« Ils sont tous partis…je suis le seul à être resté vivre ici »

Feb 19, 2011 00:16


Aujourd’hui j’ai été en banlieue acheter quelques fournitures pour l’appartement. Mon objectif : le Castorama.

Ça n’a pas l’air très loin du métro « Avenue des Bolcheviques ». Il est midi, dehors il fait

- 17° C d’après la télévision (presque toutes les chaînes russes affichent, dans un coin en bas de l’écran, la température en temps réel), avec du vent…j’enfile un sous-pull supplémentaire, ainsi que la touloupe de mouton que m’a prêtée le père d’Elena. Je prends aussi des gants de ski, ainsi que des pâtes de fruits de France, ou cas où…

Me voilà parti. Arrivé au métro, paysage habituel de banlieue russe : de grandes barres d’immeubles, toutes les mêmes, posées autour d’un large boulevard, avec un climatiseur à chaque fenêtre. Une église orthodoxe à bulbes bleus se trouve là, comme jetée par erreur au milieu des immeubles soviétiques.

Le long du boulevard, quelques marchroutkas (« taxi collectif à itinéraire fixe », des minibus qui attendent d’être pleins de voyageurs pour partir). J’essaie de comprendre leur itinéraire sur un plan, mais avec les gants de ski ce n’est pas facile. Sur aucunes d’elles je ne vois affichée la rue où se trouvent le Castorama.

Comme j’aime marcher, je me dis que je vais y aller à pied…Je m’engage sur le mince chemin ouvert entre les murailles de neige. Il fait froid, très froid…Au bout de quelques minutes je ne sens plus mes doigts, pourtant protégé par des gants de ski. Le froid devient insupportable, et je comprends vite mon erreur. Vite, entre dans un magasin!  N’importe où ! Bon finalement c’est un Leroy-Merlin, ça tombe à pic.

J’en profite pour acheter une petite fleur dans un pot.

En ressortant je cherche rapidement une marchroukta qui va au métro ; me voyant hésiter, un homme me montre dans laquelle il faut monter. En chemin il engage la conversation ; il est inquiet pour la pauvre fleur, le froid va lui être fatal !

Et soudain la question « Mais vous êtes d’où ? » tombe. « France ! »  Etonnement. Puis il me raconte que presque toute sa famille habite à l’étranger : une fille à Paris, une en Espagne, sa soeur aux Etats-Unis.

« Je suis le seul à être resté ici ! Faut dire, la vie est difficile ici ! »

Ces histoires de familles russes dont la moitié est partie vivre à l’étranger, je les ai déjà entendues dix fois… Mais celle-là me fait réfléchir. Quel avenir pour un pays dans lequel toute la jeune génération émigre en Europe ou aux USA ? La Russie courrait-t-elle vers sa perte ? Pourquoi tant de Russes veulent-ils fuir leur pays ? À  cause du climat ? Cela ne peut pas être la seule raison. A cause de l’état désastreux des hôpitaux ? (je ne le sais que d’après ce que m’en a dit l’oncle Léonid)
Ou peut-être à cause de ce côté brutal et impitoyable qu’on ces immenses avenues sans arbres, ces stations de métro trop vastes? Ici l’individu lui-même semble écrasé par l’ensemble, par le système, par l’administration qui l’ignore ; sans doute le lourd héritage soviétique. Je n’en sais pas encore assez pour l’instant, mais je comprendrai peut-être un jour!

Dans le métro, je transporte avec précaution la fleur dans son pot, malheureusement le froid l’a déjà presque tuée. Tout le monde me regarde d’un air attendri ; dans l’escalator, une dame me donne même quelques conseils pour la soigner. Malgré la dureté du climat, les gens ont du cœur ici!  Cette chaleur, cette sollicitude qu’on finit par trouver sous la couche de glace et de fatalisme qui recouvre le pays.

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