Titre : Les enfants du crime
Auteur : Lorelei (Participant.e 18)
Pour : ArambaHortis (Participant.e 13)
Fandom : Antigone
Persos/Couple : Antigone, la famille royale de Thèbes
Rating : R
Disclaimer : Antigone appartient à la mythologie grecque et cette version à Jean Anouilh
Prompt : Antigone, ses frères et sa sœur. Grandir dans la famille royale de Thèbes implique certes que vous ne manquerez jamais rien mais aussi un certain nombre de responsabilités. Heureusement Antigone fait partie d’une fratrie.
- Peut-être juste une grande scène ou un enchaînement de plusieurs scénettes. Si c’est cela, bonus si cela se finit avec la révélation de l’identité d’Œdipe et comment les différents frères et sœurs réagissent à ce drame.
Tu es la fille d'un roi et d'une reine, petite Antigone. Tu devras toujours te montrer digne de ton rang et des responsabilités qui t’incombe. Ces mots, combien de fois Antigone les a-t-elle entendu ? Cent fois, chaque fois qu'elle s'est rapée les genoux, qu'elle est rentrée au palais avec de la boue dans les cheveux et un petit animal blessé dans les bras. Elle connaît ses devoirs par cœur, pourrait les réciter dans son sommeil : rendre fiers son père et sa mère, sourire, être belle, donner des fils forts à Thèbes, prêts à mourir pour elle comme Polynice et Étéocle.
Antigone sait faire sourire son père et soupirer sa mère avec ses bêtises d'enfant, c'est déjà ça, non ? Mais elle ne sait pas sourire et elle sait qu'elle ne sera jamais belle. Personne ne voudra épouser Antigone la maigre, Antigone la noiraude, personne ne voudra qu'elle porte ses fils et de toute façon, sa mère soupire en la voyant et dit qu'elle a les hanches trop maigres, qu'elle aura trop de mal à porter des enfants. Alors, Antigone se mort les lèvres et ne dit pas ce qu'elle pense tout bas. Si elle n'est pas bonne à remplir ses devoirs, pourquoi devrait-elle se montrer digne de son rang ? Elle a une sœur et deux frères qui le feront mieux qu'elle. Antigone voudrait être une petite souris que Thèbes oublie.
Mais tous les soirs, sa mère lui brosse les cheveux en enlevant les brindilles coincées dedans et lui rappelle qu'elle a un rang et des responsabilités, puis elle murmure « Que va-t-on faire de toi ? ». Ce qu'elle veut dire, c'est « qui va vouloir de toi ? »
Et la nuit, Antigone pleure un petit peu, parce qu'elle voudrait bien être digne de cette mère si belle et si sage, avec ses cheveux qui deviennent déjà gris et ses beaux bijoux. Elle voudrait être comme elle, mais Antigone ne peut être qu'Antigone.
Heureusement, Antigone n'est pas seule.
Elle a Ismène avec elle, Ismène qui est si belle que le soleil pâlit quand elle apparaît, Ismène qui fait sourire de fierté son père et sa mère lorsqu'elle apparaît, Ismène qui sourit quand il faut sourire et qui est sérieuse quand il faut l'être, Ismène qui a des hanches larges, qui écoute les gens au lieu de répliquer quand on lui parle, Ismène qui fera de beaux enfants bien sages comme elle, mais Ismène qui prend Antigone dans ses bras et qui lui dit qu'elle l'aime, quand personne d'autre ne le fait, Ismène qui réexplique à Antigone les leçons qu'elle n'a pas comprises et qui lui chuchote que non, des fois, c'est elle, Ismène la belle, Ismène la douce, Ismène la tranquille, qui aimerait être un peu plus comme Antigone l'inparfaite qui n'est pas encore Antigone la rebelle.
Et puis il y a Polynice et Étéocle, les garçons, les grands, ceux qu'Antigone regarde en levant la tête très haut parce qu'ils sont déjà aussi grands que leur père. Un jour, Créon essayera de faire du mal à Antigone en lui racontant que Polynice et Étéocle sont des vauriens, des fils sans cœur décidés à assassiner leur père et se tuer l'un l'autre pour avoir le pouvoir un petit peu plus tôt. Antigone le croira, parce que le monde est laid comme ça, parce que sa famille est aussi laide à l'intérieur qu'Antigone l'est à l'extérieur. Mais aujourd'hui, ce sont deux grands frères qui ont avec elle une patience infinie.
Polynice, c'est celui qu'elle préfère, quand elle ne préfère pas Étéocle.
Polynice, il la laisse le suivre quand il va observer les troupes à l'entraînement et réponds à toutes ses questions idiotes de petite fille. Et quand elle lui chuchote qu'elle n'est pas comme Ismène, il lui répond que lui n'est pas comme Étéocle et que c'est une bonne chose, avant de l'aider à échapper à la prochaine leçon.
Étéocle, il la prend sur ses épaules et court comme ça dans les couloirs du palais pour la conduire à la prochaine leçon quand il trouve où elle se cache. Et quand elle lui dit que des fois elle a peur de ce qui va lui arriver, il promet que quand il sera roi, il choisira lui même son époux pour être sûre qu'Antigone soit heureuse.
Antigone les aime, ces grands frères qui sont déjà trop grands pour jouer avec elle, mais qui l'écoutent patiemment quand elle parle de sa poupée et lui donnent parfois des gâteaux en cachette. Quand elle les voit, Antigone se met enfin à rire et à sourire. Il n'y a qu'à eux et à Ismène qu'Antigone sourit, parce qu'elle est incapable d'offrir un sourire qui ne soit pas sincère.
Alors Antigone regrette parfois d'être née dans la famille royale de Thèbes, d'avoir ces responsabilités qui s'accumulent à l'horizon, mais jamais d'être née dans cette famille, parce qu'il y a Ismène, Polynice et Étéocle avec elle. Sa mère pense pareil, Antigone le sait, parce qu'elle l'a entendu le dire. Jocaste n'en revient pas d'avoir ces enfants si beaux et si forts - oh, et Antigone aussi - après tout ce temps. Les dieux l'ont béni, c'est sûr, elle qui ne pensait plus pouvoir un jour tenir un enfant dans ses bras et le voir grandir.
Et puis Antigone grandit, même si pas aussi vite qu'Ismène. Jocaste a vu juste, ses hanches ne s'élargiront pas davantage et elle n'embellira pas, mais Antigone est contente de simplement regarder Ismène briller et danser quand Oedipe organise une réception. Le soir, dans leur chambre, elles gloussent en discutant des prétendants d'Ismène. Antigone se rassure en se disant qu'elle est utile à sa sœur car tant que personne ne remarque la petite Antigone dans un coin de la pièce, elle peut écouter toutes les conversations et dire à Ismène de quels hommes se méfier.
Un jour, Polynice et Étéocle le remarquent à son tour, et c'est eux qui lui demandent ce qu'elle a entendu, sur certaines filles, sur ce qu'à dit ce général à leur père ou à leur oncle. Antigone a seize ans, elle n'est pas encore assez adulte pour comprendre, elle est juste fière d'être utile à ses frères, qu'ils cherchent son opinion.
Tant de mensonges qu'elle ne voit pas. La fatigue de Jocaste, la peur d'Ismène face à un futur que les filles d'un roi ne peuvent refuser, la méfiance d’Œdipe envers ses fils et la haine rentrée de ceux-ci envers lui.
Comment le pourrait-elle, quand Hémon la regarde, lui parle et lui sourit ? Le cœur d'Antigone vibre, elle se sent vivante, vivante comme jamais, assez forte pour affronter le monde entier, plus forte même que ses frères les soldats.
Hémon la demande en mariage, Antigone dit oui, Créon et Œdipe approuvent. Polynice et Étéocle enorgueillissent d'avoir aidé à cette union. Il n'en est rien, mais Antigone est trop heureuse pour le leur rappeler. Rien d'autre ne compte aux yeux d'Antigone. Elle n'en revient pas que cela lui arrive, à elle, et avant sa sœur en plus. Et il t'aime, Antigone, il t'aime !, s'exclame Ismène en la prenant dans ses bras. Ma petite fille, mariée, répète Jocaste à longueur de journée. Oh, quel bonheur pour nous ! Les journées sont remplies de rires, les nuits de rêves qu'Antigone partage au matin avec Hémon, des rêves où elle guide leur fils dans ses premiers pas. Hémon embrasse le bout de ses doigts et d'une voix tremblante lui révèle qu'il nourrit les mêmes espoirs. Le jour du mariage ne pourra jamais venir assez vite. Antigone rêve, Antigone est grande, Antigone n'est qu'une petite fille. Elle ne sait pas. Elle ne sait pas qu'on est cinq minutes avant le début de la tragédie, que rien ne peut entraver le destin, que Jocaste n'est pas bénie par les dieux mais que ceux-ci sont en colère de voir leurs avertissements ignorés avec un tel mépris. Ils prennent juste leur temps avant de frapper
Thèbes est frappée la première, par la peste. Antigone doit abandonner ses doux rêves pour se calfeutrer loin des miasmes avec Ismène. Ensemble, elles tissent des linceuls pour les morts, ne pouvant rien faire d'autre. Combien de ces linceuls finalement seront utilisés pour ceux de leur famille ?
Œdipe enquête. Sa peur est visible, en particulier pour ses enfants. Le jour où la vérité se révèle, ils sont tous là. Œdipe est assis sur son trône. Derrière lui, Jocaste se tient en épouse fidèle. Deux pas derrière sont Polynice et Étéocle, deux frères qui refusent de céder le pas l'un à l'autre. Ismène et Antigone sont sur les marches, curieuses de savoir pourquoi on les a fait venir. Une famille, heureuse et unie, aux yeux d'Antigone du moins. À tous elle sourit.
Puis la vérité éclate, terrible, meurtrière. Œdipe a tué son père et épousé sa mère.
Un cri de bête blessée résonne dans la pièce. Œdipe ou Jocaste ? Nul ne saura qui l'a poussé. Jocaste se tient le ventre comme si elle pouvait s'arracher la chose qui a donné naissance à cinq enfants maudits. Polynice et Étéocle font trois pas en arrière, s'éloignant avec horreur de ce père qui est aussi un frère et qu'ils ont voulu tuer pour un trône déjà souillé de sang. Ismène a déjà disparu. Elle n'aime pas le conflit, Ismène. Ni les larmes, ni les cris. Elle préfère la fuite.
Antigone, elle, reste figée sur place, bien après que tous les acteurs du drame aient fuit la salle du trône. Elle est incapable de fuir, de pleurer ou de parler. Les heures passent, puis les cris commencent à retentir, plus loin à l'intérieur du palais. La rumeur, portée par les serviteurs affolés, atteint les oreilles d'Antigone.
La reine s'est tuée, sur le lit même où elle a donné naissance à ses enfants.
L'un après l'autre, les trois autres enfants d'Œdipe rejoignent Antigone sur les marches du trône. Dans l'immobilité de leur sœur, ils croient trouver la force d'âme qui leur manque et se serrent contre elle. C'en est fini de la famille royale de Thèbes, mais en cet instant, ils sont plus unis que jamais. Ismène pleure et Polynice sèche ses larmes. Étéocle pose une main sur l'épaule de son frère et entoure de son autre bras la forme maigre d'Antigone. Chacun est déterminé à être fort, pour les autres, à tenir cette famille ensemble lorsqu'on s'attaquera à eux. Ils ne savent de qui le coup viendra, du peuple, de la noblesse ou de Créon, mais il viendra.
Ensemble, ils tiennent le coup face à chaque nouvelle supplémentaire.
Œdipe s'est crevé les yeux.
Œdipe renonce au pouvoir.
Œdipe s'est exilé lui-même de Thèbes. Il errera en mendiant pour expier ses fautes.
L'illusion de l'unité se fracasse. Par-dessus les têtes des deux filles, Polynice et Étéocle se jaugent. Ils cherchent la faiblesse où l'autre pourra s'engouffrer. Dans leur tête, l'un comme l'autre est déjà en train de porter le coup fatal. S'il n'y avait pas Ismène, s'il n'y avait pas Antigone, l'un aurait sorti son poignard et l'autre son épée. La tragédie n'est qu'à son apogée et ils brodent déjà le prochain acte, tout aussi meurtrier que le précédent. Il n'y aura pas de repos pour les enfants d'Œdipe, juste la mort, la mort qui les clamera jusqu'à ce que ne reste qu'un dernier survivant pour dire aux curieux « cela s'est passé », pour enjoindre à tout le monde de respecter les lois divines.
Ce ne sera pas Antigone. Elle est déjà en train de se laisser mourir, sa joie d'hier assassinée par son père et sa mère. Antigone cache son visage entre ses jambes et sous ses cheveux et cherche à disparaître. Cette fois, elle reste seule avec sa douleur. Ils sont tous seuls.
Créon est le premier à revenir dans la pièce, le visage grave, murmurant des phrases toutes faites. Mes enfants, soyez forts. Ensemble vous surmonterez cette épreuve. Si je peux vous apporter la moindre aide... Œdipe le suit. Il n'a plus rien du roi de ce matin. Quelqu'un a eu assez de pitié pour couvrir ses yeux morts d'un bandage de lin, mais celui-ci est déjà imbibé de sang.
Il temps ses mais vers ses enfants en aveugle, une questions sur ses lèvres. Qui accompagnera le paria ? Qui a encore assez d'amour pour ce père et ce frère pour ne pas l'abandonner sur les routes ?
Polynice se détourne et quitte la pièce en trombe, prétextant que quelqu'un doit s'assurer que l'armée ne sombre pas dans la panique. Étéocle le suit du regard avec inquiétude, puis déclare qu'il convient de parler avec la noblesse et les anciens de Thèbes. Il passe si près d'Œdipe qu'il le bouscule, mais ne lui accorde pas un regard. Ismène ferme les yeux pour ne rien voir. Le père abandonné par ses fils, l'assassin de son père bredouille une malédiction à leur encontre. Que ce soit la douleur qui parle ou la rancoeur, il est trop tard désormais pour sauver Polynice ou Étéocle.
Alors c'est Antigone qui ouvre les siens et relève la tête. En Œdipe, elle voit un homme qui n'a rien fait pour s’attirer sur sa tête de tels malheurs et se demande quels dieux peuvent ainsi le tenir responsable des caprices du destin. Œdipe a voulu fuir en s'aveuglant. Elle ne peut confronter Hémon, pas si vite. Il la rejettera avec dégoût ou la gardera par pitié. Elle devine la déchirure qui ne va cesser de s'élargir entre ses frères jusqu'à ce que leur sang à tous les deux rougisse la terre de Thèbes. Antigone sait qu'elle assistera au reste du drame, que Thèbes sera sa tombe, qu'on ne peut fuir ou empêcher l'inévitable, que les dieux ont déjà décidé du dénouement de ce drame. Tout ce qu'elle peut faire, c'est essayer d'avaler une dernière gorgée d'air avant de se noyer dans le néant. En attendant ce moment, consciente du temps qui s'écoule, à son tour, Antigone choisis la fuite.
-J'irais.