ЭХО ГАСТРОЛЕЙ (МДТ И ЛЕВ ДОДИН В ПАРИЖЕ)
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"Oncle Vania" par Lev Dodine : la leçon de théâtre
Il en rêvait, Bobigny l’a fait : Lev Dodine a investi la MC 93 un mois durant, avec la compagnie du Maly Drama de Saint Petersbourg que Peter Brook a décrite comme "l’une des plus extraordinaires troupes de théâtre au monde". Une leçon de théâtre et de vie.
Voilà déjà plusieurs années que les habitués se pressent à chaque visite du Maly Drama Theatre de Dodine à Bobigny. Cette fois, c’est une véritable rétrospective de son œuvre qui s’est jouée à guichet fermé pendant un mois et demi. Et les chanceux qui avaient réservé leurs places à l’avance ont pu constater une fois de plus que le génial metteur en scène russe, né en Sibérie en 1944, saint-pétersbourgeois d’adoption et couvert de récompenses, mérite la réputation qu’il s’est forgée dans le monde entier.
De son côté, avec cet événement, la MC 93 réaffirme brillamment ses engagements, la spécificité de sa mission et l’impeccabilité de sa programmation. Après l’OPA sauvage tentée par la Comédie Française l’an dernier, Patrick Sommier, directeur de la MC, avait déclaré : "nous nous en sortirons par le haut, c’est à dire par le théâtre". C’est chose faite, et l’on peut affirmer que personne en sortant d’un spectacle de Dodine, pas même le plus obtus des spectateurs, n’oserait affirmer « s’y être ennuyé ». Le théâtre a besoin de ces moments de grâce magistrale, hélas un peu trop rares, et il faut saluer quiconque s’emploie à les faire émerger.
Leçon de théâtre
Car c’est bien à une leçon de théâtre que le public d’Oncle Vania a assisté, virtuose et humble, comme le sont les grandes œuvres d’art. La pièce la plus jouée au monde, servie par un décor à la fois réaliste et symbolique, par une mise en scène d’une intelligence absolue et le jeu habité d’une troupe d’acteurs hors pair, semblait prendre vie pour la première fois.
Toutes les nuances de l’âme humaine sont présentes dans le texte de Tchékhov : l’espoir déçu de Sonia la laide, amoureuse d’un homme qui ne veut pas d’elle, la fatuité lasse du Professeur Serebriakov, imposteur vieillissant, les déchirements d’Elena, sa jeune femme, tiraillée entre le désir et le devoir, la faconde déjà vaincue de Mikhaïl Astrov, médecin et écologiste avant l’heure, qui voit filer entre ses doigts sa dernière chance d’aimer, et la bouffonnerie désespérée de Vania, antihéros de la pièce et perdant magnifique enraciné dans une campagne boueuse qu’il sauvera finalement de la perte, mais sans rien y gagner. Entre le rire et les larmes, la farce et la tragédie, les acteurs de Dodine investissent le texte de toute leur ferveur, et lorsqu’ils parlent des moujiks crasseux et incultes qui vivent dehors, sous la pluie incessante, on les croit - pas seulement parce qu’ils sont russes et qu’ils savent comme personne s’entredéchirer autour d’un samovar - mais parce que la magie du théâtre a lieu : ils lui ont donné leur vie, sans concession, de même que Vania et Sonia ont donné la leur à cette terre ingrate qui se refermera un jour sur eux. Lorsque les spectateurs saluent leur travail par une standing ovation de plusieurs minutes, on se souvient qu’en effet le théâtre est un métier, un art, un choix de vie, une religion. Cette religion, Lev Dodine la définit en deux phrases : "le showbiz agressif est fondé sur la démonstration des accomplissements. Pour nous, c’est la tentative qui est importante, car elle a l’objectif de défier la résistance du matériau, notre propre mutisme et, au bout du compte, les lois de l’attraction terrestre".
Les petits marquis et les vieux lions du théâtre subventionné français n’ont qu’à bien se tenir : la barre est haute, et nous sommes désormais nombreux à avoir vu Dodine et sa troupe la franchir comme en volant, libérés de la pesanteur, pour nous rappeler ce que "jouer" veut dire.
25 ans du répertoire de Lev Dodine, Maly Drama Théâtre, Théâtre de l’Eurôpe Saint-Pétersbourg, du 7 novembre au 6 décembre à la MC 93.
Le 8 décembre
par Marianne Costa