Titre : Miroir déformant.
Auteur : Sinead (Participant 34)
Pour : Iset (Participant 22)
Fandom : His Dark Material/A la Croisée des Mondes
Persos : Mary Malone et les mulefa
Rating : K/G
Disclaimer : Malgré l’immense joie et fierté que cela me procurerait… Non, je n’ai pas écrit His Dark Material, donc ce monde ne m’appartient pas, mais est la formidable propriété du non mois génial Philip Pullman.
Prompt : Mary, pendant qu'elle est chez les mulefa. Ca peut être de tout, de l'introspection à la curiosité scientifique par rapport aux ressemblances et différences entre son monde et celui des mulefa, en passant par un truc sur ses relations amicales avec Atal.
Détails facultatifs:Une séquence d'échange de contes. Je vois tout à fait Mary raconter des histoires/contes/mythes de son monde, et les mulefa faire pareil en échange.
Note : J’ai essayé de reprendre un maximum des éléments que tu m’as donnés, sans toutefois savoir si le résultat te plairait… Je l’espère en tout cas, tout comme je croise les doigts en espérant avoir cerné le monde des mulefa et les relations qu’entretient Mary avec comme tu l’entendais… Bonne lecture :D
Cela faisait des jours et des jours, peut-être bien des semaines, elle ne savait plus trop, et pourtant Mary Malone était toujours aussi fascinée par les personnes qu’elle avait découvertes par la fenêtre, au pied de la falaise. Une si petite fenêtre à franchir, pour une si grande diversité, un si vaste univers qui s’offrait à ses yeux, qu’elle gardait grand ouverts, pour ne pas perdre la moindre miette, la moindre seconde.
Vivre aux côtés des mulefa était un renouveau incessant. C’était une culture à découvrir, un monde à explorer pièce par pièce, une rencontre réitérée chaque jour entre deux modes de pensées, entre des idées se télescopant, s’opposant, s’attirant, se comprenant, s’amadouant… Parfois même, c’était comme un de ces pressentiments, de ces impressions de déjà-vu qui assaillaient l’esprit en proie au doute, alors que les deux cultures cessaient de s’entrechoquer pour se faire semblables et confondues. Puis, une fluctuation, un souffle d’air, un léger bruit de cosses sur les routes naturelles et l’impression s’enfuyait déjà à tir d’aile, insaissible, et délicieusement frustrante.
Jamais Mary Malone ne se lasserait de ces yeux sombres brillant d’intelligence, de ces silhouettes à la fois étonnantes, racées, et pleine de grâce, comme si les mulefa évoluaient en permanence sur la corde raide, équilibristes de génie qui jamais ne connaissaient le doute, et roulaient, roulaient. Non pas à la façon les maladroites bicyclettes de son Oxford à elle, et encore moins des automobiles ronflantes et crachotantes. Ils se dégageait une aura délicate de ses hôtes, une grâce que nombre de ses compatriotes auraient du mal à imaginer chez des êtres vivants si bizarrement constitués. Avec un frisson d’horreur, elle imaginait parfois des collègues biologistes atterrissant dans ce monde, armés de lames acérées comme des becs de Tualapis, prêts à découper la vie en lambeau pour un peu plus de connaissance.
Elle ne niait pas chercher la connaissance, elle aussi. Mais certainement pas de la même manière. Observer, écouter, comprendre, parler, communiquer, se fondre dans la masse et apprendre en harmonie avec ses hôtes, voilà ce qui lui semblait le plus juste. Et avec une pointe de vanité peut-être, Mary réalisait la chance qu’avaient eu les mulefa d’avoir une première visiteuse pareille. Sans intentions bellictueuses. Sans personne pour vouloir briser l’équilibre entre les mulefa, les grands arbres à cosses, la sraf… Sans personne pour séparer les groupes, les enfants de leur mère…
Car par-dessus tout, leur extraordinaire habileté nullement handicapée par leur ossature particulière, leur gestion des cosses, leur sens de la protection de leur environnement (et Dieu seul savait que les humains d’Oxford auraient bien des choses à apprendre d’eux), leurs élevage de ruminants… Ce qui demeurait le plus attendrissant à regarder, était cet instinct maternel (et paternel, car nombreux étaient les mâles qui d’un œil plus discret veillaient sur les cinq jeunes du groupe) qui unissaient les rejetons à leurs parents.
Une petite caresse de trompe par ici, un murmure par-là, et puis la fierté dans l’œil des plus vieux quand la nouvelle génération se révélait enfin capable de dompter… Non, pas dompter, apprivoiser plutôt, les roux de fibre, d’huile et de douceur, le lien qui les unissait un peu plus fortement à leur monde. Chez les plus jeunes dominaient les cris, d’abord de peur puis d’émerveillement, à la découverte d’un nouveau terrain de jeu. Des regards pleins de respects aussi. En y réfléchissant bien, on pouvait dresser un certain parallèle entre les humains et les mulefa, même si dans le fond il y avait toujours cette subtil différence pour les séparer, ce petit plus qu’ajoutait l’excitation à la vision extérieure d’un explorateur comme elle.
Là où peut-être le monde des mulefa l’avait le plus étonné, ce fut lors de cette veillée, quelques jours à peine après le pillage féroce des Tualanis. D’un commun accord, après un frugal repas chaque zalif s’était rassemblé autour du brasier trônant au centre du village, qui malgré leurs efforts acharnés, portaient encore les marques des sévices infligés par les oiseaux lors du ravage.
Le tableau, bien qu’un peu surréaliste, avait rappelé à la jeune scientifique les clichés des histoires racontées aux coin du feu par une grand-mère gâteau à ses petits-enfants, nichés douillettement au creux de couvertures chaudes… Elle s’attendait presque à ce que le vieux Sattamax s’avance et entonne d’une voix caverneuse une légende ancienne.
Au lieu de cela, ce ne fut d’abord que quelques gestes. Des balancements de trompes, doux, tranquilles, une patte latérale remuant discrètement. Puis de deux ou trois mulefa, le nombre passa à la demi-douzaine, puis dix, peut-être plus encore, et quelques instants plus tard, Mary s’était retrouvée face à une mer bruissantes de gestes mesurés, de marée montante dessinant de son écume mille signes, aussi magiques qu’ils disparaissaient aussitôt, noyés par les arabesques suivantes.
Il lui fallut un certain temps pour comprendre que ce que contaient là les mulefa, c’était une histoire. Une histoire inventée de toute pièce, un petit bout par le troisième jeune couché contre le flanc de sa mère, un autre par Atal, et encore un autre par… A la manière d’une fresque sur tapisserie, composée d’innombrables fils pourtant tout aussi essentiels l’un que l’autre, et pourtant si éphémère. Fascinée par l’harmonie du conte, bruissant de vie, d’odeurs et d’idées éclatant comme des bulles dans chaque recoin, elle avait mis du temps à y prendre part. Et quand enfin, timidement, elle avait pris part à l’histoire, une joie formidable l’avait envahie. Son esprit scientifique analyserait peut-être ça plus tard comme une bête émulation de groupe, entraînante par le nombre de personnes y participant, mais cela n’avait pas la moindre importance. Pendant un bref moment, l’histoire avait pris vie sous le ciel étoilés, qu’elle aurait pu deviner chargé de longs lambeaux de sraf en procession, sûrement charmée par la scène.
Plus tard seulement, lorsque les plus jeunes avaient été se reposer, elle avait tenté de raconter des contes à sa manière. Et bien que ses mouvement lui aient semblés patauds, les mulefa avaient apprécié la tentative à sa juste valeur, et même demandé d’amples détails. La roue à aiguiser de tel mythe, les mystérieuses plantes vertes qui poussaient et qui permettaient de monter jusqu’aux nuages… Des récits qui leur paraissaient d’autant plus merveilleux qu’ils ne correspondaient à aucun classiques qu’ils auraient pu connaître. Ils découvraient chaque petit mot pour la première fois, et la fierté de Mary s’en retrouva accrue.
Plus tard encore, lorsqu’elle demeura seule avec Atal, elles évoquèrent ensemble les similitudes qui semblaient parfois sillonner certaines de leurs histoires. Une allusion perdue au milieu des gestes-mots… Et même parfois plus que ça, comme lorsqu’elles abordèrent la question des textes dits immémoriaux chez Mary, et qui concernaient la création du monde.
Et malgré toute la curiosité d’Atal sur la question, ce fut avec un serrement de cœur, ni amer ni joyeux, seulement dans l’expectative, que Mary releva cette présence du serpent, insidieuse, glissant à travers les contes comme elle-même avait glissé à travers les mondes…