Et enfin, tadaaa!
Le ciel était aussi clair qu’en plein jour, de ce bleu éclatant d’été, et les grondements étaient si puissants qu’on ne pouvait même plus s’entendre penser. Daisuke ouvrit la bouche et dit quelque chose que Ken près de lui n’entendit pas. Tous regardaient leurs Digivices qui brillaient de la même couleur de l’onde, ce qui faisait qu’on ne distinguait plus rien. Iori, le visage si pâle qu’on aurait pu croire qu’on l’avait vidé de son sang, ouvrit son téléphone portable. C’était un geste comme un autre, un pur réflexe mais quelque chose l’intrigua.
1 nouveau message.
Il se demanda bêtement si la fin du monde permettait encore de recevoir des messages sur un téléphone portable puis se frappa mentalement. Il ouvrit le message, tentant d’oublier la terreur qui lui dévorait la poitrine. C’était de…
J’arrive.
Il dut faire une tête bizarre car Miyako se tourna vers lui, surprise.
- Qu… ? lança-t-elle dans le grondement.
Il voulut répondre mais quand les mots sortirent de sa bouche, une impression nouvelle le submergea. Le sifflement s’estompait lentement, comme si quelqu’un avait baissé le son d’une immense radio. Il vit autour de lui les visages de ses amis perdre cette expression d’atroce douleur.
- Mais qu’est-ce que…
Dans le ciel bleu et lumineux, tous virent une ombre apparaître, vivement, avant de disparaître.
- De l’or ? fit une fille de la foule, à la fois apeurée et émerveillée.
Tout se déroula si vite qu’il fallut aux Digisauveurs plusieurs minutes avant de tout comprendre. Il y eut juste au-dessus d’eux une autre ombre, bien plus menaçante, d’un bleu d’encre qui s’étira lentement, presque paresseusement, telles les branches d’un arbre. L’air se fit plus rare, et plus sec, comme chargé de…
- Sable, murmura Hikari, les yeux écarquillés.
La toile d’encre bleue progressait, devenait plus grande encore, recouvrant le bleu vif et douloureux de l’onde, la dévorait même. Le sifflement, s’il s’était fait plus faible, avait pris une intonation plus dangereuse, semblable à un cri suraigu venant d’ailleurs. On aurait dit que mille personnes hurlaient en même temps. Taichi serra si fort son Digivice dans sa paume qu’il crut en laisser une marque. L’objet était brûlant entre ses doigts.
Et de nouveau, l’ombre aux éclats dorés apparut dans un bruissement d’ailes métalliques. Il y eut une lueur et une voix perça à travers le bruit ambiant.
- Rapid Fire !
Dans le ciel, deux jets de fumée tracèrent des lignes jusqu’au cœur de la toile, et d’un coup, deux explosions créèrent un vide autour du bleu lumineux. Le hurlement sauvage diminua, devint presque un pleur et enfin le sifflement s’estompa.
- Le Sable ! cria Jyou en tendant le bras vers les éclats dorés.
Les branches d’un bleu d’encre refirent un trajet inverse dans l’espace, se reformèrent en une simple tache qui enfin, dans un grognement de bête, disparut. Lentement, comme la dernière fois, l’onde bleue s’atténua. Le ciel reprit sa teinte de nuit, son noir presque apaisant. Taichi sentit son Digivice redevenir froid, et quand il le regarda, la lumière bleue n’y était plus.
Il y eut un frémissement dans l’air, et l’ombre revint, furtivement. Daisuke cligna des yeux et reconnut la lueur dorée en émanant. Cette silhouette métallique…
- C’est Rapidmon ! s’exclama-t-il, fou de soulagement.
Iori, abasourdi, lâcha son portable. Il avait sur le visage une expression si vive de bonheur que Ken en le regardant faillit rire.
- Mais alors…, commença Miyako.
- C’est…
- Wallace ! finit Iori, se mettant à courir à travers la foule qui ne cessait plus de parler, encore terrorisée par le phénomène.
- Iori, attends ! dit Daisuke en tentant de le rejoindre.
Ken le prit par le bras, arrêtant son mouvement. A présent, il riait vraiment, même si une partie de lui éprouvait encore cette méfiance silencieuse envers le jeune garçon.
- Laisse-le, il revient.
Yamato qui s’était baissé pour ramasser le portable d’Iori, secoua doucement la tête en souriant. Son regard croisa celui de Sora, puis celui de Taichi. Il eut un soupir.
- J’ai rien compris à ce qu’il se passait, avoua-t-il finalement.
- Wallace saura peut-être, répondit Koushiro, tentant de se faire plus grand pour voir où se trouvait Iori.
Le jeune garçon, le souffle coupé par l’adrénaline, cherchait des yeux son ami à travers les personnes qui ne cessaient de lui lancer des regards anxieux. Ce Digimon, tout doré, c’était Rapidmon, il le reconnaissait à présent, l’entendit même passer une seconde au-dessus de sa tête.
- Oh, Iori ! fit une voix familière non loin de lui.
Le cœur battant, il se retourna et vit son ami courir vers lui. Il semblait très fatigué, et son front était couvert d’une sueur froide. Iori comprit que Wallace avait été aussi apeuré que lui, et cela le soulagea, en quelque sorte. Il portait une veste doublée, trop grande pour lui.
- Enfin, je te retrouve !
Il tendit son portable à son ami.
- Tu as reçu mon message ? demanda-t-il en souriant.
- Oui, juste avant que tu ne fasses ton entrée, répondit Iori, riant nerveusement à présent, les nerfs complètement relâchés. Même une victoire de kendo ne l’avait apporté cette sensation de bien-être.
Il y eut un nouveau frémissement dans l’air. Wallace leva les yeux et aperçut Rapidmon, et son amure métallique. De la fumée sortait encore des canons qu’il avait aux bras.
- Il veut toujours épater la galerie, celui-là, dit-il d’un ton narquois.
Il prit son Digivice et le regarda attentivement. Il émettait un signal lumineux doré, mais apparemment inoffensif. Fronçant les sourcils, il le remit dans la poche de sa veste.
- C’est à mon père, dit-il devant le regard curieux de Iori qui dévisageait les manches beaucoup trop longues. Je suis parti en toute urgence et j’ai pris tout ce que je pouvais. Il fait très froid, au Japon.
- Mais… quand et comme… comment tu as… et Terriermon ? bafouilla Iori, encore sous le choc.
Le visage de Wallace devint plus grave, dévoilant sous le sourire désinvolte la face du génie. Il remit correctement son écharpe autour de son cou -tricotée à la main, sûrement par un membre de sa famille, nota Iori machinalement- avant de se diriger vers le groupe de Digisauveurs qu’il apercevait plus loin. Autour d’eux, la foule grossissait, tandis que des badauds se mêlaient aux victimes qui racontaient tout ce qu’elles avaient vu. Iori vit même des journalistes se préparer pour un direct, mettant en place leur micro et la caméra.
- Vous voilà enfin, s’écria Hikari, soulagée.
- Wallace…, lança Koushiro, étonné.
Le jeune américain eut un nouveau sourire, mais plus sombre, teinté d’inquiétude.
- Je suis venu aussi vite que j’ai pu. Je n’ai pas beaucoup d’informations à te donner, et comme tu devais être le premier à les connaître…
Le regard de Taichi se fit dur, implacable. Daisuke vit alors sa posture se faire plus raide et attentive, comme si les réflexes de l’ancien leader n’avaient pas disparu complètement. Les poings sur les hanches, Jyou surveillait les gens autour d’eux.
- Ce que vous avez vu est vivant, et mort à la fois, expliqua enfin Wallace après un temps de silence.
- Vivant et mort ? répéta Koushiro, fronçant les sourcils.
- Décrire tout ça serait trop long et compliqué, ça requiert trop de calculs et on n’a pas le temps. Il faut juste que vous compreniez que l’onde bleue n’est pas seulement de la lumière : c’est un corps. Un corps malsain qui a besoin de puissance.
Sora pâlit.
- C’était donc ça ce sifflement…, murmura-t-elle en baissant la tête.
- Oui, approuva Wallace, très sérieux. Sa consistance est encore inconnue, ce…
- Sable, fit Ken pour aider Wallace.
- Sable, oui, est très dangereux. Et nous sommes particulièrement visés, nous les Digisauveurs.
Taichi, qui était resté silencieux jusque là, fixa intensément le jeune américain. Il sembla à Yamato retrouver sur son visage une expression ancienne, presque rassurante, trahissant la réflexion de son meilleur ami.
- Ce truc… veut nous bouffer, c’est ça ?
Il y eut un silence pesant. Wallace déglutit sa salive, très embarrassé.
- Oui. En quelque sorte.
Hikari émit un bruit ressemblant à un mélange de gémissement et de soupir. Takeru, sans mot, la prit par l’épaule pour la serrer tendrement contre lui, dans un effort vain de la réconforter. Ce n’était pas un désespoir, ni même une peur panique qui s’était emparée du groupe d’adolescents. Si leurs Digimons avaient été présents, la menace les aurait effrayé, comme toujours. Sans leurs compagnons, ils perdaient leur unique défense, leur unique moyen de parer quelque chose qu’ils ne comprenaient pas mais « ressentaient ». Le hurlement de bête dans le ciel recouvert par l’onde, le Sable leur revinrent en mémoire.
- On va devoir faire quelque chose, annonça enfin Taichi d’une voix forte, le poing serré.
- Mais quoi ? soupira Jyou. Nous n’avons plus aucun moyen de communiquer avec…
- J’ai réussi à contacter Tentomon, une seule fois, répliqua Wallace. D’après ce que j’ai pu comprendre, leurs points de connexion sont éparpillés dans le Digimon, et en nombre insuffisant. Chaque contact avec notre monde provoque la destruction du point de connexion utilisé.
Koushiro, abasourdi, attrapa Wallace par le bras.
- Te… Tentomon ! Tu as réussi à le contacter ?
- Je… Oui, une seule fois. Par chance seulement. Terriermon a su trouvé une faille dans les connexions, sans que je comprenne vraiment comment. Il a pu avoir Tentomon en communication pendant deux minutes, pas plus.
Il posa sa main sur le poignet de Koushiro qui le tenait toujours, et y mit une pression rassurante mais ferme, lui demandant implicitement de le lâcher. Koushiro semblait perdu, ailleurs.
- J’ai vraiment eu de la chance, on va dire, et je ne pense pas que ça se reproduira. Si nous devons avoir un contact, ce sont les Digimons qui s’en occuperont. Pas nous. Nous sommes…
- Impuissants, conclut gravement Jyou.
Yamato détourna les yeux, les bras croisés. Takeru, impassible, l’observa, ne sachant que faire.
- Tai… Taichi…
Tout le monde sursauta.
- Cette voix…, fit Taichi, stupéfait.
- Elle vient de… ma poche ? s’exclama Takeru.
Hikari, songeuse, vit son petit ami fouiller dans son manteau et attraper son appareil photo numérique, le tendant au-dessus de sa tête. Une image bleutée était apparue et à la place de l’objectif, ce fut Agumon qui leur fit face, très angoissé.
- Taichi…
- Agumon ! Takeru, pousse-toi !
Sans perdre un instant, il arracha des mains de son ami l’appareil photo et le regarda si intensément qu’on aurait pu croire qu’il tentait d’y rentrer par la force de son esprit. Le Digimon parlait, et Taichi n’entendait rien.
- Ag… Agumon !
- Vous… faites pas…, parvint à dire le Digimon après quelques difficultés.
- Comment a-t-il pu arriver ici ? demanda Koushiro à Wallace qui secoua la tête, n’y comprenant rien lui-même.
- Tai… écoute… écoute-moi ! Ne vous en faites pas !
La communication semblait enfin rétablie mais Taichi n’était pas rassuré pour autant. Il dévisageait la petite silhouette de son compagnon, évitant d’écraser l’écran de ses pouces.
- Quelqu’un a empêché le Sable de s’en prendre à vous.
- Oui, Wallace. Continue, s’il te plaît.
- Le Sable a été maintenu, et ça l’a surpris. Maintenant, il n’osera plus vous attaquer ici, dans votre monde.
Il y eut dans les yeux d’Agumon une lueur de désespoir résigné. Taichi sentit une sueur froide couler le long de son dos. Quand il répondit, sa bouche était sèche.
- Alors il va s’en prendre au Digimonde, c’est ça ?
- Pas… ment…
La communication recommençait à être hasardeuse.
« Nom de Dieu, pas ça ! », pensa Taichi, les pupilles dilatées par la peur. « Reste, Agumon, reste ! »
- S’il détruit le Digimonde… plus là… Taichi, je… Vous en faites pas pour nous, vous… bientôt, on vous appellera…
Et avec un bip, l’appareil photo s’éteignit, laissant Taichi désemparé. Ses mains étaient moites et froides à la fois. Il avait mal à la tête soudainement et quand il sentit qu’il perdait l’équilibre, Yamato le rattrapa, le tenant bien debout. Taichi sentit son parfum, moins fort qu’auparavant, mais cela, quelque part, le remit vraiment sur pieds.
- Agumon…, chuchota-t-il, cachant son visage de sa main.
Surtout ne pas pleurer. Surtout ne pas pleurer, ou les autres pleureraient à leur tour. Inspirant profondément, Taichi se tourna vers le groupe qui, guidé par une sorte de vieux réflexe, le fixait, attendant une décision. Il eut l’impression de se retrouver trois ans dans le passé, et il crut sentir l’odeur du Digimonde sur eux.
Lorsqu’il ouvrit la bouche pour annoncer ce qu’il comptait faire, Jyou fit volte-face.
- Faut partir, les médias nous cherchent !
- Hein ? fit bêtement Daisuke.
- Les voilà ! lança une voix à travers la foule. S’il vous plaît, attendez, nous avons des questions…
- C’est pas vrai, lança Yamato, exaspéré. Quand est-ce qu’on va nous foutre la paix ?
- On se sépare ! s’écria Ken, amorçant un geste pour s’éclipser. Daisuke, avec moi !
Déjà les journalistes couraient et bousculaient les gens autour d’eux pour arriver à les atteindre. Dans la cohue, Taichi attrapa la main de Yamato et l’entraîna à son tour. Les autres Digisauveurs se dispersèrent aussi vite qu’ils purent. Une fille cria lorsqu’ils s’enfuirent et ils rirent tous, brisant ainsi la tension pour un temps.
Tout était encore à faire.
- Agumon, enfin ! s’exclama Tentomon. Nos ressources ne sont pas infinies.
Le Digimon se tourna vers son ami qui eut un mouvement de recul. Les yeux verts d’Agumon étaient durs, sauvages, reflétant une colère noire.
- C’est parce ces ressources qu’on a réussi à sauver nos amis, grogna-t-il, et dans la faible lueur de l’onde ses crocs parurent davantage menaçants. Alors, arrête de t’énerver.
- Ca suffit, fit soudainement Gomamon le plus calmement possible. Tentomon, cesse de décourager ceux qui veulent aider nos amis. Et toi, Agumon, arrête de t’en prendre aux autres. Ce n’est pas comme ça qu’on arrêtera le Sable.
Il y eut un grondement dans le lointain. Un grondement semblable aux sanglots d’une immense créature. Gomamon se détourna des autres Digimons et plongeant dans le peu d’eau qui lui restait, il pleura.
Iori fut tiré de ses pensées par le contact chaud et métallique que lui posa Wallace sur le front.
- Tiens, chocolat, dit-il en souriant.
- Ah… merci…
Il n’en avait pas forcément envie mais ses poumons étaient glacés dans sa poitrine, comme si courir pendant une dizaine de minutes à travers les rues d’Odaiba avait remplacé l’air qu’il respirait par des minuscules morceaux de glace. Assis près du pont, sur un banc, il regarda Wallace se tenir à la barre et fixer le bateau qui passait lentement, à travers les lumières dorées de la ville en pleine nuit. Terriermon s’amusait à voleter non loin d’eux, savourant son beignet à la praline. Derrière Iori, les gens continuaient de vivre, les voitures circulaient, les magasins étaient toujours allumés, et lentement l’horreur de l’onde bleue s’estompait dans les mémoires. Mais pourquoi combien de temps ?
Il but une gorgée de sa cannette de chocolat chaud. C’était bon, finalement. Ce ne fut qu’à cet instant qu’il se rappela que Yamato avait toujours son portable et il grimaça. Dès le lendemain il l’appellerait chez lui pour le lui demander.
Wallace se détourna du pont et tenant son café dans une main, il regarda Iori avec un sourire particulier, ce mélange de satisfaction et d’intérêt que pour la première fois le jeune garçon voyait réellement.
- Tu m’as surpris, avoua Iori d’une voix fatiguée. Je n’aurai jamais cru que…
- Je ferais le voyage ? compléta Wallace en riant. Si.
Il baissa la tête, et dans l’ombre, la lumière dorée des lampadaires fit des dessins sur son visage. Il semblait d’un coup plus âgé.
- Je ne voulais pas qu’il arrive quelque chose. Qu’il arrive quelque chose avant que…
- Que tu… ?
Wallace but une gorgée de sa cannette, avant de la regarder comme s’il se rendait compte de ce qu’il avait vraiment ingurgité. Lentement, il s’avança vers Iori, ses mains se perdant dans les manches trop longues de son manteau, et son écharpe épaisse lui cachant un peu la bouche. Ses yeux bleus n’avaient plus de couleur dans le noir, pensa un peu bêtement Iori, presque fasciné. Wallace sourit encore et après avoir jeté un rapide coup d’œil autour de lui, se pencha et embrassa doucement Iori.
C’était un baiser particulier, sur le coin de la bouche, et Iori sentit l’odeur du café que Wallace venait de boire, la chaleur de la boisson qui avait réchauffé son souffle et d’un coup il comprit ce qu’il se passait. L’image de Miyako, un instant, flotta dans sa tête puis disparut dans un bruissement. Les lèvres de Wallace sourirent contre les siennes et aussi doucement qu’il s’était approché, le jeune américain s’éloigna.
Iori réalisa que sa bouche était entrouverte et il la referma aussitôt. Wallace eut un rire un peu nerveux, comme désolé.
- J’avais… J’avais envie de le faire depuis la soirée…
Il s’assit à côté de Iori, tenant toujours dans une main sa cannette, et l’autre mise dans la poche du manteau de son père.
- Wallace, je…
- Non, ne dis rien, c’est pas grave.
Il se tourna vers Iori et eut un nouveau sourire désinvolte.
- On est que des mômes, après tout.
Iori voulut ajouter autre chose et réalisa que ce n’était plus utile. Ses poumons s’étaient comme réchauffés depuis que Wallace l’avait embrassé, et sans trop savoir pourquoi, il ressentit un soulagement sur la plaie que Miyako avait laissé. Ce n’était pas grand-chose, juste un soupçon de baume mais quand il regarda à nouveau le jeune garçon à côté de lui qui secouait sa cannette pour voir s’il restait encore du café, il sourit.
Il n’y avait rien encore de spécial dans son sourire, mais c’était un début.
- Tu continueras de chatter avec moi ?demanda-t-il enfin.
Surpris, Wallace ne dit rien. Quand il répondit, il cacha son sourire sous son écharpe tricotée main.
- Toujours.
Ils entendirent un bateau passer.
Yamato ne put réprimer le frisson qui le parcourut alors de la tête aux pieds. Le froid lui faisait tellement mal malgré sa course qu’il ne sentait plus l’extrémité de ses mains. Taichi, le souffle encore haletant par l’effort, le regarda puis retira son grand manteau bleu qu’il tendit à son ami.
- Prends-le et arrête de claquer des dents, fillette, dit-il en cachant le sourire qui flottait sur ses lèvres.
Yamato hésita une seconde puis mettant de côté sa fierté prit ce que Taichi lui donnait. Le manteau était épais, et portait encore la chaleur du corps précédent. Il vit que son ami le regardait bizarrement.
- Quoi ?
- Mes habits te vont vraiment pas, déclara Taichi avant de reprendre un pas plus tranquille.
- Ah, tais-toi, soupira Yamato, levant les yeux au ciel.
Taichi pouffa finalement de rire, ce qui lui valut un coup de coude dans les côtes. Il se tut, fixant le sol. Il n’avait pas encore froid. La rue qu’ils traversaient était déserte à cette heure-là, et lentement, ils se rapprochèrent l’un de l’autre. Juste ce qu’il fallait.
- Ta chanson, dit enfin Taichi.
Les épaules de Yamato se tendirent.
- Merci, Yamato.
Le jeune garçon regarda son ami et secoua la tête.
- Ce n’est pas vraiment pour toi, c’est aussi pour moi.
Et avant que Taichi ne puisse répliquer, il ouvrit les pans du manteau et les enroula comme il put autour de son ami, partageant sa chaleur. Taichi réalisa qu’ils devaient être dans une position ridicule mais il s’en ficha complètement. Yamato posa son front contre son épaule, les yeux clos.
- J’avais besoin de le faire. Je le pense vraiment… Taichi ?
- Hum ?
Yamato hésita une seconde puis s’éloignant de son ami, baissa les yeux. Il avait cette expression vulnérable, réelle, la même qu’il avait eu lorsque Taichi l’avait embrassé quelques semaines plus tôt et réveillé ce quelque chose enfoui en lui. Dans la lumière jaune de la nuit, il crut voir un scintillement qui lui rappela le soleil.
- Tu crois…que ça marchera pour nous ?
Silence.
Taichi dut faire une tête inquiétante car les yeux de Yamato s’assombrirent, comme s’il se sentait blessé.
- Je n’aurai pas dû poser cette question, désolé, fit-il sèchement en reprenant sa marche.
- Non, je… attends, attends ! bégaya Taichi qui venait de reprendre ses esprits. Pars pas !
Yamato lui tournait toujours le dos mais s’était arrêté, les mains dans les poches du manteau qu’on lui avait passé. La respiration de Taichi était précipitée, son cœur battait si fort qu’il se demanda si Yamato ne l’entendait pas. Et il réalisa qu’il était parcouru par une vague de bonheur brut, ce bonheur qu’il avait éprouvé à l’instant même où Yamato avait avoué qu’il voulait être avec lui. La gorge serrée, il dut reprendre son souffle.
- Je… Excuse-moi… Je… Je m’attendais pas à ça, je…
- Tu… ?
Et Taichi entendit son sourire dans sa voix.
« Espèce de sadique ! »
- Je… Ca me fait… vraiment plaisir, finit-il lamentablement, mortifié. Oui, je… j’ai envie que ça marche parce que je…
Yamato lui fit enfin face, et son sourire s’élargit en un mélange de victoire narquoise et d’une tendresse contenue.
- Tu ? répéta-t-il, mimant quelque chose.
Ils se regardèrent encore un instant puis poussant un râle d’exaspération, Taichi s’avança à toute allure vers Yamato.
- Enfoiré, va, gronda-t-il en attrapant son ami par son T-shirt puis l’embrassant de toutes ses forces.
Yamato rit à travers le baiser et l’insulta en retour, le serrant contre lui. Leurs baisers réchauffaient leurs lèvres, et une chaleur s’épanouit de nouveau en eux, ce mélange de quelque chose, et de ce sentiment qui avait effacé les limites de leur amitié. Taichi prit le visage de Yamato entre ses mains froides et le regarda en souriant.
- Tu sais très bien ce que je veux dire.
- J’aime bien l’entendre, rétorqua Yamato.
Il se pencha et embrassa une nouvelle fois Taichi, plus doucement. Ses lèvres avaient le goût de l’eau, encore, et enfin ce goût était seulement pour Taichi. Il eut le souvenir de son ami près de la fenêtre puis il secoua la tête. Peu importaient ses regrets, maintenant.
Il murmura quelque chose à Yamato qui eut un nouveau sourire. En rentrant, Taichi lui effleura le poignet.
Cela leur suffit.
- Je sais qui c’est, avoua Jyou quand Koushiro ouvrit la porte de son immeuble.
Le jeune garçon s’arrêta, et Jyou vit sur son visage toutes les questions qu’il posait à la vitesse de l’éclair. La phrase rentra progressivement dans son esprit et lorsqu’il saisit enfin ce qu’elle impliquait, Koushiro devint d’une pâleur monstrueuse.
- Tu… quoi ?
- Le garçon que tu aimes, je sais qui c’est, déclara Jyou d’une voix ferme.
Koushiro resta muet, et ses mains commencèrent à jouer avec les clés qu’il tenait. Jyou y vit alors le porte-clés que Yamato lui avait offert pour ses quatorze ans et cela lui fit un peu mal. Une petite guitare en plastique qui se balançait au rythme des mouvements des doigts de Koushiro.
Koushiro voulut dire quelque chose mais il s’étrangla et, d’un coup, il sembla si honteux que Jyou se sentit fautif.
- Co… Comment tu as… ?
- J’ai deviné avec la photo. Celle d’il y a trois ans.
L’expression de honte de Koushiro se changea en un vrai désespoir. Ses lèvres tremblèrent et désemparé, il se détourna du regard de son ami. Il n’avait plus l’air de tenir très bien sur ses jambes mais il tenta malgré tout de se contenir.
- C’est… hem… C’est très gênant pour moi, dit-il enfin en se passant une main sur la nuque. Je… Oh c’est pas vrai…
Décontenancé, Jyou posa une main sur son épaule.
- Ne t’en fais pas. Je suis le seul à avoir compris. Je le dirai à personne, c’est promis.
- C’est pas ça, Jyou, rétorqua Koushiro en repoussant son ami. C’est pas le fait que tu aies compris que j’étais amoureux de Yamato, non…
Il soupira.
- C’est que tu as toi aussi compris que c’était sans espoir. Enfin, je crois…
Il se tut et un étrange sourire apparut sur ses lèvres. Un sourire où tout ne semblait pas être joué. Il regarda Jyou et lui fit un signe de la main avant de refermer la porte de l’immeuble.
Resté seul, Jyou dénoua les muscles tendus de son cou. Quand il souffla, il eut l’impression d’expulser quelque chose du fond de son corps, sans savoir trop ce que c’était vraiment.
Sora raccrocha son téléphone portable après avoir rassuré Mimi. Assise sur son lit, fixant la ville, par la fenêtre, elle se mordit un doigt. La douleur lui rappela la réalité.
« Yamato… »
Elle ferma les yeux au moment où une faible lueur d’un bleu éclatant perça le ciel. Sa dernière pensée avant de s’endormir fut qu’il n’y avait plus de lumière rouge.
FIN DE LA PREMIERE PARTIE.