Feb 26, 2014 13:40
J'ai demandé à Itunes de faire jouer des chansons au hasard. Il a choisi une chanson de l'album La Llorona de Lhasa de Sela. Dès les premières notes, je me suis rappelé un moment très particulier de ma vie. Je me souviens très bien de la première fois que j'ai vu Lhasa chanter dans une émission culturelle à la télévision. Je vivais cet étrange moment dans la vie d'une jeune femme où j'avais l'impression que je faisais mes propres choix, que je n'étais plus à la merci des modes de cour d'école ou des goûts de mes parents. Mon choix à moi, c'était de toute évidence cette voix à la fois forte et fragile, cette voix capable de tout faire. Une voix qui me disait que les petites filles trop émotives, trop passionnées comme moi avaient peut-être le droit d'exister dans ce monde ennuyant et dépassionné.
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Je regarde tous les dimanches à la télévision un concours de chant. Je suis obsédée par cette émission. Les premières semaines, c'était les fameuses auditions à l'aveugle où les coachs à coup de flatterie et de poésie à deux balles tentent de gagner le coeur des meilleurs candidats. Depuis la semaine dernière, nous sommes à l'étape des duels. Les coachs préparent deux de leurs poulains pour un grand affrontement dans le ring. Les aspirants chanteurs se livrent des combats du regard à couper le souffle. Ils rivalisent de commentaires profonds pour impressionner leurs coachs. Ils n'hésitent pas à crier à outrance dans leur micro pour prouver qu'ils ont une voix ô combien puissante. Les coachs, quant à eux, parlent à leur poulain de posture, de confiance. Il faut savoir prendre sa place tout en ayant l'air de jouer avec son adversaire. Tout est question d'apparence. Il faut donner les signes qu'on est un gagnant pour le devenir.
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Même si j'aime parfois certains chanteurs de cette émission, il n'y a jamais de ces instants magiques, fulgurants, où le désordre parait s'infiltrer furtivement dans la marche du monde comme lorsque j'ai entendu Lhasa à la télé pour la première fois. Il n'y a jamais de voix qui appellent à sortir furieusement du rang. Il n'y a jamais de voix de pleureuse. Il n'y a que des voix qui tentent comme faire se peut d'avancer dans un monde où il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus. La petite fille que j'ai été en regardant cette émission se sentirait sans doute condamnée d'avance devant des routes qui ne lui conviendront jamais.