Mar 17, 2009 13:51
En avril 2008, j'ai pris une énorme claque en découvrant Atonement d'Ian McEwan. Jusque-là fâchée avec la littérature contemporaine que je trouve tout sauf sensible et subtile, j'ai été forcée de reconnaître que ce roman fait exception à la règle. Je me suis laissée emporter par le style riche et à la limite de l'étouffement de McEwan, à l'image de la longue journée de canicule de 1935 qu'il décrit dans la première de son roman. J'ai été fascinée par la complexité de l'intrigue, par le final dont la clé est bien cachée au détour d'une phrase d'apparence insignifiante.
J'étais donc très tentée de lire un autre roman. On Chesil Beach semblait parfait. Pendant les années 60, avant la révolution sexuelle, Edward et Florence, jeunes mariés, inexpérimentés, abordent leur nuit de noces de manière radicalement différente. Lui, bien que stressé, a des attentes très élevées tandis que Florence est paniquée et rebutée par tout contact physique.
J'ai passé une bonne partie de ma lecture à me demander où leurs incompréhensions mutuelles les menaient. Néanmoins, mon côté romantique était persuadé qu'ils en viendraient à bout. Je suis donc tombée de haut en arrivant aux dernières pages. Ils étaient à si près de se comprendre malgré un fossé apparemment infranchissable. Du haut de notre vision de lecteurs du 21e siècle dans une société bien différente où la sexualité est bien moins fantasmée et taboue, on se doute que les peurs de Florence pourraient disparaître rapidement si Edward s'y prenait avec plus de douceur et de patience. Mais on sent qu'on atteint un point de non-retour quand elle lui propose un mariage blanc.
Ce que je trouve extrêment bien fait, outre la peinture de leurs sentiments et de leurs pensées respectives, c'est la description de leurs histoires personnelles respectives. Cela illustre vraiment comment ils ont été amenés à penser et réagir ainsi le soir de leur nuit de noces. Notamment pour Florence qu'on devine plus passionnée par la musique et donc par l'immatériel que par l'amour physique. Pour elle, et je crois qu'elle le dit à un moment, ce qui compte ce n'est pas tant l'union des corps que celle des âmes.
Néanmoins, je ne peux pas m'empêcher d'éprouver un sentiment de "If only". Leur dispute finale est violente. On sait qu'ils étaient à deux doigts de s'en sortir et d'avoir une vie heureuse ensemble et ils gâchent tout parce qu'ils n'arrivent pas à parler le même langage. Edward est trop furieux pour suivre Florence quand elle retourne à l'hôtel et elle est trop paniquée et déçue pour l'attendre à l'hôtel avant de partir. J'aurais aimé avoir plus d'informations sur son destin à elle. Savoir si elle a finalement vaincu sa peur en rencontrant quelqu'un d'autre qui aurait su mieux s'y prendre pour lui donner confiance.
En tout cas, ce texte est un petit bijou de subtilité. Le style (j'ai lu en VO) est très élégant et précis à la fois. J'ai aimé l'alternance des points de vue et des flashbacks. Tout s'enchaîne très bien, sans aucune impression d'incohérence. Au contraire tout se tient et on a vraiment un tableau complet à la fin. On en vient à détester le poids de la société qui a pesé trop fort sur ces deux jeunes gens qui auraient pu connapitre le bonheur si facilement. Edward le dit à un moment : "on pourrait être heureux si factilement, mais non, tu gâches tout parce que tu réfléchis trop".
Ce huis-clos laisse un sentiment de mélancolie et de regret. Et en même temps, je me suis totalement reconnue dans certaines attitudes et réactions de Florence. Et c'est en cela que j'admire McEwan. Déjà dans Atonement, les émois de Cecilia étaient dépeints avec une grande finesse, à tel point qu'on se demande comment un écrivain, un homme, aussi brillant soit-il, a pu percer la personnalité et la psychologie féminine de manière si juste. La scène des préliminaires (vite avortés) est précise mais pas crue pour autant. J'ai retrouvé la même écriture fine et élégante qu'avec la scène de la bibliothèque, où les mots s'effacent juste au bon moment pour laisser notre imagination prendre le relais. A mon sens, c'est une qualité essentielle pour faire d'un texte une oeuvre d'art.
reading - 21th century