BELARUS ET AFFAIRE NAVALNY : MACRON, LOUKACHENKO ET POUTINE

Sep 03, 2020 21:35


Sergueï Jirnov, expert en relations internationales,
ancien officier supérieur du service d’espionnage du KGB et du SVR de Russie




BELARUS ET AFFAIRE NAVALNY : MACRON, LOUKACHENKO ET POUTINE

Le 20 août 2020 le monde apprenait avec stupeur une nouvelle scandaleuse affaire d’empoisonnement en Russie. Il s’agissait cette fois-ci du principal opposant à Vladimir Poutine - l’avocat Alexeï Navalny qui mène depuis des années des enquêtes pertinentes et accusatrices sur la corruption généralisée du régime de l’ancien officier du KGB devenu en 2000 le chef d’état russe indéboulonnable.

Le contexte international.

Ce n’est pas seulement la tentative d’assassinat de Navalny qui a étonné l’opinion publique mais également son contexte international particulier presque aussi passionnant et qu’il faudrait préciser en quelques mots pour ceux qui ne le connaissent pas suffisamment.
En effet, début août 2020 en petit état de Biélorussie, ancienne république d’URSS, s’étaient passées les élections présidentielles très véritablement truquées qui avaient reconduit le dictateur inamovible Alexandre Loukachenko, qui s’accroche au passé soviétique et qui reste en place 26 ans depuis 1994.
L’opposition biélorusse a rejeté sans ambiguïté ce suffrage manifestement falsifié et la communauté internationale n’a pas reconnu le résultat de ce « vote » contraire aux normes démocratiques universelles. Loukachenko avait empêché son principal opposant, le bloggeur Sergueï Tikhanovsky, de se présenter dûment aux élections, y compris par son emprisonnement arbitraire. Sa femme, Svetlana, a pris alors sa place à la dernière minute en obtenant plus de 10% des suffrages malgré les conditions d'obstruction flagrante de la part des autorités de Minsk. Après quoi, craignant pour sa vie elle s’est réfugiée dans la Lituanie voisine.
Suite aux nombreuses manifestations populaires et leur répression brutale par le pouvoir biélorusse contesté, les tentions internationales se sont profilées avec Poutine solidaire qui s’est dit prêt à intervenir pour maintenir en place le dictateur de Minsk à tout prix, par la force militaire s’il le fallait.
Pour jouer les médiateurs et essayer de calmer les tentions, le président français n’a trouvé rien de mieux inspiré que de s’adresser le 18 août 2020 par téléphone à l’autocrate Poutine pour qu’il intervienne en faveur de la démocratie et du peuple contestataire en Bélarus.
Cette sollicitation du chef d’état français était plus que bizarre, d’abord parce que Macron, de l’extérieur, demandait à un chef d’état étranger tiers de s’immiscer directement dans les affaires internes d’un autre état souverain. Une pratique clairement prohibée par le droit international.
D’autre part, cette excentrique demande de Macron était intellectuellement antithétique pour ne pas dire totalement déraisonnable. Car Poutine, de son côté, en juillet 2020 a fait grossièrement changer la Constitution russe pour rester au pouvoir potentiellement encore 16 ans - jusqu’en 2036. Donc, demander au grand dictateur russe qui veut garder sa place à vie et qui a truqué toutes les élections en Russie d’intervenir par miracle en faveur de la démocratie auprès de son petit dictateur frère biélorusse qui s’accroche de la même manière au pouvoir et truque les élections dans son pays, était plus que surprenant de la part d’un dirigeant occidental intelligent et pragmatique.
Deux jours plus tard, comme par hasard, en Russie se passait l’empoisonnement de Navalny, principal opposant à Poutine - tel une sorte de réponse brutale de Poutine à la médiation démocratique occidentale d’Emmanuel Macron, grossière, inopportune et bizarre.

Le vol de Tomsk à Moscou qui tourne au cauchemar.

Après une tournée en Sibérie pour finir une énième enquête pour sa Fondation anti-corruption, Alexeï Navalny a bu une tasse de thé dans un café d’aéroport de Tomsk puis est monté à bord de l’avion pour rentrer dans la capitale de Russie. Quelques minutes après le décollage, il s’est senti soudainement mal. Sur la vidéo amateur tournée à ce moment, on entend son cri de douleur avant de tomber dans le coma. Le capitaine de l’avion a pris la décision d’interrompre le vol normal vers Moscou, de changer de cap et de faire un détour pour atterrir d’urgence dans la ville d’Omsk où Navalny a été hospitalisé dans le service de réanimation toxicologique du centre médical régional.
Les agents des services secrets russes (le FSB) qui suivent Navalny à la trace dans tous ses déplacements ont averti le Kremlin et les collaborateurs du leader de l’opposition ont alerté les médias internationaux. Les médecins locaux, habitués aux pratiques russes de l’époque de Poutine, ont commencé la lutte pour sauver la vie à Navalny en administrant assez rapidement de l’atropine qui est un remède classique dans les empoisonnements par les agents neurotoxiques. Car les symptômes faisait croire à son exposition aux substances du type du gaz « Novichok » qui a failli coûter la vie à Londres en mars 2018 à l’ancien espion Sergueï Skripal et à sa fille Iulia.

Les médecins allemands confirment les soupçons de l’empoisonnement.

La chancelière fédérale Angela Merkel qui se rencontrait avec Macron au fort de Brégançon le même jour s’est dite très préoccupée et prête à accueillir Navalny en Allemagne mais le régime de Poutine a commencé les manœuvres minables pour nier l’évidence, gagner du temps - critique pour faire disparaître les traces du poison employé - et éviter le départ de la victime à l’étranger de peur qu l’on découvre les substances toxiques dans le corps de l’opposant à Poutine.
Pourtant sous la pression internationale unanime et grandissante, avec un retard de 48 heures, Navalny a fini par être évacué, toujours dans le coma, vers la clinique de Charité à Berlin samedi 22 août.
Assez rapidement les analyses à Berlin dans plusieurs laboratoires indépendants ont confirmé la présence des traces des inhibiteurs de cholinestérase, enzyme qui sert à contrôler l’excès d’activité de l’acétylcholine - neurotransmetteur au niveau des synapses neuromusculaires. Ce qui constitue un début de preuve d’empoisonnement par les agents neurotoxiques puissants du style des armes chimiques - gaz sarin, samane et V-gaz.

Poutine nie tout en block et se prépare à la guerre en Biélorussie face à l’Occident impuissant.

Les Etats-Unis, l’Union européenne, la Grande Bretagne, la France et l’Allemagne ont condamné cet acte odieux et ont annoncé qu’ils mettront en place les nouvelles sanctions contre la Russie si les soupçons de l’empoisonnement se confirment. En attendant, Poutine, à son habitude, nie tout implication de son régime dans l’affaire Navalny et joue sur les apparences de justice factice qui serait prête à mener une enquête judiciaire.
Pourtant aucune enquête digne de ce nom n’a jamais été menée en Russie sur l’empoisonnement d’Alexandre Litvinenko à Londres en 2006 (le supposé empoisonneur a été même élu député de la Douma), sur l’empoisonnement des Skripal à Londres en 2018 (les supposés empoisonneurs ont été décorés et récompensés), sur plusieurs autres assassinats politiques.
Et comme pour répondre indirectement aux sollicitations bizarres d’Emmanuel Macron trop crédule sur la capacité de l’autocrate Poutine de pacifier la situation critique en Bélarus, le chef de Kremlin a annoncé d’avoir donné l’ordre de constituer une réserve des forces armées et des services secrets russes et les acheminer vers l’Ouest au cas où la situation en Biélorussie mettrait en danger le régime du dictateur Alexandre Loukachenko à qui le dictateur Poutine a chaleureusement souhaité un bon anniversaire le 30 août. Le despote biélorusse refuse de partir ou de réorganiser les nouvelles élections normales malgré les manifestations quotidiennes grandissantes d’opposition. Poutine prépare la nouvelle guerre, comme en Géorgie en 2008 ou en Ukraine en 2014 face à l’Occident impuissant.
Alexeï Navalny reste dans le coma à Berlin. Les médecins allemands continuent à essayer de lui sauver la vie. Ils craignent les séquelles neurologiques plus ou moins importantes même dans le cas où le malade pourrait s’en sortir en fin de compte.
Paris, le 3 Septembre


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