Rencontres

Oct 28, 2013 20:00


Il en est finalement des livres comme il en est des amitiés : tout est affaire de rencontre. Le bon moment, le bon âge, les bonnes circonstances... Voilà ce qui peut faire la différence entre un livre qui marque et un qui passe, entre une amitié profonde et une connaissance passagère. Je vous propose mes rencontres.Comme les parents et les frères et soeurs, il y a les livres avec lesquels on grandit. Parfois, l'adolescence s'accompagne d'une période de rejet ou de remise en cause, mais il reste difficile de s'affranchir complètement de l'impact qu'ils ont (eu) sur nous, sur la construction de notre identité. Et, parfois, leurs défauts sont justement la raison pour laquelle on les aime. Pour moi, ce furent les Trois mousquetaires (Dumas), la série des Eric (Dalens), Harry Potter (Rowling). J'y reviens souvent et ai du mal à être objective.

Il y a aussi ces livres qu'on lit comme on a un coup de foudre : c'est exactement le bon moment, et l'effet s'en inscrit durablement dans la mémoire. C'est le noeud de vipères (Mauriac), lu à 15 ans et jamais oublié, qui me fit découvrir (lire, en tout cas) des replis de l'âme humaine auxquels je n'étais pas habituée. C'est Tallia et Lau : notre amitié se forma vite, m'ouvrit des conversations et des instants que je n'imaginais pas alors possibles ailleurs que dans les romans, et me soutint, surtout, dans des moments très difficiles. Amitié qui m'est toujours aussi précieuse aujourd'hui, même si je ne les vois pas assez souvent à mon goût. Je peux dire sans la moindre difficulté que je dois une partie de ce que je suis aujourd'hui à ma rencontre avec elles, comme je le dois au noeud de vipères. C'est d'ailleurs ironique : l'ayant fait lire à Tallia, il ne lui a pas fait le même effet qu'à moi. Elle était trop âgée, déjà, avait vu et lu d'autres choses, et ne connut pas le même bouleversement. C'est à dessein donc que je mets en parallèle ces deux histoires, même si j'aurais pu citer (et cite, d'ailleurs) d'autres romans : la condition humaine (Malraux), American Gods (Gaiman), 1984 (Orwell) occupent une place tout à fait similaire dans mon coeur et dans ma vie.
Et comme il serait injuste de les cantonner à un instant fort mais bref, elles sont aussi ces sagas au long cours où les personnages changent, comme les gens, et rien n'est noir ou blanc, mais qui restent bien et intéressantes jusqu'au bout, comme Louisiane et ses suites (Denuzière).

Il y a ces amitiés qui furent fortes à un moment donné, et qui se délitent sans qu'on sache trop pourquoi ou comment, sans dispute ni cri, simplement en s'éloignant. Des amis de collège, de lycée, d'école, qu'on revoit avec plaisir mais à qui, finalement, on n'a plus grand-chose à dire. Des livres qu'on a aimé, l'histoire était bien, les personnages aussi, mais la fin aurait pu être mieux, différente, et n'est pas très convaincante. Ca n'a pas évolué comme nous, ou comme on aurait voulu. C'est la liste de mes envies (Delacourt), la deuxième partie de la saga Fortune de France (Merle). Le souvenir peut rester doux ou donner un goût amer, et ça reste quand même un peu triste.

Il y a ces romans qu'on lit parce qu'on a été attiré par la couverture, le résumé, par le conseil de quelqu'un, un commentaire à la radio, le premier épisode de la série qui s'en inspire. On commence un peu comme ça, et quand on relève la tête, on a lu 5000 pages et on attend le tome suivant impatiemment, sans savoir à quel moment exactement on est devenu accro. C'est le trône de fer évidemment. C'est Ahelya : trois ans après des délires idiots sur la Papote et une première irl embarrassée, je lui parle tous les jours, la voit en moyenne une fois par semaine, lui confie beaucoup, et serais incapable de dire quand exactement elle a pris une telle place dans ma vie. C'est les fofiennes en général, c'est Pratchett.

Il y a aussi, parce qu'il faut en parler également, le petit-fils (ou la petite-fille) d'amis de vos grands-parents, vous savez bien, cette personne qui a vaguement votre âge et avec qui vous partagez des intérêts encore plus vagues, mais avec qui "vous ne pouvez que vous entendre", puisque d'autres personnes le disent. Et à qui, finalement, vous n'aurez jamais rien à dire. C'est le Rouge et Noir, que mon père me vante depuis que j'ai 12 ans, et qui ne m'a jamais convaincue, même si j'ai (sagement) attendu d'avoir 18 pour le lire.

Il y a la rencontre ratée, aussi, plus identifiable sur papier que dans la vie. Ce roman que vous avez lu trop tôt ou trop tard : il est bien, il est beau, il vous parle, mais il est trop en décalage. C'est les Hauts de Hurlevent, lu à 22 ans, trop tard pour que son romantisme noir et exacerbé me touche assez, même si j'en reconnais toutes les qualités et que je sais pourquoi il plait autant à Lenoska. Difficile d'identifier un tel ratage dans la vraie vie, mais je suis sûre qu'il y en a eu aussi.

Il y a les collègues de bureau, les camarades de promo, les connaissances de soirée : ceux qu'on rencontre pour un temps, qu'on apprécie globalement, avec qui on échange une discussion superficielle, avant de passer à autre chose. Ce sont les romans de gare, vite lus et vite oubliés, la grande majorité des romans policiers ou histoires d'amour que j'ai pu lire et dont j'ai du mal à me souvenir des titres, voire des intrigues. J'en garde un bon souvenir, mais ça ne vaudrait pas une relecture.

Il y a les grands classiques, ceux qu'on tous lu - ou qu'on devrait tous avoir lu. Comme les stars de cinéma, certains vont immédiatement intégrer un panthéon personnel (Les liaisons dangereuses (Laclos), Johnny Depp, Michel Strogoff (Verne), Rachel Weisze, les Fleurs du Mal (Baudelaire)), certains vont nous toucher (le Père Goriot (Balzac), Kristin Scott Thomas), certains vont nous laisser complètement indifférent malgré leur qualité intrinsèque (George Clooney, La princesse de Clèves (Madame de Lafayette)), certains vont nous agacer (Russell Crowe, La curée (Zola)), certains nous faire hurler (Madame Bovary (Flaubert), Tom Cruise, Les mots (Sartre), Audrey Tautou, les Confessions (Rousseau)), dans une réaction épidermique absolument inexplicable. A d'autres, enfin, on va reconnaitre de vraies qualités artistiques et littéraires, tout en ayant du mal à les lire (la Peste (Camus), sur laquelle j'ai buté pendant longtemps, tout en aimant énormément l'histoire et le style). Tout comme ces gens admirables et sympathiques à qui on n'a pourtant rien à dire.

Il y a aussi ces gens et ces livres qu'on aime sans savoir pourquoi : ils sont plein de défauts et on est rarement d'accord, mais rien à faire, on aime quand même. C'est toi, H, qui ne me lira jamais, puisque tu ignores l'existence de ce blog, c'est la Bougainvillée (Deschamps) et la Bicyclette bleue (Desforges) et la plupart des romans que j'ai lu de Juliette Benzoni.

En terminant ce comparatif non exhaustif, je me rends compte qu'à part peut-être pour la première catégorie, j'aurais pu mener le même exercice avec les séries télés, que je consomme comme vous le savez sans modération aucune. Dans un prochain post, peut-être ? Si ça vous intéresse.

(Je peux également avoir oublié ou ne pas avoir pensé à certaines "catégories" de livres ou de rencontres... Si vous avez d'autres idées, donc, vous pouvez me les signaler, j'essaierai de voir si je trouve des correspondances)

moa, mes amours, question existentielle, mes amis, livres

Previous post Next post
Up