Voilà la suite, avec la partie la plus importante du chapitre.
- Taichi… Taichi !
Perdu dans ses pensées, Taichi sursauta et fit face à l’expression anxieuse de Sora qui lui avait pris le bras.
- Ca va ?
- Oh, oui, oui, répondit vivement Taichi en lui souriant. J’étais… ailleurs…
Sora soupira.
- J’y pense aussi, tu sais. Biyomon… et les autres…
Elle tenta de lui sourire, mais n’y parvint pas.
- Elle me manque, Biyomon. C’est pareil pour toi, hein ?
Taichi ne répondit pas mais son silence suffit à son amie qui serra davantage ses mains autour de son bras, dans un mouvement pressant, réconfortant. Il lui semblait qu’il s’agissait d’une vieille réminiscence, du temps où ils étaient ensemble, et amoureux. Taichi se rendit compte que ce contact, si doux, lui avait manqué, d’une certaine manière, et cela lui fit une sensation semblable à une nausée.
Il y avait déjà énormément de monde, et il devenait difficile pour eux d’avancer pour s’installer. De toute évidence, les ventes des billets avaient très bien marché pour les Teenage Wolves. Des groupes de fille se parlaient en riant fort, habillées de leur uniforme scolaire. Taichi les reconnut vaguement, les ayant déjà vues à d’autres concerts. Il regarda l’entrée de la salle, et se rappela que plusieurs semaines auparavant, il y était entré tout seul et que Sora l’avait rejoint, les bras vides de ses gâteaux. Il régnait parmi le public une atmosphère électrique, et paradoxalement détendue. Tout le monde se connaissait, et les quelques fans hystériques se tenaient dans leur coin, préparant leur banderole. Taichi sourit en voyant que la grande sœur de Daisuke, Jun, n’était pas parmi elles.
Sora qui avait pris son téléphone portable, raccrocha en fronçant les sourcils.
- Koushiro et Takeru sont arrivés, ils ont rejoint le groupe juste devant. Une place de choix.
- Tu es au courant pour Mimi ? demanda Taichi en répondant au message que sa sœur lui avait envoyé.
- Plus de peur que de mal, répondit Sora en le tirant par son bras libre, le forçant à avancer malgré la foule qui commençait à s’impatienter. Ca devient bizarre, Taichi. Très bizarre.
- Oui. Trop bizarre. Je ne comprends pas l’idée du Sable.
Il l’avait dit avec une intonation particulière, comme s’il mettait au mot une majuscule.
- Et l’onde…
Sora le coupa en faisant un mouvement de la main.
- Oublions pour ce soir.
Son ton avait été si dur et froid que Taichi ne préféra pas insister. Déjà ils avaient traversé les grandes portes et la salle, plus grande que dans ses souvenirs, était quasiment remplie. Il vit les aménagements sur les murs, et les travaux depuis la dernière attaque.
« Je me demande si le propriétaire est maso pour tenter de faire un concert dans un endroit pareil… »
Il vit, tout devant, le grand bras de Jyou lui faire signe. Tout le monde était là, déjà installé. Hikari, en regardant son frère, remit son portable dans la poche de son manteau. Ils souriaient tous, mais il y avait toujours ce sentiment de solitude, qu’ils tentaient de combler. Aucun d’eux ne fit de commentaires au sujet de Yamato et de Sora, même si Taichi aperçut Miyako prendre de façon amicale la main de Sora, et lui parler.
- Il t’a répondu ? demanda Takeru à Iori qui continuait de vérifier ses mails.
- Non, répondit le jeune garçon d’un air boudeur. Plus depuis deux, trois jours.
- Qui ? fit Miyako, curieuse.
- Wallace, lança Ken en haussant les épaules.
- Vous êtes devenus drôlement proches, tous les deux, ajouta Daisuke avec un rictus, passant un bras sur les épaules de Iori.
Iori secoua la tête mais ne put empêcher son visage de s’empourprer. Il cacha sa gêne en renvoyant un autre mail à Wallace. Daisuke ricana puis se tourna vers Taichi.
- J’ai pas vu Jun, dit-il, étonné.
- Je pense qu’elle a décroché, depuis le temps, dit Jyou sur un ton contrôlé.
Il n’ajouta rien, mais ses yeux brillèrent derrière ses lunettes. Tout le monde se rappelait de son fou rire mémorable lorsque Daisuke lui avait avoué que sa sœur en pinçait pour son frère aîné. Il avait tellement ri qu’il avait été incapable de reprendre son souffle et que Gomamon avait dû lui lancer un coup de patte. Koushiro toussa pour cacher le propre rire qui commençait à le gagner et il se tourna vers la scène.
- Le synthé et la batterie sont déjà installés.
- Ils en mettent du temps quand même, ronchonna Miyako.
- Que veux-tu, ce sont des staaaaaaaars après tout, répliqua Daisuke en prenant une pose ridicule, ce qui fit rire Ken.
Taichi allait lancer quelque chose de narquois à Daisuke lorsqu’il vit, sur la scène, sur sa gauche, un bout du bras de Yamato qui parlait avec Yuu dans les coulisses. Quelque chose se bloqua dans sa gorge, mais il resta naturel. Il était le seul à l’avoir vu, de là où il se trouvait. Sora, tournant le dos à la scène et discutant avec Hikari, n’avait rien remarqué.
Yuu, qui était face au public, aperçut Taichi et lui fit un petit signe. Surpris, Yamato se retourna et lança un rapide coup d’œil. Il eut un sourire, dit quelque chose que Taichi ne comprit pas à Yuu et, soudain, lui fit le geste d’aller le rejoindre. Il répéta quelque chose que Taichi n’entendit pas à cause de brouhaha ambiant mais amusé et ravi à la fois, il suivit des yeux Yamato qui retournait dans les coulisses.
- Je vais aux toilettes, lança-t-il au groupe.
- Tu vas manquer le début, répliqua Daisuke, surpris.
« Je ne vais rien manquer du tout », pensa Taichi en retenant un éclat de rire.
Il y avait tellement de monde autour de lui qu’il dut se faire un chemin jusqu’à la petite porte menant aux coulisses, cachée derrière un grand rideau noir. Jetant un coup d’œil autour de lui, il souleva le tissu puis ouvrit la porte, se sentant étrangement nerveux. Sora avait pris un chemin différent la dernière fois, pensa-t-il vaguement, et il mit cette pensée dans un coin de son cerveau pour plus tard.
Lorsqu’il referma la porte, les cris et les rires du publics lui parurent lointain, étouffés. Il ne voyait absolument rien, et ce fut à tâtons qu’il avança.
- Besoin d’aide ? fit la voix de Yamato à son oreille.
Ayant perdu ses repères, il voulut se retourner mais il entendit un rire grave, un peu moqueur, puis sentit les bras de Yamato le serrer et enfin ses lèvres, un peu tièdes, sur les siennes. Il eut lui-même un rire qui fut étouffé par le baiser.
- J’y vois rien du tout, grogna Taichi en s’accrochant à Yamato pour éviter de tomber. Où est l’interrupteur ?
Il fit un mouvement pour toucher le mur mais Yamato l’en empêcha, riant toujours. Taichi, surpris, tenta d’imaginer l’expression que pouvait avoir son ami à cet instant. Peut-être souriait-il à pleines dents, ou alors seulement une ébauche vaguement amusée. Il n’en savait rien. Il lui semblait que Yamato avait changé, d’un coup, et qu’enfin depuis des jours son corps s’était enfin détendu. Libéré.
- J’ai pas beaucoup de temps, on a déjà du retard sur le planning, lança Yamato sur un ton un peu plus sérieux. T’embarrasses pas de ce détail, tu auras tout le temps de me voir sur scène.
- Yamato Ishida, arrête de me parler comme si j’étais une de tes groupies, répliqua Taichi, ne pouvant cacher le rire qui commençait à le parcourir.
Yamato rit à son tour, et Taichi sentit ses mains le tenir dans son dos. C’était agréable, finalement.
- Les autres sont là ?
- Oui, on est tous là.
- Y compris…
Yamato se tut mais Taichi leva une main dans le noir et parvint à toucher du premier coup le visage de son ami.
- Oui, Sora est là aussi. Elle n’aurait pas manqué ça.
Yamato émit un long soupir, comme quelqu’un qui s’apprête à faire une corvée. Il serra davantage Taichi contre lui, et ce dernier sentit son odeur, le parfum qu’il avait mis pour ce soir. Taichi n’aimait pas les parfums sur les hommes mais c’était Yamato, et il adorait le sentir, parce que c’était seulement lui.
- Les autres m’attendent, je vais les rejoindre, déclara finalement Taichi en se dégageant des bras de Yamato.
Il s’arrêta un instant, se rendant compte à quel point tout semblait naturel entre eux, qu’il n’y avait pas de gêne, ni d’embarras. C’était comme avant, en mieux. Une vague de chaleur monta dans sa poitrine et se sentant brusquement heureux, il prit le visage de Yamato entre ses mains et tenta de l’embrasser.
- Eh, attention c’est mon menton ! lança Yamato, amusé.
- C’est ta faute, t’as pas voulu mettre la lumière, répliqua Taichi, cherchant de sa bouche les lèvres de son ami.
Quand il trouva enfin les lèvres de Yamato, il l’embrassa fièrement, avec force. Il entendit le souffle de Yamato se couper un instant, devenir plus bruyant, chargé d’un désir qui lui venait progressivement. Les bras de Yamato glissèrent, parcoururent son dos, cherchant le contact de sa peau à travers le tissu de son manteau, puis ses mains attrapèrent sa nuque et quelques mèches de ses cheveux, dans un effort de contenir ses propres mouvements.
- Taichi, je…, commença Yamato d’une voix hachée lorsqu’il sentit son ami s’éloigner de lui.
- Oui ?
Yamato resta silencieux un instant puis il eut un petit rire sec.
- Rien, à tout à l’heure.
Surpris, Taichi lui fit un signe que Yamato ne put voir puis ressortit. Les lumières de la scène lui firent presque mal aux yeux et ce fut en les plissant qu’il parvint à revoir le groupe des autres Digisauveurs.
- Tu en as mis du temps, lança Sora lorsqu’il arriva.
Taichi eut un instant de flottement, tandis que le visage de son ami portait une expression songeuse, et presque… empreinte d’une suspicion inconsciente.
- Un monde fou, se contenta de répondre finalement Taichi en souriant.
- Ca y est, ça commence ! cria brusquement Takeru, sortant si vite son appareil photo numérique de sa poche qu’on se demanda vaguement s’il ne l’avait pas fait apparaître par magie.
Une clameur assourdissante retentit dans la salle de concert tandis que toutes les lumières s’éteignaient. Ce fut à cet instant que Taichi se rendit compte à quel point il y avait du monde et sentant l’adrénaline monter, il leva les bras et se mit à crier avec les autres. Il entendit Daisuke siffler avec ses doigts à côté de lui. Takeru était sur le qui-vive, tendant le plus près possible son appareil photo de la scène plongée dans le noir. Tout le monde savait que c’était interdit mais Takeru s’en contrefichait. Il était après tout le plus grand fan des Teenage Wolves.
- Oh la, la, la, gémit Miyako, impatiente.
Jyou lança un cri, les mains en porte-voix.
- YAMATOOOOO ! WOOOOOOOUUUUH !
- Teenage Wolves ! Teenage Wolves ! reprit en chœur le public, applaudissant à tout rompre.
- Ils savent se faire attendre, en tout cas, ricana Koushiro et Taichi rit avec lui.
Et d’un coup, les faisant sursauter, la batterie se fit entendre, presque sauvage, partant dans un solo endiablé. Puis ce fut le tour au synthétiseur, dans une mélodie aux sons un peu discordants, et enfin les deux guitares. Taichi entendit la partie de basse de Yamato et il ne put empêcher un sourire béat de s’épanouir sur ses lèvres.
- BONSOIR A TOUS ! lança Yamato à l’instant même où la scène fut éclairée d’une couleur vive.
Tous les yeux furent rivés sur les quatre adolescents qui reprenaient le même thème, inlassablement. Yamato avait arrêté de jouer et tenait le micro entre ses mains, souriant. Il était dans son univers, et complètement à l’aise, il jouait son rôle. Comme à chaque fois, chaque membre du groupe était habillé dans son propre style. Ce soir-là, Yamato portait un t-shirt noir avec le dessin d’une silhouette de loup bleue ressemblant étrangement à Garurumon. Sous la lumière des projecteurs, ses yeux étaient incolores, clairs, et pleins d’une joie tranquille.
Les fans se mirent à crier encore plus fort, et Taichi vit du coin de l’œil une banderole jaune fluo être agitée, lançant un « YAMATO WE LOVE YOU » agrémentée de dizaines de cœurs. Sora eut un reniflement méprisant quand elle la vit à son tour puis regarda de nouveau le groupe. Elle applaudissait, mais ne criait pas son enthousiasme.
- Je suis content de vous voir tous ! cria Yamato. Vous êtes prêts, ce soir ?
- Ouais !
- Faites plus de bruit !
- OUAIS ! hurla le public qui trépignait.
- Y a pas à dire, Yamato sait chauffer la salle, dit Ken en souriant.
- C’est parti ! cria encore une fois Yamato, avant de lâcher le micro et prendre sa basse en main. A cet instant, Keri s’avança et commença à jouer une mélodie pleine de punch à la guitare.
- Oh mon dieu, c’est « Heartless Monkey »! glapit Hikari en battant des mains.
- Heartless Monkey ? répéta Ken, surpris.
- Yamato s’est inspiré du Digimonde pour beaucoup de ses chansons, répondit Jyou sans quitter la scène des yeux. Heartless Monkey, c’est Etemon. Une belle saleté, dans le genre mauvais Digimon.
Intrigué, Ken écouta la chanson. Yamato, très amusé, reprit avec le public le refrain qui consistait à se moquer d’un singe chantant faux.
- Dj, Dj Monkey ! chanta Miyako en riant.
Sora, silencieuse, observait Yamato qui se démenait sur scène. Lorsque « Heartless Monkey » fut terminée, il enchaîna aussitôt avec « Data and us », un vrai classique des Teenage Wolves. Le groupe des Digisauveurs ne pouvait s’empêcher de sourire en écoutant les paroles, décrivant l’épopée d’enfants dans un monde de données informatiques. Les premières chansons de Yamato, à chaque concert, étaient toujours celles qu’il avait composées en s’inspirant du Digimonde, avant de commencer à écrire des chansons d’amour, des chansons qui collaient plus au reste du public.
Yamato, bien que leader, savait mettre chacun des autres membres du groupe en valeur. Le public saluait les nombreux solos de Wakaba, de Keri et Yuu et Yamato riait, tenant le micro dans une main, faisant des gestes au public pour qu’il bouge ou crie encore plus fort. Plus d’une heure était passée et l’ambiance était à son comble. Taichi était en nage à force de sauter sur place, et la gorge en feu après avoir hurlé avec les autres.
- Rah, Mimi va trop regretter de n’être pas restée, lança Miyako, prenant un extrait vidéo d’une chanson avec son téléphone portable, le bras tendu vers Yamato.
Takeru ne cessait de photographier la scène, le visage cramoisi, humide de sueur. Il avait enlevé son bonnet et ses cheveux blonds lui tombaient devant les yeux. Yamato finit « Little Big Wolf », une chanson parlant d’un loup cachant sa vraie nature derrière une fourrure bleue -il n’était pas difficile de deviner à qui cette chanson était adressée- puis, aussi fatigué que les autres membres du groupe, sourit à la foule et tacitement, la lumière sur la scène se fit plus douce, d’un rouge clair et pénétrant. Le public, sentant le changement d’atmosphère, eut un instant de vague silence, et déjà des mains se levaient an rythme lancinant du morceau qui s’apprêtait à être joué.
- Je reconnais pas l’air, dit Jyou en fronçant les sourcils.
- C’est une nouvelle chanson ! cria Miyako, et Hikari eut une sorte de gloussement.
Le visage de Sora pâlit et le cœur battant à tout rompre, elle fixa ses yeux sur Yamato, seulement lui, oubliant tous les autres. Sous la lueur du projecteur, le regard de Yamato était presque tendre, et doux, ailleurs.
- C’est cette chanson, murmura Koushiro, en serrant les lèvres.
Taichi, surpris, ne comprit pas ce que Koushiro voulut dire et reporta son attention sur son ami qui tenait encore une fois le micro dans ses mains, dans un geste plus posé, et curieusement sensuel, sans peut-être le vouloir. Il crut voir un sourire narquois sur les lèvres de Yamato mais était-ce peut-être un effet de la lumière.
- Cette chanson, tu la reconnaîtras, dit alors Yamato, regardant loin devant lui, ignorant volontairement le regard de Taichi.
Sora eut un haut-le-corps et plaquant sa main contre sa bouche. Une horrible impression de déjà-vu s’empara d’elle mais incapable de fuir, elle inspira, expira, le plus calmement possible.
D’un coup, le rythme si doux de la musique, s’emballa et devient beaucoup plus dynamique, vivant, plus chaud aussi. Il y avait brusquement une flamme qui s’en dégageait et le solo de la guitare de Keri amena une nouvelle vague d’enthousiasme dans le public qui se remit à sauter, et à applaudir. Yuu fit quelques notes au synthé, puis ce fut au tour de Yamato qui joua encore quelques instants. Et lorsqu’il se mit à chanter, ce fut avec une voix enjouée, comme avant, mais une intonation sous-jacente, pleine d’un sentiment sur lequel Sora ne put mettre un nom.
- Tu crois vraiment que j’ai oublié ce jour ? commença Yamato, irradiant d’un bonheur fou.
- Quel jour ? reprit le reste du groupe, en écho.
- Tu crois que j’ai oublié ce moment où ton poing m’a saisi ? Oh, non, je ne pense pas, c’était trop fort…
Le public, surpris, continuait de crier et de battre en rythme, écoutant avec la plus grande attention la nouvelle chanson de Yamato.
- Je ne savais pas pourquoi j’avais si peur de toi, et je tremblais, tu te rappelles ? Rappelle-toi !
- Rappelle-toi ! reprit le groupe
- Je n’oublierai pas ça, oh non je n’oublierai pas que tu m’as ouvert les yeux, mais ce n’est plus important. Tu apparais déjà et je ne vois plus rien. Plus rien ne compte, et ton poing me frappe.
Yamato eut un moment où il se tut, jouant sa partie de basse puis reprit. Et Taichi, de là où il se trouvait, vit de nouveau une lueur dans ses yeux, sous la lumière rouge, différente, et apaisée, en un sens. Il sourit, et chanta le refrain.
- Soleil Ecarlate, tes yeux me fixent, et déjà je n’ai plus besoin de moi-même, je suis aveuglé… Oh, je ne vois plus rien, plus rien que toi. Ton poing est un astre, ça me brûle, et déjà je n’ai plus besoin de moi-même.
Sora, le cœur au bord des lèvres, sentit les larmes lui monter aux yeux. C’était autre chose, ce n’était pas pour elle, ce n’était pour personne, et d’un coup, elle sut qu’elle n’était rien, insignifiante, face à ce garçon qu’elle aimait toujours follement, ce garçon qui plusieurs jours avant était encore à lui. Il était loin de lui, loin pour quelqu’un d’autre et elle en était malade. Réprimant un gémissement, elle cacha son visage, cacha les larmes qui coulaient enfin. Miyako et Hikari se rendirent compte de sa détresse et, cessant tout encouragement pour le groupe, la prirent contre elles, la berçant comme elles le pouvaient. Koushiro, l’air grave, les regarda un instant avant de fixer son attention sur son ami qui chantait cette chanson si particulière.
Reconnaître… Reconnaître quoi ?
- Tu me rends aveugle au reste du monde, tu me brûles, oh regarde comme je brûle, regarde comme tu as frappé en moi, ton poing brûlant entre mes côtes, et tu as attrapé mon astre, entre tes doigts… Oh Soleil Ecarlate, brûle-moi, rappelle-toi de ce jour.
Taichi, abasourdi, dans l’obscurité, la chaleur de la salle, eut un sourire, profondément heureux et, retenant un éclat de rire, il passa une main sur son bandeau bleu, ne quittant pas Yamato des yeux. Un instant, une seconde, leurs regards se croisèrent et Taichi lut en Yamato tellement de sentiments différents qu’il cessa d’y réfléchir. Il lui fit un signe, semblable à un « merci », et cela suffit. C’était ce mouvement semblable au baiser dans le froid, à la main serrée dans la sienne, en lui rappelant la vérité. Il revit le Yamato du passé, près de la fenêtre, sous la lumière du jour, il le revit près de l’arbre en train de jouer de l’harmonica et tout était bien comme cela.
- chi…
Il voyait encore Yamato, ou l’imaginait, le tenant contre lui, et déjà il sentait son baiser qui devenait plus ferme contre sa bouche, en un appel de quelque chose, ce quelque chose qu’il avaient eu tous deux sur le canapé.
-… Taichi…
Yamato qui cachait ses désirs, vulnérable dans ses bras, en proie à des doutes qui n’existaient plus.
- Taichi !
Taichi sursauta violemment, et il s’aperçut que la chanson venait de s’achever sous les acclamations du public qui criait le nom des Teenage Wolves. Il entendit Daisuke qui sifflait encore une fois, et le bruit de l’appareil photo numérique de Takeru qui se déclenchait sans cesse. Koushiro le regardait, étonné par sa rêverie. Il avait l’air soudainement inquiet et Taichi ne comprit pas pourquoi.
- Ko ?
- Regarde, enfin ! s’écria son ami, énervé.
Et il lui montra son Digivice qui s’était mis à briller d’une lueur bleue.
- Oh merde, jura Jyou qui s’était tourné vers eux. C’est comme avec Mimi…
Sora redressa brusquement la tête, les yeux rougis par les larmes. Une expression d’intense douleur apparut sur son visage et elle se mit à gémir, suivie par Hikari et Miyako qui ne pouvaient retenir des grimaces.
- Ma tête, ma tête ! lança Miyako, paniquée.
- Ca recommence, le sifflement, ajouta Iori, blême.
Et Taichi se mit à l’entendre à son tour. Ce sifflement inhumain, retentissant dans sa tête, si fort qu’il pouvait lui arracher des sanglots suppliants. Il eut un mouvement de recul, et choqué, il se tourna vers Yamato. Il sentit son propre Digivice vibrer dans son manteau et quand il le sortit, il vit à son tour l’éclat bleu, devenant de plus en plus brillant, et puissant. Cette même couleur que l’onde bleue, et la douleur.
- Du Sable ? lança soudainement Ken, le regard vague.
Tout le monde le regarda, stupéfait. Une pensée commune les avait réuni, et c’était ce mot, passant entre eux : le Sable. Ils ne savaient pas ce que c’était, ni même ce que cela voulait dire, mais c’était bien du Sable, le Sable, et il n’existait pas d’autre terme pour le désigner.
Sur scène, Yamato eut l’air confus pendant une seconde. Il s’arrêta de jouer et sans regarder le public, prit le Digivice qu’il avait gardé dans la poche de son jean, le fixant avec beaucoup d’étonnement. La lumière bleue se refléta dans ses yeux et une expression passa sur son visage, un bref instant. Il murmura quelque chose, avant que la douleur ne le submerge. Tous les Digisauveurs, abasourdis, ne pouvaient arrêter le sifflement qui les blessait. Réunis tous ensemble, leurs Digivices créaient un vrai halo de lumière qui alerta le reste du public, et l’inquiéta. Des murmures soucieux se propagèrent, s’amplifièrent dans toute la salle.
- Il faut… qu’on bouge…, dit Daisuke avec la plus grande difficulté. Si on reste…
Il ne finit pas sa phrase mais tout le monde devina : « si on reste, on va mourir. » Déjà Hikari ne tenait plus sur ses jambes, forçant Takeru à la soutenir.
Quelqu’un dans la salle hurla de terreur. Une panique s’empara des centaines de personnes présentes dans la salle de concert, et la cohue commença.
Un tremblement de terre, aussi puissant que le soir de la première onde bleue, était en train de tout détruire. Paniqué, Taichi vit les fissures dans les précédentes réparations devenir plus profondes, entendit des pierres tomber non loin d’eux.
- Oh bon dieu, souffla Koushiro, les yeux écarquillés par la peur.
- Faut qu’on bouge ! cria de nouveau Daisuke.
Les musiciens sur scène se lancèrent un regard puis laissèrent leurs instruments, se précipitant dans les coulisses pour sortir plus vite. Seul Yamato resta sur scène, la main serrée sur son Digivice dont la lumière devenait aveuglante. Il ne semblait plus savoir où il se trouvait. Un sentiment presque surnaturel s’empara de Takeru, une force surhumaine et sans hésiter, il se tourna vers la scène, le visage d’une pâleur extrême.
- YAMATO, DEGAGE DE LA !
Le cri réveilla Yamato qui lâcha le micro et sa basse. Il courut et descendit de la scène pour rejoindre les autres. Il entendit alors un craquement au-dessus de sa tête et comprit avant même de lever les yeux ce qu’il était en train de se passer.
- Ecartez-vous ! cria-t-il.
Dans un mouvement, il attrapa Sora qui n’avait pas été assez rapide et la plaqua au sol. Un énorme éclat de pierre s’écroula à un mètre d’eux dans un grondement sourd. Yamato sentit des débris lui rentrer dans les yeux, et des larmes coulèrent. Sous lui, Sora émit un gémissement terrorisé, et ses bras le serrèrent contre elle, dans un réflexe de survie.
- Sora, ça va ?
Il l’aida à se relever, ce qui la força à le regarder. Il y eut un moment de flottement, tandis que le souvenir remontait, lentement. Sora se remémora l’instant où Yamato l’avait protégé, ce jour de Noël, la tenant contre lui, et ses joues s’empourprèrent sous le mélange de la gêne et de la tristesse. Yamato fit un geste qu’il arrêta aussitôt, oubliant tout cela, puis attrapant fermement Sora par l’épaule, la guida vers les autres. Des gens étaient tombés dans la bousculade et saignaient, sonnés par le choc. Jyou aida une des filles fan de Yamato à se redresser et ce fut dans une folie collective qu’ils parvinrent à sortir de la grande salle.
- Ma basse, grogna Yamato, plus agacé qu’autre chose, tentant de se focaliser sur ce détail que sur la douleur du sifflement qui lui donnait envie de se jeter d’une falaise, ou d’encore plus haut.
Ils sentirent l’air froid, et perçurent les hurlements de la foule qui s’était dispersée dehors. Des adolescents montraient le ciel du doigt, figés par la peur.
- C’est pas vrai, murmura Taichi, abasourdi.
A suivre...