Les grandes puissances

Nov 19, 2007 13:50

Il ne faut surtout pas sous-estimer l'apport dans le travail intellectuel de petits éléments en apparence dépourvus de liens avec lui. Lorsqu'on est condamné à désirer se lever très tôt le matin mais qu'on a le choix de le faire ou non cette journée là en particulier, une cafetière programmable c'est tout! Lorsque la volonté manque, rien de tel que de savoir que du café fraîchement préparé nous attend dans la cuisine. Le café fraîchement préparé avant notre réveil, surtout lorsque la cafetière chante aussitôt que la chose est faite, tient lieu de volonté.  Il en est de même pour le thé. Que serais-je ces jours-ci sans le Long Jing et sans mon Darjeeling du moment? Le thé tient lieu d'énergie.

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J'essaie de me départir de mes mauvais penchants musicaux. Non parce que je me sens honteuse mais parce que j'ai l'impression de me faire avoir. Comment puis-je être si exigeante en matière littéraire et si paresseuse en matière musicale? Pour un artiste de qualité que j'écoute, il y a en des dizaines d'autres qui n'ont rien à envier à ce qu'on entend dans les radios commerciales - tout en prétendant à se distinguer d'elle. Il est difficile de savoir où s'arrête la Kulturindustrie et où elle commence. Le pari le plus sûr est de postuler qu'à peu près rien n'y échappe. Dans un tel cas, si j'accorde une telle place à la Kulturindustrie dans ma vie - puisque la musique en est une partie intégrante, elle est ce qui me permet de m'isoler du monde extérieur -, comment pourrais-je échapper aux valeurs qu'elle impose? Lorsque vient le moment de faire des choix musicaux, j'ai l'impression de me laisser presque tout le temps gagner par la facilité, la sentimentalité et la nostalgie. Si je m'abandonne à une musique liée à un ordre précis, ne fais-je pas autre chose que le confirmer? Si j'écoute une musique qui nie toute intelligence, ne fais-je pas autre chose que cracher sur l'intelligence, qu'adhérer au mépris de toute intelligence? Tout ça pour me procurer pendant un moment le petit thrill ou le petit boost dont j'ai besoin. Je rigole beaucoup en parlant de mes mauvais penchants musicaux - surtout parce qu'il est tellement plus facile de classer comme la merde des trucs comme Aqua alors qu'il y a plein d'artistes pseudo marginaux, la plupart en réalité, qui ne sont rien d'autre que de la plus pure Kulturindustrie - et pourtant, c'est très sérieux. Il ne faut faire de concession à aucun moment. À quoi bon passer son temps à combattre un ennemi si on est pour lui laisser la porte arrière toute grande ouverte, question de lui laisser toute la liberté de nous attaquer sans même qu'on s'en rende compte. Alors quoi faire? Rejeter tout ce qui ne me semble pas témoigner d'une véritable recherche esthétique? Ou continuer d'abdiquer devant la musique de la grande fête?

Je me sens déchirée entre la nécessité comme intellectuelle de refuser toute concession et celle comme artiste de tout connaître du monde. Comment prendre connaissance de certaines choses sans y laisser sa peau, sans finir par céder à la paresse. On ne peut nier qu'il y a des puissances terribles qui menacent de nous écraser à tout moment.

travail intellectuel, chromo, musique

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