May 01, 2011 02:26
"Ce qu'ils sont con ces mortels!"
-- Viva
Duelle - Jacques Rivette: Rien de moins que proto-lynchien, contre toute attente. Car pour qui traque depuis longtemps les myriades de références, clins d'oeil et hommages apparaissant dans l'oeuvre de Lynch, nul doute que le Rivette en fait partie. Film inclassable lui-même jonché d'allusions aux mêmes influences incontournables (classiques hard-boiled style Howard Hawks), à la fois léger et sombre, plus ironique qu'onirique et au suspense plus intriguant qu'oppressant, car sans véritable villain, "Duelle" s'avère une fantaisie fantastique menée à la baguette magique et au voile de mystère, aussi féminine que l'indique son joli titre (à ne pas confondre avec "Duel" ni "The Duellists", aux antipodes.)
L'esthétique et les thèmes font particulièrement songer à Twin Peaks: le dancing sinistre ridiculement baptisé La Rumba (en fait un bal-musette louant les services de ticket-girls aux pieds enflés - Nicole Garcia l'agnelle à achever) évoque l'intemporalité fantômatique du Roadhouse; le tripot chic où réside la magicienne solaire, elle-même sorte de clandestine livrée au hasard d'une partie d'échecs de haute voltige contre une autre reine cosmique aux pouvoirs et à l'ingéniosité considérables; ces plans de branches d'arbres secouées par le vent, sous la lune: presque une signature lynchienne; de la prépondérance de l'hôtel, lieu de transit par excellence des corps et/ou des âmes (the Great Northern n'est-il pas un personnage à part entière de TP?) au rôle central du miroir et des doubles opposés qui s'affrontent sans souci de moralité humaine - ces créatures quasi-divines littéralement issues d'un autre monde qui tentent désespérément de n'y pas retourner.
Ici Viva, fille du soleil, Bulle blonde aussi aguicheuse que manipulatrice, contre Leni, fille de la lune, Berto la brune énigmatique et déterminée, incarnées le temps d'une quarantaine sur Terre, le dernier mois de l'hiver, quarante jours enjoués au crépuscule souvent cruel pour les jouets humains qu'usent les déesses pour se contrecarrer l'une l'autre, à la manière de ces superhéros qui se lancent des bagnoles à la figure entre deux poursuites sur les toits des gratte-ciels. Rien de tout ça ici, comme l'atteste le label de qualité Rivette/France 1976, mais la grande beauté des actrices est une arme bien plus crédible et efficace qu'un quelconque rayon laser: même humaines, elles vous enjôlent d'un regard; en princesses éternelles vêtues telles les vamps d'un film noir ou en artistocrates avant-gardistes, c'est sans peine qu'elles vous bernent de leur éther au détour d'un couloir mal éclairé, et bien maline celle qui saura leur résister - celle, parce que franchement, celui, c'est hors de question.
"Je ne vois que l'envers de l'endroit que je tisse."
-- Pierrot