Mar 18, 2015 17:41
Hier, j'ai eu un accident d'auto. Un tout petit impact. Rien de bien grave. En seize ans d'expérience de conduite, je n'avais jamais été impliquée dans un accident. Mon pare-chocs est cassé, il y a un morceau qui est tombé sur la chaussée. Pour éviter de me faire remorquer inutilement, je me suis battue avec mon auto pour arracher complètement le morceau de pare-chocs. Les coups de pied sur le morceau qui pendait furent nécessaires! Dans une autre circonstance, j'aurais pu trouver l'activité amusante. Ce n'est pas tous les jours qu'on a l'opportunité de frapper sur une auto, sur sa propre auto en plus. Une femme s'est arrêtée pour m'aider. Elle avait un équipement complet dans son auto. Elle devait être une artiste, une artisane. Quelque chose comme ça. Nous étions sur le plateau Mont-Royal, la probabilité était élevée. Elle avait de la corde, elle l'a utilisée pour attacher l'autre bout du pare-chocs, celui qui était encore sur l'auto. J'étais encore secouée par l'événement, je me sentais bête, incapable de faire quoi que ce soit de mes mains. Je crois bien que je l'ai remerciée de m'avoir aidée, c'est-à-dire d'avoir fait une bonne partie du travail pour moi. Enfin, je l'espère. Je me rappelle seulement que j'ai dit que ça n'arrivait que dans les pires moments ces affaires-là.
Il y a un constat à l'amiable. Les assurances s'occupent de tout. Mon assurance m'a donné le nom d'un garage. Mon rendez-vous est dans trois semaines. J'ai demandé à la femme chez le carossier si je pouvais utiliser mon auto avec son pare-chocs cassé. Je m'imaginais me faire arrêter par la police et recevoir un 48 h. Un truc comme ça. Résurgence de l'angoisse de la classe moyenne. Elle s'est mise à rire, elle riait vraiment fort. Elle a hurlé : « Ben oui, voyons ». Elle n'a pas vu mon auto. J'ai précisé qu'un gros morceau manquait sur le pare-chocs. Elle riait encore, elle a fini par me répondre que son auto à elle n'avait pas de pare-chocs et qu'elle roulait avec des tyrap depuis des semaines. « Je n'ai pas l'argent pour le faire réparer ». Je me suis sentie tellement petite bourgeoise avec mes questions.
Quand nous avons acheté l'auto, il y a quelques années, j'ai paniqué. Je me suis imaginée le jour où je m'acheterais quelque chose de plus gros comme une maison et j'ai paniqué deux fois plus. J'ai compris que j'avais un rapport trouble à la propriété, que je me sentais emprisonnée par la propriété. Eh bien! Maintenant que je possède une auto, j'ai oublié le plaisir d'être libre en ville, le bonheur de connaître tous les meilleurs trajets d'autobus, les meilleurs chemins en vélo. Désormais je suis cette fille-là qui demande au carossier si elle peut rouler avec une auto un peu brisée et qui fait hurler de rire la femme au téléphone.
Dans les luttes pour le droit d'auteur du 19e siècle français, Hugo disait qu'il fallait « réconcilier les artistes avec la société par la propriété ». Il n'y a qu'un pas entre réconciliation et domestication.