Jul 03, 2011 23:20
J'ai assisté à un évènement un peu étrange ce weekend. Le départ de notre médecin-chef. Un bouleversement annoncé depuis plusieurs mois.
Ma première réaction avait été plutôt positive, peut-être allait-on enfin pouvoir changer des pratiques un peu préhistoriques dans nos protocoles, l'ambiance allait aussi un peu se détendre. Ensuite j'ai réalisé le grand chambardement que ça allait entraîner, un peu comme une classe d'enfants qui se retrouve sans maîtresse, et j'ai eu un peu peur. Et puis le départ s'éternisait, elle devait partir en mars, puis en juin, puis en juillet, le relais se passait doucement, elle n'était déjà plus vraiment là, mais un peu quand même. L'entre-deux était compliqué, on ne savait plus à qui se référer, à celle qui était encore notre chef mais qui vaquait sans arrêt à d'autres occupations, ou à celle qui allait devenir notre chef mais qui ne l'était pas encore officiellement. Pendant ces quelques mois j'ai attendu avec impatience le départ officiel, qu'on sache à quoi s'en tenir. Et ce soir je suis plutôt anxieuse.
C'est une révolution pour la maternité. Notre chef la tenait d'une main de fer depuis 15 ans, une autorité naturelle, une propension à nous engueuler régulièrement quand on ne travaillait pas exactement comme les petits soldats qu'elle voulait que nous soyons, une grande expérience, beaucoup de disponibilité, des connaissances fiables et rassurantes. Elle connait mieux que quiconque les pathologies maternelles parfois rares auxquelles nous avons à faire, même en vacances à l'autre bout du monde on pouvait l'appeler pour gérer un dossier épineux. Nous ne sommes pas une maternité avec de beaux locaux, ni avec une grosse néonat. Les femmes ne viennent pas accoucher chez nous pour le confort, ni pour qu'on puisse prendre en charge leur bébé s'il y a un gros souci, elles savent que leur grossesse et leur accouchement sera très médicalisé, c'est la politique de la maison, ce qui les amène chez nous c'est la confiance dans l'équipe médicale. Et l'équipe médicale sans notre chef pour la maintenir dans le droit chemin, j'ai un peu peur qu'elle ne parte dans tous les sens. Que sans la maîtresse pour les remettre en place et les engueuler une fois de temps en temps, les enfants n'en fasse qu'à leur tête, chacun comme il le veut, et en médecine ça n'a jamais donné de bons résultats.
Je pensais que le départ de la chef se ferait en fanfare, mais il s'est fait dans l'intimité des équipes réduites du weekend. Dernière garde samedi et cartons dimanche. Elle est partie tout doucement ce midi sans faire de bruit, a décroché les tableaux de son bureau et s'en est allée assez émue de quitter ce service qu'elle a dirigé pendant 15 ans. J'attendais d'elle qu'elle finisse de régler les cas en cours et nous laisse avec un service propre, qu'on démarre lundi une nouvelle ère sur de bonnes bases. Finalement c'est un bazar sans nom qu'elle a laissé. Je lui avais demandé des avis sur quelques dossiers difficiles samedi, elle a vu les dames le soir et ne m'a rien transmis, dimanche les décisions n'étaient pas prises et elle était partie. Et puis autre chose dont je ne peux sûrement pas parler sur internet, secret médical oblige. Je l'aimais bien malgré tout, travailler 3 ans à ses côtés m'a parfois donné une boule dans la gorge et un peu la frousse, mais j'ai appris énormément, et j'ai apprécié son soutien dans les coups durs, elle a toujours été derrière nous. Elle pouvait nous passer des soufflantes au staff, mais elle nous défendait toujours devant la direction ou le chef de service. Son credo c'était que l'équipe médicale, les sages-femmes et les médecin, ne devait faire qu'un, une seule conduite à tenir, tous la même façon de travailler, et ne jamais se tirer une balle dans le pied en laissant quelqu'un de l'équipe dans la merde. Parce qu'il faut être lucide, il nous arrive tous de faire des erreurs en médecine et ça peut avoir des conséquences désastreuses, c'est la vie. Mais si on décide de tous travailler pareil, on n'a moins d'occasion de faire une connerie que si on décide chacun dans son coin. Et quand l'un de nous fait cette erreur, il faut le lui dire mais pas le laisser dans un coin tout seul avec ça. Aujourd'hui, pour son dernier jour, elle a faillit à cette règle et a fait cavalier seul nous laissant tous dans un espèce de bourbier duquel il faudra s'extraire demain. Elle m'a un peu déçue et m'a laissé un goût d'inachevé. Et pour avoir assisté à toutes les étapes de son grand départ ce weekend, j'ai finalement réalisé qu'il allait probablement être très difficile de se relever demain matin. Les mois qui viennent vont être ardus, il va falloir être encore plus vigilant parce qu'elle ne sera plus derrière nous pour nous empêcher de faire des erreurs, ni pour nous aider à repartir du bon pied quand nous en ferons. Et il n'y aura plus personne pour nous forcer à nous serrer les coudes. "Tous pour un, un pour tous", quand d'Artagnan s'en va... Tout ça devient affreusement concret et l'avenir de la maternité m'inquiète un petit peu.
J'aimerais bien retrouver l'optimisme que j'avais il y a quelques mois quand je prenais le départ de la chef pour une révolution qui allait nous faire avancer dans le bon sens et progresser, un peu comme ils le chantent dans la comédie musicale des Misérables.
"Will you join in our crusade, who will be strong and stand with me?
Beyond the barricade, is there a world you long to see?
Then join in the fight that will give you the right to be free.
Do you hear the people sing?
Singing the songs of angry men,
It is the music of a people who will not be slaves again
When the beating of your heart, echoes the beating of the drums
There is a life about to start when tomorrow comes"
"The People" c'était nous, toute l'équipe qui allait voir arriver un jour nouveau qui serait lumineux, enfin libéré du joug un peu oppressant "There is a life about to start when tomorrow comes". Tomorrow c'est dans 9h et je suis bien plus pessimiste. Un peu angoissée aussi.
Edit : Je viens de vois la date et de réaliser que l'an dernier lors de ce même premier weekend de juillet nous faisions le deuil d'un de nos pédiatres pilier de la maternité. Un an après, un deuxième pilier de la maternité nous laisse pour aller en soutenir une autre. Ca va commencer à être franchement instable par chez nous... Combien de 2 juillet encore avant que le toit ne s'écroule ?
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