprise qu’un simple ordre de dormir suffit à le plonger dans une profonde torpeur tandis que sa femme s’agitait et gémissait dans son sommeil à côté, avant de se cambrer inconsciemment quand il se nourrit d’elle, juste assez pour raffermir son pouvoir sur elle, mais pas assez pour que quiconque réalise ce qu’il avait fait, pas même elle. Et que plaisir malsain il éprouvait à user ainsi de Mina juste à côté de son époux endormi. La deuxième nuit, le comte ne put s’empêcher de s’emparer des lèvres de Jonathan avant de boire le sang de Mina. Ses lèvres étaient aussi douces que celle d’une femme et promettaient autant de merveilles.
Quand il découvrit la jeune femme endormie et sous sédatif le troisième soir, le comte manqua d’éclater de rire en voyant la bonté que ces misérables vivants mettaient à faciliter ses plans. Il la sentit si réceptive à son emprise qu’il sut pouvoir passer à l’action dès le lendemain.
La journée fut interminable, mais la nuit vint enfin. En arrivant, Dracula découvrit les deux époux tendrement enlacés dans leur sommeil. Il leur sourit par la fenêtre et les plongea dans une légère hypnose, leur interdisant de s’éveiller pour tout autre que lui, puis il vola au niveau de la fenêtre de Renfield. Nul ne remarqua la brume entrant chez le fou, mais pris de remords, ce dernier fit un tel tapage que Dracula fut obligé de le tuer. Dommage. Une fois libre, l’homme aurait pu lui amener des centaines de vivants à vider de leur sang pour le substanter, mais mieux valait perdre un serviteur que de renoncer à Jonathan, et puis, le bruit qu’ils avaient fait servirait de diversion pour le reste des chasseurs. Il avait bien fait d’hypnotiser les deux époux, ou il aurait du reconsidérer tous ses plans.
Toujours sous la forme d’un nuage, Dracula s’insinua dans la chambre des Harker. Profitant de leur inconscience, il s’approcha du lit pour les admirer, regrettant de n’avoir pas le temps de consacrer à leur séduction tout le temps qu’il avait voulu. Il prit quand même celui de faire glisser de côté le drap et la couverture qui les recouvraient pour admirer leur beauté, la sveltesse de Mina et surtout la force tranquille de Jonathan. Cette fois, pas de crucifix pour le protéger. Le comte s’empara de la petite main de Mina et ôta délicatement l’anneau de son doigt avant de le passer au sien
-Vous voilà miens maintenant, souffla-t-il dans le cou de Jonathan, et non plus l’un à l’autre. Ouvre les yeux, Jonathan. Contemple ton maître.
Derrière les paupières fermées de Jonathan, ses yeux roulèrent dans ses orbites. Il tentait de lutter contre son ordre, sans avoir la force. Mais qu’il ait déjà la force d’essayer était en soin remarquable. Il serait l’époux le plus fort que Dracula ait jamais eu. Il valait cent fois les risques encourus.
-Jonathan. Ouvre les yeux.
Lentement, le jeune homme ouvrit les yeux. L’effroi se dessina sur ses pupilles quand il reconnut le maître qui se dressait en face de lui. Un spasme l’agita, spasme d’effroi qui un jour prochain ne serait plus qu’un spasme de désir. Oh, combien le comte rêvait de voir cette lueur apparaître dans ces yeux. Mais plus tard. Il avait le temps, tout le temps du monde.
-Ne bouge pas, Jonathan, ordonna-t-il au jeune homme quand celui-ci essaya d’ouvrir la bouche pour crier. Ne parle pas, sauf sur mon ordre. Tes membres sont trop lourd pour bouger. Tu n’es pas éveillé tu dors. Tu dors, n’est-ce pas ? Réponds.
-Je dors, répondit Jonathan avec docilité.
Le comte sourit, triomphant d’avance.
-Tu dors et tu rêves. De qui rêve-tu ?
-De vous. J’ai peur.
-Peur ? Et de quoi donc ?
-Que vous ne m’ôtiez la vie comme vous l’avez fait à miss Lucy. Que vous me fassiez ce que les trois sœurs ont essayé de me faire.
-Sœurs, elles ne le sont pas, sauf en un sens, et auquel cas tu seras bientôt leur frère. Mais elles ne te toucheront plus jamais, je t’en fait la promesse. Remercie-moi.
-Merci.
Ses yeux crachaient des éclairs. Dracula sourit et caressa sa joue de son doigt, celui où il avait passé l’anneau de Mina. Jonathan ferma les yeux comme s’il espérait que le comte disparaisse ainsi comme un mauvais cauchemar.
-Rouvre les yeux et ne les détourne plus que moi. Tu n’es donc pas heureux de me voir ?
-Non.
-Tu le seras. Sait-tu pourquoi je suis là ?
-Pour Mina. Vous voulez pervertir son âme comme vous l’avez fait avec celle de Lucy. Mais son âme a été sauvée.
-Oui, je sais ce que ces sauvages ont fait à ce qui n’était qu’un nouveau-né. Ils risquent de découvrir un tout autre adversaire en la personne du comte Dracula. Mais nous n’avons pas le temps d’échanger des promesses et des menaces… pas celles là, du moins.
Les yeux de Jonathan brillèrent de peur et de colère mêlée. Il avait espéré le distraire pour que les autres viennent à son secours, mais ses espoirs seraient déçus. Dracula avait encore le temps.
-Ouvre les yeux, Mina, la suite te concerne. Contemple ton maître et ne bouge pas, ne parle pas et surtout ne crie pas.
Contrairement à son époux, la jeune femme ne résista pas à son ordre. Ses yeux s’ouvrirent aussitôt et comme pour son mari, s’élargirent de peur. La main de Dracula continua de frôler la joue puis le cou de Jonathan. Quand il frôla sa jugulaire, gorgée de sang, le comte faillit ne plus pouvoir se contenir. Il lui fallut s’éloigner de lui pour se positionner près du pied de lit afin de résister à la tentation. De là, il ne vit plus nettement du beau visage que la bouche fine de Jonathan et ses yeux qui brillaient d’un éclat irrésistible. Le reste était plongé dans l’ombre.
-Vous vous souviendrez de cette conversation et de cette nuit, reprit-il quand il eut retrouvé un peu de son sang-froid, mais vous ne répéterez rien de cette conversation à quiconque. Les autres penseront ce qu’ils voudront quand ils vous découvriront, et vous ne leur donnerez aucun signe qu’ils se trompent. Je ne suis pas là pour Mina, contrairement à ce que vous croyez tous, mais pour toi, Jonathan. Je ne dis pas que Mrs Harker ne m’intéresse pas, il y a de toute évidence bien des idées fascinantes qui se cachent dans cette jolie tête, mais toi, Jonathan, qui a réussi à t’échapper d’un piège conçu spécialement à ton égard dans un château qui m’appartient et que nul n’a jamais quitté sans mon autorisation ? Toi je te veux, et ce que je veux, je l’obtiens.
Tout en parlant, il se mit à jouer d’une main avec son anneau, pour leur rappeler que désormais les vœux de mariage de Jonathan s’adressaient à lui et non plus l’un à l’autre. Un gémissement échappa au jeune homme, tandis que les lèvres de sa femme restèrent fermées comme il le lui avait ordonné.
-Mais je te connais, Jonathan, tu ne seras pas entièrement mien, pas tant que tu auras la lumière de Mina pour te guider vers le salut, et ce serait tout aussi vrai pour Mina. Un vrai amour vous unit, pas seulement les simagrées des prêtres. Vous vous êtes unis avec Dieu comme témoin et vous vous dites, en cet instant, que vous saurez rester forts. N’est-ce-pas ?
-Oui, répondirent les deux époux dans un même souffle où la fermeté se disputait le pas avec une peur panique.
-Mais si quelque chose ternissait cette lumière, Jonathan, que ferait-tu ? Viens à moi, Mina, et tends moi cette belle gorge qui plaît tant à ton mari.
D’un geste souple, Mina se redressa pour s’approcher du comte. Ses yeux suppliaient et menaçaient tour à tour, mais comme tous les vivants, elle n’était qu’une poupée entre ses mains. Dracula posa sa main sur sa poitrine, chaude et gorgée de sang. Elle était belle, indéniablement, mais c’était toujours Jonathan qu’il ne pouvait quitter des yeux, sa poitrine qui s’élançait tandis qu’il essayait de bander ses muscles sans parvenir à les faire frémir, ses yeux qui s’emplissaient de larmes, le pli de colère qui se dessinait au coin de sa bouche malgré les ordres du comte… Il était beau à tuer.
-Regarde Jonathan, et ne pleure pas. Tu n’as rien à craindre de moi ce soir. Ta Mina ne va pas mourir, elle va s’ouvrir à de nouveaux désirs, les seuls vrais qui comptent. N’est-elle pas désirable, ainsi offerte ? Ah, mais tu l’es tellement davantage. Tu n’oubliera jamais cette vision, n’est-ce pas ?
-Jamais.
Sans le lâcher du regard, le comte plongea avec délice ses crocs dans le cou de Mina. Goûtant son sang et sa vie avec passion. Il n’y avait plus de larmes dans ses yeux, puisque le comte l’avait interdit, mais de la rage dans laquelle le comte pensait déjà voir se mêler un peu de désir. Était-ce de voir sa Mina ainsi s’offrir à un autre ou de voir le comte ainsi dominer toute la scène ? Ils auraient le temps de répondre à cette question à leur prochaine rencontre.
Dracula finit par lâcher Mina qui resta figée dans sa position en attendant les prochains ordres. Le sang se tarit rapidement sur son cou. Le comte y posa un doigt pour ramener quelques dernières gouttelettes de sang à ses lèvres.
-Délicieuse. Bien sûr ce n’est pas la première fois que je bois de ce sang-là. Vous avez été tout aussi impuissant à sentir ma présence hier qu’à m’empêcher d’agir cette nuit. J’ai hâte de découvrir comment le tien se compare au sien. Un jour, nous nous nourrirons d’elle ensemble. Elle sera ma concubine, mais toi tu seras mon époux, et tant qu’elle sera sous ma domination, tu n’oseras pas faire un geste contre moi, n’est-ce pas, Jonathan ?
-Si. Je viendrais vous tuer.
-J’y compte bien. Mais ce jour-là, c’est toi qui t’agenouillera vaincu devant moi. Et aujourd’hui tu me crains, et tu as raison de le faire, mais demain, dans une semaine, dans dix ans, tu continuera de revivre cette scène et tu te demanderas pourquoi ce n’est pas toi qui a eu ce privilège, et ce jour là de toi même tu reviendra à moi, à genou, pour me supplier de faire de toi mon esclave et mon époux et de te prendre comme je le fais avec elle.
En tendant l’oreille, le comte entendit un bruit de course au loin, les preux chevaliers de ses adorables victimes. Il n’y avait plus le temps. Le comte ouvrit sa chemise et de ses ongles acérés, perça sa poitrine, avant de saisir violemment Mina par le cou et de la forcer à poser ses lèvres contre la plaie.
-Bois, ordonna-t-il. Et vous apprendrez ainsi tous les deux ce qui arrivent à ceux qui comptent me défier, moi, le comte Dracula. Les autres paieront pour leur crime, mais toi je te pardonne Jonathan, et tant que tu m’obéiras, elle sera pardonnée aussi. D’ailleurs, à présent elle devra répondre à mon appel, et tu la suivra volontairement, parce que tu l’aime et que tu ne pourras refuser longtemps cette félicité que je vous offre à tous les deux. Déjà tu me désires, même si tu n’oses te l’avouer à toi même. Mais nous n’avons plus le temps, hélas. Les autres arrivent. Vous leur direz ce que j’ai fait à Mina, mais vous ne soufflerez pas un mot du reste de notre conversation, même pas l’un à l’autre. Vous mentirez pour cacher ce secret et quand j’appellerai… Vous saurez quoi faire.
Les rayons de la lune pénétrèrent d’un coup dans la chambre, illuminant d’une clarté argentée la chemise de nuit souillée de sang de Mina et la chevelure de Jonathan, devenue blanche durant leur conversation sous l’effet du choc qu’il endurait et qui se lisait dans ses yeux, haine, rage, désespoir, volonté de revanche et, oui, toujours cette minuscule lueur de désir qu’il aurait probablement renié avec véhémence. Mais le comte savait qu’elle était là à présent. Jonathan rêverait de cette nuit, et au matin, c’est le regard brûlant du comte qui le ferait trembler de désir, pas les yeux implorants de Mina.
Des coups commencèrent à retentir sur la porte. À travers le bois épais, ils entendirent des cris inquiets et des encouragements à défoncer la porte. Mais les sauveteurs arrivaient trop tard. Le comte avait déjà gagné, le reste n’était plus que détails. Il sourit et se pencha pour déposer un baiser sur le front de Mina.
-Tu ralentiras les autres et tu les conduira dans un piège pour moi, murmura-t-il trop bas pour que son époux l’entende, mais Jonathan, tu le conduiras directement dans mes bras. Si tu me sers mal, je le forcerai à boire toute ta vie ou je la boirais devant toi. Si tu me sers bien, je te laisserai nous adorer tous les deux et je laisserai ton mari t’accorder quelques miettes de l’amour et de l’adoration qu’il va me donner à présent.
Contre sa poitrine, Mina frémit. Il la sentit tout entière à lui, même si elle se débattait encore. Le comte sourit à Jonathan, affichant avec morgue l’emprise qu’il avait sur lui grâce à l’emprise qu’il avait sur elle. Ils viendraient. Par des mots d’amour et de trahison, Mina amènerait Jonathan jusqu’à lui et à présent, il serait impuissant à résister tout en étant parfaitement conscient de n’être qu’une marionnette entre ses mains. Chaque pas qu’il ferait, chaque petit changement sur le visage de Mina le briserait un peu plus jusqu’à ce qu’il se jette de lui-même à ses pieds, pantelant de désir.
Quand la porte s’ouvrit, le comte jeta un dernier regard triomphant à Jonathan et se changea en brume noire pour disparaître à la vue des conjurés, mais avec la certitude de laisser son essence vissée au fond de l’âme de Mina et Jonathan. Bientôt, il aurait un nouvel époux et une concubine à ajouter à son harem et ensemble ils se nourrirait de ce cheptel humain stupide et arrogant.