Suite de ce chapitre. Je souhaite également vous avertir que le dernier acte sera rating R, et contiendra du slash (oui, vous avez bien lu).
Bonne lecture!
Miyako avait ce regard. Ce fut la toute première pensée d’Hikari quand elle vit son amie lui ouvrir la porte avant de se diriger vers sa chambre, sans un mot. Il n’y avait personne dans l’appartement où d’habitude un grand bruit régnait, dû surtout à la grande famille de Miyako. Tailmon, comme intimidée par l’atmosphère solennelle, alla tout de suite voir le Digimon de Miyako et tous deux allèrent dans le salon. Il n’était pas bon pour eux de rester dans le coin.
Hikari retira ses chaussures, ayant une boule dans le ventre. Elle n’aimait pas le regard de Miyako, ni son silence, et savait pertinemment pourquoi elle la dévisageait comme ça. La jeune fille avait cette expression si particulière de colère et d’agacement, mais aussi empreint d’une certaine culpabilité qu’Hikari ne comprenait pas tout à fait. Elle soupira. Elle avait apporté un petit gâteau pour son amie, mais elle sentit aussitôt quand elle entra dans la chambre de Miyako que tout cadeau était perçu comme un véritable pot-de-vin.
Miyako avait toujours été comme ça. Totale dans ses émotions et ses jugements.
Elle était assise à son bureau, et la regardait, les jambes et bras croisés dans une position glacée.
- Il faut qu’on parle, lança-t-elle vivement.
Hikari eut de nouveau un soupir. Elle était de nature tolérante et savait tout endurer, mais elle se sentit presque aussitôt épuisée d’avance face à cette conversation qui s’annonçait stérile. Elle s’assit sur le lit de Miyako, jeta un coup d’œil aux murs. Les couleurs étaient chaudes, accueillantes, des objets partout dans les coins.
- Je sais déjà ce que tu veux me dire, répondit Hikari d’une voix lasse. C’est à propos de Daisuke, c’est ça ?
Miyako ne répondit pas.
- Je me suis excusée, et je reconnais que ma conduite n’a pas été des plus sincères. Toutefois, mon intention était honnête : je ne voulais pas le faire souffrir.
- Tu l’as quand même fait, rétorqua Miyako. Tu as laissé le temps s’écouler, et plus Daisuke semblait amoureux de toi, plus tu reculais ta déclaration. Takeru non plus n’a rien fait. Je l’aurais cru plus brave.
- Arrête ! s’exclama Hikari en se redressant d’un coup.
Une tâche empourpra ses joues et les traits de son visage s’étaient durcis. Dans ses yeux brillait une colère qui ne demandait qu’à éclater et Miyako, un peu surprise, reconnut en elle le caractère de Taichi, si vif. Elle en était la sœur après tout.
- Ne parle pas de Takeru comme ça !
Miyako émit une sorte de sifflement rageur mais ne dit rien.
- Tu es mal placée pour me faire la morale, Miyako ! continua Hikari, sentant comme un abcès se crever en elle tandis qu’elle prononçait tout ce qu’elle pensait. Tu n’as rien dit non plus, tu ne lui as même pas parlé, ni rien ! Iori non plus, à vrai dire.
Miyako tendit une main vers Hikari, lui faisant comprendre que cela suffisait. Son regard était froid.
- Ce n’était pas notre rôle, Hikari et tu le savais très bien. Tu as été cruelle et maintenant tu refuses de voir à quel point tu es hypocrite. C’est la vérité, ajouta-t-elle quand elle vit qu’Hikari s’apprêtait à se défendre. Je te le dis en toute amitié, tu sais. Je peux comprendre à la rigueur…
Elle se tut puis doucement, un sourire triste plana sur ses lèvres.
- Daisuke est le genre de personnes qu’on ne veut pas faire souffrir…
Hikari ne dit plus rien, détournant les yeux avant de s'assoir à nouveau. Miyako avait raison, et c’était ça qui lui faisait le plus mal. Plus mal encore de s’avouer qu’elle était hypocrite : elle l’avait bien compris dès l’instant où elle avait répondu aux sentiments de Takeru tout en repoussant doucement mais fermement ceux de Daisuke. Quand elle le regardait, quand elle voyait son sourire nerveux, plein de timidité et de volonté à la fois, elle se sentait paralysée, et sous l’emprise de ce visage si rayonnant, si plein de vie. Daisuke faisait partie de ces personnes à qui l’on ne veut rien dire sans avoir peur de les blesser, car l’expression même de leur visage est un vrai coup au cœur. Hikari tenait à Daisuke, et c’était pour ça qu’elle avait fui devant sa responsabilité. La douleur de Daisuke, elle l’avait entendu au téléphone tandis sa voix devenait plus faible et qu’elle croyait presque voir les larmes couler sur le visage de son ami, et qu’il se retenait de sangloter. Il avait pleuré et Hikari ne l’avait pas consolé. Un seul sentiment, horrible, s’était emparé d’elle : le soulagement. Alors que Daisuke pleurait en silence et tentait de faire des blagues, elle s’était sentie soulagée.
Elle se dégoûtait.
- Je suis désolée, murmura-t-elle enfin, sentant sa gorge se serrer au souvenir de la voix pincée de Daisuke quand elle l’avait repoussé. Mais… non, je suis désolée.
- Ce n’est pas à moi que tu dois dire ça, Hikari, répondit Miyako, s’étant levée et regardant par la fenêtre, les bras à nouveau croisés.
- Je me suis excusée auprès de Daisuke, rétorqua la jeune fille d’un ton sec. C’est auprès de toi, tu sais…
- Non.
Surprise, Hikari releva la tête. Miyako avait à présent une posture plus raide, et se tenait le front de la paume droite. Hikaru s’aperçut à quel point son amie semblait fatiguée. Elle avait maigri, et ses mains tremblaient tandis qu’elle fixait toujours l’extérieur d’un œil éteint. Elle avait l’air soudain beaucoup plus adulte et triste qu’elle ne l’avait jamais été.
- Je ne veux pas mieux que toi, continua-t-elle de cette voix métallique, évitant de croiser le regard d’Hikari. J’ai eu mes propres raisons de ne pas avoir dit à Daisuke tout ça. Et je n’en suis pas très fière, à vrai dire.
Elle eut un long soupir.
- J’ai préféré attendre que ça lui fasse plus mal. Qu’il en ressort très affaibli. Je n’ai rien voulu dire… pour en profiter.
D’un mouvement brusque elle se tourna vers Hikari, et cette dernière vit alors son visage d’un rose soutenu, et ses yeux brillaient d’une étrange lueur, un mélange de tristesse et de nervosité.
- Je… Je voulais…
Elle tenta de se ressaisir mais n’y arriva pas. Et de nouveau, elle se prit le front de la paume droite, se cachant du regard d’Hikari.
- Je voulais… Daisuke…, avoua-t-elle d’une voix basse et honteuse.
Silence.
Hikari cligna des yeux.
- Pardon ? fit-elle d’un ton abasourdi
Miyako, gênée, fit un large mouvement du bras, comme si elle voulait chasser Hikari, puis se redirigea vers son bureau où elle s’assit.
- Je pensais avoir… une petite chance, reprit-elle en butant légèrement sur les mots. Rien qu’une petite chance, et l’utiliser au maximum. Je pensais que plus tu attendrais, plus grande serait sa douleur. Et alors, je l’aurais consolé, je lui aurais montré que j’aurai pu m’occuper de lui… Moi, mieux que toi…
Hikari ne sut quoi répondre. Elle se rendit compte qu’elle tapotait nerveusement du pied sur le sol et cessa tout aussitôt. Les mots de Miyako tournaient dans sa tête, sans qu’elle en comprit réellement le sens. Miyako… était amoureuse de Daisuke ? Sur le coup, cela n’avait pas de sens. Elle les avait vus, observés, comme elle le faisait avec tout le monde de son regard clair et perçant, révélant la vérité que les autres ne voyaient pas. Et là, elle n’avait rien remarqué comme si cette attirance avait été millimétrique, si profondément enfouie sous les critiques, les mots envoyés sans grande méchanceté, l’amitié étalée au grand jour, que personne n’aurait pu la voir. Miyako avait caché en elle cet amour pour Daisuke, et n’avait rien dit, espérant et manœuvrant pour arriver à son but : que Daisuke lui sourie à elle, de tout son cœur, et non plus à Hikari.
- Je… Je ne savais pas, finit-elle par répondre.
- Personne ne le sait, répondit Miyako en riant doucement. J’ai moi-même du mal à le croire. Comment suis-je tombée amoureuse d’un tel crétin, vantard et pas fichu de marcher correctement ?
Elle ne dit plus rien, tandis qu’Hikari eut un petit toussotement.
- Tu sais bien, Miyako, qu’il ne sera jamais amoureux de toi, non ?
-… Je sais. C’est pour ça… que Ken… ah laisse tomber…, dit-elle en secouant la tête.
Hikari prit son gâteau toujours enveloppé. Il était encore chaud, et l’odeur sucrée, un peu grasse, s’en dégageait légèrement. Le papier était d’un rouge soyeux, et elle passa ses doigts autour du ruban jaune. Il lui réchauffait les cuisses.
- Iori… t’aime.
Silence.
Miyako, choquée, se releva brusquement.
- Qu… Quoi ?
Hikaru sourit doucement.
- Tu ne l’as jamais remarqué ? Il fait tout pour te montrer à quel point tu comptes pour lui.
Miyako réfléchit. Le jeune garçon aux yeux d’un vert profond, si paisible, si sage, amoureux d’elle ? Pendant un bref instant, elle sentit comme une émotion douce et fraîche cicatriser son cœur délaissé par Daisuke, mais ce fut aussi rapide, et presqu’inutile. Iori était un garçon calme qui avait toujours su faire parler en elle l’adoratrice de l’informatique, et son humour sarcastique l’avait toujours touché. Cependant, elle se sentit d’un coup très vide, et cet amour si lointain qu’elle n’avait jamais conçu passa sur elle comme une brise froide.
Elle secoua la tête.
- Soucies-toi un peu plus de lui, conclut Hikari en se levant, tenant son gâteau contre elle. Même s’il s’agit de lui faire comprendre que tout espoir est vain, occupe-toi de lui de façon à le respecter. Pas comme moi avec Daisuke, ajouta-t-elle avec un petit rire désolé.
Miyako la fixa puis, n’en pouvant plus, cacha ses yeux de ses mains et se mit à pleurer. Elle s’arrêta lorsqu’Hikari lui offrit le gâteau, et un mouchoir.
C’était tout bête, mais cela lui suffit pour se sentir mieux.
- Alors cette expo ?
- Horrible ! Je l’ai fini en cinq minutes mais ma mère a voulu que je refasse tout avec elle !
Ken étouffa un rire contre l’oreiller contre lequel il s’appuyait. Allongé sur le ventre, confortablement installé sur le matelas posé près du lit de Daisuke, il sourit dans le noir en entendant grogner son ami. Chibimon et Wormmon dormaient comme des biens heureux, enveloppés dans une couverture aux pieds de Daisuke. Chibimon renifla dans son sommeil et Wormmon bougea ses pattes avant de rester à nouveau immobile comme un bout de bois.
- Mais, tu as retenu des choses intéressantes, non ?
Daisuke se retourna et se pencha vers Ken. Il faisait trop sombre pour que Ken puisse voir le visage de son ami mais il sentait plus qu’il ne voyait le sourire crispé que Daisuke affichait.
- Rien d’intéressant. Ca t’aurait plu, je sais à quel point tu aimes tous les trucs vieux…
- L’Histoire, c’est intéressant, répliqua Ken. Il faut juste l’aborder d’une manière amusante.
- Peuh, comme quoi ? fit Daisuke en se recroquevillant sous sa couette d’un ton boudeur.
Ken soupira, prenant le temps de réfléchir. La fatigue de la journée commençait à peser sur son corps. Il avait travaillé un long moment sur les vidéos pour Mimi, avait fait un bon montage et il ne manquait plus que quelques détails. L’image de Taichi n’avait pas quitté son esprit sans qu’il ne sache pourquoi mais préféra passer sous silence cet épisode. Il n’avait pas assez d’indices pour émettre une quelconque hypothèse. Trop risqué.
- Eh bien… Etudie la « petite histoire ».
- La « petite histoire » ? répéta Daisuke.
Ken soupira.
- Tu sais, les anecdotes croustillantes… Que tel général a eu une aventure scandaleuse, tout le monde l’a su et puis bam, une guerre.
- Aaaaaah ! Oui, je vois ! C’est vrai que c’est plus marrant vu comme ça, ricana Daisuke.
- Chut, parle-moi fort, murmura d’un ton furieux Ken en se cachant sous ses couvertures.
Ils ne dirent rien pendant quelques instants. Ken se sentait bien chez Daisuke. Il se rappelait encore de la première fois où il était allé dormir chez lui. Maladroit, gêné de tant de chaleur humaine qu’il avait perdu l’habitude de côtoyer, il s’était détendu et avait dormi comme un loir, entouré des Digimons et Daisuke qui ronflait et parlait dans son sommeil en se débattant. Cela n’avait pas dérangé Ken, trop heureux d’avoir « enfin » un véritable ami, quelqu’un qui l’avait accepté malgré ses actes impardonnables et lui avait tendu la main d’un geste fier et sincère.
Il entendait la respiration de Daisuke, ses mouvements dans la pénombre, et sa chaleur était là, imprégnant la pièce d’une quiétude bienfaisante.
- Ton idée de « petite histoire » me fait penser à nous, fit enfin Daisuke dans un chuchotement vif. Nous, les Digisauveurs.
Il croisa ses mains sous sa nuque, observant le plafond. Chibimon et Wormmon lui réchauffaient les pieds.
- On a aussi notre lot d’anecdotes croustillantes, comme tu dis. Avec toutes ces histoires d’amour, de lien…
Il soupira.
- Rah, je suis tellement jaloux de Yamato et Sora ! pesta-t-il en brandissant un poing rageur. Bande de tourtereaux qui me rappelle que je suis tout seul !
- Tu te fais du mal, Daisuke, répliqua Ken en tentant de réfréner son rire. N’y pense pas, va. Si ça se trouve, ça ne va pas du tout entre eux…
A ces mots, sans qu’il ne comprenne pourquoi, le visage de Taichi lui revint en mémoire, blême, à l’expression crispée et douloureuse. Une détresse pure, qui ne pouvait pas s’effacer soudainement. Cette tristesse qu’il avait projetée sur son meilleur ami, Yamato.
- Ken ? A quoi tu penses ? demanda Daisuke, surpris par le silence de son meilleur ami.
- Rien, rien du tout… J’ai pensé à un truc complètement dingue, c’est pas grave.
« Pas si dingue que ça… », songea-t-il en reposant sa joue sur l’oreiller.
Ce n’était pas si incroyable après tout. Taichi était peut-être jaloux du bonheur de Yamato, jaloux de cet amour qu’il avait perdu. Mais… pourquoi quelque chose ne collait pas ? Ken fronça les sourcils, se sentant de plus en plus soucieux.
- Non, Taichi n’est plus amoureux de Sora, fit soudainement Daisuke, lisant dans les pensées de Ken. Oublie ça tout de suite. Et puis, ajouta-t-il dans un rire, Taichi a bien trop de respect pour Yamato pour tenter quoi que ce soit avec Sora. Je pense qu’il sait ce qu’il fait, il a de la dignité, n’empêche.
Ken tiqua au son de la voix de Daisuke. Il entendait cette admiration aveuglante que Daisuke avait toujours éprouvée pour l’ancien chef des Digisauveurs mais aussi… autre chose… quoi ?
« Arrête de te faire des idées ! », se sermonna-t-il intérieurement. Depuis cet épisode avec Taichi, il ne cessait d’imaginer des choses étranges.
- Tu sais, reprit Daisuke, je suis encore amoureux d’Hikari.
- Bien sûr, répondit Ken, compréhensif. Il est impossible d’oublier un amour d’un seul coup, comme ça.
Daisuke resta silencieux. Le sourire d’Hikari, son parfum, ses mouvements gracieux demeuraient des souvenirs délicats : tendres, ils n’en restaient pas moins douloureux. C’était une absence glacée, une souffrance qui se rappelait par pointes, quand il la regardait, voyait à présent sa main dans celle de Takeru, ou sentait dans les yeux des autres une compassion inutile. Il avait mal, très mal. Ses larmes avaient continué de couler encore après sa visite chez Ken. Chibimon, interloqué, l’avait serré du mieux qu’il pouvait contre son petit corps, imprégnant ses vêtements de l’odeur de pierre humide du Digimonde, cette effluve qu’aucun Digisauveur n’oubliait. Dans ses yeux étaient rougis, il se passait de l’eau froide sur les paupières et attendait que ça passe. Un chagrin d’amour était comme un rhume qui vous prenait au ventre. Il fallait juste que ça finisse un jour ou l’autre.
Il allait cependant mieux, à présent. La blessure était encore trop fraîche pour qu’il fasse semblant de rire et de taquiner Hikari, mais elle avait cessé de saigner à flots. Ses amis avaient été là. Ken avait été près de lui et avait su l’apaiser du mieux qu’il pouvait ; les mots en eux-mêmes n’avaient pas une grande importante. Le ton tranquille, apaisant comme un baume sur une plaie, avait fait son œuvre sur le cœur du jeune garçon. Et aussi…
Il eut un léger sourire. Taichi l’avait aidé aussi, à sa manière détournée et pleine de chaleur. Il s’était excusé de ne pas avoir été là, l’avait rassuré, une main sur son épaule.
- Je vais mieux, dit Daisuke d’une voix décidée. Grâce à toi, Ken. Et à Taichi.
A ces mots, Ken eut un mouvement de tout le corps. Il n’avait pas voulu émettre une réaction mais ce fut comme une décharge électrique. Stupéfait, il ne répondit pas. Mais une main brûlante venait de lui saisir l’estomac et le broyait d’une poigne cruelle. Il entendit la respiration de Daisuke qui se faisait plus profonde et, figé sur le matelas, il resta les yeux grands ouverts, incapable de trouver le sommeil. Les membres raides, soudainement gelés, il fronça à nouveau les sourcils.
« Ce sentiment, qu’est-ce que c’était ? »
Koushiro avait beau se dire qu’il s’agissait d’un lundi ordinaire, un jour de plus de vacances, il se sentait nerveux. Bête et nerveux. Dans son grand sac, Tentomon eut de nouveau ce soupir agacé et ses yeux d’un vert électrique lancèrent un regard perçant à son ami.
- Koushiro, tu trembles, dit-il d’une voix grave
Le jeune garçon eut un léger sourire, alors qu’il appuyait sur le bouton de l’ascenseur. Il n’y avait heureusement personne d’autres aussi il ne se gêna pas pour parler d’une voix haute et claire.
- C’est le froid, Tentomon.
Il sourit de nouveau, stupéfait par son propre aveuglement. Il était déjà allé une bonne dizaine de fois chez Yamato, comme tous les autres Digisauveurs mais aujourd’hui, il se sentait vraiment nerveux. Les jours précédents avaient été lourds d’émotion. Il se souvint du regard de Jyou, et de sa volonté de l’aider. Aider à quoi ? A rien, il n’y avait rien à faire. Triste réalité. Koushiro ne put empêcher le long soupir qu’il retenait depuis longtemps d’enfin franchir ses lèvres. Bête et nerveux, que cela était drôle dans un sens. Il tenta d’oublier tout cela lorsqu’il sonna à la porte de Yamato.
Ce fut le père qui lui ouvrit, affichant un sourire aimable. Ses yeux étaient clairs, et francs comme ceux de son fils, capable de tout dire, comme de tout cacher.
- Oh, bonjour Koushiro !
- Bonjour, Mr Ishida, répondit poliment Koushiro en entrant dans l’appartement. J’espère que je ne vous dérange pas…
- Pas du tout, rétorqua Mr Ishida en faisant un geste de la main. De toute façon, je suis le point d’aller à la station. Je ne rentre pas de la nuit aussi fais comme chez toi. Yamato est dans sa chambre.
- Merci, Mr.
Le père de Yamato fit un dernier sourire avant d’aller mettre son manteau. Koushiro hocha la tête puis se dirigea vers la chambre de Yamato, la porte fermée. Cependant, à travers la cloison, Koushiro parvint à entendre le son grave de la guitare basse, et la voix si légère de Gabumon bien qu’il ne pût saisir exactement ce qu’il disait. Il frappa à la porte et à ce moment les accords de la basse se turent.
-Oh, entre, Koushiro ! fit la voix de Yamato qui semblait sourire. Je t’attendais !
Tentomon sortit du sac et précéda Koushiro en se précipitant vers Gabumon, tout heureux de voir son ami. Yamato était assis sur son lit et avait placé sa basse à côté de lui tandis qu’il écrivait quelques mots sur une feuille qu’il avait posé sur ses genoux. Koushiro jeta un coup d’œil à la pièce, bien rangée, ordonnée. Sur les murs étaient collés des posters de différentes stars du rock, ou des photos de guitares mythiques. L’ordinateur sur le bureau était connecté et diffusait une ballade à son très bas.
- Je te dérange pas ? demanda finalement Koushiro en jetant un coup d’œil à la feuille de Yamato.
- Non, pas du tout, je composais seulement une chanson.
- Très belle chanson, Yamato ! reprit Gabumon, ne cachant pas la fierté qu’il éprouvait pour son ami. Je dois dire que c’est maintenant ma préférée !
Yamato eut un sourire en secouant la tête. Koushiro sentit sa gorge se serrer ; il avait toujours aimé ce mouvement de son ami, très léger et paisible à la fois.
- Les paroles sont si touchantes, poursuivit Gabumon en levant ses yeux de grenat au plafond, attendri. Je crois que ma partie préférée c’est, hum, ah oui, je me souviens « Tu as frappé en moi, ton poing brûlant entre mes côtes, et tu as attrapé mon astre, entre tes doigts, pour le placer entre tes lèvres, comme une lumière… entre nous… »
- C’est encore un peu trop niais, dit Yamato comme pour s’excuser. C’est justement une partie que je vais retravailler, je ne suis pas très content de moi sur ce coup.
Koushiro ne répondit pas, surpris. Il était rare que Yamato écrive ce genre de textes pour ses chansons. Bien évidemment, Yamato était capable de faire de très jolies chansons d’amour, des ballades racontant des sentiments mutuels ou un cœur brisé, cependant, du peu que Koushiro connaissait à présent, il y avait quelque chose de différent.
- Comment s’appelle la chanson ?
Yamato resta silencieux un instant, et son visage prit une expression particulière, oscillant entre la gêne et le ravissement.
- Soleil Ecarlate, dit-il enfin avant de se lever pour ranger sa guitare dans son étui. Oui, c’est comme ça qu’elle s’appelle…
Koushiro serra le poing.
- C’est… joli, répondit-il enfin.
Le sentiment qu’il avait redouté commençait à s’emparer de lui et lui donner mal au cœur. Cette jalousie stupide et stérile prenait le dessus et s’asseyant sur le lit, il sortit les CDs de son sac, tentant de calmer son esprit échauffé par des sentiments inutiles.
- En parlant de musique, tiens, je te les rends.
- Oh, merci.
Yamato s’assit à côté de Koushiro, prenant les CDs. Koushiro sentit la main tiède de son ami toucher ses doigts, un bref instant, et sa peau fut d’un coup plus chaude. Tout son corps irradiait d’une chaleur infernale, à côté de Yamato qui lui souriait de cette façon douce et tranquille, ses yeux plus clairs à la lumière. Ce sourire qui avait fait tomber Koushiro amoureux.
- Je suis content d’avoir un ami qui aime ces groupes, dit Yamato en posant les CDs. Difficile de parler des bons vieux groupes de rock avec les autres. Comment tu les as trouvés ?
- Excellent, répondit Koushiro, remarquant avec effroi que sa voix tremblait. Si jamais tu en as d’autres à me conseiller…
Yamato se gratta la nuque, réfléchissant. Il se releva pour fouiller dans une étagère remplie de pochettes. C’était d’ailleurs l’un des endroits de sa chambre les moins rangés, tellement Yamato avait l’habitude de mettre, sortir ses CDs, les replaçant à la va-vite. Il en choisit trois, souffla dessus pour enlever le peu de poussière qui s’y était accumulée puis les tendit à Koushiro.
- Années 60, des groupes mineurs mais qui avaient du potentiel. C’est du très bon son.
- Merci, sourit Koushiro, les mettant dans son sac. Je les écouterai ce soir et je te donnerai mon avis.
- Yamato, j’ai très faim ! dit Gabumon d’une voix plaintive.
Yamato eut un rire clair en trois notes. En l’entendant, Koushiro sentit de nouveau sa gorge se serrer et il détourna la tête.
- Va dans la cuisine, et propose à Tentomon, fit Yamato en ouvrant la porte de sa chambre. Mais ne mangez pas tout, bande de goinfres !
Satisfaits, les Digimons se précipitèrent dans la salle à manger en riant, et bavardant. Yamato eut de nouveau un petit rire.
- Ah ceux-là, de vrais estomacs sur pattes.
- Je te le fais pas dire, Tentomon dévore en trois jours ce que je mange en une semaine, ça en fait des frais.
Yamato hocha la tête, complice. Une envie soudaine prit Koushiro et il dut crisper ses mains sur ses genoux pour se retenir d’embrasser son ami, là, tout de suite, et de sentir son odeur contre sa peau, entendre son rire. Il se sentait si stupide à demeurer immobile, rêvant aux mains de Yamato sur lui, aux lèvres de ce jeune garçon si tranquille qui mordait de ses mots les gens l’entourant, qu’il ne se rendit pas compte du premier coup que Yamato s’était assis sur le fauteuil de son bureau, croisant les jambes.
- Je suis content que tu sois venu, Koushiro, dit-il après un léger silence. Je… J’aurais besoin de quelques conseils et je pense que tu es à peu près la seule personne capable de m’en donner pour le moment.
Nouveau silence.
Koushiro fixa Yamato, silencieux. Il était rare que Yamato demande un conseil. C’était un garçon indépendant capable de régler ses problèmes seul, sans en dire un mot à quiconque, quand bien même il s’était davantage ouvert aux autres depuis l’aventure du Digimonde. Il demeurait malgré tout ce jeune garçon farouche qui jouait de l’harmonica, seul près du lac trois ans auparavant.
- Ce n’est pas vraiment pour moi, ajouta-t-il, comme lisant dans les pensées de son ami. Mais pour une connaissance.
- Je t’écoute, dit Koushiro, s’installant un peu plus confortablement sur le lit de Yamato.
Yamato ne répondit pas aussitôt. Il se mordait la lèvre inférieure, regardant ailleurs.
- Un ami à moi… ne va pas très bien… Enfin je veux dire, son couple ne va pas très bien. Il se pose beaucoup de questions, et se demande si le moment est venu de rompre.
Pendant un instant, Koushiro ne comprit pas. Stupéfait, il observa Yamato et d’un coup, tout devint clair. Il retint un sourire amusé, appuyant son menton sur sa paume, comme pour éviter de montrer qu’il trouvait toute la conversation touchante. Qui n’avait jamais essayé cette fameuse technique du « Ce n’est pas moi, c’est un ami » ? Il ne dit pas un mot, montrant qu’il était parfaitement à l’écoute.
- Il aime beaucoup sa petite amie, il me l’a dit, et moi-même, je l’ai bien remarqué, mais il n’est plus heureux avec elle, et sait qu’il a fait une erreur.
- Quelle erreur ?
Le visage de Yamato s’empourpra légèrement, et il ne croisa toujours pas le regard de Koushiro.
- Il est attiré par quelqu’un d’autre.
Koushiro crut un instant que son cœur s’était arrêté. Etait-ce possible… ? Réellement ?
« Non, ne pense à rien… Ne pense à rien du tout, tais-toi ! », songea-t-il avec animosité.
- Mon ami ne veut pas blesser sa petite amie, mais il voudrait lui faire comprendre que cela n’est plus possible entre eux. Et, je sais bien moi-même que cela est impossible mais… il voudrait savoir comment rompre sans faire souffrir ?
Koushiro avait la gorge si sèche qu’il ne parvint qu’à déglutir à moitié.
- Comment est la personne, celle qui a fait changer les sentiments de ton ami ? demanda-t-il sur un ton qu’il voulait désinvolte.
« Non, arrête ! Ne crois pas… Ne pense à rien du tout ! »
Koushiro avait envie de pleurer et il s’insulta intérieurement pour ça. Il n’était plus un enfant, ni une jeune adolescente émotive mais les sentiments étaient trop forts, et l’illusion trop cruelle. Il ne pouvait pas y croire, il ne « devait » pas y croire. Pas un instant. Yamato n’était comme ça, il n’était pas…comme lui. Même pas bisexuel, rien du tout, alors que Koushiro le savait parfaitement pour lui-même. Les aventures dans le Digimonde, et son adolescence, avaient été marquées par cette recherche, cette découverte de ses désirs et ses attirances. Et ce fut par cette recherche que son esprit, à priori si méthodique, avait révélé cette faille, cette émotion qu’il avait découverte et cachée. Cet amour pour Yamato qui s’était développé avec lenteur, avant d’éclater en une seule fois, telle une gifle.
Yamato qui avait mûri, et dont le sourire était devenu chaleureux et tranquille, et la pensée plus pure qu’autrefois. Koushiro était tombé amoureux de lui et le regrettait amèrement, enrageait d’une colère résignée lorsque le jour de la victoire, Yamato avait complètement brisé tout espoir pour lui, en sortant avec Sora. Cette nuit-là, Koushiro avait crée un site pour une entreprise, tentant de calmer sa déception, se plongeant dans un travail fastidieux. Malgré tout, d’épuisement, de haine pour Yamato, d’amour aussi, il s’était effondré en larmes sur son lit, tandis que Tentomon le consolait de mots inutiles, mais au ton paisible. Il n’avait jamais eu aussi honte de sa vie, et malgré tous ses efforts, n’avait pas réussi à oublier cette nuit où seul, il avait réfréné ses sanglots pour ne réveiller personne.
Pathétique. Bête et nerveux.
Yamato prit encore un moment pour réfléchir, affichant une expression surprise. Il se passa une main sur le front.
- C’est… Je ne sais pas trop, il ne m’a donné beaucoup de détails mais… d’après ce que j’ai compris…
Il se tut de nouveau et un sourire tendre s’épanouit sur ses lèvres.
- C’est quelqu’un de remarquable…
A cet instant précis, dans la chambre où passait en fond sonore une ballade, Koushiro sentit grandir en lui un sentiment qu’il avait voulu bannir des semaines auparavant, mais qui, devant ce sourire, ce regard si doux, devint plus fort que jamais.
L’espoir.
A suivre...