Johann/Marc.
Originale Univers sans nom mais avec beaucoup de pluie.
Rating PG. Longueur 750 mots.
Note Ceci n'est pas une nouvelle fic, mais une fic que j'avais écrite pour
meanne77 en août 2006 à l'occasion d'un meme. Cf. le post original
ICI. (La mienne est la 16.)
Et si je la reposte ici, c'est parce que j'ai cru l'avoir perdue avec le crash de mon disque dur ^^;
GOUTTES DE PLUIE
Une goutte. Deux gouttes. Cinq gouttes. Des milliers de gouttes.
Marc déplia son parapluie, puis alla s’adosser au mur le plus proche. Evidemment, cela ne changeait pas grand-chose, mais c’était mieux que d’attendre debout au beau milieu de la rue. Cette dernière se vidait rapidement : la pluie repoussait la foule dans les cafés ouverts et derrière les vitrines des magasins ; le reste filait, ombres fugitives, en rasant les murs. Bientôt, il ne resta plus que Marc.
Contre son dos, la pierre était tiède et poreuse ; elle ne tarderait sans doute pas à se gorger d’humidité, comme une grosse éponge. L’odeur de la pluie sur les pavés brûlants emplissait l’air et aurait été étouffante sans les légers souffles de vent qui la traversaient. Marc enfonça la main qui ne tenait pas le parapluie dans la poche de son jean. Il se sentait seul comme une goutte de pluie.
D’où lui venait cette expression ? Marc fronça les sourcils. C’était quelque chose qu’il avait lu. La page de gauche d’un livre de poche. Une pièce de théâtre. La pierre n’est pas encore ôtée, et déjà chacun est en proie à ses morts, seul comme une goutte de pluie. Ah, Sartre.*
C’est alors qu’il remarqua la paire de basket. Elles étaient contre le mur d’en face, dépassant des bords larges et élimés d’un pantalon de toile gris et mouillé. Marc releva un peu son parapluie. De longues jambes, des hanches étroites, des doigts de pianiste accrochés à des passants vides. Le parapluie fut repoussé un peu plus haut. Une montre au large bracelet, des bras nus, un débardeur noir et blanc.
Marc s’immobilisa. Il hésitait à découvrir le visage que lui dissimulaient encore les pans de son parapluie. Le tableau était parfait ; il craignait de le gâcher irrémédiablement. Pourtant, il ne pouvait pas s’arrêter là : le coton rayé suspendu aux épaules souples, les clavicules saillantes, le cou qui semblait s’étendre à l’infini, tout l’appelait et faisait naître en lui le désir irrépressible de dévoiler le reste.
Alors il prit une inspiration, et redressa le parapluie.
L’inconnu le regardait.
Aussi absurde que cela pût paraître, Marc sentit son cœur faire un tel bond dans sa poitrine qu’il s’étonna de ne pas en avoir mal aux côtes. L’inconnu était beau, tout simplement. Il avait des cheveux châtains que la pluie faisait onduler autour de son visage, une bouche rose et pleine étirée en un imperceptible sourire, et des yeux magnifiques qui le fixaient. Ils étaient du même gris, éblouissant et bleuté, que le ciel ; et les cils, noirs, denses, les étrécissaient tout en soulignant, de manière saisissante, leur longueur et leur clarté.
Marc rassembla son courage. Après tout, que risquait-il ? Lentement, il resserra les doigts autour du manche de son parapluie, respira profondément, puis, sans quitter l’inconnu du regard, haussa un peu son parapluie en signe d’invitation. L’inconnu se fendit alors d’un grand sourire et traversa la rue en quelques enjambées rapides, floc, floc, floc, sur les pavés mouillés.
« Ca ne t’ennuie pas de partager ? » demanda-t-il en se glissant sous le parapluie.
Marc fit signe que non. Le bras de l’inconnu se colla au sien.
« Je m’appelle Johann, continua-t-il.
- Marc. »
L’inconnu - Johann souriait toujours. Vues de près, ses joues étaient légèrement empourprées. Marc avait envie de dire quelque chose, mais il ne trouvait pas quoi, et il ne savait pas ce qui était pire : laisser le silence s’étendre à l’infini ou risquer une remarque stupide sur le temps qu’il faisait. Heureusement, Johann le sauva.
« Pourquoi est-ce que tu n’as pas été te réfugier à l’intérieur ? »
Tout en parlant, il désigna du menton un magasin ouvert à quelques mètres d’eux. Marc jeta un œil par-dessus son épaule : l’endroit était bondé. Une bonne douzaine de visages se pressait aux portes vitrées pour guetter la fin de l’averse ; quelques regards s’attardaient sur Johann et lui.
« Je n’aime pas la foule, répondit Marc en se retournant. Toi ? »
Johann haussa les épaules.
« J’aime bien la pluie. »
Marc laissa échapper un petit : « Ah ». Il baissa les yeux. Avait-il fait une erreur en l’invitant à venir s’abriter avec lui ? Il releva la tête, tout prêt à s’en excuser ; cependant, Johann, qui l’observait en se mordant la lèvre inférieure, ce qui lui donnait l’air étrangement espiègle et timide à la fois, ajouta :
« Mais je crois que j’aime encore mieux être ici. »
FIN (?)
*Jean-Paul Sartre, Les Mouches, II, 1.