ESPIONNAGE RUSSE EN EXPANSION: OFFICIER SUPÉRIEUR FRANÇAIS DE L'OTAN ARRÊTÉ

Aug 31, 2020 12:00




Sergueï Jirnov, expert en relations internationales,
ancien officier supérieur du service d’espionnage du KGB et du SVR de Russie

ESPIONNAGE RUSSE EN EXPANSION: OFFICIER SUPÉRIEUR FRANÇAIS DE L'OTAN ARRÊTÉ
L’information sur l’arrestation en France d’un lieutenant-colonel de l’armée française travaillant à la base de l’OTAN en Italie, a surgit dans les médias dimanche 30/08/2020. La ministre des armées Françoise Parly a eu une désagréable obligation de donner quelques explications à la radio et à la télé dans une émission de grande écoute sur l’Europe-1 et LCI.

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Ce que l’on sait sur cette affaire d’espionnage et de trahison.
Le ministère des Armées a indiqué dans un bref communiqué avoir saisi lui-même la justice (dans le carde de l’article n° 40 du Code de la procédure pénale) à l'encontre d'un officier supérieur soupçonné de trahison pour « atteinte à la sécurité ».
Ensuite les sources judiciaires anonymes ont indiqué aux médias qu’une enquête préliminaire avait été diligentée par le parquet de Paris bien avant que cette histoire ne sorte au grand jour. Une information judiciaire avait été ouverte déjà le 29 juillet 2020 et le suspect avait été mis en examen le 21 août des chefs d’accusation des livraison d'informations à une puissance étrangère, collecte d'informations portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation en vue de les livrer à une puissance étrangère, intelligence avec une puissance étrangère portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et compromission du secret de la défense nationale par une personne dépositaire de ce secret.
Selon les fuites dans les médias sur l’enquête secrète plus ou moins organisées par les sources policières et judiciaires, cet officier aurait été arrêté par la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) alors qu’il s’apprêtait à repartir en Italie à la fin de ses vacances en France, et placé en détention provisoire à la prison de la Santé à Paris. Le lieutenant-colonel serait en poste sur une base de l'Otan en Italie - du Commandement des forces alliées de l’OTAN (NATO’s Allied Joint Force Command Naples - JFC Naples) basé à Lago Patria dans la métropole de Naples. Agé d'une cinquantaine d'année et père de cinq enfants, il parlerait russe et aurait été vu en Italie en compagnie d'un homme identifié comme un agent opérationnel du GRU.
Le ministère des Armées a indiqué aux médias avoir déjà pris les mesures de sauvegarde nécessaires et faire confiance à la justice pour enquêter convenablement sur ces agissements malveillants de la Russie. Il « lui apportera toute sa coopération, dans le respect du secret de l'instruction en cours », a indiqué le ministère. Ce qui est assez ironique à la lumière des nombreuses fuites dans les médias.
Des poursuites rarissimes en France.
Les inculpations et condamnations des militaires français pour espionnage au profit d'une puissance étrangère, principalement la Russie ou en son temps l'URSS, sont rares en France, inférieures à une dizaine depuis la Guerre froide du siècle dernier.
En 2001, un officier français détaché à l'Otan avait été condamné pour avoir fourni en 1998 des informations à la Serbie sur les frappes de l'Organisation contre ce pays lors de la guerre du Kosovo. En juillet 2020, deux anciens agents des services de renseignements extérieurs (DGSE) ont été condamnés pour trahison au bénéfice de la Chine.
Mon opinion d’expertise.
Dans le JT de 21h00 du 30 août 2020 et les nombreuses reprises de ce sujet dans la soirée sur la chaîne d’infos en continu Cnews (canal n° 16 de la TNT) j'ai fait une petite expertise à brûle pourpoint (sujet vers la 16ième munite du JT) sur l'arrestation de l’officier supérieur français de l'OTAN soupçonné d'espionnage pour le compte de la Russie, arrêté et incarcéré en France.
La menace russe énorme dans le monde.
Les services russes d’espionnage - le SVR et le GRU - sont très actifs dans le monde en général et en France en particulier. Les nombreuses affaires des 20 dernières années en témoignent : l’expulsion des 10 clandestins russes des USA en 2010, l’affaire Skripal en 2018, la mise en évidence d’une base arrière du GRU en Haute Savoie et en Suisse en 2019, pour ne nommer que celles-ci. Rien qu’en cours de l’été 2020 les espions russes ont été pris en faute et expulsés de la Norvège, des Etats-Unis, de l’Autriche et de la Hollande. Et là il ne s’agît que des affaires rendues publiques. Souvent les règlements de comptes et les expulsions se passent en catimini et sans scandales médiatiques, entre « gentlemen ».
Vu les agrandissements spectaculaires des sites des deux services russes d’espionnage qui ne peuvent pas être cachés de l’observation aérospatiale des satellites, leurs effectifs et moyens en chiffres absolus, toujours tenus secrets par la Russie, ont doublé en volume depuis la dislocation de l’URSS et l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine. Les effectifs du GRU sont estimés à 25 mille officiers de carrière et ceux du SVR - à 15-20 mille.
Compte tenu du fait que la Russie ne représente en population que la moitié de l’URSS après l’émancipation des 14 anciennes républiques soviétiques devenues des états indépendants depuis 1991 et seulement deux tiers du potentiel économique de l’Union soviétique, j’estime que le poids relatif de l'accroissement de l’activité des renseignements extérieurs russes actuelles est 3 à 4 fois supérieur à celui du KGB de l’URSS et du GRU à l’époque de la Guerre froide.

Cette armée de 40-45 mille d’espions russes professionnels - officiers traitants (OT) - contrôle, dirige et manipule dans le monde des centaines de milliers de « sources » étrangères (les traîtres) et jusqu’à 500 mille indics dans la diaspora russe à l’étranger que l’on appelle dans ce métier les « honorables correspondants ». Quand bien même il n’ait rien de vraiment honorable à trahir son propre pays pour quelque raison que ce soit ou à servir secrètement les services d’espionnage dans leurs activités ouvertement criminelles.

La réponse à la menace russe.

Face à cette menace énorme d’espionnage russe, ni l’Occident ni l’Orient n’ont pas tellement à répondre, tant sur le plan étique, juridique et judiciaire que sur le plan opérationnel.
D’abord, parce que tous les grands pays, spécifiquement tous les autres membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, font exactement la même chose : ils possèdent eux aussi leurs agences d’espionnage et leurs espions professionnels (DGSE et DRM en France) qui violent en permanence, à l’instar de la Russie, toutes sortes de conventions internationales - sur les relations diplomatiques, consulaires et commerciales, sur le secret des communications et de la vie privée, sur le respect de la propriété intellectuelle, etc.
Deuxièmement, parce que les services secrets occidentaux, plus particulièrement les services de contre-espionnage et d’antiterrorisme, sont débordés par d’autres menaces et manquent constamment des moyens. En France, depuis Sarkozy qui avait cassé la DST et les RG en les réunissant au sein de la DCRI avec les coupures des budgets et des effectifs, le service de sécurité, de contre-espionnage et d’antiterrorisme n’arrive toujours pas à retrouver le bon équilibre.
Pour faire face aux menaces accrues avec ses moyens réduits, la DGSI est obligée de choisir ses priorités qui sont clairement la sécurité intérieure du territoire contre le terrorisme islamiste international ou domestique. Du coup, les activités de contre-espionnage classique, notamment contre l’accroissement des services russes et chinois, en pâtissent. A un moment donné vers 2014, on estimait que le secteur russe (H4) au siège de la DGSI à Levallois-Perret n’était doté que d’une trentaine ou quarantaine d’OT.
Et cela quand les antennes françaises du SVR et GRU sous la couverture diplomatique mobilisent au minimum un tiers des effectifs de l’Ambassade de Russie et la représentation russe auprès de l’UNESCO à Paris, après d’Interpol et d’Europol à Lyon, et des consulats russes à Marseille, Lille et Strasbourg. Quand la totalité des diplomates russes (plusieurs centaines), des personnels en poste dans les représentations consulaires, commerciales, culturelles et journalistiques (plusieurs milliers) dépendant des agences gouvernementales et des ministères officiels sont contrôlés en France par les antennes du FSB (ministère de sécurité russe, successeur du KGB) et obligés de collaborer en cachette avec les services russes des renseignements sinon l’état russe les rappelle immédiatement de France.
Quand tous les médias russes en France (RT, Spoutnik, RIA Novosti, rédaction russe d’Euronews, etc.) sont les vecteurs évidents de la propagande russe extrêmement agressive et invasive. Quand la majorité des plusieurs dizaines de milliers de ressortissants russes vivant en France représente un vivier énorme de recrutement d’indics et « d’honorables correspondants » pour les services russes pour les opérations de sape insidieuses contre leur pays d’accueil - la France.
Quand tous les centres culturels et religieux russes, toutes les associations culturelles, linguistiques et sportives d’amitié avec la Russie et toutes les églises orthodoxes du Patriarcat de Moscou en France sont le terrain de chasse privilégié des services spéciaux russes pour recruter les « idiots utiles » parmi les français qui croient vivre dans le monde des bisousnours et ne perçoivent absolument pas cette menace russe accrue contre la France à sa juste valeur.
Nombreux sont les français trop naïfs (pour ne pas dire imbéciles), y compris parmi les parlementaires, dans l’exécutif jusqu’au président Macron, dans les médias et les partis politiques (en particulier le RN, LR, LREM, le PC, LFI, le NPA), qui tombent volontiers dans le piège de la propagande poutiniste vicieuse, invasive et agressive. Qui laisse croire, sous le maquillage rusé, pervers et trompeur des prétendus sentiments antiaméricains ou des faux discours francophiles, que le régime de Poutine pourrait être un allié fidèle de la France. Quand bien même, selon les documents secrets russes, elle reste en réalité et toujours classée comme un ennemi faisant partie de l’OTAN parmi les cibles prioritaires des activités criminelles d’espionnage extérieur du Kremlin.
4. Pourquoi l’affaire franco-russe d’espionnage est sortie au grand jour le 30/08/20 ?
Les affaires d’espionnage et leurs échecs, les arrestations des traîtres, malgré l’effet spectaculaire et scandaleux qu’elles produisent sur le grand public quand elles sortent dans les médias, restent toutefois la routine de cette activité secrète. Cela arrive tout le temps. Mais cela se solde rarement par les condamnations. La plupart des espions sont, comme on dit, les « légaux » travaillant sous la couverture diplomatique officielle de leurs pays qui, en cas d’échec, leur procure l’immunité contre les poursuites pénales ou civils dans les pays étrangers. Pris la main dans le sac, ils sont tout simplement déclarés « personae non gratae » et expulsés vers leurs pays d’origine.
D’ailleurs, les services de police, de contre-espionnage et de justice français ne peuvent pas s’enorgueillir outre mesure de leur efficacité. Les inculpations et condamnations de militaires ou civils français pour espionnage au profit d'une puissance étrangère, principalement la Russie ou en son temps l'URSS, sont rares en France, inférieures à une dizaine depuis la Guerre froide. Même le cas le plus spectaculaire de Vladimir Vetrov, allias « Farewell » qui a conduit à l’expulsion des 43 espions soviétiques de France en 1984, en réalité n’a même pas été le fruit du travail les services secrets français de l’époque. Car ce lieutenant-colonel du KGB n’a pas été ni approché ni recruté par la DST ou le SDECE (la DGSE) mais a pris lui-même l’initiative de proposer ses services comme traître aux français.
Dans les temps modernes, deux anciens agents des services de renseignements extérieurs (DGSE) ont été condamnés pour trahison au bénéfice de la Chine en juillet 2020. En 2001, un officier français détaché à l'Otan a été condamné pour avoir fourni en 1998 des informations à la Serbie sur les frappes de l'Organisation contre ce pays lors de la guerre du Kosovo. Ce qui est très peu par rapport au niveau réel des activités et des menaces d’espionnage étranger sur le sol français.
Quand un scandale avec les espions éclate, ce qui devrait intéresser les gens intelligents, perspicaces et voulant aller au fond des problèmes, c’est pourquoi une telle affaire est sortie au grand jour et pourquoi précisément à un moment donné historique ?
Dans le cas précis qui nous préoccupe, on suppose que l’officier français de l’OTAN a été soupçonné et suivi secrètement depuis longtemps, on sait que la procédure judiciaire à son encontre a été lancée fin juillet 2020 et qu’il a été mis en examen et arrêté à la mi-août 2020. Pourquoi son affaire est sortie précisément le dimanche 30 août 2020 ?
La réponse est plus facile à trouver qu’il ne paraît. Le lundi 31 août 2020 le ministre français de l’intérieur Gérald Darmanin a fait une sortie médiatique au siège de la DGSI à Levallois-Perret pour prononcer un énième discours belliqueux en France et promettre, en particulier, l’accroissement des moyens et des effectifs à ce service (1900 nouvelles embauches d’ici 2 ans). En clair, faire de la pure communication. Blablater. Promettre encore et encore. Et pour accompagner cette opération de « comm’ » il lui fallait un grand effet d’éclat médiatique. C’est pour cela que l’affaire du militaire français de l’OTAN arrêté déjà à la mi-août 2020 et soupçonné de la trahison pour le compte de la Russie est très « opportunément » sortie la veille de la prestation publique ministérielle.
Professionnellement parlant entre nous les espions et les flics du contre-espionnage, l’ébruitement de cette affaire et l’arrestation de l’officier supérieur français pose plus de questions qu’ils ne donnent de réponses. Car tout paraît trop prématuré dans cette histoire. Je m’explique.
Dans les affaires de trahisons, découvrir et arrêter un traître dans son propre camp n’est que la moitié du boulot du service de contre-espionnage digne de nom. La partie la plus intéressante et importante est de faire un « jeu opérationnel » pendant un certain temps pour découvrir toute l’ampleur des opérations de l’ennemi, rassembler et documenter les preuves et seulement ensuite prendre les services adverses la main dans le sac. De préférence en arrêtant le traître de chez nous avec son officier traitant étranger en flagrant délit d’une opération clandestine de remise de documents confidentiels, d’argent, d’appareils techniques spécifiques, d’armes, de poisons, etc. Là, c’est vrai succès !
Donc, dans ce cas précis, cela aurait été professionnellement beaucoup plus intéressant pour la DGSI et le camp occidental de laisser repartir après les vacances cet officier français rejoindre sa base de l’OTAN en Italie, de continuer à le surveiller secrètement là-bas et de l’arrêter sur le terrain italien lors de son prochain contact opérationnel clandestin ensemble avec son OT du GRU. Tout ceci supposait une étroite coopération avec les services secrets italiens, américains et de l’OTAN. Ce qui est beaucoup plus compliqué à obtenir et organiser. Cela supposait une certaine perte de maîtrise des événements opérationnels, le partage avec les services alliés des informations confidentielles et aussi des lauriers du triomphe.
Mais surtout cela risquait prendre beaucoup de temps. Et le coup d’éclat médiatique égocentrique de Darmanin ne pouvait pas attendre. Donc, la DGSI a fait capoter, je crois tout à fait volontairement, par les calculs opportunistes, la moitié la plus intéressante et la plus importante d’une opération de contre-espionnage. Juste pour donner satisfaction à son narcissique ministre de tutelle, trop pressé pour faire d’avantage parler de lui dans les médias plutôt que d’organiser discrètement et efficacement les vrais grands succès de la DGSI en coopérations avec les services alliés occidentaux dans la vraie lutte globale contre les espions russes très agressifs et omniprésents en France et dans le monde.
Voilà, maintenant vous savez tout !
C’était « L’avis d’un espion » présenté par Sergueï Jirnov
Je vous remercie de votre attention et je vous dit : à bientôt, pour décortiquer, analyser et comprendre une affaire suivante.
Paris, 1ier Septembre 2020


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