Étrange voyage…

Dec 27, 2008 19:16

Je suis sur le quai de la gare d’Angoulême, le nez du TGV qui me ramènera à Paris pointe son nez. Je porte mon vieux jean en lycra Ferré, un pull noir et ma longue veste de cuir. Sur le dos le sac que j’ai emprunté à Nico, à mes pieds, mon sac de voyage plein à craqué comme s’il contenait mes cadeaux de noël.

Le tout est noir comme ce que je porte souvent.

Autrefois on aurait pu croire que je portais le deuil.

Seulement les quelques gothiques égarés un peu plus loin donnent à ma tenue moins d’exotisme qu’elle ne pourrait en avoir.

Non ce n’est pas ce type entre deux âges tout en noir qui semble attirer l’attention vers moi.

Ce ne sont pas non plus les larmes qui coulent sur mon cœur, qui pourrait les voir ?

Je tiens dans ma main un cintre où est pendu un uniforme de capitaine d’artillerie de l’armée coloniale française de 1937. L’uniforme de mon grand père. Blanc comme neuf.

Il y a quelques jours, j’invitais Adrien à regarder le film Indochine de Régis Warnier.

La voix de Catherine Deneuve récitant l’ouverture de ce film me manquait…

« Je n’avais jamais quitté l’Indochine.

« La main de Camille était glacée dans la mienne. Elle venait de perdre son père et sa mère. Ils étaient mes amis les plus chers. Leur avion avait disparu en mer au large du cap Saint-Jacques. Je n’avais pas d’enfant, elle n’avait plus de parent, la petite princesse d’Aman est devenue ma fille, je l’ai adoptée.

« Le prince N’Guien, sa femme et moi, nous étions inséparables.

« C’est peut être ça la jeunesse croire que le monde est fait de choses sont inséparables : les hommes et les femmes, les montagnes et les pleines, les humains et les dieux, l’Indochine et la France. »

Ce soir « quelque chose » me manquera encore plus.

Je repensais aussi au fil de Pierre Shoendorefer, Le Crabe tambour.

Ce lieutenant de vaisseau avec son chat noir sur l’épaule.

Mais aussi à ces officiers, à leurs valeurs qui pour une partie coule dans mes veines par mon arrière grand père, capitaine, mort à Verdun en 1915 ; mon grand père militaire français, qui passera près de dix ans dans les prisons allemandes en Pologne entre 1914 et 1918 et pendant la seconde guerre mondiale.

Après son mariage, ma grand-mère le rejoindra en Tunisie où naîtront en 1937 mon oncle et en 1938 mon père. Avant de quitter ce pays qui aura vu naître ses deux fils, ma grand-mère emballera avec soin dans une grande valise les uniformes coloniaux de son mari déjà parti pour la guerre, les saupoudrant de cigarettes coupées en petits morceaux qui les conserveront parfaitement jusqu’à ce jour de 2008, où, devant vider la maison, mon oncle et mon père retrouveront cette valise au plus profond du hangar. Oubliés après la libération qui ne renverra pas mon grand père servir au soleil de ce qui était nos colonies.

Mon sac est lourd de l’argenterie de ma grand-mère. Un carton, dans ma chambre d’enfant chez mes parents, attend lundi que ma sœur et mon beau frère me le remonte à Paris. Il contient lui aussi quelques fragments du souvenir de la maison de Cognac.

Hier avec mes cousins et ma sœur, accompagnés de mon oncle et mon père, nous sommes partagés les restes de ce que nous avons pu sortir de la grande maison de la rue de la Rochefoucauld. Il n’en restera plus qu’un souvenir dans la mémoire de chacun, quelques photos dont les plus vieilles on plus d’un siècle et une petite toile à l’huile montrant cette maison telle qu’elle était en 1930.

« C’est peut être ça la jeunesse… »

Non, jamais je n’imaginais quand j’étais accroupi sous la fenêtre de la salle à manger en train de jouer à faire sauter des crêpes sur ce petit poêle en acier déjà un peu rouillé, qu’un jour nous ne pourrions plus sonner à la porte de cette maison et nous faire accueillir par ma grand-mère qui nous aurait préparé le thé et sa crème aux abricots. Ma grand-mère nous a quitté il y a déjà longtemps, mais cette idée que ce temps était désormais révolu n’a jamais été aussi présent que ce soir de noël quand mon père m’a donné un sac contenant les ustensiles de cuisines avec lesquels je jouais petit et hier quand nous avons du décider d’où irait le magnifique service de Strasbourg et tout ce qui nous rappelait ma grand mère.

J’ai de mon grand père cet uniforme d’officier et de sa jeune et belle épouse un cadre aux bords en miroir un peu usé avec en son centre une photo de ma grand-mère rayonnante le jour de ses fiançailles.

Il est cadre qui est déjà dans ma chambre passage Thiéré. Un cadre un peu fantaisiste avec un Marsupilami. Un cadre que j’ai pas envie de revoir. Je ne me sens pas vraiment prêt.

Un cadre où se trouve la photo d’un petit chat noir qui a partagé ma vie pendant près de quinze ans.

Une boule de poils noirs qui s’est blottie contre moi les jours où ça n’allait pas et dieu sait si au début elle en a connu de ces jours sombres.

Une petite kikinette que tout le monde trouvait trop maigre à l’époque où je n’avais rien à bouffer et dont on remarquait l’embonpoint depuis que j’avais pris quelques kilos.

Cette bête miaulante qui m’avait gentiment trahi puisque autrefois c’est moi qu’elle venait accueillir à la porte de mon appartement d’Angoulême quand je rentrais du travail, alors que depuis qu’elle avait fait la connaissance de Nico c’est lui qui avait ses faveurs. Surtout quand il lui disait « On va manger ? » et qu’elle se levait, le suivant au placard à bouffe.

Ce soir en rentrant j’aurai beau la chercher, je ne la trouverai pas.

Je ne la verrai pas non plus passer furtivement dans le couloir.

Elle ne montera plus sur notre lit pour s’y coucher au milieu en attendant que tout soit dans le bon ordre, à savoir que moi et Nico soyons bien tous les deux couchés ensemble, pour rejoindre le lieu qu’elle aura élu pour la nuit.

Tout cela est fini.

Et même si je savais que c’était inexorable, qu’un jour arriverai…

Jamais je n’avais cessé d’espérer que peut être un miracle

« croire que le monde est fait de choses inséparables… »
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